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Le stéréotype dans le roman policier
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Le stéréotype dans le roman policier

Marion François

Résumé

Le roman policier offre à l’étude du stéréotype une grande variété de redondances, lexicales et structurelles, qui permettent d’éclairer le concept même de genre, en fait issu du constat de stéréotypie. Il est également manifeste que contrairement aux idées reçues, les clichés font du texte policier un texte littéraire, parce qu’ils naissent d’images associées, distinctes de la réalité, qui révèlent d’ailleurs le cheminement même de l’écriture. Par ailleurs ces images jouent un rôle fondamental dans le plaisir du lecteur, comme dans les contes de fées de notre enfance. Les clichés ouvrent la porte des fantasmes : le stéréotype rejoignant l’archétype, les clichés policiers réactivent de nombreux mythes, le texte évoquant l’Autre Scène.  Le constat de stéréotypie provoque l’écriture, en particulier parodique, et stimule le renouvellement et l’essaimage des clichés dans toutes sortes de textes, qui bénéficieront de la présence du déjà-lu, laquelle donne au lecteur une assise pour affronter l’inconnu et une expérience pour apprécier la nouveauté.

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Texte intégral

1La question du stéréotype se pose particulièrement dans ce qu’on appelle la paralittérature, d’où est sorti notamment ce genre aux contours indécis et aux multiples sous-genres qu’est le roman policier. Dans la perspective tracée entre autres par Charles Grivel et Michael Riffaterre, reprise par Jean-Louis Dufays dans Stéréotype et lecture (1994), nous voudrions montrer tout l’intérêt de choisir cet angle de vue pour examiner le roman policier, lequel pourrait illustrer chacune des catégories posées par Dufays dans sa tentative de définition, depuis le cliché lexical jusqu’à la répétition de scénario, depuis le poncif jusqu’à la parodie. Prendre ce que nous appellerons le stéréotype (dans le sens très large que lui donne Dufays) comme indice pour faire parler le roman policier, c’est obtenir assurément des aveux assez complets sur le genre mais aussi et surtout sur l’écriture et la lecture en général.  Voyons ce que la propension à se répéter, si repérable dans le roman policier, a à nous révéler sur la généricité, la littérarité, et sur ce que le lecteur y trouve de consolation et même de plaisir, d’une manière évidente dans le champ éditorial actuel, de plus en plus envahi de traces policières.

Le cliché comme constituant générique et agent d’exclusion

  • 1  Uri Eizenzwzeig, Autopsies du roman policier, Paris, U.G.E., 10/18, 1983, p. 8 : « A bien examiner (...)

2Un trait commun manifeste entre le stéréotype et le roman policier, c’est le caractère flou de leur définition, et le mépris qui lui est corrélé. Selon les contextes et les périodes, le nom du genre – en particulier pour les genres fictionnels –, prend telle(s) ou telle(s) signification(s), telle ou telle expansion, spécialement pour le roman policier dont le nom réfère à un contenu sémantique peu contraignant et assez extensif. Malgré cela, d’après Uri Eisenzweig, le roman policier a d’abord été marginalisé parce qu’il était perçu comme un genre aisément reconnaissable1, la réalité des livres étant souvent en décalage avec cette classification.

  • 2  Claude Amey, Roman policier et rapport juridique, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 194. Cf. p. 197 : «  (...)

3Car la littérature éprouve la nécessité de définir ce qu’elle comprend et ce qu’elle exclut de son champ. L’identification stricte du roman policier a dès lors gommé les différences internes. Autour d’une structure globalement récurrente, se sont groupés des personnages et des thèmes finissant par caractériser le roman policier, ainsi voué à devenir le « moule pétrifié2 » stigmatisé par la critique. Il faut mentionner le rôle fondamental joué par la répétition intertextuelle, dès l’origine (Poe est devenu « auteur policier » parce que Doyle se référait à lui), dans l’élaboration perceptuelle et théorique de ce regroupement.

  • 3  Jean-Louis Dufays, Stéréotype et lecture, Liège, Mardaga, 1994, p. 81.

4 Or, parmi les signes de reconnaissance, les clichés, pris en tant qu’ « associations figées du lexique3 » semblent justement fondamentaux, là où d’autres critères de définition, axés sur d’autres stéréotypies, échouent à couvrir une production mouvante et variée, dès l’origine du « genre » : ceux qui supposent une structure fixe (question/réponse), des personnages immuables (enquêteur/criminel/témoins), un processus récurrent (l’enquête).

