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De la criminalisation des travailleurs sans-papiers
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Dossier

De la criminalisation des travailleurs sans-papiers

Carla Nagels et Andrea Rea

Résumés

Nous souhaitons montrer qu’une criminalisation accrue de l’immigration se réalise en prenant appui sur la sphère du travail. Ceux que l’on appelle aujourd’hui les « sans papiers », quelle que soit la raison pour laquelle ils ont décidé d’émigrer et leur carrière migratoire, sont également pour une grande majorité d’entre eux des travailleurs « illégaux ». L’intérêt croissant du gouvernement belge pour la problématique des sans-papiers a amené les différentes inspections sociales chargées de faire respecter les droits sociaux à se concentrer de manière privilégiée sur le contentieux particulier de l’occupation de main-d’œuvre étrangère.

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Texte intégral

1Si la pénalisation et la criminalisation de l’immigration concernent le plus souvent la problématique de l’entrée et du séjour sur le territoire national ou européen, nous souhaitons dans cet article montrer qu’une criminalisation accrue de l’immigration se réalise en prenant appui sur la sphère du travail. Ceux que l’on appelle aujourd’hui les « sans papiers », quelle que soit leur carrière migratoire, sont dans leur grande majorité des travailleurs. C’est une main-d’œuvre bon marché dont les gouvernements n’ont de cesse de répéter qu’elle entrave les règles de la « bonne » concurrence dans la mesure où les entreprises qui y ont recours ont des coûts de production bien moindres. L’embauche de travailleurs irréguliers fait peser sur le droit du travail et le droit social le spectre de l’accentuation de la déréglementation puisque, si les employeurs trouvent des travailleurs prêts à travailler dans des conditions non protégées, cela entraîne nécessairement une dégradation des conditions de travail pour tout le monde.

2L’intérêt du gouvernement belge pour cette question a amené paradoxalement les différentes inspections sociales chargées de faire respecter la législation sociale au sens large (droit du travail et sécurité sociale) à se concentrer de manière privilégiée sur le contentieux particulier de l’occupation de main-d’œuvre étrangère (MOE). Cette orientation apparaît comme paradoxale pour plusieurs raisons : d’abord, parce que l’objectif des inspections sociales est, entre autres, de « protéger » l’intérêt des travailleurs contre celui de l’employeur et que, dans ce contentieux particulier, il est difficile de soutenir qu’elles remplissent cette mission puisque, bien souvent, les travailleurs sont soit expulsés, soit enfermés alors que les employeurs ne sont que rarement poursuivis ; ensuite, parce que les inspections sociales ont, depuis leur création, manié essentiellement des outils de régularisation et non de pénalisation, alors qu’aujourd’hui elles font de plus en plus appel à la sphère judiciaire, en particulier pour le contentieux « occupation de MOE ».

3Si les études en matière de criminalisation de l’immigration portent fréquemment sur le contrôle des frontières externes des États composant l’Union Européenne, nous souhaitons montrer comment s’opère une criminalisation des nouveaux migrants utilisés comme travailleurs irréguliers au sein des États européens, en prenant ici le cas de la Belgique, dans le but de justifier leur maintien aux frontières externes de la citoyenneté (Balibar, 2001).

4De nombreux travaux, notamment ceux relevant des théories de la sécurisation mettent en évidence la construction politique de la migration elle-même comme insécurité et illégalisme (Bigo, Guild, 2003 ; Huysmans, 2006). Dans cette approche, l’accent est mis sur la mise au ban des étrangers et sur la force des pratiques discursives visant à construire la menace immigrée. D’autres travaux prenant le marché du travail comme objet insistent sur le rôle instrumental et économique que joue le recours au travail irrégulier sur le marché de l’emploi européen (Morice 1998 ; Terray, 1999 ; Duevell, 2006). Pour satisfaire les logiques de réduction de coût du travail et d’accroissement de la flexibilité du travail, le maintien de travailleurs immigrés dans des statuts d’irrégularité contribue à accroître leur assujettissement à leur employeur. Ces deux approches différentes peuvent être rapprochées à l’occasion de l’étude de l’évolution de la politique des inspections sociales en Belgique et de leurs pratiques contemporaines plus centrées sur les contrôles de la MOE et de la criminalisation d’une partie de celle-ci. La pénalisation des travailleurs étrangers irréguliers et la transformation du sens du travail de l’inspection sociale davantage orientée vers la « chasse » aux travailleurs irréguliers que vers les employeurs ne respectant pas les législations sociales et fiscales peut se donner à voir comme la contamination dans le domaine de la régulation des relations professionnelles des logiques et pratiques de sécurisation de l’État social-sécuritaire (Nagels, Rea, 2007).

  • 1  C’est-à-dire le parquet en matière sociale. Les auditeurs du travail sont des membres du parquet c (...)
  • 2  Cinquante dossiers pénaux clôturés ont été analysés en profondeur entre janvier et septembre 2008. (...)
  • 3  Actuellement, sept entretiens ont été menés au printemps 2009 avec des inspecteurs sociaux issus d (...)

5Ce sont les conclusions de recherches empiriques n’ayant pas pour thème explicite le sujet de cet article qui ont fait émerger l’intérêt de la question. Ayant passé plusieurs mois à l’auditorat du travail1 de Bruxelles où des dossiers ont été analysés en profondeur et des entretiens menés avec les auditeurs du travail2, nous avons constaté qu’un des contentieux important transmis à la justice concernait l’occupation de main-d’œuvre étrangère. Les principaux pourvoyeurs de dossiers de l’auditorat étant les inspections sociales, nous avons, dans le cadre d’une recherche exploratoire, suivi plusieurs inspecteurs dans leur travail quotidien de contrôle et réalisé des entretiens auprès d’inspecteurs sociaux originaires de différents services d’inspection3. Ces derniers entretiennent une position extrêmement ambivalente envers la main-d’œuvre étrangère. Ils affirment ne pas vouloir faire la « chasse » aux travailleurs clandestins. Ils la mettent pourtant en œuvre dans les faits. Il nous a donc semblé intéressant de comprendre cette ambivalence en remontant le fil des politiques publiques. En effet, la criminalisation de la MOE est l’aboutissement d’un processus et non le point de départ. Cet investissement s’est fait progressivement, à l’intersection de différentes logiques d’action que nous allons tenter de mettre en avant tout au long de ces pages.

6Cet article se divise en plusieurs parties distinctes. On reviendra tout d’abord sur la genèse du droit social et des inspections sociales. Nous verrons que la fonction de conciliation intrinsèque à la création du droit social se retrouve comme principe d’action fondamental des inspections sociales qui se voient comme des instances de régulation du monde entrepreneurial. Dans une deuxième partie, nous démontrerons que ces mécanismes de régulation cohabitent aujourd’hui avec une pénalisation accrue maniée par certains inspecteurs sociaux, mais qui se donne surtout à voir dans le contentieux relatif à la MOE. En troisième lieu, nous tenterons de mettre en avant comment les différentes politiques gouvernementales de lutte contre la fraude sociale d’une part, et contre la traite des êtres humains d’autre part, convergent vers une répression accrue de l’occupation de la main-d’œuvre étrangère. Enfin, dans la quatrième partie, nous poserons l’hypothèse que la pénalisation de la MOE par les inspections sociales répond aux exigences du nouvel esprit du capitalisme (Boltanski, Chiapello, 1999).

1. La genèse du droit social4 et des inspections sociales en Belgique

  • 4  Nous utiliserons les termes « droit social » et « droit du travail » comme étant interchangeables, (...)

7Comme le souligne Becker, avec la création d’une nouvelle législation, on voit souvent s’établir un nouveau dispositif d’institutions et d’agents chargés de faire appliquer celle-ci (1985, 179). Même si le législateur a assorti la majorité des dispositions sociales de sanctions pénales en cas de non-respect, il a chargé un corps administratif de la surveillance des dispositions sociales et non un corps de police.

1.1 Le droit social

8Plusieurs auteurs s’accordent pour dire que les troubles sanglants que la Belgique a traversé au début de l’année 1886 sont à l’origine des premières « réelles » lois sociales dans ce pays (Chlepner, 1956, 53-54, 208-209 ; Ponsaers, De Cuyper, 1981, 355). Dès le 15 avril 1886, le Roi signait un arrêté royal instituant un comité d’enquête chargé de s’enquérir de la situation du travail industriel et d’étudier les mesures qui pourraient l’améliorer. Les travaux de ce comité donnèrent naissance à un ensemble de lois « sociales » visant à protéger le travail ouvrier. Deux points méritent d’être soulignés.

9Tout d’abord, le droit social est un droit des inégalités (Alaluf, 2009, 231), un droit qui permet de rétablir en quelque sorte un équilibre entre deux positions non seulement antagonistes mais également profondément inégalitaires. La législation antérieure, d’inspiration strictement libérale, contenait en effet de véritables éléments de discrimination à l’égard de la classe ouvrière, et notamment la prohibition des coalitions d’ouvriers qui mettait la classe ouvrière dans l’impossibilité de s’organiser ou de faire grève, les livrets ouvriers, ou encore les fameux conseils de prud’hommes censés régler les différends entre patrons et ouvriers mais où ces derniers étaient sous-représentés. C’est donc un droit qui reconnaît en quelque sorte l’existence de classes sociales : la valeur du droit du travail réside dans la reconnaissance de l’existence de classes par le droit (Sinzheimer cité par Cornil, 1953, 119). Que ce soit en remplaçant la notion de responsabilité individuelle par celle de responsabilité sociale, la notion de faute par celle de risque ou en rattachant un ensemble de protections au travail, c’est bien grâce à la création du droit social que la question sociale a été prise en considération à la fin du XIXe siècle et, pourrions nous dire, résolue. Ensuite, les lois sociales ont été votées pour faire l’économie d’une révolution (Cornil, 1953, 118). Cette affirmation n’a évidemment rien d’innovant puisque bien d’autres auteurs (Castel, 1995 ; Donzelot, 1994 ; Ewald, 1986 ; Garland, 1985) l’ont déjà largement mise en avant. Mais il nous paraît important d’insister sur ses implications dans la sphère juridique. Tout compte fait, le droit social est un droit du compromis (Cornil, 1953, 119). Si cela se reflète évidemment de manière tout à fait privilégiée à travers la création et le développement d’un ensemble d’organismes servant de lieux de concertation et de négociation entre les représentants des travailleurs et ceux du monde patronal, cette culture de la négociation et du compromis se donne aussi à voir dans la manière dont le législateur a envisagé la réaction sociale aux écarts aux normes sociales en vigueur.

