It is the cache of ${baseHref}. It is a snapshot of the page. The current page could have changed in the meantime.
Tip: To quickly find your search term on this page, press Ctrl+F or ⌘-F (Mac) and use the find bar.

Ostentation et refus du travail chez Veblen : le cas des jeunes chômeurs et de la spécificité militaire
Navigation – Plan du site

Ostentation et refus du travail chez Veblen : le cas des jeunes chômeurs et de la spécificité militaire

Sébastien Schehr

Résumés

Cette contribution entend interroger la notion de « refus du travail » chez Veblen, notamment dans son rapport à l’ostentation et à la symbolique des places. Elle comportera deux parties : la première où sera exposée et revisitée la thèse de Veblen sur la fonction du refus du travail comme signe distinctif de la classe de loisir ; la deuxième où nous confronterons l’héritage de Veblen à des phénomènes sociaux contemporains. À cette fin, nous nous appuierons sur le rapport au travail des jeunes chômeurs et, dans une moindre mesure, sur celui des militaires, pour montrer que le refus du travail reste un principe opératoire de différenciation des groupes sociaux.

Haut de page

Texte intégral

Introduction

1Cette contribution entend interroger la notion de "refus du travail" chez Veblen, notamment dans son rapport à l’ostentation et à la symbolique des places. Elle comportera deux parties : la première où sera exposée et revisitée la thèse de Veblen sur la fonction du refus du travail comme signe distinctif de la classe de loisir ; la deuxième où nous confronterons l’héritage de Veblen à des phénomènes sociaux contemporains.

2Il s’agira tout d’abord de questionner le rôle du refus du travail comme principe opératoire de différenciation des groupes sociaux. Nous soulignerons à ce propos l’originalité de la démarche de Veblen puisque son analyse se démarquait alors d’approches que l’on pourrait qualifier de "travaillistes", c’est-à-dire faisant de l’activité de production l’activité centrale de toute société ainsi que sa valeur cardinale, postulant un rapport et des représentations du travail univoques, homogènes et socialement partagées (à titre d’exemple, nous nous appuierons sur l’analyse que fait Durkheim de la division du travail). Par ailleurs, une attention particulière sera portée au concept de "classe de loisir secondaire" puisqu’il montre que Veblen avait perçu, à sa manière, l’intérêt d’analyser les situations que nous désignons aujourd’hui par les termes de "chômage" et de "précarité" dans une perspective qui ne soit ni misérabiliste ni strictement économique, mais symbolique et statutaire.

3Questionnant ensuite l’actualité de la pensée de Veblen, nous nous appuierons sur le rapport au travail des jeunes chômeurs et des militaires. En effet, un certain nombre d’enquêtes qualitatives effectuées dans les années 90 tant en France qu’à l’étranger (Québec, Suisse, Allemagne, Belgique) mettent en évidence des attitudes dont le point commun est le refus du travail. Ces attitudes - qui se traduisent par des tentatives d’exode dans d’autres univers sociaux ou par la mise en route de pratiques de substitution au travail - ne sont pas de simples adaptations à un contexte de rareté d’emploi comme on l’affirme bien souvent. Elles nous semblent témoigner au contraire, à la fois d’une volonté de réappropriation des modes de vie sur une base qui ne soit pas celle du travail ou de l’hétéronomie, mais aussi d’un jeu de distinction avec les figures actuelles de la dépendance et certaines représentations du travail.

4Nous nous intéresserons enfin à la question de ce que la sociologie militaire nomme la "spécificité militaire". En effet, la notion de travail occupe une place particulière au sein des institutions militaires. Le mot "travail" est le plus souvent absent du vocabulaire quotidien des militaires, mais aussi du vocabulaire réglementaire, au profit de celui de "métier" ou de "profession" comme le montrent toutes les études portant sur cette condition. Nous confronterons donc la question du refus du travail comme signe distinctif du guerrier chez Veblen aux attitudes et aux catégories de pensée utilisées aujourd’hui par les militaires pour se définir et se situer dans la symbolique des places.

La question du refus du travail chez Veblen

5Commençons par rappeler quelques aspects essentiels concernant la thématique du refus du travail telle que la développe Veblen. Tout d’abord, notons que - tout au long de sa "Théorie de la classe de loisir" – Veblen traite cette question en l’articulant à celle de la différenciation des groupes sociaux, indexant l’ensemble à une symbolique générale des places et des statuts. Et cela, dans une perspective historique fortement teintée d’évolutionnisme (précisons pour ne pas y revenir, que je ne ferai pas ici la critique de cet aspect du travail de Veblen). Veblen évoque ainsi dès l’introduction de son ouvrage, l’idée que la sociogenèse des collectifs humains se serait presque toujours traduite par une différenciation entre les groupes sociaux, c’est-à-dire par une sorte de "division sociale du travail" élémentaire. L’exemption ou l’exclusion des classes supérieures des métiers et des travaux d’industrie constituant le dénominateur historiquement commun de cette différenciation. Précisons que par "travaux d’industrie", Veblen désignait les activités économiques ayant pour fins "l’utilisation de choses non humaines" ou "valorisant la vie humaine en tirant parti du monde extérieur" (1970 [1899], p. 9). C’est-à-dire finalement les métiers liés "à l’acquisition des moyens matériels de vivre" (Ibid. p. 8). Bref, "l’industrie est l’effort par lequel la main du fabricant tend à créer une chose nouvelle, à la tirer par façonnage d’un matériau passif ("brut"), à lui donner une autre destination" (Ibid. p. 10).

