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Stratégies méritocratiques et motivation au travail dans la fonction publique
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Stratégies méritocratiques et motivation au travail dans la fonction publique

Michel Amiel
p. 43-56

Résumé

Les efforts de modernisation des administrations publiques passent par une réforme en profondeur des modes de fonctionnement. L’importance de la fonction de gestion des ressources humaines est déterminante dans le succès des opérations de changement. La mobilisation des énergies au bénéfice d’un but commun reste un souci essentiel des dirigeants. L’encouragement et la valorisation de comportements méritants est au cœur des réflexions. Des stratégies méritocratiques diverses sont envisagées. Elles ne peuvent cependant être développées en dehors des aspects liés à la motivation au travail. La théorie de Vroom peut servir de fil conducteur à cette réflexion et éviter que des stratégies bureaucratiques, impersonnelles et soutenues par un paradigme de linéarité ne prennent le pas sur celles qui mettent l’individu au centre du débat en tenant compte de ses besoins, de ses aspirations et de ses valeurs.

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Texte intégral

1. Introduction

1L’évolution globale de la société modifie en permanence les attentes des populations par rapport aux activités des administrations publiques. De très nombreuses actions de réformes sont en cours dans nombre de pays répartis sur quatre continents. L’universalité de cette dimension entraîne de nombreuses réflexions et beaucoup d’échanges, telles qu’en témoignent aujourd’hui les diverses publications sur le sujet.

2Dans ce contexte de changement en profondeur, apparaît rapidement la nécessité de mettre en perspective les objectifs souhaités et souhaitables avec les moyens dont la mise en œuvre sera requise pour permettre l’atteinte des objectifs. L’importance des ressources humaines est, à cet égard, déterminante. En effet, si nous nous plaçons du point de vue des écoles de la contingence organisationnelle, l’influence des facteurs d’environnement va être déterminante sur l’évolution des stratégies, des objectifs, des structures des organisations. Mais il ne faut pas oublier, en outre, que la capacité d’une organisation à intégrer avec efficacité les changements nécessaires, insufflés par l’environnement, dépend en très grande partie des réactions des personnes qui la composent ; qu’il s’agisse du centre opérationnel ou du pôle stratégique.

3La question revient donc toujours, avec un côté lancinant : « comment les motiver ? », « quelle stratégie utiliser pour obtenir de la performance ? ».

4Ces questions, et toutes celles qui peuvent en être diverses déclinaisons, nous amènent à orienter une réflexion sur deux éléments essentiels du management des organisations : le mérite et sa reconnaissance, d’une part, et la motivation au travail, d’autre part. ; le tout assorti d’une réflexion sur la relation possible entre ces deux éléments.

5Cette réflexion nous allons l’opérer non en des termes d’académicien ou de chercheur, mais en partant d’une expérience professionnelle de 25 années au sein de la fonction publique, dont 15 furent consacrées à la gestion des ressources humaines, et de 10 années d’enseignement, de formation et de partage avec des étudiants issus de la fonction publique en Belgique.

2. La notion de mérite

6Si l’on s’interroge sur les stratégies méritocratiques qu’il conviendrait de mettre en place pour maintenir plus de motivation au travail dans le contexte actuel de réforme des administrations, il convient de mieux cerner la notion de mérite.

7Le mérite renvoie principalement à deux autres notions susceptibles d’en être sa représentation.

8Le mérite peut se concevoir, d’abord, par rapport à un « service rendu » ou à une prestation effectuée. Nous sommes alors dans un couple de forme « contribution-rétribution ». Nous y associons diverses expressions telles que « que mérite-t-il pour cette action ? » ou encore « quelle cote mérite-t-il ? », si nous faisons référence à un système d’évaluation. Nous sommes ici dans la reconnaissance d’une production en termes de qualité ou de quantité, dont le salaire au rendement ou au mérite fait partie intégrante. Cette première forme de mérite fait référence à des normes, à ce qui est normalement attendu. Et le mérite d’un individu pourra, dans ce cas, être perçu positivement, mais aussi négativement sur une échelle réelle ou symbolique où la médiane représentera ce qui est normalement attendu, ce qui signifiera que l’individu n’est ni méritant, ni déméritant.