5Prenons l’exemple d’un roman de Colin Wilson, The Killer [Le Tueur](1970), au titre clair du point de vue générique, autant que l’est son affectation éditoriale (Rivages/Noir). Pourtant, il met en place une narration qui n’a plus grand-chose à voir avec le schéma qu’on a cru pouvoir tirer des œuvres d’Agatha Christie ou de Chandler. Certes l’enquêteur remonte dans le passé pour relier un crime à un malfaiteur, mais cet enquêteur est un psychiatre qui cherche avant tout à soigner un homme déjà enfermé en prison et manifestant de graves troubles psychiques. Le roman s’attache à une archéologie non du crime, comme c’est le cas classiquement, mais du criminel, puisqu’il s’agit de comprendre si cet homme peut avoir commis d’autres méfaits, mais surtout de répondre à cette question : « Que s’était-il passé pour changer l’enfant confiant en cet animal tremblant, blotti au fond de la pièce ? ». Ce seront donc davantage les clichés – idées, thèmes, expressions, actants – (le titre, la prison, les bas-fonds, le sexe, les victimes, la poursuite, la peur, les intuitions géniales de l’enquêteur, son identification au criminel-patient), des clichés préconstruits par le titre et l’édition, puis constitués et validés par combinaison, qui feront identifier ce livre au corpus policier.

  • 4   Nous reprenons les termes et la distinction établis par Jean Ricardou pour définir la double natur (...)
  • 5  Jean Fabre, « Heuristique et littérarité du roman d’énigme », in Les Cahiers des Paralittératures, (...)
  • 6  Jean-Paul Colin, Le Roman policier français archaïque, Berne, Francfort-s. Main, New-York,. Peter L (...)

6Le cliché est donc constitutif du genre ; mais par là même il l’expose à une attitude critique autoritaire et fermée, aussi bien de la part de l’extérieur (ceux qui le rangent définitivement dans la rubrique « littérature de gare » ou paralittérature) que de l’intérieur (ceux qui l’étudient ou ceux qui le défendent). Mentionnons pour illustrer cela un autre critère définitoire en apparence solide, celui du principe d’économie censé régir ce type de roman, voué à une narration dégraissée, sans fioriture, où le moindre épanchement trahit la présence d’un indice pour le lecteur averti. Dans ce cadre, le cliché peut avoir un rôle à jouer: en effet, l’utiliser permet de faire l’économie de la « dimension littérale » de la description (sa « successivité » obligée) pour plonger immédiatement le lecteur, sur ce seul signe plein, dans la « dimension référentielle » (c’est-à-dire « simultanée4 »). Cependant, même ce critère qui attire un lectorat redoutant les gros livres écrits petit, achoppe face à certains récits policiers, depuis Pierre de lune de Wilkie Collins (1868), jusqu’au Nom de la Rose d’Umberto Eco (1980). Pour Jean Fabre, désireux de maintenir le critère quantitatif pour définir le roman policier, la monosémie requise par le genre condamne tout travail sur le mot : la richesse sémantique, si elle existe, ne saurait être à ses yeux qu’une ornementation superflue visant à produire un « polar chapon » aux prétentions de roman réaliste5. Pierre de lune est souvent considéré comme le premier roman policier anglais, mais ses cinq cents pages, dues à la place des descriptions, l’excluraient dès lors du genre ; surtout si l’on pense, comme Jean-Paul Colin, que la seule définition valable du policier renvoie à sa brièveté, bannissant de fait la « longue description 6 ».

7Cette attitude critique, bornant l’horizon d’attente du lecteur, n’est pas nouvelle ; elle a accompagné l’émergence même du genre : les préceptes de Van Dine (1928) ont induit un jugement quant à l’orthodoxie de la production ; c’est ainsi qu’Agatha Christie s’est vu reprocher d’avoir osé désobéir en faisant du narrateur du Meurtre de Roger Akroyd le meurtrier lui-même. Il est alors frappant de voir qu’à l’intérieur du genre est reproduite l’alternative inclusion/exclusion dont a été victime le roman policier à l’extérieur, c’est-à-dire dans le champ de l’activité littéraire, ou plutôt, puisque cet adjectif même lui a été souvent refusé, dans le champ narratif.