6Cette "exemption" du travail – dont l’émergence se situerait à l’âge "barbare" – n’aurait fait que se perpétuer à travers le temps jusqu’au début du 20ème siècle, trouvant diverses formes pour s’exprimer mais n’en étant pas moins un principe toujours actif et pertinent pour comprendre les rapports sociaux et les "jeux" statutaires. Les professions ayant trait au "gouvernement", à la guerre, à la vie religieuse et aux "sports" constitueraient ainsi une classe "désœuvrée", dont la "franchise" des métiers d’industrie exprimerait "leur supériorité de rang". L’exemption du travail est donc considérée par Veblen comme le principal marqueur social entre les groupes sociaux, à la fois frontière entre ceux-ci et signe de reconnaissance et d’identification : Veblen parle d’une véritable "ligne de démarcation" distinguant la "classe travailleuse" de la "classe oisive" (Ibid. p. 5). Cependant, en remontant aux origines de l’humanité, cette différenciation apparaît plutôt sous la forme d’une division sexuelle du travail et d’une discrimination des activités entre hommes et femmes : "dans presque toutes ces tribus, un usage tourné en coutume maintient les femmes dans les rôles d’où proviennent, au stade suivant, les métiers d’industrie proprement dits" (Ibid. p. 5). Cette discrimination coïncidera au stade dit "barbare" avec la distinction de la classe travailleuse et de la classe oisive.

7L’auteur va donc s’atteler à appréhender les conditions qui permettent de comprendre l’émergence et l’institution d’une telle classe dans l’histoire humaine : il retient l’habitude, chez les hommes, d’utiliser le moyen de la force et de la violence ainsi que le niveau des capacités de production. Celles-ci doivent être telles qu’elles permettent à une partie de la communauté de ne pas participer directement au processus de production. Les hommes, qui constituent "l’embryon de la classe de loisir", sont alors dispensés "de s’appliquer régulièrement aux besognes courantes" (Ibid. p. 7). 

8Un des grands apports de Veblen est de montrer que cette différenciation n’est possible que parce qu’elle repose en dernière instance sur une division symbolique des types d’activités et des degrés d’honneur et de mérite assignés à chacune d’elles : "l’institution d’une classe oisive est la conséquence naturelle d’une discrimination primitive des travaux dignes et des travaux indignes" (Ibid. p. 7). Et de préciser : "cette antique distinction veut que soient dignes les activités qui se classent parmi les exploits ; et indignes, celles qui ne font qu’être nécessaires, quotidiennes, et où presque rien n’évoque la prouesse" (Ibid. p. 7).

9Veblen pensait certainement avoir isolé "le" principe de structuration et de différenciation des groupes et des sous-systèmes sociaux puisqu’il fera de cette opposition dignité / indignité une sorte d’invariant anthropologique permettant de rendre compte de tous les stades et de toutes les formes de développement de l’espèce humaine : "le concept de dignité, de valeur, d’honneur, appliqué aux personnes ou à la conduite, est d’une grande conséquence pour l’évolution des classes et des distinctions de classe" (Ibid. p. 12).

10Nous voyons donc ici ce qui distingue l’approche de Veblen de celle de Durkheim, pourtant quasi contemporains l’un de l’autre. Durkheim s’attèle en effet à montrer comment la "division du travail social" et l’interdépendance des fonctions et des spécialités contribuent à la cohésion sociale en prenant le relais de l’ancienne solidarité communautaire. Prioritairement, c’est bien l’émergence d’un nouveau type de lien social qui intéresse Durkheim, et au premier chef, la question de l’individualisation. S’il note bien, à l’instar de Veblen, que l’on "voit de plus en plus reculer les fonctions militaires, administratives, religieuses" (Durkheim 1991 [1893], p.iv) au profit des fonctions économiques, il ne cherche pas pour autant à en étudier la signification au regard d’une symbolique des places ou d’un imaginaire social.

11Il en va d’ailleurs de même pour le rapport au travail. Durkheim concède au détour d’une page que "sont encore relativement rares ceux qui trouvent leur plaisir dans un travail régulier et persistant", et va même jusqu’à préciser que, "pour la plupart des hommes, c’est encore une servitude insupportable ; l’oisiveté des temps primitifs n’a pas perdu pour eux ses anciens attraits" (Ibid. p. 220). Toutefois, Durkheim n’explore pas ce qu’il en est des représentations du travail, qui restent dans l’ensemble non questionnées, comme si elles n’étaient finalement pas problématiques. Là n’est pas l’essentiel semble nous dire le sociologue français qui voit dans le volume et la densité des groupes humains les seules causes de la dynamique de la différenciation. De même, la question de la rivalité – si centrale pour Veblen comme on le verra ensuite - prend chez Durkheim une forme et une tournure "intraprofessionnelle" : sous l’impulsion de la division du travail, chaque profession poursuit un objet différent, "sans empêcher les autres d’atteindre leur but" (Ibid. p. 250). Par contre, plus les professions se rapprochent de par leur objet, plus "il est inévitable qu’elles cherchent plus ou moins à empiéter les unes sur les autres" et ainsi, de se "supplanter mutuellement". La rivalité est donc ramenée à une simple concurrence, sans autre enjeu qu’économique.