9Le mérite peut, par ailleurs, être considéré sur le plan de la valeur intrinsèque d’une action, d’un comportement, d’une performance. Nous y associons des expressions telle que « il (elle) a du mérite ! ». La perception de ce mérite tient alors beaucoup plus compte de paramètres individuels. Il s’agit moins d’être performant par rapport à une norme collective que de franchir un seuil de performance propre à la personne, à ses aptitudes et capacités.

3. Mérite et bureaucratie

10Toutes les administrations publiques fonctionnent sur un mode bureaucratique où les règles impersonnelles sont la référence, où les normes et les standards sont accompagnés de procédures plus ou moins complexes, plus ou moins formelles. L’évaluation des ressources humaines en fait partie, nous reviendrons sur ce point en particulier.

11Dans de tels systèmes, l’individualisation n’est pas de mise. La fonction publique s’organise autour de règles où la fonction est plus importante que son titulaire. Le système a ses limites et c’est ainsi que nous voyons un peu partout fleurir des règles particulières destinées à régler des cas particuliers. Ou encore il s’agit de développer des stratégies d’ajustement consistant à contourner les règles par trop anonymes.

12Un des moyens de pouvoir reconnaître des mérites particuliers, en dehors des statuts contraignants, passe par le détournement de certains avantages pécuniaires. Les règlements relatifs à l’octroi de certaines allocations ou indemnités sont alors utilisés à des fins diverses, loin de leur logique initiale.

13A cet égard, une étude vient d’être récemment menée sur la fonction publique de l’État en France et plus particulièrement sur les rémunérations de certains personnels dans cinq ministères : Économie et Finances, Intérieur, Justice, Équipement et Agriculture.

14Il est mentionné que les règles relatives aux rémunérations accessoires sont, de longue date, largement et fréquemment transgressées.

15« Ont été relevés, dans plusieurs ministères, des exemples d’indemnités instituées non par décret mais avec l’accord du ministre chargé du budget par de simples arrêtés ou décisions ministérielles et, dans le cas du ministère de l’économie et des finances par décision du seul ministre, voire, par délégation, d’un directeur. … Irrégulières, ces pratiques confèrent au système indemnitaire une opacité qui constitue l’une de ses caractéristiques ».

16Dans ce système, il faut tenir compte du fait que la modulation des indemnités en fonction de la manière de servir a été supprimée après 1989 (période de conflit social pour la fonction publique française).

17Le rapport précité expose que « pour soutenir la quasi-suppression de la modulation, le ministère fait valoir le caractère trop souvent arbitraire de celle-ci et le fait que les promotions permettent de récompenser les services rendus de manière plus transparente. Cette présentation apparaît exagérément optimiste en raison du poids de l’ancienneté dans le processus de promotion. »

18Il remarque que le caractère composite des systèmes de rémunérations rend difficile la formulation d’une appréciation sur leur cohérence avec l’évolution des missions et des objectifs prioritaires des administrations concernées. Il souligne qu’un inconvénient majeur « porte sur l’absence de lisibilité, y compris pour les bénéficiaires, des systèmes de rémunérations accessoires. Ceux-ci, pour être efficaces en termes de gestion des ressources humaines, doivent être compréhensibles quant à leurs modalités, mais aussi quant à leurs objectifs. … Le foisonnement d’indemnités et d’avantages de toute nature répondant à des logiques contradictoires, le détournement de leur objet des primes de rendement, la survivance de modalités de rémunérations archaïques dont les effets ont dû être atténués ou compensés par des régimes de garantie, engendrent une complexité, voire une opacité, qui prive ces administrations de la possibilité de mettre en œuvre une politique de rémunération volontariste, au service de leurs objectifs et de leurs priorités ».