  • 5  Dans la loi du 14 juin 1921 instituant la journée de huit heures et la semaine de 48 heures.

10Les irrégularités aux règles prescrites par le droit social sont pourtant majoritairement sanctionnées par le droit pénal. Mais il est intéressant de constater que, contrairement au droit pénal classique où la peine de référence reste la peine privative de liberté, la peine privilégiée dans le droit pénal social est l’amende. Les amendes maniées en droit pénal social sont d’ailleurs nettement plus élevées que celles utilisées dans le Code pénal. Il est par ailleurs significatif que la peine d’emprisonnement n’ait fait son apparition que relativement tardivement en droit pénal social5. De plus, le maximum varie entre un mois et un an tandis que le minimum est en général de huit jours, ce qui peut être considéré comme léger par rapport aux peines d’emprisonnement maniées par le Code pénal. On assiste donc bien à une fiscalisation du droit pénal (van de Kerchove, 1981) dans ce domaine particulier. Le nouveau Code pénal social, toujours en discussion, va d’ailleurs un cran plus loin puisque toutes les infractions sociales peuvent être sanctionnées administrativement, même si pour certaines d’entre elles (les plus graves), le juge pourrait également prononcer une amende pénale, voire un emprisonnement. Nous assistons là à une réelle dépénalisation d’un espace de la vie sociale à une époque où l’on a plutôt tendance à renforcer la pénalité, c’est-à-dire à aggraver les peines, voire à criminaliser de nouveaux comportements (Van Campenhoudt et al., 2000 ; Mary, Papatheodorou, 2001). Une des manières d’éviter la sanction pénale est de charger un corps administratif de veiller à la surveillance du bon respect du droit social. Ce sont les fameuses inspections sociales ayant compétence en matière de législation du travail et de sécurité sociale.

1.2 Les inspections sociales

11Avant l’émergence des premières lois sociales, il n’existait pas d’inspections sociales. Le contrôle des conditions de travail de la classe ouvrière, jusqu’en 1886, se faisait essentiellement dans un cadre policier, répressif, soutenu par une législation discriminatoire à son encontre. Avec l’émergence d’une législation sociale se pose la question de savoir qui va la faire respecter. Suite à la promulgation de la loi de 1889 concernant le travail des femmes et des enfants, l’inspection du travail a pour mission de contrôler si les employeurs respectent bien leurs obligations en matière de conditions de travail. Au tournant du XXe siècle, il semblerait que les inspecteurs du travail n’aient que très peu utilisé leurs pouvoirs de verbalisation et se soient contentés d’informer les différents employeurs des nouvelles réglementations en vigueur (Ponsaers, 2003, 41-43), étant donné qu’ils se retrouvaient en quelque sorte « coincés » entre deux pôles aux exigences et intérêts contradictoires. Avec l’avènement des structures de négociation, en 1948, qui visent à assurer la paix sociale et la mise en œuvre progressive du système de sécurité sociale où chacun contribue (patronat et travailleurs) au bien-être de tous, les inspections sociales vont de plus en plus prendre la forme d’instances de régulation de la vie de l’entreprise.

12Cette tendance sera consacrée par la loi du 16 novembre 1972 « concernant l’inspection du travail », dont l’article 9 permet aux inspecteurs de « donner des avertissements, de fixer au contrevenant un délai pour se mettre en règle et de dresser des procès-verbaux ». Contrairement à la police donc, quand un inspecteur social constate une infraction, il n’est pas obligé de dresser un procès-verbal mais il peut tenter d’obtenir la régularisation de la situation. Il a ainsi un pouvoir discrétionnaire nettement plus important. Son objectif n’est pas tant de punir l’auteur que de faire cesser l’état infractionnel. Autrement dit, les infractions sociales sont plus perçues comme des « erreurs » que comme des « fautes » (Lascoumes, 1986). Les inspecteurs sociaux visent avant tout la régularisation de la situation problématique en utilisant leur pouvoir d’appréciation et préfèrent de loin négocier une réparation que de dresser un procès-verbal. Pour eux, dresser un procès-verbal équivaut à admettre qu’ils ont échoué dans leur mission de régularisation. Ils estiment d’ailleurs que la justice est inadéquate pour répondre aux situations problématiques rencontrées : soit elle n’apporte pas de réponse, soit la lourdeur de son fonctionnement leur impose une charge de travail supplémentaire qu’ils perçoivent comme inutile. Il nous semble pourtant que ce principe d’action qu’est la régularisation doit cohabiter depuis quelques années – en Belgique en tout cas – avec une pénalisation plus forte de certaines infractions sociales. C’est ce que nous allons examiner dans le point suivant.

2. La réaction sociale aux infractions à la législation sociale aujourd’hui : entre régulation et répression

2.1. Deux logiques différentes guident le système...

13Une recherche menée (Nagels, 2009a, b) auprès des inspecteurs sociaux et des auditeurs du travail de Bruxelles tend à démontrer que le principe de régularisation reste fort prégnant dans la réaction sociale préconisée à l’encontre des infractions sociales. Ces deux instances se perçoivent comme les garants de l’ordre social. Leur mission est de préserver le système de sécurité sociale qu’ils jugent aujourd’hui gravement menacé et/ou de protéger les droits des travailleurs.

14De l’avis des auditeurs, le maître mot de l’action pénale est la régularisation de la situation problématique : moi, mon guide, ça a toujours été la régularisation. Le but ne semble pas tant de « punir » l’infracteur, c’est-à-dire de réactiver la fonction symbolique du droit pénal, que de mettre fin à une situation infractionnelle, ce qui renvoie à une lecture nettement plus pragmatique de l’utilité du pénal. L’auditeur citera devant le tribunal correctionnel que si, et seulement si, la situation n’est pas régularisée et/ou que l’infracteur est en situation de récidive multiple. Sinon, il classera sans suite et renverra le dossier « en amendes administratives ». Pourtant, tant à la lecture des dossiers consultés à l’auditorat que lors des entretiens avec les auditeurs, il est apparu que la situation était vraisemblablement plus complexe : les auditeurs estiment tout de même que certaines infractions sont « graves » et méritent d’être sanctionnées justement parce qu’elles sont graves, et non parce qu’elles n’ont pas été régularisées.

  • 6  Inspecteur social de l’ONSS.

15Si, pour la plupart des inspecteurs sociaux interrogés, l’objectif premier semble être aujourd’hui encore la régularisation de la situation problématique (à 90 %, nous agissons dans le cadre d’enquêtes administratives qui n’arrivent pas à l’auditorat nécessairement6), nous avons pourtant constaté que des différences importantes sont apparues entre les multiples inspections sociales mais aussi, à l’intérieur de chaque inspection sociale, entre les cellules chargées de prendre en charge des domaines particuliers.

  • 7  Contrôleur social du Contrôle des Lois Sociales.
  • 8  Contrôleuse du Contrôle des Lois Sociales.

16Pour certains, le but est de faire régulariser la situation, en d’autres mots, de récupérer les sommes non perçues et/ou de s’assurer que le travailleur a perçu tout ce à quoi il avait droit. Ils font appel à la justice si, et seulement si, ils ne sont pas arrivés à leurs fins par voie administrative. Comme le dit un contrôleur, le pénal c’est l’arme ultime si l’employeur ne veut pas comprendre7. Pourtant, plusieurs inspecteurs sociaux estiment que quand ils dressent un procès-verbal et le transmettent à l’auditorat, bien souvent celui-ci ne lui donne aucune suite ou prend tellement de temps à traiter le dossier qu’il y a prescription : la sanction est infime ou met tellement longtemps à arriver… après trois ans parfois. En attendant nous sommes retournés dans l’entreprise et les employeurs nous rigolent au nez8.

  • 9  Contrôleur social du SPF sécurité sociale.
  • 10  Ibid.

17Pour d’autres inspecteurs sociaux par contre, il existe des situations où l’on fait (doit faire) systématiquement appel à la justice. Il s’agit d’inspecteurs sociaux qui collaborent intensivement avec la justice, qui organisent des descentes avec les forces de l’ordre, qui transmettent leurs informations à l’auditorat, qui voient d’un bon œil l’élargissement (futur) de leurs compétences en matière d’officier de police judiciaire et qui rêvent de devenir une cellule spécialisée de la police fédérale : maintenant, j’effectue un rôle de police judiciaire social (…) où je travaille quasiment dans tous mes dossiers avec un magistrat de référence, qui demande des missions qui sortent parfois même du cadre strict de ce que fait un service d’inspection, qui relèvent plus du travail de policier9. Derrière les phénomènes qu’ils constatent, ils ont toujours le soupçon d’être face à des comportements qui pourraient relever de la criminalité organisée et ils en recherchent assidûment les preuves : le milieu dont je m’occupe [les Brésiliens], pour moi, c’est une base de financement pour d’autres activités criminelles10.