12Veblen quant à lui, n’en démord pas. Il insiste : "on persiste aujourd’hui à distinguer couramment les professions industrielles et non industrielles : c’est là, sous une forme transmuée, la distinction barbare de l’exploit et de la corvée" (1970 [1899], p. 8). Apparaît donc ici un autre thème récurrent et transversal à l’ensemble de l’ouvrage puisque Veblen considère la période qu’il nomme "âge barbare" – celle de l’institution d’une classe oisive – comme emblématique du devenir humain. Toute les périodes ultérieures - période "artisanale", période "machiniste" – n’en seront de ce point de vue, qu’une déclinaison ou des "survivances" : l’âge barbare lui apparaît bien comme étant une configuration sociale fondatrice. Dans cette perspective, la modernité n’est finalement qu’un avatar – certes lointain - de la "haute civilisation barbare". Et Veblen de préciser (Ibid. pp. 8-9) :

« [L]e populaire sent à sa façon que la guerre, la politique, l’exercice du culte, les divertissements, diffèrent intrinsèquement du travail lié à l’acquisition des moyens matériels de vivre. La ligne de démarcation n’est plus exactement ce qu’elle fût dans les débuts du système barbare, mais la distinction de principe n’est pas tombée en désuétude. »

13Afin de comprendre et d’analyser cette dichotomie entre activités sociales, Veblen va montrer que celle-ci peut être ramenée à une discrimination première entre l’inerte et l’animé. En effet, si le travail d’industrie, la besogne, ne sont que "façonnage d’un matériau passif", rappelant à l’homme sa "diligence" et sa dépendance à l’égard de la nature et de la nécessité ; la guerre, l’exercice du culte, l’art de gouverner - c’est-à-dire toutes les activités que Veblen regroupe sous une même catégorie, "l’exploit" – tendent au contraire à mettre en avant d’autres qualités telles que le courage, la vaillance, la ruse, etc. Ainsi, s’il semble facile aux hommes de se rendre maître d’une nature inerte, "offerte" devrait-on dire, il en va tout autrement dès qu’il est question de parler aux esprits, de commander d’autres hommes, d’agir collectivement, ou de remporter une bataille, puisqu’il s’agit là de se rendre maître "d’énergies tendues vers quelque autre fin par un autre agent" (Ibid. p. 10). Dès lors, “tout effort qui peut aller sans preuve de vaillance devient indigne de l’homme" (Ibid. p. 11).

14Cette dichotomie entre les activités humaines affecte directement la question de l’organisation sociale puisque Veblen note, à propos du passage à l’âge barbare, "qu’il n’est pas de fonction ni d’acquisition moralement acceptable pour l’homme qui se respecte, sinon celles qui se fondent sur la prouesse – force ou fraude" (Ibid. p. 12). La subsistance humaine repose alors également sur d’autres sources et voies d’approvisionnement que les moyens économiques classiques. Des formes de "rapacité" diverses et variées - razzia, combats, guerres, vols, pillages - où "l’attaque" devient une norme d’action et où "le butin témoigne prima facie de sa réussite" (Ibid. p. 13), finissent par se généraliser, même si leur motivation n’a rien d’économique. Le passage d’un état "paisible" à une phase de "rapacité" accrue modifierait ainsi peu à peu les formes d’émulation entre les groupes, en se traduisant notamment par une extension tous azimuts de la rivalité : au cours de cette période, "l’occasion et les motifs de rivaliser prennent beaucoup plus d’urgence et de portée" précise Veblen. L’affirmation de soi et la reconnaissance sociale passent donc désormais principalement par le combat et ses formes adventices. Elles supposent cependant d’exhiber des signes tangibles de réussite et de vaillance, c’est-à-dire de s’inscrire dans un rapport de comparaison "provocante" : la reconnaissance suppose donc une certaine mise en scène dont l’exposition des "trophées" témoigne. Puisque la "mainmise", la "capture" et la "contrainte" deviennent les moyens légitimes d’acquérir des biens, le travail dépendant se voit alors d’autant plus disqualifié : travailler, "c’est s’attirer la réprobation" (Ibid. p. 13).

15Néanmoins, la généralisation d’un mode de vie "belliqueux" ou "l’habitude de dédaigner le travail" (Ibid. p. 17) ne constituent pas des conditions suffisantes pour expliquer l’émergence d’une véritable classe oisive : le facteur décisif est, selon Veblen, le développement et l’institutionnalisation de la propriété privée. En effet, la période barbare aurait vu se généraliser la "coutume de posséder", qu’il s’agisse des femmes, des esclaves ou d’autres biens. La propriété, comme le mariage contraint, auraient donc pris naissance "dans ce désir de mâles victorieux : publier la prouesse accomplie en exposant au regard son résultat durable" (Ibid. p. 18). La richesse – et nous retrouvons là une des thèses qui feront la postérité de Veblen – a donc dès lors aussi pour utilité "de démontrer glorieusement la puissance de son propriétaire" (Ibid. p. 18). Pour Veblen, la racine de la propriété, c’est bien la rivalité. Se produit alors une sorte d’inversion moyen-fin, à l’image de celle que nous décrit Simmel à propos du rôle de l’argent dans la modernité : ce n’est plus le combat en tant que tel qui confère la puissance et l’honneur – d’autant que les occasions se font de plus en plus rares avec le développement de l’industrie – mais de plus en plus ce qui le représente ou en fait fonction. La richesse se substitue au butin en tant qu’indice de puissance, et déliée de son référant initial, fait ainsi passer au second plan l’action guerrière. L’accumulation remplace le combat : "la possession des biens n’avait été prisée qu’en témoignage de vaillance ; désormais elle est en soi un acte méritoire" (Ibid. p. 22). Le terrain de l’affrontement change, la prédation sur le plan économique prend peu à peu le pas sur la prédation militaire : "dans la vie quotidienne et dans les habitudes de pensée, l’activité industrielle évincera peu à peu l’activité prédatrice ; de même la propriété accumulée remplacera progressivement le trophée comme indice classique de la prépotence et de la réussite" (Ibid. p. 21). Notons que, dans son étude sur le conflit, Simmel faisait remarquer quelques années après Veblen que si le combat s’oppose traditionnellement à l’échange économique, c’est bien parce que ce dernier est toujours un compromis (Simmel 1999 [1908], p. 341) :