19Au-delà de l’écart à la règle et du recours à des normes plus individuelles ou individualisantes, prenant en compte des situations spécifiques, c’est le flou dans lequel s’opèrent ces ajustements qui nous paraît être le plus problématique. Il y a là, en effet, porte ouverte pour la création d’un sentiment d’arbitraire qui ne peut qu’être contre-productif.

20Si, bien souvent, ces tentatives de récompense de mérites particuliers se traduisent par des incitants financiers ou similaires (logement, véhicule de fonction, voyages à l’étranger,…), elles se matérialisent parfois par le fait de confier à un agent des responsabilités en dehors des règles établies pour l’accès à la fonction. Ces pratiques peuvent avoir un caractère informel, le titulaire exerce de fait les responsabilités sans en avoir le grade, ni la rémunération ; mais elles peuvent également se formaliser, notamment sous couvert de l’exercice d’un mandat à durée déterminée ou pour un objet spécifié.

21De telles actions évoquent à suffisance à quel point les principes généraux de l’exercice de la fonction publique rendent difficile l’émergence d’une forme nouvelle de gestion des ressources humaines. C’est clairement d’un choc culturel dont il est question où se retrouvent mêlés la définition du mérite et ses modalités de rétribution.

22Nous voici immédiatement confrontés aux paradoxes des systèmes administratifs.

23En effet, il est actuellement demandé aux agents des services publics de développer d’autres styles d’attitudes, d’autres comportements par rapport à un citoyen qui est, de plus en plus, représenté sous la forme d’un client. Ce changement est profond, il nécessite l’intégration de nouveaux mécanismes autorisant de la créativité, nécessitant de l’autonomie, impliquant la prise d’initiative ; bref, imposant de sortir des sentiers battus de la bureaucratie.

24L’émergence des nouveaux paradigmes amènent à prendre plus en compte la capacité de coopérer pour répondre avec efficience aux diverses demandes d’un environnement en changement constant. Or, l’administration bureaucratique est faite pour coordonner plus que pour favoriser la coopération.

25Nous nous trouvons donc à une croisée des chemins où il est difficile et délicat de négocier le virage. D’un côté on demande aux fonctionnaires de prendre des initiatives, de courir des risques, de développer un esprit entrepreneurial, mais d’un autre côté ils doivent commencer à développer des comportements nouveaux dans un environnement qui ne s’est pas encore débarrassé de ces principes bureaucratiques.

26Les comportements méritants sous l’ancien système, ne seront sans doute plus les mêmes dans le système à venir. Mais il paraît difficile de communiquer avec clarté et précision sur ces modifications. Le personnel est, dès lors, soumis à des tensions, à un environnement qui lui envoie des messages contradictoires. Il en résulte une forme de stress qui provoquera l’inverse de l’effet recherché : plus d’inhibition et moins de créativité.

27Dans un tel flou comment mettre en place des stratégies méritocratiques ?

4. L’évaluation du mérite

28Rappelons tout d’abord qu’un système d’évaluation, quel qu’il soit, doit au moins répondre à deux qualités : celle de la fidélité et celle de la validité du système. La fidélité d’un système d’évaluation des ressources humaines, ou de la performance, ou du mérite, signifie qu’il importe que les résultats de l’évaluation ne varient ni en fonction de l’évaluateur, ni en fonction du moment de l’évaluation. La validité du système implique de se poser la question de savoir si le système d’évaluation (ses critères, ses indicateurs) mesure bien ce qu’il est censé mesurer.

29Au cœur d’une stratégie méritocratique se retrouve donc la notion de mesure du mérite. Nous y retrouvons la notion élémentaire de sa définition « qu’est-ce que le mérite dans notre administration ? » ; « quel type de mérite voulons-nous récompenser, stimuler, encourager ? ». Mais immédiatement après la réponse à cette question essentielle, se retrouvent toutes celles liées à l’observation du mérite, au recueil de l’information, au traitement de l’information.