  • 7  Cf. Jean-Bernard. Pouy, « Miscellanées », in les Temps Modernes, Roman noir, Pas d’orchidées pour l (...)
  • 8   Jean-Louis Dufays, op. cit., p. 92 : « C’est lorsqu’une collectivité identifie une série de textes (...)

8En effet, à l’extérieur, c’est une forme qui s’est trouvée dévaluée, notamment pour ses principes combinatoires tendant au stéréotype, et pour sa quête de règles à une époque où l’écriture romanesque se libère. Or, aux attaques contre le genre, ses adeptes vont parfois répondre par des arguments se plaçant sur le même plan, lorsqu’ils mettent en avant des règles de création7, ou la volonté d’une écriture béhavioriste pour expliquer la sécheresse du style. Dans les deux cas, le stéréotype est donc au cœur du jugement critique, qui pardonne mal aux auteurs rompant avec des principes de généricité prétendument fixes. Jean-Louis Dufays explique justement ce couple genre/rejet d’une part en montrant qu’un genre se définit comme « une matrice de stéréotypes8 » ; d’autre part en notant la réprobation touchant le stéréotype depuis l’ère romantique.

  • 9  Wolf Dieter Stempel, in G. Genette, H.R. Jauss, J.M. Schaeffer, R. Scholes, W.D. Stempel, K. Viëtor (...)
  • 10  Jean-Marie Schaeffer, op. cit., p. 71.
  • 11  Gérard Genette, Palimpsestes, la Littérature au second degré, Seuil, 1982, p. 146.

9L’histoire du roman policier nous apprend donc beaucoup sur l’idée même de genre. Pour Wolf Dieter Stempel, la lecture est une « concrétisation9 » du texte, qui opère par une sélection, dictée par le contexte historique, littéraire et général, et par les perspectives individuelles. Ce qu’on a appelé « l’âge d’or » du roman policier a imposé une vision fossilisée du genre, qui explique les hésitations actuelles face à toutes les mouvances du roman policier aussi bien que les échecs répétés visant à le définir. Parmi d’autres critères figés, le lecteur repère ainsi un champ sémantique fixe, comprenant la ville, le crime, l’enquête, l’enquêteur. Il se place dans une conception « généalogique » du genre, qui se limite à un « engendrement hypertextuel10 ». Comme le fait remarquer judicieusement Jean-Marie Schaeffer, on ne peut pourtant comparer, contrairement à ce que s’autorise une certaine tradition critique, la littérature et les espèces animales : les textes ne se reproduisent pas biologiquement, il ne peut donc y avoir une unité de l’espèce littéraire. Pour Gérard Genette, l’argument générique le plus fiable serait au contraire « la capacité de dispersion (dans des cultures diverses) et de récurrence spontanée11 » de traits génériques, ces critères expliquant pour nous à la fois l’incontestable permanence vivante d’une matrice adaptable et féconde.

  • 12   Cf. Jean-Claude Vareille, Filatures, Itinéraire à travers les cycles de Lupin et de Rouletabille, (...)
  • 13   Jean-Patrick Manchette, Chroniques, Paris, Rivages/Ecrits noirs, 1996, p. 256. Cf. p. 247 sq.

10Les défenseurs les plus avisés sont alors ceux qui se fondent sur la différence langagière, tel le critique Jean-Claude Vareille, pour qui l’importance des images dans le texte policier inclut de fait ce type de romans dans le champ littéraire12. Quant au romancier Jean-Patrick Manchette, il fait du cliché « le problème le plus aigu de la littérature “de genre13”». Manchette reprend une forme qu’il sait dépassée historiquement (puisque son modèle est le roman noir américain des années 20, Hammett, Chandler) avec l’espoir de lui faire retrouver ses vertus dénonciatrices, par le biais de l’ironie et du détournement des clichés ; ce que lui-même a appelé ironiquement le « néo-polar ». Il montre que le stéréotype est une nécessité à la fois axiologique (un hommage aux prédécesseurs), structurelle (le polar ayant une logique combinatoire) et idéologique, dans la droite ligne de Flaubert, la forme idéale pour dénoncer toute la fausseté des discours, pour exprimer la désillusion, de l’ironie au sarcasme.

  • 14   Jean Ricardou, Problèmes du Nouveau Roman, Paris, Seuil, 1967, p. 128.