« [Q]uand on relate que, dans certaines conditions sociales, il est considéré comme chevaleresque de voler et de se battre pour voler, alors qu’échanger et acheter sont considérés comme des actes indignes et vils, c’est en raison du caractère de compromis de l’échange, de la concession et du renoncement, qui en font le pôle opposé au combat et à la victoire. »

16En cela, Simmel se distingue de l’analyse de Veblen : si Veblen fait en quelque sorte de l’économie la continuation de la guerre par d’autres moyens, Simmel indique clairement que la généralisation de l’argent et de l’économie introduisent un changement anthropologique qui se répercute dans les rapports sociaux. Ainsi (Ibid. pp. 341-342) : 

« [C]e qui est décisif, ce n’est plus la simple convoitise, subjective et passionnée, à laquelle correspond seulement le combat, mais le fait que les deux intéressés reconnaissent la valeur de l’objet qui, sans changer pratiquement, peut être exprimée par d’autres objets. Le renoncement à l’objet jugé précieux, parce que l’on reçoit sous une autre forme la valeur qu’il représente, est un moyen véritablement prodigieux dans sa simplicité d’exprimer des intérêts opposés autrement que par le combat. »

  • 1  N. ANDERSON expliquait le vagabondage et l’errance de nombreux américains pauvres et sans-abri (Ho (...)

17Qu’en est-il du refus du travail à l’heure où il devient nécessaire à l’homme de "l’emporter sur autrui par l’exploit pécuniaire" (Veblen idem., p. 24) ? Du côté des classes inférieures, Veblen précise que celles-ci n’ont aucun moyen d’échapper au travail. Le travail productif reste donc, pour elles, le seul moyen d’acquérir des biens et des richesses. La réputation se jouera donc dans et par le travail : "on [...] est plutôt fier d’avoir la réputation d’un travailleur capable ; c’est souvent là toute l’émulation qui leur est permise" (Ibid. p. 26). Il en va par contre "tout autrement" dans la classe supérieure. En effet, si Veblen souligne que celle-ci connaît aussi la "diligence et l’épargne" – qualités productives – il n’en reste pas moins que la nécessité de s’abstenir de tout travail productif reste un impératif intangible, qui a même pris "force d’axiome" (Ibid. p. 27). Cette attitude est donc une survivance directe de la tradition qui fait ressentir le travail comme dégradant, "et cette tradition ne s’est jamais éteinte" (Ibid. p. 27). L’amour-propre resterait donc indexé à l’exemption de tout "emploi servile". Une vie bonne, "digne", "irréprochable" suppose alors de "disposer d’un certain loisir" et de "n’avoir aucun contact avec ces opérations industrielles qui servent aux usages immédiats de la vie quotidienne" (Ibid. p. 28). A la "classe oisive" de l’âge barbare succède ainsi une "classe de loisir" dont la vie est "ostensiblement affranchie de toute occupation utile" (Ibid. p. 29). Celle-ci se double même souvent d’une "classe de loisir secondaire" qui - d’une manière certes "bâtarde" par rapport à la classe de loisir – sera pourtant "moralement incapable de s’abaisser à des occupations lucratives" bien que "rampant dans la misère, l’incertitude, le besoin et l’inconfort" (Ibid. p. 30). Et Veblen d’évoquer ces quelques figures que sont "l’homme bien né tombé dans la gêne" ou la "dame qui a vécu des jours meilleurs" pour la caractériser. Nul trace donc, des hobos1 dont N. Anderson décrira si bien le mode de vie quelques années plus tard (1993 [1923]), voire de certaines formes de marginalité partageant avec la classe du loisir son refus du travail productif. Pourtant, dans le chapitre intitulé "La conservation des traits archaïques", Veblen fait remarquer que la mentalité rapace et le tempérament barbare se manifestent désormais dans des aptitudes différentes : le recours spontané à la force et à la fraude laisse la place à l’habilité, la ruse, la sagacité, l’acharnement et un état d’esprit belliqueux. Or, ces dispositions, sont également partagées par le "délinquant de bas-étage" (Ibid. p. 155) dont on connaît par ailleurs de tout temps le mépris qu’il porte au travail salarié. Ainsi, "le délinquant a plus de points communs avec l’homme de finance et de loisir qu’avec l’homme de labeur ou le paresseux démuni" (Ibid. p. 156).