30En ce qui concerne les administrations publiques, nous notons à ce stade une évolution dans les notions entourant le management public. Historiquement, il s’agissait pour les administrations d’être efficaces, c’est-à-dire d’être capables d’atteindre les objectifs qui leur étaient fixés. Depuis quelques années, ce critère a progressivement fait place à celui d’une administration efficiente, c’est-à-dire capable d’atteindre ses objectifs, mais avec une économie de moyens (techniques, budgétaires, humains, etc.). Aujourd’hui émerge la notion de performance qui sous-tend qu’une administration puisse réaliser plus que ce qui en est normalement attendu.

31Nous pouvons établir une comparaison explicite à cet égard avec le monde sportif. Un athlète est efficace lorsqu’il réalise le chrono normalement attendu par rapport à son niveau ; il est efficient si, en outre, les moyens mis en œuvre n’ont pas dû être importants. Il s’agit ici, aussi bien de l’utilisation de ses propres ressources (l’énergie métabolique qu’il a dû utiliser) que des ressources provenant de son environnement. Enfin, sa prestation sera qualifiée de performance s’il réalise un résultat auquel on ne s’attendait pas.

32Il peut en être de même pour une administration. Ce qui revient à dire que son mérite principal serait de nous surprendre dans les attentes que nous développons par rapport à elle.

33Les stratégies méritocratiques, dans ce contexte, devraient alors valoriser les bons comportements liés à la performance.

34La prise de risques pourrait être considérée comme un comportement plus méritant face à des changements que la passivité ou le retrait. Le mérite doit alors être considéré comme une notion contingente, ce sont les conditions d’environnement qui mettraient en exergue tel ou tel comportement méritant. Le système de récompense du mérite doit alors être régulièrement ajusté.

35Les fonctionnaires méritants seraient ceux capables de s’adapter, d’adapter leur organisation et celle de leur équipe pour répondre à l’évolution des besoins et des attentes des hommes et des femmes politiques qui les dirigent et des citoyens et citoyennes qu’ils servent.

36Nous touchons ici à un autre paradoxe du service public. Il n’est pas sans rappeler les situations de double contrainte (« double bind ») révélées par l’École de Palo Alto et des chercheurs comme Bateson et Watzlawick. Les dirigeants politiques ont à prendre des décisions d’intérêt public, à caractère collectif. Pour ce faire, ils doivent arbitrer de nombreuses demandes individuelles, contradictoires par essence même. Dans le secteur marchand, le développement d’un produit s’effectue en fonction des besoins d’un marché qui ne représentera qu’un segment du marché global. L’arbitrage s’effectue par le biais de la loi de l’offre et de la demande, mais en tout cas, je sais que les mesures de production que je vais prendre ne pourront toucher la totalité d’une population. Au sein du service public, les décisions qui sont prises sont hors de cette loi économique de base. Il s’agit de prendre des mesures d’intérêt général. La construction d’une autoroute ne servira peut-être pas à l’ensemble de la population, mais son amortissement financier sera répercuté sur l’ensemble de la population, via un système de taxation général. Dans ce cadre quels vont être alors les résultats attendus par les administrations et par les fonctionnaires qui les composent ? Comment valider une stratégie méritocratique en tant qu’outil de gestion des ressources humaines ? D’une part il peut s’agir de satisfaire et de rencontrer les besoins et attentes d’une clientèle potentielle, à l’instar du système privé, d’autre part, il s’agit de faire appliquer des mesures prônant l’intérêt supérieur de la Nation et souvent impopulaire. Les comportements méritants ne sont donc pas assis sur la même base.

37Le niveau d’exercice de la fonction va également jouer dans le système. Il paraît plus aisé de stimuler le mérite d’un fonctionnaire supérieur que celui d’un agent d’exécution. La plupart des systèmes de rémunération au rendement prévoient d’ailleurs des parties variables beaucoup plus importantes pour des emplois de direction que pour des emplois opérationnels.