18L’émergence de ce deuxième type d’inspecteurs sociaux est, selon les protagonistes eux-mêmes, relativement récente et témoigne d’une toute autre culture professionnelle, d’ailleurs difficilement acceptée par leurs collègues plus anciens. Au delà de ce clivage générationnel qui peut expliquer pour partie l’émergence de ce nouveau type d’inspecteur social socialisé dans une nouvelle culture professionnelle où le travail en collaboration avec la justice est devenu évident, il semble que son apparition soit aussi liée aux types d’affaires sur lesquelles il est amené à travailler. L’émergence de la judiciarisation d’une partie du travail de l’inspection sociale conduit certains inspecteurs sociaux à les éloigner de la mission traditionnelle de régulation.

2.2. … et renvoient à des contentieux différents

19Tant les auditeurs que les inspecteurs sociaux estiment que le pénal doit intervenir quand on a affaire à des situations problématiques « graves ». Ce que revêt la notion de gravité en matière sociale est pourtant tout sauf évidente. Serait-ce le montant de la somme concernée ? Cela ne semble pas être le cas puisque la majorité des infractions commises par les grandes entreprises, et rapportant beaucoup d’argent, ne sont pas considérées comme graves et ne font d’ailleurs qu’extrêmement rarement l’objet de poursuites pénales.

20De l’avis de tous, les infractions à la législation sociale commises par les grandes entreprises ne sont en fait pas des « infractions » comme les autres. Elles concernent essentiellement l’ingénierie sociale dont le but est de diminuer volontairement l’assiette des rémunérations servant à calculer le montant des cotisations sociales mais sans recourir au travail au noir. De l’avis d’un auditeur, qu’on essaye à un moment donné de trouver la voie la moins imposable, bon ben c’est le jeu et je trouve que le législateur brouille parfois un peu les pistes mais moi ça ne me gêne pas trop. L’autre type de comportement problématique pratiqué par les grandes entreprises concerne les effets de la sous-traitance en cascade. Cette dernière est légale et n’est pas pénalisable, mais sa pratique peut en revanche générer des infractions à la législation sociale. En fait, on a affaire d’un côté à de véritables infractions, au sens où elles sont reprises dans la loi pénale, mais dont tous estiment qu’elles ne sont pas socialement dommageables, et de l’autre côté à des conduites jugées socialement dommageables mais qui ne sont pas pénalisées. Qu’est-ce qui est alors jugé comme grave ? Que renvoient les inspections sociales ainsi systématiquement au pénal ?

  • 11  Par exemple, une fiche de paye est en général vendue plus ou moins 300 €. Il en faut au moins troi (...)
  • 12  Si la personne se présente à la commune avec un bail et une (fausse) attestation patronale d’un em (...)
  • 13  Inspecteur social de l’ONSS.

21Premièrement, les réseaux d’assujettissements fictifs : d’un côté, des personnes qui vendent de faux documents sociaux et se font des bénéfices substantiels de cette manière ; de l’autre, des personnes qui achètent ces documents à prix fort11 et qui, de ce fait, bénéficient d’un certain nombre de droits sociaux auxquels elles ne peuvent normalement pas prétendre. Si les premières ont acquis un statut économique privilégié, elles n’en bénéficiaient souvent pas à l’origine. Quant aux secondes, il s’agit en général de personnes extrêmement précaires : des illégaux qui achètent des kits de documents sociaux soit pour tenter une régularisation12, soit pour avoir un semblant de statut de travailleur « légal », des prisonniers qui veulent bénéficier d’une liberté provisoire ou d’une libération conditionnelle, etc. Comme l’exprime cet inspecteur : les organisateurs profitent de ce manque d’information et d’éducation des personnes puisque beaucoup des personnes que moi j’auditionne ne parlent même pas le français ou néerlandais, n’ont pas de formation, c’est des personnes qui viennent de Turquie ou du Maroc, qui ont fait l’école primaire et puis plus rien. (…) Et souvent ils payent à crédit parce que ces gens n’ont pas un sou et ils payent dès le moment où ils ont droit au chômage, donc leurs premières rentrées de chômage vont pratiquement en totalité pour les organisateurs13.

  • 14  Contrôleur social, SPF sécurité sociale.
  • 15  En Belgique, il y a moyen d’inscrire des personnes pourtant irrégulières sur le territoire dans un (...)

22Quant à l’autre contentieux qui est massivement transmis par les différentes inspections sociales à l’auditorat du travail de Bruxelles, c’est celui de la MOE, à savoir des personnes constatées au travail sans permis de travail, ni de séjour. Ainsi, sur 1 650 dossiers ouverts en 2006 à l’auditorat bruxellois, 906 contenaient cette infraction particulière. Du côté des inspections sociales cette fois, si ce contentieux n’est pas systématiquement transmis à l’auditorat, il l’est bien plus que les autres. Ainsi, le Contrôle des Lois sociales indique, dans son rapport d’activités de 2005, que sur 554 irrégularités constatées en matière de MOE, 456 procès-verbaux ont été dressés. Sachant que le taux de renvoi vers le pénal est en moyenne de 19% pour cette institution, tous contentieux confondus, ce constat refléterait-il le fait que le contentieux MOE, plus que les autres, est jugé grave ? Pour la très grande majorité des inspecteurs sociaux interrogés en effet, en MOE je dresse toujours procès-verbal. C’est l’infraction la plus grave. (…) Maintenant, c’est à mon sens normal, hein, puisque ce sont des gens qui sont en situation clandestine, c’est vraiment la fraude pure et dure quoi 14, même si la même personne reconnaît que les pratiques de ses collègues d’autres services peuvent être différentes : c’était un contrôle (…) où la collègue (…), bien qu’en présence de deux filles en situation illégale, a demandé à la patronne de régulariser la situation15, c’est-à-dire de leur fournir un contrat de travail en bonne et due forme.

  • 16  Inspecteur social de l’ONSS.

23Pourtant, la lecture des dossiers consultés à l’auditorat concernant le contentieux MOE ne peut laisser qu’une étrange impression. Tant les travailleurs que les employeurs sont bien souvent dans des situations précaires, voire extrêmement précaires. La plupart des travailleurs étrangers illégaux sont engagés par des « compatriotes », des membres de la famille proche ou éloignée ou des voisins du village, et les situations de travail ressemblent bien souvent à la mise en place de mécanismes de solidarité informels qui visent essentiellement à pallier les insuffisances des mécanismes de solidarité formels. Dans un des dossiers analysés par exemple, un travailleur illégal de nationalité marocaine est trouvé au travail dans l’arrière-salle d’une boulangerie. Il déclare vivre en Belgique depuis six ans et n’avoir fait aucune démarche pour obtenir des papiers. Sa sœur est la femme du patron de la boulangerie. Il sera enfermé au centre fermé de Merksplas et renvoyé au Maroc quelques jours plus tard. Même en matière d’assujettissements fictifs, un inspecteur spécialisé en la matière nous livre que tout se fait au sein d’une même communauté, d’ailleurs quand on analyse le listing du personnel des différentes sociétés il y a très peu de mélanges point de vue origine16. Cette proximité entre « exploitants » et « exploités » a été relevée par plusieurs recherches explorant le travail des sans-papiers (Auguin, 2010) ; Adam et al., 2002). Elle repose bien souvent sur une histoire commune, l’employeur ayant lui-même été un jour un travailleur clandestin. Ceci n’enlève rien au fait que certains de ces travailleurs travaillent en effet dans des conditions et pour des salaires qui sont loin d’égaler ceux qui respectent les normes sociales en vigueur en Belgique.

3. De nouveaux intérêts gouvernementaux à l’aube du XXIe siècle

24L’émergence du contentieux MOE dans les filets du pénal doit se comprendre, à notre sens, à l’intersection de différentes logiques d’action que nous allons maintenant tenter de mettre en lumière.

3.1. L’intensification de la lutte contre la fraude sociale et le travail illégal 

25Il faut attendre le début des années 1990 pour que le gouvernement se saisisse réellement de la question de la fraude sociale (Nagels, Smeets, 2009). L’objectif du gouvernement est triple : préserver le système de sécurité sociale, freiner le développement d’une économie informelle qui semble, selon les dires tant des experts nationaux qu’internationaux, un véritable fléau en Belgique (Pacolet, 2009) et préserver la libre et « saine » concurrence. Pour remplir ces objectifs, il entend essentiellement intensifier la collaboration entre les différents services qui prennent part à la lutte contre la fraude sociale et parallèlement renforcer la répression à l’encontre de ce phénomène. Ainsi, la loi du 13 mars 1994 « portant certaines mesures sur le plan du droit du travail contre le travail au noir » augmente les amendes tant pénales qu’administratives concernant les infractions ayant un rapport avec le travail au noir. Il augmente également les amendes en ce qui concerne l’obstruction au travail des inspecteurs sociaux ainsi que les délais de prescription pour la majorité des infractions. En 2007, il créera même un secrétaire d’État chargé de la lutte contre la fraude sociale et fiscale. La fraude sociale devient un phénomène criminel autonome, ce dont témoigne la publication de directives du Collège des procureurs généraux en cette matière visant à uniformiser les poursuites en s’assurant d’une réelle politique criminelle et à intensifier la collaboration entre les différents services chargés de la lutte contre ce phénomène.

