It is the cache of ${baseHref}. It is a snapshot of the page. The current page could have changed in the meantime.
Tip: To quickly find your search term on this page, press Ctrl+F or ⌘-F (Mac) and use the find bar.

La couleur à Lille au xviie siècle, de Philippe IV à Louis XIV
Navigation – Plan du site

La couleur à Lille au xviie siècle, de Philippe IV à Louis XIV

The colour of Lille in the seventeenth century, from Philippe IV to Louis XIV
Étienne Poncelet

Résumés

Pays polychrome, de pierres blanches ou bleues et de briques roses, jaunes ou noires, la Flandre manie depuis le Moyen Âge les jeux colorés de matériaux. Sa capitale wallonne, Lille, est la ville méridionale des Pays‑Bas catholiques où s’acclimatent les plantes de la compagnie des Indes néerlandaises et où se déroulent les « joyeuses entrées » des comtes, ducs de Bourgogne, archiducs et autres rois d’Espagne. Cette tradition de luxuriance se traduit à l’âge d'or bourguignon par une efflorescence de couleurs sur les édifices qui durera jusqu’à la prise de Lille par Louis XIV en 1667. Les portes « espagnoles » affichent leurs briques émaillées de couleur. L’hospice Comtesse placarde son retable de pierres peintes sur sa façade d’entrée. La Vieille Bourse colore ses façades au modèle d’un cabinet d’ébénisterie avec ses incrustations de pierres nacrées et de brique luisantes comme les écailles de tortue. Le style franco‑lillois transmettra ce goût pour la couleur à travers la reconstitution du centre ville au xviie siècle, ce dont témoigne le plan-relief de 1743. Les restaurations depuis une dizaine d’années retrouvent cette tradition de joie urbaine dans les autres « grand-places » des villes du Nord.

Haut de page

Notes de la rédaction

Traduction du résumé : Alexandra Keens

Texte intégral

1Pays polychrome de pierres blanches ou bleues et de briques jaunes ou noires, la Flandre manie depuis le Moyen Âge les jeux colorés de matériaux. Lille est la capitale de la Flandre française, ce pays composite où se rencontrent la craie blanche des collines de l’Artois et l’argile ocre des plaines fluviales. La spécificité de chacun de ses matériaux a entraîné l’habitude de les combiner de manière économique et élégante. C’est ainsi que sont nées les rouges‑barres des fermes du Mélantois, héritières des murs romains à pastoureaux chaînés de briques. Les soubassements sont réalisés en damiers de pierres dures alliant les silex, les grès et les briques.

2Lille, en Flandres, traduit donc dans ses murs la polyphonie culturelle des pays qu’elle rassemble. Capitale septentrionale des ducs de Bourgogne, la ville médiévale est d’abord un ensemble éclectique de maisons en bois peintes par souci de protection, parfois rehaussées de décors et d’enseignes. La représentation de l’échevinage, construit par Jean Fayet en 1595, illustre ces ensembles urbains plus pittoresques que raisonnés. Les premières ordonnances urbaines datent de la fin du XVIe siècle, interdisant d’abord les maisons de bois puis évoluant vers des règles tendant à harmoniser les maisons entre elles.

3Les notions d’urbanisme et de « rangs » vont se développer jusqu’à leur apogée au XVIIIe siècle où des rues entières seront réglées selon des modèles imposés.

4Au début du XVIIe siècle, la ville est aussi le jardin d’acclimatation de la Compagnie des Indes néerlandaises. Cette floraison de la couleur s’épanouit sous le gouvernement des archiducs, à l’époque où Rubens réside à Lille et peint pour ses églises.

5La « Joyeuse entrée » des archiducs à Lille le 5 février 1600 illustre par les décors colorés qui sont déployés pour cet événement le goût exubérant des lillois. Les revers intérieurs des portes ouvertes dans la nouvelle enceinte sont ornés de briques polychromes où les émaux verts et jaunes complètent la gamme des roses et des noirs naturels pour former des symboles inspirés des runes nordiques.

6La porte de Roubaix (Saint‑Maurice) et la porte de Gand (La Madeleine) (fig. 1), construites en 1621 par Pierre Raoul, témoignent de ces parements colorés.

Fig. 1 : Briques vernissées en runes sur la porte de Gand en 1621

Fig. 1 : Briques vernissées en runes sur la porte de Gand en 1621

© Étienne Poncelet

7Au cours de la période espagnole va se développer une architecture polychrome, de briques et de pierre, influencée par les artistes locaux, et notamment les ébénistes. Les ateliers lillois sont spécialisés dans les placages en écaille de tortue et les cabinets d’ébénisterie. Les façades lilloises sont influencées par cette tendance aux incrustements. Le rang des Arbalétriers de 1640 est un manifeste de bichromie en briques et en pierres. Les arcs en anse de panier alternant la brique et la pierre sont marqués par des décors en pointe de diamant. Les tympans sont incrustés de sculptures, comme à la maison de Gilles Le Boé (fig. 2).

