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Le corps du texte. Pour une anthropologie des textes de la tradition juive.
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Comptes rendus

Le corps du texte. Pour une anthropologie des textes de la tradition juive.

Florence Heymann et Danielle Storper Perez, dir. par, Paris, CNRS Éditions, 1997, 352 pages.
I. Chiva
p. 84-86

Texte intégral

1C’est le privilège de l’ethnologue de saisir, mieux que d’autres, à quel point le corps est unique en ce qu’il offre, comme de l’intérieur de nous-même, par ses fonctions et sa diversité, un support et un langage pour l’expression de la part la plus cachée et enfouie de nos pensées, de nos émotions, de notre psychisme. Mais aussi, et en même temps, un support et un langage pour dire la part de nous-même qui est la plus enracinée dans la culture, la plus tributaire du modelage social des individus.

2Et pourtant, paradoxalement, le corps, sujet porteur de sens, traducteur de nos arrière-pensées les plus inavouables, des stéréotypes les plus aliénants qui nous habitent, de nos joies les plus irrépressibles, de nos états maladifs et de nos secrets les plus refoulés, ce corps, instrument exclusif de notre sexualité, est resté pendant très longtemps le grand absent de l’ethnologie. Comme si la partie la plus naturelle de l’être humain, son corps, se voyait mal reconnaître le fait qu’elle est en même temps sa partie la plus culturelle, la plus surdéterminée : par l’inconscient collectif et individuel ; par la contrainte et la morale ; par la religion et la métaphysique ; par l’entrelacs serré des systèmes de représentations sociales, symboliques, magiques, rituelles, littéraires qui dessinent chaque système culturel. Comme si, ultime alibi, le refus de la nudité était la métaphore majeure du discours des hommes sur leur corps ! Comme si, paradoxalement, le corps était de trop : tellement encombrant, que la meilleure manière de s’en accommoder, c’est de le contourner, de l’évacuer, de ne pas le regarder – ce qui est la meilleure façon de ne pas le voir – sauf en ses deux états extrêmes que sont la maladie et la mort.

3De là, l’évidente importance d’un ouvrage intitulé de façon provocante « Le corps du texte » ! De là aussi l’outrecuidance d’un ethnologue nullement spécialiste ni même connaisseur des « judaïca », qui s’essayera de dire l’originalité et l’importance de ce qui se veut et est au plein sens du mot un plaidoyer « pour une anthropologie des textes de la tradition juive » pour reprendre les termes du sous-titre de ce recueil.

  • 1  On lira, sur ce point, la dense et magistrale synthèse récente de Nicole Lapierre, « ‘Des bouteille (...)

4Certes, les travaux d’anthropologie sociale, d’ethnographie et folklore des judaïsmes ne datent pas d’hier. Il n’en reste pas moins que sous la pression de l’histoire récente, et principalement en Europe, des événements liés à la Seconde guerre mondiale, une tendance s’affirme de plus en plus fortement dans les études juives : celle qui s’attache à la mémoire, à son travail, à ses traces, à une connaissance du sort des collectivités juives recomposées par la mémoire des survivants du génocide, à une réélaboration, par ce biais, des identités juives. Mais qui s’attache aussi à l’oubli, celui des survivants et celui contre lequel se sont battus les « chroniqueurs du désastre » qui, avant de mourir ont écrit… à en mourir et caché, dans un ultime acte à la fois de devoir, de désespoir et d’espoir, leurs mémoriaux et journaux manuscrits1.

  • 2  Cf. notamment les deux ouvrages suivants : Alan Mintz, Hurban: Response to Catastrophe in Hebrew Li (...)

5Ces travaux, venant, il ne faut pas l’oublier, après les considérables collectes de folklore et de récits du quotidien du « shtetl » comme des dragonnades subies par les communautés juives d’Europe orientale au tournant du siècle, ont permis de parler d’une approche anthropologique au sens le plus large, de ce phénomène multiforme, à la fois religieux, identitaire, politique, historique, culturel, qu’est le judaïsme – ou ne faut-il pas dire plutôt les judaïsmes ? Au cœur de ces traditions culturelles formées et formulées à travers la longue durée, en réponse aux catastrophes, d’aucuns ont placé le danger comme invariant millénaire, thème censé avoir modelé les formes collectives de la mémoire juive2.

6En regard, en contrepoint, se placent massivement le Livre, les textes, la littérature traditionnelle juive dans tous ses états. C’est de cette présence massive, constante, coextensive à la diaspora, de cette « centralité du Texte/des textes dans les sociétés et les cultures juives » que les responsables de ce recueil, Florence Heymann et Danielle Storper Perez, qui ont signé une substantielle introduction, ainsi que Frank Alvarez-Pereyre, auteur de l’essai liminaire intitulé « En deçà et au delà des évidences : quelle anthropologie du judaïsme ? » se sont emparés pour démontrer la possibilité d’existence d’une anthropologie classique des sociétés complexes à écriture et à histoire. Certes le « statut du texte » y est capital : « deux millénaires et demi de textes » ! C’est simultanément dans ce poids, cette centralité, dans le rôle des textes comme « agents de transformation sociale » et dans la connaissance fine des contextes au sens ethnologique – pratiques, rituels, savoirs, conjonctures ordonnées – que nos auteurs entendent enraciner une démarche analytique originale, véritablement et en tous points anthropologique. Et ils y parviennent !

7« L’approche anthropologique des textes du judaïsme s’avère… être une opération particulièrement complexe » écrivent Florence Heymann et Danielle Storper Perez : une entreprise audacieuse et très ambitieuse, est-on tenté d’ajouter, au vu tant des deux essais introductifs que des dix articles qui forment le corps du volume. Nous voilà revenus au propos initial : « la centralité du corps : corps des mots et mots des corps » comme le notent nos deux auteurs qui y voient le support et la justification d’une anthropologie de la tradition textuelle et para-textuelle du judaïsme. Je soulignerai le triple pari tenu que représente l’ouvrage aux yeux d’un ethnologue. Il condense, pour le non spécialiste, une somme considérable d’ethnographie concrète, formulée dans les mots du métier. Il propose un précis d’ethnologie du judaïsme qui, à notre connaissance, n’existait pas et qui aura une portée didactique certaine. Chemin faisant, il illustre la phase critique – traversée du désert ou mutation inventive ? – que connaît actuellement l’anthropologie sociale et culturelle.

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Notes

1 On lira, sur ce point, la dense et magistrale synthèse récente de Nicole Lapierre, « ‘Des bouteilles à la mer’, des archives pour l’avenir », Sociologie et sociétés, XXIX, 2, automne 1997, pp. 11-19.
2 Cf. notamment les deux ouvrages suivants : Alan Mintz, Hurban: Response to Catastrophe in Hebrew Litterature, New York, Columbia University Press, 1984. David G. Roskies, Against the Apocalypse: Responses to Catastrophe in Modern Jewish Culture, Cambridge, Harvard University Press, 1984
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Pour citer cet article

Référence papier

I. Chiva, « Le corps du texte. Pour une anthropologie des textes de la tradition juive. », Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 2 | 1998, 84-86.

Référence électronique

I. Chiva, « Le corps du texte. Pour une anthropologie des textes de la tradition juive. », Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem [En ligne], 2 | 1998, mis en ligne le 19 juin 2008, Consulté le 26 février 2014. URL : http://bcrfj.revues.org/4612

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Auteur

I. Chiva

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Droits d’auteur

© Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem

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