11La défense vient parfois aussi, paradoxalement, de l’extérieur, c’est-à-dire des tenants de la Grande Littérature. Ainsi, on sait que la répétition est une des cibles de la critique adressée au récit policier, et plus largement au roman, depuis le Romantisme jusqu’au Nouveau Roman, désireux de renouvellement. Cependant, même à l’intérieur de ce mouvement littéraire, Jean Ricardou s’oppose au « terrorisme » d’une certaine critique : « la littérature procède par dévoration ; elle est ce monstre qui détruit le langage à mesure qu’il le consomme14 ». Un Nouveau Romancier, Robbe-Grillet, a par ailleurs choisi sciemment des bases romanesques usées, comme celles du genre policier pour les Gommes, afin de mettre l’accent sur une construction musicale, partant du principe que seule la recherche sur la forme compte :

  • 15   Françoise Escal, Contrepoints, Musique et Littérature, Paris, Méridiens Klincksieck, 1990, p. 16. (...)

[...] Le contenu de l’œuvre romanesque ne peut en fait comporter que la banalité du toujours-déjà-dit : un enfilage de stéréotypes dont toute originalité se trouve par définition absente15

  • 16  Cf. Michael Riffaterre, Essais de stylistique structurale, Paris, Flammarion, Nouvelle Bibliothèque (...)
  • 17  « [...] ce sont des variations sur des thèmes plus ou moins conventionnels qui constituent une des (...)

12La récurrence de lieux communs et de métaphores filées (la ville-labyrinthe, le champ lexical de la chasse, l’animalisation, le champ lexical du raisonnement, etc.) est finalement constitutive d’un genre16 et permet de le reconnaître parmi d’autres, de satisfaire par conséquent à une exigence importante du contrat de lecture, chaque type d’écriture activant l’attente d’un ensemble de clichés, qui en retour authentifient le texte. Bertold Brecht voit dans cette spécificité la clé d’une esthétique, qui lui inspire une comparaison musicale – rapprochement qui atteste également la solidité de la construction policière, les clichés charpentant le récit17.

Le cliché, facteur de littérarité

13User d’un genre apparemment aussi caractérisé que le roman policier, c’est donc partir d’un ensemble de situations et d’images prééxistantes. Jean-Claude Vareille relève cette contradiction qui fait que le genre a été perçu comme non-littéraire (la Littérature étant soumise à une exigence d’originalité depuis l’ère romantique), alors même que cette utilisation d’éléments déjà-lus, garante de la vraisemblance, prouve, au contraire, son éminente littérarité. De surcroît, on a bien affaire à une création littéraire : on ne  trouve ainsi aucun des clichés proprement policiers dans la police réelle (Jean-Claude Vareille en signale l’absence chez les policiers écrivains type Vidocq), le motif de la chasse venant par exemple des romans de la prairie du XIXe siècle, et, au-delà, des premiers récits que Carlo Ginzburg considère comme étant à l’origine de la narration littéraire : les récits de chasseurs. Même le roman noir est issu des romans de la prairie, ne s’étant pas uniquement constitué à partir d’une certaine situation sociale : la présence du héros solitaire atteste par exemple cette filiation.

  • 18  Jean-Noël Blanc, Polarville, images de la ville dans le roman policier, P.U.L., 1991, pp. 61-62.

14Il en est de même pour tout le système de clichés urbains. Jean-Noël Blanc montre que la ville du polar correspond moins à une ville réelle qu’à une cité fantasmée, dont le lecteur retrouve les caractéristiques fixes de roman en roman : rues désertes, nuit, fleuves, canaux, terrains vagues, usines désaffectées, hôtels miteux, composent ce paysage littéraire de villes codées, « écrites par cœur18 ». Le roman policier insiste alors sur ce que pose Käte Hamburger comme caractéristique de toute fiction :

  • 19  Käte Hamburger, Logique des genres littéraires, Paris, Seuil, 1986, p. 126.

Sa fictivité, c’est-à-dire sa non-réalité, signifie qu’elle n’existe pas indépendamment du fait de sa narration, qu’elle en est le produit. La narration est donc une fonction (la fonction narrative), productrice de récit, maniée par le narrateur comme le peintre manie couleurs et pinceaux19

  • 20  Thomas Pavel, Univers de la fiction, Paris, Seuil, 1988, p. 42.