18A l’opposition de la besogne et de l’exploit succède donc celle du travail productif et du loisir. Veblen définit ce dernier comme étant "la consommation improductive du temps, qui 1-tient à un sentiment de l’indignité du travail productif ; 2-témoigne de la possibilité pécuniaire de s’offrir une vie d’oisiveté" (Ibid. p. 31). Le gaspillage fait alors figure de dénominateur commun, et se voit consacré comme pivot des modes de vie : gaspillage de temps et d’efforts dans des activités non productives, mais aussi gaspillage de biens au travers une consommation de type ostentatoire. Cette dernière va d’ailleurs prendre peu à peu le pas sur le loisir (Ibid. p. 59). En effet, Veblen – à l’instar de ce que disait Simmel de l’entrecroisement des cercles sociaux – fait observer que dans les sociétés modernes et différenciées, le rapport à autrui est marqué par un fort anonymat, du fait de la multiplicité des cercles sociaux auxquels nous appartenons : "on fréquente beaucoup les grands rassemblements où nul ne sait rien de la vie quotidienne de son prochain" (Ibid. p. 59). De même, la mobilité et le nombre important des contacts caractérise la vie urbaine. Il devient donc nécessaire "d’afficher perpétuellement" ses capacités pécuniaires pour étaler sa puissance : “il faudrait tracer la signature de sa puissance pécuniaire en grosses lettres, assez grosses pour qu’on pût les lire en courant” (Ibid. p. 59) rajoute, non sans humour, l’auteur, anticipant d’ailleurs prophétiquement la tyrannie contemporaine du branding et autres logos qu’analyse aujourd’hui N. Klein (Klein 2001 [2000]). Ainsi, à mesure que l’économie progresse, que la société se complexifie, et que l’instinct artisan - qui "pousse à désapprouver le gaspillage de substance et d’énergie" – fait son travail de sape, la réputation se voit moins "assise sur le loisir affiché" (Ibid. p. 62). On en vient alors à "désapprouver le loisir sans but apparent" (Ibid. p. 64). Les véritables oisifs se font alors de plus en plus rares, "minorité qui tend aujourd’hui vers zéro".

19Est-ce un processus irréversible ? Sans aucun doute selon Veblen, qui précise tout de même que des groupes tentent toujours – pour manifester leur supériorité de rang et exprimer leur tempérament – d’échapper à toute activité productive. Les successeurs de la classe de loisir investiraient ainsi massivement les professions "pécuniaires", c’est-à-dire les occupations ayant trait "à la propriété et à l’acquisition" (Veblen idem., p. 150), car elles tendent à conserver certaines aptitudes à la rapacité. Gros propriétaires, spéculateurs, financiers, "capitaines d’industrie" - ces "prédateurs contemporains" - jouissent alors d’une honorabilité maximale et d’un grand prestige, tout comme les professions politiques, ecclésiastiques et militaires. Veblen regroupe ces professions sous la dénomination de "classe de loisir héréditaire" (Ibid. p. 161). Mais les descendants de la classe de loisir peuvent aussi se défaire de leur "vieille habitude, la comparaison jalousante" (Ibid. p. 222) : dès lors, "un tempérament sans rapacité fait son apparition" (Ibid. p. 224) même s’il s’agit pour l’auteur d’une "régression" isolée. De plus, nombre de "débouchés honorables et sans industrie" viennent à faire défaut : la guerre est moins fréquente, l’église entre en décadence, le gros gibier est en voie d’extinction, le gouvernement est désormais aussi l’affaire des gestionnaires… Il faut donc trouver d’autres "dérivatifs" à la rapacité humaine. Veblen va alors se pencher sur le développement "d’activités désœuvrées" que sont les associations, fondations, cercles et autres clubs qui permettent à l’homme du loisir de cultiver sa différence. Cependant, Veblen prend soin de préciser que le développement de la culture pécuniaire, celle des financiers et des capitaines d’industrie, "exige plus que jamais que l’on s’abstienne des travaux industriels, sous peine de s’attirer la haine des gens du monde ; cette interdiction va si loin qu’elle frappe même les occupations rivalisantes" (Ibid. p. 232). La classe de loisir n’est donc pas morte avec la montée en puissance de l’utilitarisme et de l’idéologie contemporaine du travail.

La question de la spécificité militaire et le refus du travail chez les jeunes chômeurs

20Il peut paraître curieux – afin d’illustrer la pertinence analytique de la pensée de Veblen – d’évoquer à la fois l’univers contemporain du chômage et celui des militaires. Pourtant, si l’on interroge le rapport au travail de ces groupes que tout semble différencier, l’on ne peut qu’être frappé par la distance – objective et subjective – qu’ils manifestent réciproquement vis-à-vis de la catégorie "travail". Comme je le soulignais dans l’introduction, le terme de "travail" occupe une place pour le moins "particulière" au sein de l’institution militaire, au sens où il brille surtout par son absence. Qu’il s’agisse du vocabulaire quotidien ou du vocabulaire réglementaire, on semble lui préférer d’autres termes : les mots "métier" et, aujourd’hui, "profession" sont employés préférentiellement (Léon 1997). Ceci est d’ailleurs valable pour les plus jeunes d’entre eux, qui utilisent parfois également le terme de "vocation" (Jeay et Schehr 2003). Historiquement, c’est d’ailleurs la notion de "service" qui fut longtemps dominante et est encore aujourd’hui souvent utilisée. Le terme de travail semble donc inadéquat aux militaires pour décrire leurs activités et leurs pratiques : la catégorie "travail", qui renvoie à l’idée d’occupation et de nécessité, est considérée comme péjorative, dépréciative, elle banaliserait la condition militaire (Boëne 1990).