5. La motivation au travail

38Second concept qui mérite quelques instants de réflexions, il a fait l’objet d’une abondante littérature et de nombreuses recherches. Les théories se sont orientées, grosso modo, dans deux directions, celles relatives au contenu, cherchant qu’elle pouvait bien être la substance de la motivation et celles dites de processus, examinant ce qui pouvait bien avoir une influence sur le processus de la motivation.

39C’est au sein de ces dernières que nous consacrerons notre attention aux éléments mis en exergue par Vroom.

40Cette théorie met trois facteurs en relation. C’est leur conjonction qui expliquerait la propension d’un individu à mobiliser son énergie dans une action concrète.

41Reprenons les rapidement : « l’expectation » (l’attente en français, ce qui explique son intitulé, la théorie de l’attente), l’instrumentalité et la valence.

42Derrière ces termes quelque peu académiques, se trouvent néanmoins des concepts très opérationnels.

43Il faut d’abord définir la motivation en rappelant qu’elle interpelle l’action ; alors que la satisfaction fait plutôt référence à un état. C’est ainsi qu’on peut dire qu’un individu qui ne se sent pas nécessairement satisfait par rapport à son environnement de travail peut néanmoins être motivé par certaines activités. A l’inverse, un travailleur peut se déclarer satisfait de son emploi alors même qu’il ne montre guère de motivation à la tâche.

44Si motivation égale action, alors motivation égale énergie ; cette dernière se matérialisant par un effort à réaliser. Cet effort peut être de nature fort diverse, physique, mais aussi intellectuel, psychologique, ou encore affectif.

45Une manière d’aborder le problème de la motivation, très souvent à la base de la demande d’intervention en matière de conseil ou de formation en entreprise, est donc de se poser la question de savoir pourquoi quelqu’un ferait-il un effort dans un domaine ?

46L’expectation fait référence à la croyance d’un individu en sa capacité de produire les efforts permettant d’atteindre ce qui est attendu de lui, par lui ou par son environnement. Derrière ce concept se trouve donc la confiance de l’individu en ses capacités. Et nous savons que beaucoup de personnes ont une tendance, parfois fort évidente, à se survaloriser ou à se sousvaloriser. Dans ce cadre, la mission des managers à l’égard des collaborateurs consiste à leur faire prendre conscience de leurs limites réelles et à fixer ensemble des objectifs pour pouvoir les dépasser.

47L’instrumentalité est représentative de la capacité d’un individu à opérer le lien entre les efforts qu’il produit et le résultat obtenu ou escompté. Il s’agit ici bien plus de la confiance qu’il développera à l’égard du système plutôt qu’en ses propres capacités. C’est une autre mission essentielle des managers, que d’autoriser la mise en motivation de quelqu’un en lui permettant de mieux percevoir le lien entre ce qu’il va réaliser et ce à quoi cela pourra lui servir. Nous retrouvons ici notamment le rôle difficile d’un enseignant ou d’un formateur qui doit être capable de montrer rapidement à son public en quoi les exposés ou éléments théoriques qu’il va dispenser seront ensuite utiles ou opérationnalisables.

48La valence constitue la valeur que l’individu attribuera au résultat de ses efforts. Qu’est-ce que cela va lui permettre d’obtenir et qu’est-ce que cela aura comme valeur pour lui ? Tout un panel est possible qu’il s’agisse d’aspects financiers ou de reconnaissance, d’estime, de position sociale, etc. Cette fois le rôle du manager est donc d’être capable de repérer, dans l’échelle de valeur de son collaborateur, ce qui fera sens pour lui et ce qui aura de la valeur en terme de rétribution pour sa contribution à l’équipe ou aux résultats atteints.