26En Belgique, il existe une multitude d’inspections sociales dont les compétences se recouvrent parfois. Il n’est pas évident de s’y retrouver dans ce paysage complexe. Ainsi, un auditeur débutant un cabinet pénal nous livre : Moi ce qui me pose problème pour l’instant, c’est que j’ai un dossier, je pourrais faire partir ce dossier en enquête vers deux ou trois organismes, service de contrôle, inspection sociale et je ne sais pas du tout pourquoi plutôt les lois sociales que l’inspection sociale, je ne sais pas. Le 30 juillet 1993, un protocole de collaboration est signé entre les différents ministères fédéraux et régionaux compétents. Cette collaboration s’intensifie au cours des années suivantes. L’informatisation relativement récente et l’utilisation de nouvelles bases de données permettront d’ailleurs plus facilement de recouper des informations ce qui, précédemment, était quasiment impossible. Aujourd’hui par exemple, les inspections sociales disposent d’une base de données (GENESIS) qui regroupe toutes les enquêtes ayant été traitées ou en cours auprès d’un des services d’inspection sociale.

27Si le gouvernement préconise une intensification accrue de la collaboration entre les différentes inspections sociales, il veut également la renforcer entre la sphère judiciaire et la sphère administrative. Le 24 avril 1992, le conseil des ministres charge les services d’inspection et la police de renforcer les contrôles communs. Le protocole de collaboration du 30 juillet 1993 institue des cellules d’arrondissement (organes opérationnels de ce protocole) qui sont composées tant des inspections sociales que des forces de police et de l’auditorat. Elles sont censées organiser des contrôles communs dans chaque arrondissement judiciaire. Ce protocole est opérationnel jusqu’en 2003 (mais dans la réalité peu utilisé), puis remplacé par la loi du 3 mai 2003 « instituant le Conseil fédéral de lutte contre le travail illégal et la fraude sociale, le Comité fédéral de coordination et les Cellules d’arrondissement » visant à rendre la coopération plus effective. Les cellules d’arrondissement sont présidées par l’auditorat du travail et ont pour mission d’organiser des contrôles conjoints dans les secteurs jugés à risque en matière de fraude sociale. Cette loi est à nouveau remplacée par le titre XII de la loi programme I du 27 décembre 2006 « instituant le Service de Recherche et d’information sociale (SIRS) en matière de lutte contre la fraude sociale et le travail illégal, les cellules d’arrondissement et la commission de partenariat ». À nouveau, la réforme est axée sur une meilleure répartition des tâches et une meilleure communication entre les organes dans le cadre de la lutte contre le travail illégal et la fraude sociale (Heirman, 2009, 144).

  • 17  Devoir d’enquête ou d’information demandé par l’auditorat.
  • 18  Inspecteur social, ONSS.
  • 19  Contrôleur social, SPF sécurité sociale.

28Concrètement, le renforcement des mécanismes de collaboration entre les différents services a eu des répercussions importantes sur le travail et la culture professionnelle de chacun. Ainsi, les auditeurs du travail qui, pour rappel, ont des compétences civiles et pénales, ont vu leurs effectifs considérablement augmenter et se sont tournés plus volontiers vers leur mission pénale. Auparavant, la majorité des auditeurs ne faisaient que du civil et percevaient leur mission pénale d’un mauvais œil : jusqu’en 1988, pas une bribe de pénal, il y en avait d’autres qui en faisaient et moi je les regardais comme des drôles de bêtes, puis il y a une personne qui a été détachée à un cabinet et on m’a dit ‘tu vas faire du pénal’, et moi je me suis dit ‘quelle horreur’. Aujourd’hui, ils assument également une fonction pénale, c’est-à-dire un rôle plus traditionnel de ministère public qui poursuit (ou non) les infractions en matière de droit social. De plus, depuis la loi du 3 décembre 2006, l’auditeur du travail peut également exercer une action particulière, de nature civile, devant le tribunal du travail, visant à faire constater une infraction (Kéfer, 2008, 241), ce qui signifie concrètement qu’il exerce dorénavant sa mission pénale à l’intérieur de sa mission civile. Du côté des inspections sociales cette fois, nous avons déjà eu l’occasion d’aborder l’émergence d’un nouveau type d’inspecteur social, plus enclin au travail de répression que celui de régularisation. Mais même ces derniers ont vu leur travail avec la justice se renforcer considérablement les dernières années. En effet, du fait des protocoles d’accord conclus et de leur présence au sein des cellules d’arrondissement, ils doivent de plus en plus répondre à des apostilles17 et réaliser des enquêtes judiciaires à la demande de l’auditorat : On reçoit aussi beaucoup plus qu’avant d’apostilles, on a beaucoup plus d’enquêtes judiciaires18. En réalité, comme le démontre une recherche récente (Colpaert, 2008-2009), les structures de collaboration formelle ont donné naissance à des collaborations informelles, surtout entre les forces de l’ordre et les inspections sociales, qui s’opèrent sur le mode du donnant-donnant. Ainsi par exemple, les inspecteurs peuvent entrer sur n’importe quel lieu de travail sans mandat, ce que les policiers ne peuvent pas faire. De leur côté, les policiers prêtent « main forte » aux inspecteurs sociaux car ils peuvent faire un usage légitime de la force publique, absent des prérogatives des inspecteurs sociaux. Selon les dires d’un contrôleur social, c’est une manière aussi de profiter de leurs infrastructures, de leurs véhicules, de bureaux pour interroger dans tout de même de bonnes conditions et il y a aussi, il ne faut pas s’en cacher, une certaine protection19.

29Bref, on le voit, les années 1990 et 2000 se caractérisent par une prise en considération croissante de la lutte contre le travail illégal et la fraude sociale qui induit un rapprochement notoire entre la sphère judiciaire et la sphère administrative, toutes deux chargées de lutter contre ces phénomènes. Derrière les objectifs dégagés se cache surtout un leitmotiv prépondérant : faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’État. Cet objectif est d’ailleurs consacré dans la circulaire du Collège des procureurs généraux relative à la politique criminelle des auditorats du travail qui stipule, en accord avec la loi-programme du 27 décembre 2005, qu’une partie des amendes administratives sont affectées aux organismes de sécurité sociale. Il s’agit donc d’un usage essentiellement instrumental des mécanismes de répression. Il en va tout autrement pour la préoccupation gouvernementale suivante.

3.2. La lutte contre la traite des êtres humains

  • 20  La loi du 13 avril 1995 « contenant des dispositions en vue de la répression de la traite des être (...)
  • 21  Circulaire du 7 juillet 1994 concernant la délivrance de titres de séjour et des autorisations d’o (...)
  • 22  Protocole de Palerme sur la TEH et le trafic de migrants (2000) ; les décisions-cadres européennes (...)

30La Belgique a longtemps été considérée comme pionnière en matière de lutte contre la traite des êtres humains (TEH). Dès 1995, elle adopte une loi20 qui rajoute un article 77bis dans la loi du 15 décembre 1980 sur « l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers » qui fait de la traite des étrangers une infraction spécifique. La loi prévoit des peines très lourdes pour les « exploitants », pouvant aller jusqu’à vingt ans de réclusion. Dans l’esprit du législateur, la TEH concerne deux phénomènes spécifiques : l’exploitation sexuelle et l’exploitation économique des étrangers. Néanmoins, même pour l’exploitation sexuelle, ce qui est visé dans la pratique, ce sont les filles étrangères arrivées en Belgique et exploitées sexuellement. Cette focalisation sur la traite des étrangers se perçoit encore le mieux dans le volet « humanitaire » de la lutte contre la TEH, puisque les victimes peuvent obtenir un titre de séjour définitif à l’issue de la procédure judiciaire et s’il y a eu condamnation pour TEH21. Ce cadre législatif sera remplacé par la loi du 10 août 2005 « modifiant diverses dispositions en vue de renforcer la lutte contre la traite des êtres humains et le trafic des êtres humains et contre les pratiques des marchands de sommeil » qui adapte la loi aux nouveaux cadres législatifs internationaux et européens22 et élargit l’exploitation à d’autres phénomènes tels que l’exploitation économique.

  • 23  Contrôleur social, SPF sécurité sociale.

31Plusieurs acteurs sont impliqués dans la lutte contre la TEH : police (fédérale et locale), parquet (magistrat de liaison dans chaque parquet, parquet fédéral, Collège des procureurs généraux), Centre pour l’Égalité des Chances chargé de coordonner et stimuler la politique de lutte contre la TEH, mais aussi, en ce qui concerne plus directement notre propos, les inspections sociales, ou du moins, certaines d’entre elles. En effet, elles participent activement à la lutte contre la TEH en organisant des contrôles ciblés dans les secteurs où le risque d’occupation illégale et/ou de TEH est élevé (Heirman, 2007, 96). Le 31 mai 2001, le Contrôle des Lois Sociales du SPF emploi, travail et concertation sociale et l’inspection sociale du SPF sécurité sociale ont signé un protocole de coopération en vue de renforcer la lutte contre la TEH. Pour ce faire, ces deux inspections ont créé en leur sein des cellules spéciales TEH. Ce qu’il est intéressant de constater, c’est qu’en vue de cibler la TEH, les services d’inspection ciblent surtout la MOE. En effet, le Contrôle des Lois sociales stipule dans le chapitre 8 de son rapport d’activités 2005 consacré à la lutte contre la traite des êtres humains qu’« on a développé une méthode de travail structurée et coordonnée dans les différents arrondissements judiciaires afin de lutter contre l’occupation illégale de travailleurs étrangers ». Comme l’affirme ce contrôleur social spécialisé en TEH, quand la traite était encore dans la loi sur l’accès au territoire, on a mis en place dans chaque région une cellule TEH qui au départ se consacrait plutôt au contrôle des étrangers23. Pour eux, derrière le contentieux MOE, il y a toujours un soupçon de traite des êtres humains, c’est-à-dire une mise au travail dans des conditions qui sont contraires à la dignité humaine… ce qui justifie une pénalisation accrue du contentieux MOE, comme nous le démontrerons maintenant.

