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Piquet Caroline, Histoire du canal de Suez, Paris, Perrin, 2009, 372 p.
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Lectures

Piquet Caroline, Histoire du canal de Suez, Paris, Perrin, 2009, 372 p.

Claudine Piaton

Texte intégral

1Les études sur l'histoire du canal de Suez connaissent un regain d'intérêt chez les historiens français. Nathalie Montel avait ouvert la voie en 1998 en publiant un ouvrage passionnant sur le percement du canal, Le chantier du canal de Suez, 1859-1869. Une histoire des pratiques techniques. L'étude s'arrêtait à l'ouverture du canal en 1869, laissant le champ libre à de futurs travaux. La publication en 2008 de l'ouvrage de Caroline Piquet, La Compagnie du canal de Suez, une concession française en Égypte (1888-1956), qui comme celui de N. Montel est le fruit d'un travail de doctorat, s'inscrit dans la continuité de ces recherches universitaires qui s'appuient sur un solide corpus de sources manuscrites ; en l'occurrence, l'imposant fonds d'archives de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, la société par actions fondée en 1858 par Ferdinand de Lesseps, croisé avec d'autres sources européennes, principalement britanniques et italiennes. L'Histoire du canal de Suez que propose C. Piquet est un ouvrage de synthèse destiné à un public plus large. Solidement appuyé sur les recherches antérieures de l'auteure, il en possède toute la rigueur scientifique.

2À partir d'une lecture géostratégique de l'histoire de la voie d'eau qui « représente une sorte d'espace-monde où se lisent les évolutions politiques, économiques et techniques des deux derniers siècles » (p. 311), C. Piquet retrace les cent cinquante ans d'existence du canal depuis le début des travaux de percement, en 1859, jusqu'à nos jours. Les intitulés des onze chapitres de l'ouvrage, qui s'organisent selon une progression chronologique, reflètent cette approche à la fois politique, économique et technique.

Dimension politique

  • 1  Les saint-simoniens, qui dès 1833 se sont investis dans le projet de percement, seront écartés par (...)

3Le chapitre introductif intitulé « Rivalités autour d'une voie maritime » s'attache à décrire les contextes politiques dans lesquels se sont inscrits tous les projets de mise en relation de la Méditerranée avec la mer Rouge et au-delà, l'océan Indien, depuis l'Antiquité jusqu'au xixe siècle. Replacer le projet de Lesseps dans un espace temporel large permet à l'auteure d'examiner comment les grandes puissances ont établi le contrôle des routes maritimes. Elle met notamment l'accent sur le contexte politique et économique du début du xixe siècle, c'est à dire la rivalité franco-britannique pour le contrôle de la route commerciale des Indes dont l’occupation du territoire égyptien est l'une des clés. L'auteure s'attache ainsi à décrire la place marginale faite à l'Égypte dans ce contexte colonial. Dès 1865, le saint-simonien Prosper Enfantin1 prédisait que « le canal ouvrira l'Égypte à la domination étrangère » et, constate C. Piquet, « suprême humiliation, l'Égypte fut occupée en 1882 par les Britanniques non pour elle-même, mais pour son canal » (p. 17).

4La dimension politique du canal est de nouveau mise en avant dans leschapitres 6 et 7 qui traitent des grands conflits mondiaux de 1914 et 1940. Si la première guerre renforce la domination britannique sur le canal et coupe court au principe de sa neutralité, elle ne marque pas un tournant dans la politique conduite par les grandes puissances à l'égard de sa gestion. La fracture s'opère dans les années 30, lorsque le mouvement national égyptien se cristallise autour de l'occupation, par les troupes britanniques, de la zone du canal. La crise de Suez, en 1956, après la nationalisation de la Compagnie, ne constitue alors que le dénouement d'un phénomène amorcé à la veille de la Seconde guerre mondiale. La politique conduite par Nasser dans les années 50 replace l'Égypte sur le devant de la scène internationale. Le canal devient le symbole des luttes d'indépendance des pays sous domination étrangère, puis se transforme en frontière militaire lors des guerres israélo-arabes.