21Il est donc frappant de constater que cette dichotomie et que ce mode de catégorisation vernaculaire sont proches de ce que Veblen disait de l’activité guerrière il y a plus d’un siècle, lorsqu’il opposait "classe travailleuse" et "classe oisive", fonctions "industrielles" et "non-industrielles" : le guerrier "ne se tient pas pour un travailleur" disait-il et juge digne "les activités qui se classent parmi les exploits". Si Veblen concède que la ligne de démarcation "n’est plus exactement la même de ce qu’elle fut", il n’en reste pas moins "que la distinction de principe n’est pas tombée en désuétude". En témoigne aussi par exemple, l’institutionnalisation dans tous les états modernes, d’un statut juridique particulier, différenciant nettement et depuis toujours, le "métier des armes" des autres activités sociales. La condition militaire est donc traditionnellement et internationalement encadrée par un ensemble de lois et de règlements spécifiques. Outre des limitations bien connues de la liberté d’expression politique, on trouve encore aujourd’hui inscrit dans les cadres juridiques un "principe de désintéressement ou d’exclusivité" qui interdit aux militaires l’exercice de toute activité rémunérée autre que son "service" (Pichon 1990, p. 57). Rappelons également que les militaires reçoivent une "solde" pour leur "service", ce qui est une autre manière de marquer la différence avec un "salaire" que l’on reçoit en contrepartie d’un "travail". Le refus de la figure du travailleur se traduit aussi par le maintient d’un ethos particulier, même s’il faudrait de nos jours pondérer cette observation en fonction de l’arme ou des spécialités considérées. Ainsi, il s’agit encore pour de nombreux militaires de "développer les qualités d’initiative et d’audace, le goût du risque, la volonté du dépassement de soi-même, l’esprit de lutte et de sacrifice" (Girardet 1990, p. 83), ce qui rappelle bien les caractéristiques de la mentalité rapace et du tempérament barbare soulignées par Veblen.

22Qu’il s’agisse du statut juridique, des catégories de pensée et d’énonciation usitées ou des modes d’être ayant cours au sein des armées, nous nous trouvons en face de signes et de traditions qui témoignent bien de la construction et de la différenciation de ce groupe social par la manifestation d’un certain refus du travail. En cela, nous pouvons parler d’une certaine permanence de cette filiation que Veblen établissait entre "guerriers" barbares et militaires, "héritiers" de la classe de loisir.

23Venons-en maintenant au cas des jeunes chômeurs et précaires. La sociologie du chômage montre ainsi depuis les années soixante-dix – et cela aussi bien en France qu’au Québec et dans le reste de l’Europe – que le rapport au travail n’est pas vécu par cette population sur un mode homogène et univoque : bien au contraire, de nombreuses enquêtes font état d’attitudes que les chercheurs ont caractérisées comme "refus du travail" ou "distanciation par rapport au travail" (Schehr 1999). Certains chômeurs et précaires – bien loin de vivre leur chômage ou leur précarité comme une catastrophe psychologique et sociale – manifesteraient donc une attitude active, recourrant à d’autres activités sociales, expérimentant d’autres pratiques et investissements que le travail salarié, en s’inscrivant ainsi dans une temporalité sociale différente de l’univers productif et surtout, en exprimant vis-à-vis du travail une attitude de distance voire "d’allergie". Toutes les enquêtes qualitatives menées depuis la fin des années soixante-dix jusqu’à aujourd’hui sont sur ce point unanimes : certains chômeurs et précaires refusent l’assignation au travail salarié. Il est, certes, difficile de les dénombrer exactement mais on peut cependant souligner, ce qui est une indication révélatrice, que quelles que soient les typologies construites par les chercheurs, ce type d’attitude est bien présent, même s’il n’est pas majoritaire. Car – et c’est là le point essentiel - il s’agirait bien d’une attitude active et pas seulement d’une forme de réalisme du désespoir ou de rationalisation a posteriori. Les modes d’être et d’agir dessineraient ainsi une sorte d’au-delà de l’éthique du travail, les jeunes chômeurs manifestant une volonté très nette de reconquête de la vie quotidienne au nom d’une dignité extra-productive (voir par exemple P. Grell 1985 ; P. Grell et A. Wery 1993 ; R. Zoll 1993 ; Schehr 1999).

24La recherche la plus significative à ce titre est sans conteste celle de P. Cingolani, qui renvoie d’ailleurs explicitement au travail de Veblen. L’auteur – dont la recherche porte sur de jeunes précaires – montre en effet que la précarité s’accompagne d’un questionnement du sens du travail (Cingolani 1986, p. 8) :

« [L]e précaire est l’homme du compromis avec le travail, sinon celui qui vit le travail comme une compromission. Et puisque, aujourd’hui, l’expérience laborieuse suppose deux choses, travailler et chômer, il est aussi quelqu’un qui aménage son rapport avec un temps de non-travail qu’il n’a pas choisi. Toute la rigueur ou la difficulté de son exigence passe par l’effort pour composer avec un travail qu’il ne veut pas mais dont il sait, comme tout un chacun ce que présuppose l’absence. »

25Cingolani fait observer que parmi les populations qui passent par l’emploi précaire, certains groupes se distinguent par leur "désinvestissement" du travail. Ces précaires opéreraient ainsi un retournement "subjectif" par rapport au travail, puisqu’il ne s’agirait pas pour eux de rechercher le travail pour s’y réaliser : au contraire ceux-ci feraient tout leur possible pour s’extraire de l’ordre productif et de sa temporalité par la mise en route de pratiques, de projets et d’expériences de toutes sortes. L’apport principal de la recherche de P. Cingolani est de montrer que ce désinvestissement du travail se fait bien au nom d’un "ailleurs" : la vie quotidienne – avec toutes ses dimensions - apparaît comme trop "préoccupante" pour qu’elle soit soumise entièrement au travail salarié. Le refus du travail s’adosse donc à la positivité d’un projet ou d’une activité (ceci est confirmé par des travaux plus contemporains : Roulleau-Berger 1991 ; Grell 1999 ; Schehr 1999) : l’accumulation d’expériences et d’activités hors-travail permettant en retour d’interroger le travail selon d’autres horizons.