3.3. La lutte contre l’utilisation de la main-d’œuvre étrangère : quand on associe fonction symbolique et fonction instrumentale du droit pénal

  • 24  Rapport fait au nom de la commission de l’emploi, du travail et de la prévoyance sociale par M. Gi (...)
  • 25  Il s’agit bien sûr d’ajouter les décimes additionnels qui multiplient les amendes par 20.
  • 26  Ces montants passent de 15 000 FB à 75 000 FB, suite à l’adoption de la loi-programme du 2 juillet (...)

32Dès l’arrêt de l’immigration proclamé en 1974, l’occupation de main-d’œuvre étrangère a fait l’objet d’une pénalisation soutenue. Ainsi, le 22 juillet 1976 est votée la loi « modifiant l’arrêté royal n° 34 du 20 juillet 1967 relatif à l’occupation de travailleurs étrangers et la loi du 30 juin 1971 relatives aux amendes administratives applicables en cas d’infraction à certaines lois sociales ». Dans l’exposé des motifs, le gouvernement « déclare que depuis quelques années notre pays (…) a dû faire face au phénomène de l’immigration clandestine. (…) Il est inutile d’insister sur les conséquences néfastes de cette immigration clandestine sur les plans sociaux et économiques : (…) l’arrivée inconsidérée de nouveaux travailleurs désorganise le marché de l’emploi »24. D’une part, cette loi prévoit un renforcement des amendes pénales (de 26 à 500 FB, la fourchette passe de 1 000 à 2 000 FB25) à l’encontre des employeurs engageant de la main-d’œuvre clandestine et des « passeurs » (ceux qui se livrent, gratuitement ou non, au trafic d’êtres humains). Par contre, elle supprime les sanctions pénales envers les travailleurs, perçus dorénavant comme des victimes. D’autre part, cette loi inaugure une distinction, toujours actuelle, entre les travailleurs bénéficiant d’un titre de séjour mais sans permis de travail et ceux qui ne possèdent aucun de ces deux documents. En ce qui concerne les « sanctions administratives », les employeurs des seconds pourront être sanctionnés d’amendes allant de 10 000 à 50 000 FB26 alors que les autres infractions sociales sont, y compris l’engagement de la première catégorie de travailleurs illégaux, sanctionnées d’amendes entre 500 et 10 000 FB.

  • 27  Rapport de la Commission des Affaires sociales, Proposition de loi imposant des sanctions administ (...)
  • 28  Multipliées par le nombre de travailleurs concernés. De surcroît, en cas d’occupation de main-d’œu (...)
  • 29 Ibid., 3
  • 30 Ibid., 5.

33Ce processus de pénalisation s’intensifie à partir du début des années 1990. Une réunion de coordination est organisée le 15 mai 1992 entre le ministère de l’Emploi, les services de police et de gendarmerie et l’Office des étrangers afin d’intensifier la lutte contre l’emploi illégal de clandestins. La proposition de loi « imposant des sanctions administratives aux employeurs occupant des étrangers en séjour illégal en Belgique » déposée le 18 mai 1992, est intéressante à plus d’un titre. Premièrement, elle est cosignée tant par des membres de la majorité (socialistes et sociaux-chrétiens) que de l’opposition (écologistes) et témoigne donc d’un large consensus au sein de l’enceinte parlementaire, d’ailleurs essentiellement porté par les partis à gauche de l’échiquier politique. En effet, seuls les libéraux ne la soutiennent pas. Ces prises de position parlementaires ont vraisemblablement pour origine le fait qu’aux yeux des députés, les personnes qui occupent de la main-d’œuvre étrangère sont des entreprises belges ayant pour la plupart pignon sur rue. Deuxièmement, si elle vise à dépénaliser la matière, c’est dans un souci d’efficacité estimant que le pénal est bien trop lent et que « la possibilité de transiger aboutit souvent à des amendes pénales dérisoires »27. D’une part, les amendes administratives sont augmentées de manière drastique puisqu’elles peuvent atteindre 500 000 FB28; d’autre part, le pénal n’est tout de même pas absent puisque les sanctions pénales sont augmentées pour les personnes facilitant l’entrée sur le territoire de personnes sans papiers. Troisièmement, l’idée de sanctionner durement ce comportement est prédominant pour deux motifs : il « a une incidence négative sur les processus d’intégration des immigrés qui séjournent en toute légalité dans notre pays et handicape les Belges à la recherche d’un emploi »29 ; « est-il logique que des étrangers en séjour illégal et surpris au travail chez un employeur soient emmenés menottes au poing et renvoyés immédiatement dans leur pays d’origine, alors que les employeurs ne courent que le risque de se faire infliger, bien plus tard, une amende proportionnellement bien plus petite ?»30.

  • 31 Ibid., 8.
  • 32 Ibid., 10.

34Si la loi qui est finalement votée le 1er juin 1993 abandonne la poursuite uniquement administrative pour maintenir la possibilité d’une poursuite pénale, c’est parce que « si l’on devait dépénaliser justement les infractions les plus graves dans notre droit du travail, il s’en suivrait qu’à terme il faudrait logiquement procéder à la dépénalisation des autres infractions au droit du travail qui sont jusqu’à présent sanctionnées pénalement »31. De l’avis du gouvernement, il s’agit donc des infractions les plus graves dans les matières sociales parce « qu’un des aspects les plus poignants dans ce dossier difficile (…) concerne en effet les femmes attirées en Belgique par toutes sortes de belles promesses concernant un emploi comme danseuse. Ces femmes sont bien souvent ici en séjour illégal. (…) Pour le dossier de la traite des femmes il est donc d’une importance primordiale que les amendements du gouvernement soient approuvés »32. Comme on le voit, après le lien entre trafic et occupation de main-d’œuvre illégale, le lien entre MOE et traite des êtres humains est fait de manière tout à fait explicite. La loi modifie l’article 27 de l’arrêté royal n° 34 du 20 juillet 1967 relatif à l’occupation de travailleurs de nationalité étrangère en faisant passer les peines d’emprisonnement d’une fourchette d’un mois à un an alors qu’elle était auparavant de huit jours à un mois, ce qui permet au magistrat de prononcer une détention préventive s’il le juge utile. Les amendes pénales, pour leur part, peuvent atteindre jusqu’à 30 000 FB alors qu’auparavant le maximum était de 2 000 FB. Par ailleurs, il est prévu que les amendes pénales ne peuvent en aucun cas être inférieures aux amendes administratives. Ces dernières sont portées à des montants compris entre 150 000 et 500 000 FB en cas d’occupation de MOE séjournant illégalement sur le territoire, entre 15 000 et 100 000 FB en cas d’occupation d’étrangers sans permis de travail.

  • 33 Ibid., 22.
  • 34  Idem.
  • 35  Inspecteur social du Contrôle des Lois sociales.

35Comme nous le voyons, cette loi inaugure un processus de pénalisation de la MOE qui ne fait que se renforcer au cours des années suivantes. Précisons encore qu’un amendement est déposé par deux parlementaires à l’origine de la proposition de loi. Il prévoit « que les mêmes peines ou amendes soient infligées à la personne qui aura acheté à l’employeur des marchandises ou des services dont elle savait ou elle était censée savoir que la fabrication (…) avait impliqué le recours à des travailleurs illégaux. (…) L’auteur de l’amendement veut éviter que la loi ne soit contournée en recourant à la sous-traitance »33. Cet amendement rencontre de vives oppositions, surtout de la famille libérale qui estime qu’il « est très difficile pour un entrepreneur principal de vérifier si ses sous-traitants utilisent de la main-d’œuvre clandestine »34. Il est retiré. Un des inspecteurs sociaux nous confirme d’ailleurs que la responsabilité solidaire, la FEB n’en veut pas35. Pourtant, les pratiques sociales de sous-traitance qui se sont développées depuis attestent du bien-fondé de cette réflexion. Comme le souligne Alaluf, dans des situations de sous-traitance en cascade, l’employeur, parfois lui-même dans une situation précaire [voire aussi en situation irrégulière comme nous l’avons rencontré dans certains dossiers de l’auditorat], se trouve en position de dépendance par rapport au donneur d’ordre et contraint de se plier à ses exigences (2009, 235).

  • 36  Avec des décimes additionnels qui multiplient le montant par 5,5.

36L’arrêté royal n° 34 du 20 juillet 1967 « relatif à l’occupation de travailleurs de nationalité étrangère » est remplacé par la loi du 30 avril 1999 « relative à l’occupation des travailleurs étrangers » qui prévoit, en son article 12, des amendes pénales entre 6 000 et 30 000 € pour l’occupation de MOE sans titre de séjour valable et par travailleur occupé ; de 1700 à 6 000 € pour des travailleurs étrangers sans permis de travail36. En ce qui concerne les amendes administratives, elles vont de 3 750 € à 12 500 € pour la première catégorie, par travailleur occupé, sans qu’il n’y ait de maximum prévu, et de 375 € à 2 500 € par travailleur occupé pour la deuxième catégorie, avec un plafond de 100 000 €. De plus, dans la circulaire du Collège des procureurs généraux concernant la politique criminelle des auditeurs du travail, il est stipulé que ce type d’infractions, s’il y a au minimum trois travailleurs illégaux concernés, doit être poursuivi et que si une transaction est proposée en cas de régularisation de la situation et d’indemnisation des victimes, celle-ci ne peut être inférieure à 3 000 € par travailleur concerné.

  • 37  Ce chiffre doit être multiplié par 5,5 donnant ainsi la somme coquette de 165 000 € par travailleu (...)