Économie

5Dans les huit chapitres consacrés à la période 1869-1956, qui constituent le corps de l'ouvrage, l'auteure insiste sur le rôle joué par le canal dans l'expansion puis l'économie des empires coloniaux. Présenté à l'origine comme une « artère de paix vouée aux échanges mondiaux », le canal devient vite un outil au service des puissances européennes, plus rivales que jamais dans le contexte économique mondial des années 1870, devenu moins libéral et plus protectionniste. Après le rachat en 1875 des parts détenues par le Khédive, qui représentent 44 % des actions de la société créée par Lesseps, le gouvernement britannique devient l’actionnaire principal de la Compagnie universelle du canal de Suez et prend le contrôle du canal. Ainsi, même si sa gestion est restée aux mains de la société française jusqu'en 1956, le canal a d'abord servi les intérêts économiques de la Grande-Bretagne ; il constituait le lien essentiel, quasi vital,avec son empire des Indes, puis avec les gisements de pétrole du golfe Persique exploités par les grandes compagnies anglo-saxonnes. À cet égard, les données statistiques fournies témoignent de l'écrasante suprématie du pavillon britannique dans le canal jusqu'à la veille de la seconde guerre mondiale, sans toutefois manquer de souligner l'essor des pavillons japonais, américain, italien et allemand dans l'entre-deux-guerres.

6L'étude du tonnage de marchandise qui transite par le canal, que l'auteure illustre de nombreux tableaux synthétiques, livre un panorama particulièrement intéressant du commerce mondial entre 1880 et nos jours en mettant en évidence l'évolution du déséquilibre entre les flux de trafic nord/sud et sud/nord. L'évolution de la flotte témoigne, quant à elle, du passage d'une économie basée sur le charbon à une économie du pétrole : avant la première guerre mondiale, en 1914, le charbon représente 97 % du carburant utilisé sur les navires et en 1953, seulement 13 %.

7Dans les deux derniers chapitres, C. Piquet examine l'après 1956 et la gestion égyptienne du canal. Si les événements de 1956 représentent sur le plan politique un tournant majeur, ils n'entraînent pourtant pas de rupture dans l'organisation du trafic maritime. La continuité de la navigation a été parfaitement assurée par le nouveau gestionnaire égyptien. La véritable rupture dans le commerce maritime est la fermeture du canal entre 1967 et 1975. Celle-ci a profondément modifié l'économie du transport, notamment celui du pétrole, dont on privilégie dorénavant le transport par oléoducs ou supertankers. La part des hydrocarbures dans le tonnage en transit est passée de 78 % à la veille de la fermeture en 1967, à 28 % en 1976. Elle en représente aujourd'hui moins du quart. Le canal du pétrole est devenu le canal des porte-containers qui, en 2008, ont transporté 53 % des marchandises en transit.

8L'auteure privilégie, pour la période récente, une approche quantitative, qui met en avant les statistiques sur l'évolution du tonnage des bateaux et l'augmentation des droits de transit, laissant peut-être de côté la place occupée par le canal dans l'économie et la politique égyptienne depuis 1975. Ce dernier travail, qui requiert un bon accès aux sources en langue arabe, reste à mener. Il permettrait d'en savoir plus sur le fonctionnement de l'actuelle Autorité du Canal de Suez, ainsi que sur l'importance de ses syndicats, dont l'auteure évoque avec beaucoup de précision le rôle pour la période 1919-1956.

Technique et innovation

9C. Piquet consacre plusieurs chapitres aux aspects techniques du canal et aux innovations qu'il a suscitées dans les domaines du génie maritime et de la construction navale. La description du percement du canal (1859-1869) s’appuie sur les travaux de N. Montel et fournit d'utiles informations sur l'organisation des chantiers, la place des ingénieurs et des entrepreneurs, l'origine des ouvriers. L'auteure insiste sur les pressions politiques exercées par le gouvernement britannique sur le Sultan ottoman pour le conduire à interdire le recrutement d'ouvriers égyptiens dans le cadre de la corvée. Ingénieurs et entreprises au service de la Compagnie de Ferdinand de Lesseps seront dès lors contraints à l'innovation pour accélérer la mécanisation du chantier. La drague à godets, dont l'usage se multipliera ensuite sur les grands chantiers maritimes, « devient la machine emblématique du creusement du canal » (p. 54).