49Cette approche est fort intéressante car elle individualise la réflexion sur le processus de motivation. Il n’est plus question ici de facteurs généraux, comme la satisfaction des besoins exprimée par Maslow, ou encore la satisfaction au travail au travers du degré d’autonomie, du degré de responsabilités, du contenu de la tâche comme l’exprime Herzberg ou encore de la motivation par l’enrichissement des tâches en travaillant sur des notions comme la variété dans le travail, la signification du travail, le feed-back sur les tâches réalisées.

6. Mérite et motivation

50Tout cela nous ramène à la notion de mérite. Reprenons un exemple sportif pour réfléchir par analogie. A l’arrivée du Tour de France cycliste, le vainqueur a, bien entendu du mérite et il sera récompensé pour tel, mais le dernier classé, qui a dû lutter pour éviter l’exclusion, qui a œuvré pour permettre aux « champions » de se mettre en valeur, a également du mérite. Ils ont chacun une forme de mérite, ils ont chacun réalisé » des efforts, ils ont chacun atteint un degré de performance.

51Pouvons-nous imaginer que seuls les champions courent l’épreuve, sans les porte-bidons ? Non, la performance du champion ne peut s’expliquer complètement que par l’intégration des qualités individuelles de chaque membre de l’équipe. C’est ce concept qui explique d’ailleurs l’engouement actuel pour l’émergence du management d’entreprises par coaching d’équipe.

52La notion de coopération est à nouveau présente, mais aussi la qualification du mérite individuel.

53Or, ce qui va sous-tendre la motivation d’un membre d’un équipe, d’une unité de travail, nous venons de le voir, c’est la croyance qu’il pourra réaliser ce qu’on attend de lui, mais aussi la croyance que le système pourra le récompenser justement de ses efforts, la valeur attachée à l’objet de la récompense pouvant être fort diverse et étant susceptible d’évoluer fortement en fonction du temps ou d’autres facteurs contingents (la situation financière, la situation familiale, l’état de santé physique et psychologique de l’individu, par exemple).

54Il nous apparaît donc que développer des stratégies méritocratiques travaillant de manière impersonnelle ne permet pas de pouvoir prendre en compte la complexité de la motivation d’un individu au travail.

55A l’inverse de l’établissement de règles à caractère fortement bureaucratiques, il peut être question d’individualiser fortement la relation et d’opérer par des formes de relations contractuelles individuelles où le mérite de l’agent est préalablement défini en termes d’attentes de performance individuelle, concourant à garantir une meilleure performance globale de l’équipe ou de l’unité de travail. Cette approche va néanmoins poser maints autres problèmes et difficultés liés aux pratiques des systèmes d’évaluation. Listons rapidement les plus fréquentes : les effets de halo, de dernière impression, de contraste, de débordement, de similitude ; les erreurs d’indulgence, de sévérité, de tendance centrale.

56Nous le voyons, les dérives possibles sont nombreuses. Il y a donc beaucoup de raisons ou de circonstances qui peuvent amener un fonctionnaire à douter du système et donc à le voir réduire sa motivation au travail par la réduction du sentiment d’instrumentalité.

57Ajoutons à cela que les bureaucraties sont, de plus, l’empire des jeux de pouvoir et d’influence, ce qui, pour des raisons identiques au point précédent, n’est pas de nature à entraîner une réelle motivation au travail.

7. La reconnaissance du mérite ; un cas concret

58Nous avons eu accès, via Internet, au manuel de gestion du Siège social de l’Université de Québec. Il y est fait état d’un programme de reconnaissance du mérite.

59Les principes directeurs en sont qu’il s’agit de mettre en exergue des réalisations exceptionnelles du personnel. Elles sont définies comme étant ce qui échappe à la règle commune ou ce qui paraît unique en son genre, ou ce qui se distingue par ses mérites et sa valeur.

60Il n’est pas certain que cette définition aide à clarifier considérablement le concept.

61Quatre objectifs sont avancés :

  • Encourager le personnel à se dépasser ;

  • Accroître la valorisation, la motivation et la satisfaction du personnel ;

  • Stimuler les idées novatrices et la créativité ;

  • Favoriser les réalisations de qualité supérieure.