37Bref, en trente ans, les amendes, qu’elles soient pénales ou administratives, ont été multipliées par 120 environ, passant d’un maximum de 250 € par travailleur constaté à un maximum de 30 000 €37. C’est indéniablement l’infraction sociale qui a subi l’inflation la plus élevée et en ce sens, elle peut être considérée comme la plus « grave ». Reprenons les différentes logiques à l’œuvre qui sont pointées par le gouvernement et les acteurs censés protéger « l’ordre social » comme justifiant la « chasse » aux travailleurs illégaux et regardons en quoi elles peuvent être jugées comme pertinentes.

38Tout d’abord, dans une visée purement instrumentale, l’intensification de la lutte contre le travail illégal et la fraude sociale a pour objectif de renflouer les caisses de l’État. Puisque l’infraction « MOE » est celle qui rapporte en théorie le plus d’argent, il semblerait pertinent que tous les acteurs du système se focalisent sur ce contentieux particulier. S’il s’agit de relever que ce sont bien les employeurs et non les travailleurs qui sont sanctionnés, ces derniers sont également pénalisés puisque bien souvent expulsés. En ce sens, on pourrait se demander quelle est la pertinence de cibler le contentieux de la MOE quand on dit vouloir protéger les intérêts des travailleurs. Si l’on se penche maintenant sur les employeurs, on constate que, loin d’être des entreprises ayant pignon sur rue, ils sont eux-mêmes souvent issus de l’immigration et parfois même en situation irrégulière. Dans la plupart des cas, nous avons affaire soit à de petits commerces (nightshop, phoneshop, snack, boulangerie…), soit à de grands chantiers de construction mais où l’entreprise poursuivie se situe tout en bas de la pyramide de sous-traitance et est souvent une entreprise « bricolée » de toute pièce. Comme le signale un auditeur, j’ai l’impression de travailler sur des petites choses, des petits commerces, des petits chantiers. Dans un des dossiers consultés à l’auditorat concernant une entreprise de transport qui engageait des chauffeurs illégaux, nous pouvons lire dans le jugement que celui-ci tient compte des conditions difficiles dans lesquelles il exerce son métier puisqu’il est gérant mais également chauffeur pour cette société, laquelle dépend de grosses sociétés qui lui imposent des conditions notamment économiques drastiques. La toute grande majorité des entreprises se déclarent en faillite et les sommes d’argent ne sont donc que rarement perçues. Dans les rares dossiers où une transaction ou une régularisation intervient tout de même, il n’est pas rare de lire des déclarations semblables à celle-ci : je suis d’accord de rembourser l’indu mais à mon rythme car j’ai une épouse et des enfants à charge. Alors que l’association travail irrégulier et immigration est fréquente dans les discours quotidiens et dans ceux médiatiques et politiques, Krzeslo souligne que la première source de fraude sociale est le travail au noir des nationaux ayant un emploi déclaré, ensuite viennent les allocataires sociaux et enfin les étrangers (2007, 254). On peut donc affirmer, sans crainte de se tromper, que l’objectif pragmatique est loin d’être rempli et que la visée de cette approche pourrait relever plus d’une lutte politique et symbolique que budgétaire.

  • 38  Contrôleur social, SPF sécurité sociale.
  • 39  Ibid.

39Ensuite, on a mis en avant que les acteurs judiciaires et administratifs ont intensifié leur collaboration (formelle et informelle) ces dernières années. En ce qui concerne la MOE, cette collaboration n’est pas seulement utile mais aussi nécessaire. En effet, quand les inspecteurs sociaux « tombent » sur des travailleurs illégaux, ils sont obligés de faire appel aux forces de l’ordre pour que ces derniers puissent « constater » l’illégalité : Pour les illégaux, c’est elle [la police] qui procède à l’interpellation, à l’arrestation administrative et qui va gérer l’incarcération entre guillemets ; c’est elle qui gère le suivi38. Il est donc plus judicieux de faire appel aux forces de l’ordre dès que l’on soupçonne la présence de travailleurs illégaux sur un lieu de travail et d’organiser une descente commune, ce qui, à Bruxelles, semble le cas dans 95% des contrôles. Comme le souligne un contrôleur, de l’occupation illégale de main-d’œuvre étrangère, quasiment dans chaque contrôle on a un cas, on arrive même à se dire que quand on fait un contrôle spontané quelque part, en tous cas, dans certains secteurs, et qu’on ne découvre pas un illégal c’est qu’on est passé à côté39. En effet, lorsque nous avons eu l’occasion de suivre des inspecteurs sociaux dans leur travail, il a bien fallu nous rendre à l’évidence que leur fond de commerce était constitué de « MOE ». Lors d’une descente organisée sur de gros chantiers de construction, un contrôleur estimait que ne trouver que 7% d’illégaux sur le chantier allait faire baisser sa moyenne [10%], tandis qu’un autre s’exclamait bingo en tombant sur deux travailleurs illégaux dans un petit commerce de détail.

40Enfin, en se penchant sur la lutte contre la traite des êtres humains, une toute autre considération apparaît. Au nom de la dignité humaine, il s’agit de poursuivre sévèrement les réseaux de traite. Le travailleur exploité est ici désigné comme victime et peut, à terme, prétendre à un titre de séjour définitif, justement parce qu’il a été reconnu victime de TEH. Nous avons montré qu’il y avait un lien tout à fait manifeste entre le contentieux de TEH et celui de MOE. Les différents discours qui visent à renforcer la répression en matière de MOE s’appuient sur une rhétorique mobilisant le statut de « victime » pour le travailleur et font explicitement référence au phénomène de TEH. De plus, pour atteindre les réseaux de traite, les instances ciblent les secteurs réputés recourir de manière privilégiée à la main-d’œuvre étrangère illégale : en effet, derrière la MOE, on soupçonne toujours des filières d’exploitation et des cas de TEH. Il est pourtant intéressant de relever que, si l’auditorat du travail avait reçu, en 2006, 906 dossiers MOE, seul 33 d’entre eux concernaient la TEH et rien ne prouve que ceux-ci aient été réellement poursuivis comme dossiers TEH. Plusieurs acteurs de terrain soulèvent que ce n’est pas parce que l’on n’enclenche pas une procédure longue et fastidieuse de TEH, que l’on n’a pas, selon leur sentiment, affaire à des réseaux de traite. L’infraction MOE est nettement plus rapide et plus facile à constater – il suffit de surprendre des personnes en séjour irrégulier sur un lieu de travail – et les amendes sont tellement élevées qu’elles paraissent, aux yeux des acteurs concernés, une manière légitime de lutter contre la traite. Deux remarques s’imposent cependant. Premièrement, pour les acteurs engagés dans la lutte contre la TEH, il ne fait aucun doute que ce phénomène ne concerne que des étrangers alors que rien n’exclut que des nationaux puissent également être victimes d’exploitation économique éhontée. Deuxièmement, en procédant par l’intermédiaire du contentieux MOE, on prive les travailleurs « victimes d’exploitation » de la possibilité d’entamer une procédure de régularisation de leur situation irrégulière. On pourrait alors se demander si cette politique ne s’inscrit pas aussi dans le processus plus large mis en avant par Carlier (1998) qui vise à réduire le plus possible le nombre de demandeurs d’asile.

4. Régulation du marché de l’emploi dans un contexte de libéralisation accrue : une mission dévolue aux personnes chargées de faire respecter les acquis sociaux ?

41Peut-être peut-on chercher une justification de la pénalisation accrue du contentieux de la MOE dans la sphère de la régulation du marché de l’emploi. Non pas tant dans le but de préserver les acquis sociaux, mais dans le but de permettre une dérégulation accrue de celui-ci. Les inspections sociales auraient alors à remplir une tâche paradoxale : au nom de la préservation des acquis sociaux, leur travail consisterait en réalité à les défaire… involontairement. Plus précisément encore, tout se passe comme si la préservation des droits sociaux s’accompagne d’abord, d’une restriction de ceux qui peuvent légitimement y prétendre (les irréguliers) et ensuite, d’une mise sous pression de ceux qui en bénéficient (les travailleurs réguliers). Ceci étant, les nouvelles pratiques que nous avons présentées en privilégiant les travailleurs étrangers sur les travailleurs nationaux tendent à plaider pour l’introduction d’une logique de « nationalité » (ou de régularité de résidence) là où subsistait avant une logique de statut : travailleurs réguliers versus travailleurs irréguliers, quelle que soit la nationalité de ceux-ci. L’insistance mise sur la MOE dans les pratiques de contrôle des inspections sociales peut être rapprochée des récentes orientations de la politique migratoire fondées à la fois sur la dérégulation de l’accès au marché de travail et la politique de sécurisation des frontières. Partant de cette lecture, il est aussi possible de voir dans les nouvelles orientations du travail des inspections sociales une exemplification de la nature paradoxale de la politique migratoire telle que formulée par Hollifield (1997).

42Justifiée par un nécessaire accroissement de la compétitivité dans certains secteurs, en particulier ceux à haute intensité de main-d’œuvre, une logique libérale de l’action publique nationale et européenne organise la fluidité des emplois privilégiant par exemple l’immigration temporaire ou circulaire à celle d’installation. Elle se fonde sur des textes qui dérégulent le droit du travail et les nouvelles règles commerciales (recours fréquent au travail intérimaire, à la sous-traitance, à la libéralisation des services). L’impact sur la migration est d’autant plus grand que, tout en étant légales, ces dispositions conduisent des employeurs à embaucher aussi des travailleurs irréguliers. Cette logique libérale de la politique migratoire n’est qu’un avatar de celle régissant tout le marché du travail européen. Elle se double d’une logique conservatrice en matière de contrôle des frontières et des migrations. La logique conservatrice se traduit non seulement par des politiques de restriction des droits des étrangers (modes d’acquisition des permis de travail, conditions d’accès aux droits de séjour, conditions pour le regroupement familial, accès aux droits sociaux, exercice du droit d’asile, etc.), mais aussi par des discours publics criminalisant l’immigration et associant l’insécurité intérieure à l’immigration clandestine (Bigo, Guild, 2003 ; Huysmans, 2006). Une telle logique mobilise d’autres acteurs que les partenaires sociaux : l’État et ses institutions d’une part, les citoyens-électeurs d’autre part. Elle mobilise une rhétorique réactionnaire (Hirschman, 1991) de la mise en péril de l’État et de la société, très présente lors des campagnes électorales, qui seraient mis en danger par les travailleurs immigrés associés à une menace, voire d’une mise en péril de l’État-social, ce qui explique le développement d’un welfare chauvinism ou d’un racisme de gauche (Huysmans, 2000).