  • 2  Les dimensions moyennes des supertankers sont de 400 m de longueur et 50 m de largeur. Leur tonnag (...)

10L'auteure montre aussi comment le canal a servi à plusieurs reprises d'accélérateur à la modernisation de la flotte maritime. Son ouverture, en 1869, marque l'essor de la marine à vapeur aux dépends de la marine à voile mal adaptée à la navigation dans la voie d'eau et en mer Rouge. L'évolution de la flottese fait aussi au détriment du canal. Notamment lorsque sa fermeture entraine, à la fin des années 1960, le développement des supertankers, dont les dimensions ne sont plus compatibles avec le gabarit du canal rouvert en 19752.

La vie le long du canal

11Si l'auteure favorise une lecture géostratégique de l'histoire de la voie d'eau, elle n'oublie pas pour autant d'en décrire son fonctionnement au quotidien. Sa très bonne connaissance de l'histoire de la Compagnie du canal lui permet de donner d'intéressants développements sur les divers services qui la composaient ; le service du transit en charge de la navigation et qui fondait la réputation de la Compagnie, ou le service de l'entretien sans cesse contraint d'élargir et d'approfondir le canal pour pouvoir en permanence l'adapter à l'augmentation de la taille des navires, rester compétitif par rapport à la route du Cap et satisfaire ses actionnaires. L'œuvre édilitairede la Compagnie et notamment son implication dans l'aménagement des villes ou le logement du personnel est également abordée. Le portrait est dressé à grands traits,les descriptions relatives à la gestion foncière de la concession appuyées sur des rapports officiels diffusés par la Compagnie. Cet élargissement du propos est cependant fort utile et offre des pistes intéressantes aux recherches futures. Ainsi, les mécanismes de création du quartier de Port-Fouad, « la cité modèle destinée à loger les employés de la Compagnie » mériteraient d'être confrontés à d'autres opérations d'urbanisme concessionnaire conduites en Égypte aux xixe et xxe siècles. De même, l'appropriation des villes-ports de Suez et Port-Saïd par une population cosmopolite a produit une architecture originale, dont l'étude pourra être approfondie.

En conclusion

12L'approche privilégiée par C. Piquet, et que favorise l'objet d'étude, s'inscrit parfaitement dans le courant des nouvelles études historiques transnationales. Sans négliger les histoires nationales, sur lesquelles l'auteure s'appuie pour mieux en comprendre les interconnexions, l'ouvrage constitue une excellente introduction à l'histoire de la mondialisation, autant qu'une nouvelle référence pour qui s'intéresse aussi bien à l'histoire des grandes routes commerciales qu'à celle du Proche-Orient.

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Notes

1  Les saint-simoniens, qui dès 1833 se sont investis dans le projet de percement, seront écartés par Ferdinand de Lesseps qui s'appropriera néanmoins leur héritage spirituel.

2  Les dimensions moyennes des supertankers sont de 400 m de longueur et 50 m de largeur. Leur tonnage peut atteindre jusqu'à 350 000 tonnes. La profondeur du canal en 1975 était de 38 pieds ; en 2007, elle atteignait 62 pieds (soit 18,9 m). « En 1980, le canal est 2,3 fois plus important qu'en 1975, 4 fois plus qu'en 1956 et 15 fois plus qu'en 1869 » (p. 290).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Claudine Piaton, « Piquet Caroline, Histoire du canal de Suez, Paris, Perrin, 2009, 372 p. », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 129 | juillet 2011, mis en ligne le 28 janvier 2011, consulté le 01 mars 2014. URL : http://remmm.revues.org/7004

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    • Titre :
      Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée
      En bref :
      Revue pluridisciplinaire proposant des dossiers thématiques sur l'ensemble du monde musulman actuel et sur son histoire
      A multidisciplinary journal offering thematic issues on the Muslim world, past and present
      Sujets :
      Histoire, Études du politique, Afrique du nord, Proche-Orient, Moyen-Orient, Méditerranée
    • Dir. de publication :
      Sylvie Denoix
      Éditeur :
      Publications de l’Université de Provence
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