Fig. 2 : La maison de Gilles Le Boé, milieu XVIIe siècle

Fig. 2 : La maison de Gilles Le Boé, milieu XVIIe siècle

© Étienne Poncelet

8Un maître-ébéniste, « l’escrignier » Julien Destrée, va profondément marquer de son talent la fin de la période espagnole. Ce fabricant d’écrins deviendra l’architecte de la ville. Il est appelé en 1649 pour refaire le rang des maisons de louage de l’hospice de la Comtesse. Deux ans plus tard, il réalisera son chef‑d’œuvre, en plein cœur de la ville, la Bourse du commerce. Cet ensemble, composé de vingt‑quatre maisons assemblées autour d’un cloître, témoigne du souci collectif de faire œuvre commune en s’appuyant sur les intérêts privés de chacun des bourgeois concernés. Autorisée par le roi Philippe IV, cette construction est une sorte de lotissement imposé sur la place du Grand marché, délimitant les parties communes, ouvertes à tous, pour faciliter les échanges entre les marchands.

9Cette maquette de la ville grandeur nature est prise comme modèle pour les constructions à venir. Pendant quinze ans, jusqu’à la prise de Lille par Louis XIV en 1667, la Vieille Bourse sera ainsi la référence officielle de la reconstruction du centre. Les rangs avoisinants ont tous subi son influence, en commençant par le rang du Beauregard construit en 1652.

Fig. 3 : Les couleurs retrouvées de la Vieille Bourse de 1651

Fig. 3 : Les couleurs retrouvées de la Vieille Bourse de 1651

© Étienne Poncelet

10La restauration de la Vieille Bourse (fig. 3 et 4), que nous avons eu la chance de diriger, nous a permis de confirmer que la polychromie était la règle. La totalité des matériaux, briques et pierres, était revêtue de teintes et de badigeon. Construit comme un cabinet d’ébénisterie, cet ensemble en avait aussi la diversité colorée. Les sculptures de pierre, de teinte ivoire, sont incrustées dans les tapisseries de briques nacrées comme l’écaille de tortue, et soulignées par les teintes sombres du soubassement des menuiseries.

Fig. 4 : Les couleurs retrouvées de la Vieille Bourse

Fig. 4 : Les couleurs retrouvées de la Vieille Bourse

© Étienne Poncelet

11Le décès de Philippe IV d’Espagne, le 17 septembre 1665, marquera le tournant historique de ce pays mais aussi l’évolution de son architecture. Louis XIV vient récupérer la dot de sa femme Marie‑Thérèse en exerçant le droit de Dévolution des Pays‑Bas. Sitôt la prise de Lille le 27 août 1667, Vauban esquisse la reine des citadelles dont la construction occupera tout le règne du Roi‑Soleil avec l’aide appuyée de l’architecte de la ville, Simon Vollant.

12Ce dernier adaptera les techniques locales de constructions en briques et en pierres aux exigences du classicisme français. Mis au point sur les casernes de la citadelle, le style franco-lillois se développera dans le nouveau quartier royal loti sur les terrains reconquis sur les fossés et le marais.

13L’hôtel de Métilly, construit en 1695 par Simon Vollant rue du Gros Gérard pour un officier du roi, témoigne de ces constructions du nouveau style. Les tapisseries de briques et les cadres de pierre blanche sont revêtus d’une teinte rouge et blanche couvrant les matériaux naturels et les joints.

14Le plan‑relief de Lille réalisé en 1743 présente un instantané de la ville, alignant ses rangs de façades colorées de rouge et de blanc, scandés par les bâtiments publics, souvent badigeonnés de bleu, teinte de la pierre dure locale.

15La chapelle des Jésuites, reconstruite à cette époque et celle des Chartreux nous offrent leurs parements intérieurs, montés en pierre blanche, mais entièrement repeints en trompe‑l’œil de couleur bleu foncé imitant la pierre de Tournai.

16La dernière grande fête de la couleur sera célébrée, comme dans tout le royaume, à l’occasion de la naissance du dauphin en septembre 1729.

17Un carnet d’aquarelles de Pourchez nous dépeint les décors exubérants mis en place sur les édifices publics, à commencer par l’hôtel du Gouvernement, rue Royale, parsemés de tapisseries semées de fleurs de lys et de dauphins.

18À la fin du XVIIIe siècle va progressivement s’effacer le goût de la couleur que les Lillois avaient tant appréciée depuis l’époque bourguignonne.

19Pour des raisons pratiques, les Lillois continueront de protéger les façades fragiles de leurs maisons par des badigeons successifs, souvent monochromes. Ce n’est qu’avec les premières restaurations de l’après‑guerre que la ville redécouvrira les qualités premières de son architecture.

20En 1953, les premiers essais de nettoyage par sablage sont faits par Henri Biarez sur le n° 10 quai du Wault. La redécouverte du charme polychrome des matériaux naturels se développera en même temps que la naissance du secteur sauvegardé.