43Cette action paradoxale de la politique migratoire contemporaine permettrait de comprendre la nouvelle priorité des inspections sociales : poursuivre l’irrégularité de la MOE. Cette réorientation s’apparente à une internalisation dans la sphère de la gestion des relations professionnelles de la logique conservatrice de la politique migratoire, fondée sur la « chasse à l’étranger ». Il s’agit moins de tendre à préserver les droits sociaux que de réprimer les travailleurs qui contreviennent aux législations sur le travail et la protection sociale, et tout particulièrement les « sans-papiers » qui pourtant ne représentent qu’une faible proportion de la fraude sociale. Cette orientation contrevient au sens originel du travail des inspections sociales qui avaient à rétablir le déséquilibre dans le rapport inégalitaire entre travailleur et employeurs.

44Ce traitement différencié est aussi le fruit d’une évolution historique, liée à la nature même du travail immigré. L’histoire de la gestion différenciée de la main-d’œuvre étrangère en Belgique débute avec la suppression du livret ouvrier à la fin du XIXe siècle. Avant cela, le livret permettait la traçabilité de l’ouvrier, qu’il soit belge ou étranger. Par ailleurs, la question de la nationalité ou de la citoyenneté n’avait de toute façon qu’une importance toute relative pour le monde ouvrier dépourvu du droit de vote jusqu’à la fin du XIXe siècle. Avec l’intégration de classe ouvrière belge dans le processus de constitution étatique et de formation de l’État social durant la première partie du XXe siècle, la séparation entre nationaux et étrangers dans l’accès aux droits sociaux est consommée (Caestecker, 2000). L’acquisition de droits sociaux par les ouvriers nationaux s’est accompagnée d’une relégation des travailleurs étrangers de la sphère de ces droits, en faisant de la nationalité la frontière de l’accès à certains de ces droits. L’égalité complète des droits liés au travail et à la protection sociale supposera des luttes importantes durant les années 1960.

45Durant la période de l’immigration ordonnée (1946-1974) (Rea, 2006), les études relatives à la gestion de la main-d’œuvre étrangère (Melnyk, 1951 ; Martens, 1976 ; Piaser, 1992) en Belgique montrent comment cette main-d’œuvre a rempli une fonction conjoncturelle sur le marché de l’emploi dans la mesure où elle constitue une main-d’œuvre d’appoint, même en période de chômage élevé. Recourir à cette main-d’œuvre permet en effet de ne pas céder à des revendications de hausses salariales, de renoncer à des investissements (entre autres en matière de sécurité), de ne pas moderniser l’outil industriel. Trois acteurs prennent part à la définition de la politique d’immigration : l’État, les employeurs (qui veulent recourir systématiquement à l’immigration) et les syndicats (qui s’y opposent), même si l’État apparaît comme un acteur prépondérant (Martens, 1976, 178). Toutefois, la force syndicale durant cette période conduit à réduire les inégalités entre travailleurs sur la base de leur nationalité. Au cours de cette période de forte demande de main-d’œuvre étrangère, les travailleurs irréguliers viennent rapidement régularisés, intégrant l’ordre du rapport salarial fordiste.

46Depuis 1991, un nouveau cycle migratoire, débridé, reprend en Belgique. La mondialisation conduit plus que jamais à faire appel à l’immigration pour les « 3D Jobs » (Dirty, Demanding, Dangerous) (Castles, 2002). Cependant, l’occupation de la main-d’œuvre étrangère a connu un déplacement sectoriel, notamment de l’industrie vers les services, accompagné par une féminisation relative de la migration de travail. L’agriculture, la construction, l’hôtellerie-restauration, la confection et les services domestiques présentent une prédilection pour les travailleurs immigrés. Le maintien des nouveaux venus dans un statut de séjour irrégulier ou précaire et dans l’irrégularité quant au statut de travail et à la protection sociale est devenu une composante de la nouvelle politique migratoire, malgré les volontés affichées d’instaurer de nouvelles régulations. Contrairement à la figure fordiste du Gastarbeiter, il ne s’agit plus de les maintenir dans une position intégrée socialement bien qu’infériorisée. Des travailleurs immigrés peuvent dorénavant vivre à l’intérieur des frontières de l’État tout en étant maintenus en marge des institutions juridiques et sociales. La clandestinité peut devenir un statut social durable (Adam et al., 2002). Au cours des dernières années, on a assisté en Belgique à une généralisation des trois éléments qui caractérisent le « modèle méditerranéen » de l’immigration (Pugliese, 2002) : tertiarisation, flexibilité et travail informel.

47Avec ce nouveau cycle migratoire, nous assistons à un double mouvement dans la politique d’immigration : un mouvement qui vise à reconnaître comme des sujets de droit les étrangers légalement installés sur le territoire en favorisant des politiques d’intégration et en luttant contre les discriminations dont ils font l’objet. Un autre mouvement vise à rendre l’entrée dans le pays de plus en plus difficile en restreignant les politiques de regroupement familial, les politiques d’accueil des étudiants étrangers, les politiques en matière d’asile (Rea, 2007), etc. Ce second mouvement a donné naissance à une nouvelle figure de l’étranger : le clandestin ou le sans-papiers. S’il y a toujours eu des étrangers « clandestins », c’est-à-dire des personnes entrant sur le territoire de manière irrégulière, auparavant ils régularisaient rapidement leur situation sur place.

48Aujourd’hui par contre, des immigrés, qualifiés dorénavant de clandestins, peuvent vivre à l’intérieur des frontières des États européens tout en étant maintenus aux frontières des institutions de l’État de droit et de l’État social, et ce parfois pendant de nombreuses années. En ce sens, on peut soutenir que les États européens, en mettant en œuvre un ensemble de politiques restrictives, fabriquent eux-mêmes des sans-papiers dont ils ont par ailleurs besoin pour faire fonctionner certains segments de secteurs économiques (Rea, 2002). Plusieurs recherches (Brun, Laacher, 2001 ; Brun, 2002 ; Adam et al., 2002) mettent en effet en évidence que l’occupation structurelle de la main-d’œuvre irrégulière relève de ce que Terray (1999) a dénommé la « délocalisation sur place », les conditions de production s’approchant de celles de la délocalisation dans un pays du sud. À la segmentation du marché du travail – les 3D Jobs étant réservés aux immigrés – s’ajoute actuellement la segmentation des statuts d’occupation (Supiot, 2007) pour un même type de travail et sur un même chantier. Il n’est en effet pas rare de trouver sur un même chantier des nationaux engagés sous différents statuts (contrats à durée indéterminée, statut intérim, indépendant…), des immigrés résidant légalement sur le territoire, engagés sous des statuts différents et des travailleurs sans-papiers. Ce morcellement résulte, d’une part, de la multiplication des régimes de contrat de travail et, d’autre part, de l’émiettement des activités entrepreneuriales, notamment en raison du recours à la sous-traitance ou au détachement de personnel (Jounin, 2008). L’engagement de clandestins peut d’ailleurs être perçu, au contraire de ce que soutient souvent le gouvernement, comme un facteur favorisant l’emploi légal de nationaux ou d’étrangers réguliers (Alaluf, 2001) dans certains secteurs : c’est parce qu’ils emploient une main-d’œuvre irrégulière bon marché que certains employeurs peuvent se permettre de déclarer une partie de leur personnel tout en restant compétitifs.

49On pourrait cependant se demander, en épousant une lecture plus cynique, si, loin d’être paradoxales, ces deux politiques ne sont pas en réalité complémentaires. On réduit l’accès aux droits sociaux en interdisant l’accès au séjour et on réduit la prétention à vouloir un droit de séjour en ne permettant pas l’accès aux droits sociaux. En maintenant le clandestin dans une position infériorisée (sans droits civils, sociaux et politiques), en le pointant comme source de nombreux problèmes sociaux (délinquance, insécurité, responsable de la détérioration des conditions de travail, du déséquilibre dans les mécanismes de saine concurrence…), en faisant en sorte qu’il soit un exclu de l’intérieur (Rea, 2002), ne permettrait-on pas justement à la politique néolibérale de se déployer pleinement ? Cette politique néolibérale s’accommode, selon nous, très bien de la présence de clandestins dont l’existence est justement conditionnée par la politique conservatrice en matière de fermeture des frontières.