62De manière plus opérationnelle, le programme déclare pouvoir retenir une réalisation individuelle ou d’équipe qui répond à une ou plusieurs caractéristiques suivantes :

  • Elle a une incidence directe sur la qualité des services à la clientèle ;

  • Elle sert de modèle dans le réseau ;

  • Elle contribue à l’amélioration tangible de l’efficacité et de l’efficience, par la réduction des coûts, des temps de traitements, des erreurs, etc. ;

  • Elle contribue à l’amélioration de la qualité de vie au travail ;

  • Elle contribue à l’élimination des risques liés à la santé et à la sécurité au travail.

63Il est intéressant, dans cet exemple, de se pencher sur la rémunération de l’effort consenti, autrement dit sur les moyens mis en œuvre pour récompenser le lauréat (la valence dans la théorie de Vroom) :

  • le mérite sera souligné au cours d’une Fête annuelle en présence de tous le personnel ;

  • le lauréat obtiendra un certificat de mérite ;

  • le président lui adressera une lettre de félicitations (déposée dans son dossier individuel) ;

  • un article sur le lauréat sera publié dans le journal interne ;

  • chaque lauréat aura droit à une prime en espèce d’une valeur de 500$.

64Il apparaît clairement que les récompenses ont essentiellement une valeur honorifique au travers de laquelle ce sont les besoins de considération, d’estime et de reconnaissance sociale qui peuvent être valorisés.

65Ajoutons que les comportements méritants doivent être soumis au comité de sélection par 5 membres du personnel.

66Ce programme semble donc partir du principe que valorisation du mérite et mobilisation des énergies sont directement liées. La notion de mérite l’étant à celle de réalisation exceptionnelle du personnel. Il se définit au travers d’un postulat de linéarité estimant que les comportements méritants ainsi récompensés seraient plus fréquents grâce au système mis en œuvre pour les reconnaître.

67Il nous semble que le programme mis en place est de nature à favoriser le sentiment de satisfaction des lauréats primés, mais que le lien avec une motivation au travail et une plus forte implication dans celui-ci paraît beaucoup plus aléatoire.

8. Conclusion

68Le mouvement actuel de modernisation des administrations passe par un phénomène de débureaucratisation. Il en résulte progressivement une autre perception de la gestion des ressources humaines.

69L’émergence des nouveaux paradigmes de la gestion des ressources humaines en secteur public s’effectue de manière encore incertaine, les dirigeants tentent de mettre au point de nouveaux systèmes, mais la zone d’action est floue, l’incertitude est grande.

70Quoiqu’il en soit le temps semble révolu où des stratégies de récompense du mérite pouvaient s’entendre sur le plan de normes collectives, ne tenant que faiblement compte des incitants individuels.

71C’est bien un des défis majeurs de cette nouvelle gestion des ressources humaines que de se débarrasser de sa culture bureaucratique pour pouvoir prendre en compte les enjeux motivationnels des différents acteurs qui constituent la fonction publique.

72Une des pistes de réflexion les plus prometteuses semble être le choix d’un style de leadership œuvrant par ajustement mutuel et permanent, prenant en compte ce qui fait valeur chez chaque individu et tenant compte de la perception de ce dernier de son propre mérite.

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Pour citer cet article

Référence papier

Michel Amiel, « Stratégies méritocratiques et motivation au travail dans la fonction publique », Pyramides, 4 | 2001, 43-56.

Référence électronique

Michel Amiel, « Stratégies méritocratiques et motivation au travail dans la fonction publique », Pyramides [En ligne], 4 | 2001, mis en ligne le 29 septembre 2011, consulté le 05 mars 2014. URL : http://pyramides.revues.org/507

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Auteur

Michel Amiel

Licencié en sciences administratives, en informatique et sciences humaines. Il est consultant-formateur en organisation et gestion des ressources humaines principalement dans le secteur public.

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