21En 1964, la renaissance du Lille ancien commence son combat pour la sauvegarde de l’authenticité des façades anciennes. La foire à la brocante de 1973 pose les prémices de la couleur à Lille en pavoisant la ville et en offrant les portes et palissades de la rue de la Monnaie à l’expression libre des artistes peintres.

22En 1980, l’architecte en chef Charles Walschmidt fait remplacer la sableuse par le couteau du peintre à l’hôtel de la Monnaie. Il nous adresse un message de respect pour les épidermes teintés anciens, appliqués sur les briques et les pierres des façades classées.

23Les restaurations que nous avons faites depuis cette date nous ont toutes confirmé le principe généralisé de la couverte des façades par des teintes harmonisant les matériaux naturels et les joints, souvent fragiles et gélifs.

24Le chantier de restauration de la Vieille Bourse, réalisé de 1989 à 1995, sanctionnera concrètement les retrouvailles des épidermes colorés. L’usage du microgommage, des nettoyages à la compresse et des produits consolidants nous ont permis de rechercher les premières couvertes de 1651, de traiter les lacunes en les réglant sur les teintes d’origine et de retrouver les techniques traditionnelles de finition et de glacis sur les briques et les pierres.

25De même que la Vieille Bourse servit de référence officielle au XVIIe siècle, cette restauration fut le manifeste pour les autres restaurations du vieux Lille. Avec l’aide de restaurateurs éclairés tel Pierre Andrieu, les rangs lillois se couvrirent à nouveau de couleurs (fig. 5), redonnant à la ville l’atmosphère lumineuse qu’elle connut au XVIIe siècle.

Fig. 5 : Maison de rang de la rue de Gand

Fig. 5 : Maison de rang de la rue de Gand

© Étienne Poncelet

26Des résistances classiques eurent encore lieu dans des villes comme Arras où la polémique prit des allures archaïques à l’occasion de nos restaurations colorées de la rue de la Taillerie et de la maison du Chapeau vert.

27Aujourd’hui, les couleurs retrouvées sont devenues un truisme dans nos villes de Flandres.

28La ville de Lille, capitale européenne de la Culture 2004, se prépare sur le thème « Des fêtes et des couleurs ».

29Selon l’expression de son responsable, elle sera « un lieu permanent entre des manifestations qui renforcent l’image généreuse et intensément festive des villes colorées ».

Haut de page

Table des illustrations

Titre Fig. 1 : Briques vernissées en runes sur la porte de Gand en 1621
Légende © Étienne Poncelet
URL http://crcv.revues.org/docannexe/image/64/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 188k
Titre Fig. 2 : La maison de Gilles Le Boé, milieu XVIIe siècle
Légende © Étienne Poncelet
URL http://crcv.revues.org/docannexe/image/64/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 256k
Titre Fig. 3 : Les couleurs retrouvées de la Vieille Bourse de 1651
Légende © Étienne Poncelet
URL http://crcv.revues.org/docannexe/image/64/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 164k
Titre Fig. 4 : Les couleurs retrouvées de la Vieille Bourse
Légende © Étienne Poncelet
URL http://crcv.revues.org/docannexe/image/64/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 168k
Titre Fig. 5 : Maison de rang de la rue de Gand
Légende © Étienne Poncelet
URL http://crcv.revues.org/docannexe/image/64/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 170k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Étienne Poncelet, « La couleur à Lille au xviie siècle, de Philippe IV à Louis XIV », Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles [En ligne],  | 2002, mis en ligne le 15 juin 2007, consulté le 27 février 2014. URL : http://crcv.revues.org/64 ; DOI : 10.4000/crcv.64

Haut de page

Auteur

Étienne Poncelet

Architecte en chef et Inspecteur général des Monuments historiques
Président d’honneur d’ICOMOS France
Vice‑président du conseil scientifique d’Europa Nostra

Haut de page

Droits d’auteur

© Tous droits réservés

Haut de page
  • Logo Centre de recherche du château de Versailles
  • Logo DOAJ - Directory of Open Access Journals
  • Les cahiers de Revues.org
  •  
    • Titre :
      Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles
      Sociétés de cour en Europe, XVI e-XIX e siècle - European Court Societies, 16th to 19th Centuries
      En bref :
      Revue électronique pluridisciplinaire multilingue en accès libre sur les sociétés de cour en Europe du XVI e au XIX e siècle
      Multilingual multidisciplinary open-access electronic journal on European court societies from the 16th to the 19th centuries
      Sujets :
      Histoire, Époque moderne, Histoire culturelle, Histoire de l'Art
    • Dir. de publication :
      Béatrix Saule
      Éditeur :
      Centre de recherche du château de Versailles
      Support :
      Électronique
      EISSN :
      1958-9271
    • Accès :
      Open access Freemium
    • Voir la notice dans le catalogue OpenEdition
  • DOI / Références