26Cependant, l’auteur suit également une autre piste : la subjectivité "rebelle au travail" prendrait corps dans un jeu identificatoire avec la classe dominante. Les précaires, à l’instar de la classe de loisir chez Veblen, manifesteraient d’une manière ostentatoire leur refus du travail, retournant ainsi à leur avantage une situation sociale non choisie au départ. Il s’agit donc, pour eux, de se distinguer de la figure du travailleur – figure qui symbolise à leurs yeux la soumission et l’assignation à l’ordre productif – en affichant son refus du travail et d’affirmer son "loisir". Rappelons que Veblen considérait le loisir comme "la consommation improductive du temps" (Veblen ibid, p. 31). Force est de constater – comme le montre Cingolani et d’autres auteurs depuis – que c’est bien ce refus de l’emprise du travail en tant qu’activité et temporalité qui est au principe des modes de vie de nombreux chômeurs et précaires (la thématique de la captation du temps par le travail est récurrente chez nombre d’entre eux, cf. Schehr 1999, pp. 229-248). J’ai d’ailleurs souligné à partir d’autres recherches (Schehr 2000), que la différenciation et la complexification des systèmes sociaux ne faisait que renforcer ce type d’attitudes, le travail ne faisant plus office de centre de gravité des modes de vie ou de fil conducteur des biographies juvéniles. Cette attitude de refus du travail se manifeste aussi souvent chez les jeunes sous la forme d’un compromis temporaire – puisqu’il faut bien parfois travailler – et aboutit à des formes de "surinstrumentalisation du travail", qui n’en sont pas moins des désinvestissements de celui-ci (Grell 1999, p. 229) :

« [L]e rapport au travail salarié se réduit à ses aspects purement matériels, instrumentaux : il est un gagne-pain dont on n’attend pas grand choses d’autre, la "vraie" vie se situant en dehors du travail salarié. Ici, la multiactivité constitue le principe structurateur de l’existence. Le travail salarié y est intégré comme l’une de ses composantes. »

27Récemment, un documentaire français sur les chômeurs soulignait la permanence de ce type d’attitudes : les témoignages faisaient état non seulement d’un désinvestissement du travail mais surtout d’une déconnexion flagrante entre dignité et travail (Carles, Coello et Goxe 2003).

28Ces chômeurs sont donc d’une certaine manière les héritiers de la classe de loisir puisqu’ils reconduisent et réactualisent le sentiment d’indignité du travail, mais s’en écartent dans le sens où le jeu identificatoire n’est plus autant indexé – comme l’idée de classe de loisir secondaire le suggérait – à un groupe donné. Ce que je veux dire par là, c’est que ces nouvelles formes de "refus" du travail ne visent pas tant l’identification avec ceux qui pourraient apparaître comme les héritiers légitimes de la classe de loisir telle que Veblen l’a définie (spéculateurs, propriétaires, stars du show business ou du sport, militaires, etc.) que l’affirmation d’une forme de distance avec les nouvelles figures de la dépendance, que l’assignation à vie au travail exprime (le refus du travail se double d’un refus de la figure de la victime). Ainsi, les travaux d’A. Delorme sur les New Age Travellers (Delorme 2001), montrent bien comment certaines formes contemporaines de nomadisme, associées à des formes de précarité, peuvent contribuer à la construction de l’autonomie des individus et à leur subjectivation. Le fait de ne pas travailler et de mettre en œuvre d’autres ressources et activités, ainsi que le fait de ne pas se considérer comme un travailleur mais de jouer d’autres identités, permet aux New Age Travellers de construire leurs propres supports d’affirmation de soi contre le travail.

29Le cadre d’analyse posé par Veblen est donc toujours extrêmement fécond car il nous permet d’appréhender autrement que sur un mode misérabiliste certaines situations contemporaines de mobilité et de dénuement, où des formes de refus du travail font office de dénominateur commun. En effet, la plupart des approches du chômage et de la précarité – mais aussi de la pauvreté – ont tendance à focaliser sur les manques et autres handicaps censés caractériser ces populations, renforçant du même coup les pires clichés à leur égard (Schehr 1999). Ce constat est particulièrement évident lorsqu’il s’agit d’approches quantitatives. Veblen, en insistant sur les jeux statutaires et sociaux, la symbolique des places, la signification du refus du travail, nous permet, au contraire, de sortir d’une telle position misérabiliste. On ne peut plus faire comme si les modes de vie de ces populations, leurs identités et leur rapport au monde, étaient entièrement passifs et déterminés, faisant ainsi de leurs modes d’être et d’agir une simple adaptation aux "restes" que l’on veut bien leur accorder. Insister sur les formes contemporaines de "refus" du travail - qu’il s’agisse chez les jeunes chômeurs d’un désinvestissement de celui-ci ou, chez les militaires, d’un refus d’utiliser cette catégorie pour énoncer et concevoir leur activité - nous permet également de prendre de la distance avec la rhétorique de la centralité du travail qui se retrouve dans les théories standards. En effet, ces exemples nous montrent bien que, tant au niveau des modes de vie qu’à celui des représentations, le travail est loin d’être la seule catégorie "pertinente" pour qui veut comprendre ce qu’il en est de la constitution et de la différenciation des groupes sociaux. Plus d’un siècle après Veblen, ces exemples viennent nous rappeler que l’estime de soi et la reconnaissance sociale empruntent encore d’autres chemins que ceux du travail ou de l’activité économique. Nous n’en avons donc pas fini avec le "désœuvrement" cher à l’auteur.