50Si la police fait la « chasse » aux clandestins, elle est aujourd’hui accompagnée dans cette mission par les inspections sociales qui, elles, font la chasse aux employeurs utilisant de la main-d’œuvre clandestine. Pour les travailleurs cependant, l’intervention de l’une ou des autres aboutit au même résultat : au pire l’expulsion ou la détention en centre fermé, au mieux un ordre de quitter le territoire. Par ces actions, la précarité du statut de clandestin n’en est que renforcée. Du côté des employeurs, cette politique pourrait avoir un sens à partir du moment où elle s’adresse à des employeurs ayant un statut socio-économique relativement élevé, c’est-à-dire ayant assez à perdre pour que les amendes dont ils font l’objet aient un effet dissuasif. En effet, dans certains dossiers consultés à l’auditorat du travail, les amendes prononcées étaient extrêmement élevées et pouvaient parfois atteindre des sommes de plus de 50 000 €. Mais dans la très grande majorité des situations rencontrées, ces montants n’ont vraisemblablement jamais été payés parce que, que l’on ait affaire à des patrons de petits commerces ou à des directeurs de petites entreprises de sous-traitance se situant en bas de la pyramide, leur position sociale est parfois à peine plus enviable que celle des sans-papiers. Ces « employeurs » disparaissent pour la plupart : personne n’arrive à retrouver leur trace car ils ne répondent ni aux convocations des inspecteurs, ni à celles de la police, ne se présentent pas au jugement et/ou se déclarent en faillite puis créent quelques mois plus tard une nouvelle entreprise sous un autre nom (souvent celui d’un membre de la famille) qui engage à son tour des travailleurs clandestins. Ou, plus rarement, ils retournent dans leur pays avec, parfois, un bas de laine conséquent. Ils incarnent alors l’image idéale-typique de l’étranger qui a réussi en terre promise et alimentent par là même les filières clandestines.

51En ce sens, les interventions du système qui visent à sauvegarder les acquis sociaux, les inspections sociales et l’auditorat du travail, pourraient sembler aberrantes. En quoi, comme ils le soutiennent, protègent-ils le droit des travailleurs ou agissent-ils pour la sauvegarde de la sécurité sociale ? Comme nous l’avons vu, les inspecteurs sociaux se déclinent aujourd’hui sous deux identités différentes. La première continue à assumer pleinement son rôle de régulateur de la vie entrepreneuriale : elle joue un rôle de conciliation dans les conflits qui peuvent apparaître entre le capital et le travail mais en les individualisant (Ponsaers, De Cuyper, 1981). La deuxième, plus récente, s’identifie plus nettement à un rôle répressif : elle organise des interventions avec les forces de police et dresse des procès-verbaux qu’elle envoie pour traitement à la justice. Elle répond ainsi à la politique gouvernementale qui veut faire de la lutte contre la fraude sociale une priorité mais qui pointe également un contentieux précis comme particulièrement « grave » en termes de fraude sociale : l’occupation de la main-d’œuvre étrangère clandestine. Ce faisant, elle participerait pourtant tout autant, même si c’est par des moyens plus coercitifs, au maintien de la vie entrepreneuriale. En ce sens, on pourrait soutenir – en maniant une perspective de criminologie critique et en accord avec ce que Ponsaers et De Cuyper démontraient il y a presque trente ans – que les services d’inspection sociale sont des appareils idéologiques qui visent à reproduire les rapports de production (1981, 362-366). Ils soutiendraient par leurs actions concrètes le nouvel esprit du capitalisme (Boltanski, Chiapello, 1999), un capitalisme déréglementé, dérégulé, débridé, voire « sauvage » (Nagels, 1991) qui a besoin d’une main-d’œuvre flexible et malléable à merci, les clandestins, pour pouvoir s’épanouir pleinement dans les secteurs économiques non délocalisables (Terray, 1999).

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Notes

1  C’est-à-dire le parquet en matière sociale. Les auditeurs du travail sont des membres du parquet compétents pour les matières sociales. Cette institution a été créée en même temps que les juridictions du travail par le Code judiciaire, entré en vigueur le 1er novembre 1970. Les auditeurs ont une mission « civile » de conseiller auprès du juge du tribunal du travail (civil) et une compétence pénale où ils décident de l’opportunité des poursuites en cas d’infractions à la législation sociale.

2  Cinquante dossiers pénaux clôturés ont été analysés en profondeur entre janvier et septembre 2008. Ils ont été sélectionnés par les auditeurs eux-mêmes. Tant des dossiers « typiques » qu’« atypiques » ont été demandés. Ces dossiers font entre 50 pages et 3 000 pages, la majorité d’entre eux devant contenir une bonne centaine de pages. Par ailleurs, sept entretiens ont été menés en octobre 2008 avec les auditeurs francophones ayant un cabinet pénal important. Ceux-ci ont entre 3 et 23 ans d’expérience à l’auditorat, et entre quelques mois et 20 ans d’expérience dans les affaires de droit pénal social. La grille d’entretien visait à les faire parler de leur travail d’auditeur, de leur conception de la fraude sociale et de la manière dont ils la traitaient mais visait aussi à les confronter aux premières réflexions issues de l’analyse des dossiers. Enfin, quatre audiences ont été suivies entre janvier et septembre 2008 tant au tribunal de police qu’à la chambre correctionnelle spécialisée en matière sociale.

3  Actuellement, sept entretiens ont été menés au printemps 2009 avec des inspecteurs sociaux issus de trois inspections sociales : l’office national de sécurité sociale (ONSS), le Contrôle des Lois sociales du service public fédéral (SPF) emploi, travail et concertation sociale et l’inspection sociale du SPF sécurité sociale. Enfin, nous avons pu observer le travail quotidien des inspecteurs du SPF sécurité sociale à deux reprises en suivant deux cellules différentes entre avril et juillet 2009.

4  Nous utiliserons les termes « droit social » et « droit du travail » comme étant interchangeables, même si nous sommes conscients que ces deux branches du droit, bien qu’apparentées dans nos États sociaux continentaux, se réfèrent à des droits différents - le premier consacrant le système de sécurité sociale et le second protégeant le droit des travailleurs.

5  Dans la loi du 14 juin 1921 instituant la journée de huit heures et la semaine de 48 heures.

6  Inspecteur social de l’ONSS.

7  Contrôleur social du Contrôle des Lois Sociales.

8  Contrôleuse du Contrôle des Lois Sociales.

9  Contrôleur social du SPF sécurité sociale.

10  Ibid.

11  Par exemple, une fiche de paye est en général vendue plus ou moins 300 €. Il en faut au moins trois pour pouvoir bénéficier d’un C4 (document qui témoigne de la rupture du contrat par l’employeur) qui est évidemment aussi payant.

12  Si la personne se présente à la commune avec un bail et une (fausse) attestation patronale d’un employeur qui démontre qu’elle a de bonnes chances de se faire engager et qu’elle ne sera pas à la charge de la collectivité une fois régularisée, elle a plus de chances de voir son dossier accepté par l’Office des étrangers.

13  Inspecteur social de l’ONSS.

14  Contrôleur social, SPF sécurité sociale.

15  En Belgique, il y a moyen d’inscrire des personnes pourtant irrégulières sur le territoire dans un contrat de travail régulier.

16  Inspecteur social de l’ONSS.

17  Devoir d’enquête ou d’information demandé par l’auditorat.

18  Inspecteur social, ONSS.

19  Contrôleur social, SPF sécurité sociale.

20  La loi du 13 avril 1995 « contenant des dispositions en vue de la répression de la traite des êtres humains et de la pornographie enfantine ».

21  Circulaire du 7 juillet 1994 concernant la délivrance de titres de séjour et des autorisations d’occupation (permis de travail) à des étrangers(ères) ; Directives du 13 janvier 1997 à l’Office des étrangers, aux parquets, aux services de police, aux services de l’inspection des lois sociales et de l’inspection sociale relatives à l’assistance aux victimes de la traite des êtres humains. Ce cadre réglementaire est remplacé par la Circulaire du 26 septembre 2008 relative à la mise en œuvre d’une coopération multidisciplinaire concernant les victimes de la traite des êtres humains.

22  Protocole de Palerme sur la TEH et le trafic de migrants (2000) ; les décisions-cadres européennes sur la TEH (2002/629/JAI du 19/07/02) et l’aide à l’immigration illégale (2002/946/JAI du 28/11/02) ; Convention du Conseil de l’Europe (16/05/05).

23  Contrôleur social, SPF sécurité sociale.

24  Rapport fait au nom de la commission de l’emploi, du travail et de la prévoyance sociale par M. Gillet, Pasinomie, 1976, tome I, 1838.

25  Il s’agit bien sûr d’ajouter les décimes additionnels qui multiplient les amendes par 20.

26  Ces montants passent de 15 000 FB à 75 000 FB, suite à l’adoption de la loi-programme du 2 juillet 1981.

27  Rapport de la Commission des Affaires sociales, Proposition de loi imposant des sanctions administratives aux employeurs occupant des étrangers en séjour illégal en Belgique, doc. parl., s.o. 1992-1993, 29 janvier 1993, n° 458/6-92/93, 4.

28  Multipliées par le nombre de travailleurs concernés. De surcroît, en cas d’occupation de main-d’œuvre étrangère, aucun plafond n’est prévu comme pour les autres infractions sociales.

29 Ibid., 3

30 Ibid., 5.

31 Ibid., 8.

32 Ibid., 10.

33 Ibid., 22.

34  Idem.

35  Inspecteur social du Contrôle des Lois sociales.

36  Avec des décimes additionnels qui multiplient le montant par 5,5.

37  Ce chiffre doit être multiplié par 5,5 donnant ainsi la somme coquette de 165 000 € par travailleur.

38  Contrôleur social, SPF sécurité sociale.

39  Ibid.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Carla Nagels et Andrea Rea, « De la criminalisation des travailleurs sans-papiers », Champ pénal/Penal field [En ligne], Vol. VII | 2010, mis en ligne le 24 septembre 2010, consulté le 27 février 2014. URL : http://champpenal.revues.org/7865 ; DOI : 10.4000/champpenal.7865

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Auteurs

Carla Nagels

Professeur de criminologie, Centre de recherches criminologiques, Université Libre de Bruxelles.

Articles du même auteur

Andrea Rea

Professeur de sociologie, Directeur du Groupe d’étude sur l’Ethnicité, le Racisme, les Migrations et l’Exclusion (GERME), Université Libre de Bruxelles.

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Droits d’auteur

© Champ pénal

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