Haut de page

Bibliographie

Anderson, N. (1993) [1923], Le hobo : sociologie du sans-abri (traduit de l’anglais), Nathan, Paris.

Boëne, B. (sous la dir. de) (1990), La spécificité militaire, Armand Collin, Paris.

Carles, P., Coello, C. et S. Goxe (2003), Attention danger travail, CP Production, Montpellier.

Cingolani, p.(1986), L’exil du précaire : récits de vie en marge du travail salarié, Méridiens Klincksieck, Paris.

Delorme, A. (2001) “Les New Age Travellers, une tentative d’individualisation dans la société du risque”, Sociétés, n° 72, pp. 107-123.

Durkheim, E. (1991) [1893], De la division du travail social, Presses Universitaires de France, Paris.

Girardet, R. (1990), "Du rôle éducatif de l’officier, et de sa vocation" in Boëne B. (sous la direction de), La spécificité militaire, Armand Collin, Paris : pp. 81-87.

Grell, P. (1985), Étude du chômage et de ses conséquences : les catégories touchées par le non travail, histoire de vie et mode de débrouillardise, GAPS - Université de Montréal, Montréal.

Grell, P. (1999), Les jeunes face à un monde précaire, L’Harmattan, Paris.

Grell, P. et A. Wery (1993) Héros obscurs de la précarité, L’Harmattan, Paris.

Jeay, A. M. et S. Schehr (2003), "Le processus d’individualisation du travail dans l’armée de l’Air", Les Champs de Mars, La Documentation française, Paris : n° 14, pp. 41-58.

Klein, N. (2001) [2000], No logo, la tyrannie des marques (traduit de l’anglais), Actes Sud, Arles.

Léon, M. H. (1997), L’influence de l’école professionnelle dans le métier militaire, Alinéa, Grenoble : n° 8, pp. 5-9.

Pichon, R. (1990), "La spécificité dans les statuts et la gestion des personnels militaires aux États Unis, en R.F.A., et en Grande-Bretagne" in Boëne B. (sous la direction de), La spécificité militaire, Armand Collin, Paris : pp. 50-66.

Roulleau-Berger, L. (1991), La ville intervalle : jeunes entre centre et banlieue, Méridiens Klincksieck, Paris.

Schehr, S. (1999), La vie quotidienne des jeunes chômeurs, Presses Universitaires de France, Paris.

Schehr, S. (2000), Processus de singularisation et formes de socialisation de la jeunesse in Lien social et politiques, RIAC, Montréal : n° 43, pp. 49-58.

Simmel, G. (1987) [1900], La philosophie de l’argent (traduit de l’allemand), Presses Universitaires de France, Paris.

Simmel, G. (1999) [1908], Sociologie, Études sur les formes de la socialisation (traduit de l’allemand), Presses Universitaires de France, Paris : pp. 407-452.

Veblen, T. (1970) [1899], Théorie de la classe de loisir (traduit de l’anglais), Gallimard, Paris.

Zoll, R. (1993), Nouvel individualisme et solidarité quotidienne, Kimé, Paris.

Haut de page

Notes

1  N. ANDERSON expliquait le vagabondage et l’errance de nombreux américains pauvres et sans-abri (Hobos) par la Wanderlust qui désigne l’aspiration à de nouvelles expériences. Certaines formes de refus du travail ou d’instabilité professionnelle serait ainsi dues au "désir ardent de voir de nouveaux paysages, d’affronter de nouvelles situations, et de connaître la liberté et le vertige d’être un étranger" (p. 106). Il met ainsi en exergue la réflexion suivante de R. Tugwell : "bien des ouvriers se sont découvert une incapacité physique au travail régulier qui leur permet de se laisser glisser dans le courrant de l’errance, dès que la monotonie commence à envahir leur travail" (p. 106)

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Sébastien Schehr, « Ostentation et refus du travail chez Veblen : le cas des jeunes chômeurs et de la spécificité militaire », Revue Interventions économiques [En ligne], 36 | 2007, mis en ligne le 01 octobre 2007, consulté le 01 mars 2014. URL : http://interventionseconomiques.revues.org/543

Haut de page

Auteur

Sébastien Schehr

Sébastien Schehr est attaché au laboratoire Cultures et Sociétés en Europe (UMR 7043) de l’Université Nancy 2.

Haut de page

Droits d'auteur

© Tous droits réservés

Haut de page
  •  
    • Titre :
      Interventions économiques
      En bref :
      Revue consacrée à l’économie politique, à la sociologie économique, au travail et à l’emploi, au développement et à la mondialisation
      A journal dedicated to political economy, economic sociology, work and employment, development and globalization
      Sujets :
      Économie, Sociologie économique, Économie politique
    • Dir. de publication :
      Diane-Gabrielle Tremblay
      Éditeur :
      Association d’Économie Politique
      Support :
      Papier et électronique
      EISSN :
      1710-7377
    • Accès :
      Open access
    • Voir la notice dans le catalogue OpenEdition
  • DOI / Références