15Les clichés sont les couleurs du texte, des couleurs primaires qui s’associent pour créer une vision. Ainsi, chez bien des auteurs, l’enquête devient chasse, et la chasse amène l’image de la ville-labyrinthe.  Le lieu réel (Londres, Barcelone, Lyon) est converti en lieu fictionnel par l’intervention des clichés constitutifs du dédale. Ce lieu réel ainsi modifié, que Thomas Pavel appelle « substitut », prend alors des allures de décor « immigrant », c’est-à-dire emprunté fidèlement à la réalité, parce qu’il a acquis une « vraie personnalité20 », transmise et confirmée de texte en texte, et en particulier dans les cycles.

16Ainsi peut-on parler d’une certaine gratuité du genre, acquise grâce à ce que le stéréotype peut lui donner de liberté par rapport à la réalité ; Franck Evrard insiste sur cette prise de distance :

  • 21   Franck Evrard, op. cit., p. 89.

Le roman, en avouant sa nature fictionnelle et son appartenance à un genre et une tradition, devient pur jeu de langage et de signes et affirme par là même son autonomie. Renvoyant sans cesse à sa propre démarche, prenant pour objet sa forme, le roman policier revendique, comme l’a montré Jacques Dubois, un « autotélisme » propre à toute poétique d’avant-garde21.

17Il appartient au lecteur de réactiver ces images primitives, car loin d’être un collage de stéréotypes plaqués artificiellement, elles constituent la grammaire du texte. En outre, bien des clichés policiers symbolisent l’acte même d’écrire : l’enquête, c’est la quête de quelque chose qui doit être raconté, par un contrat tacite. Le détective de Friedrich Dürrenmatt, dans La Promesse (1958), témoigne de ce passage par un moment dangereux dans le processus créatif, lorsque rien ne le stimule ou ne le soutient ; son détective se marginalise socialement, puis s’enferme dans son obsession, parce qu’il n’est pas parvenu à dénouer le mystère, à faire aboutir son enquête. D’où le cliché du labyrinthe : le cheminement devient errance angoissante à l’intérieur du livre qui ne s’écrit plus. On peut d’ailleurs poser comme hypothèse que cette impossibilité d’écrire l’histoire, cette panique du créateur devant le vide réel de la page, est diégétisée par le personnage, de plus en plus fréquent dans le corpus policier, du détective devenu fou.

  • 22  Paul Auster, Cité de verre, Arles, Actes Sud, 1987, p. 83.
  • 23  Jean Ricardou, op. cit., p. 143.

18Paul Auster s’est manifestement intéressé à cette déviance, puisque par exemple dans Cité de verre (1985), l’histoire ne parvient pas à se reconstituer et entraîne le détective dans la folie. Ce roman est par ailleurs intéressant puisque le détective n’en est pas un : c’est un écrivain de romans noirs, Quinn, contacté par erreur pour résoudre une énigme. Il ne parvient pas à écrire l’histoire, à relier les éléments22. Il cherche de l’aide auprès d’un autre personnage qu’il prend pour un détective et qui est écrivain : il s’appelle Paul Auster ! Cité de verre illustre parfaitement l’idée de Jean Ricardou, selon laquelle « la fiction est inspirée par l’écriture23 », puisque le méchant supposé, Stillman (qui porte dans son nom l’idée de pérennité), marche chaque jour selon un itinéraire qui dessine une lettre, jusqu’à composer « La tour de Babel ». Stillman représente la figure redoutée et culpabilisante - car préservée des aléas de la création - de l’écrivain démiurge, à l’œuvre raisonnée, finaliste, parfaitement maîtrisée. Il s’agit ici, comme dans tant de livres depuis les auteurs classiques, d’une énigme scripturale, renvoyant à ce que dit le récit policier du processus de l’écriture.

  • 24  Il le raconte dans sa biographie, le Diable par la queue, Arles, Actes Sud, 1996,  p. 150. Dans Cit (...)
  • 25  Emile Gaboriau, Monsieur Lecoq, Le Livre de l’Avenir, 1866, p. 23.

19Quinn, réduit à transcrire ce qu’il voit sans en pénétrer le sens, fait appel à un écrivain, comme Auster a appelé au secours, alors qu’il était un écrivain maudit, tous les auteurs policiers qu’il lisait alors, afin de l’aider à aboutir24. Les clichés de l’enquête labyrinthique diégétisent le processus douloureux de l’écriture, de façon parfois transparente : Déjà Gaboriau, dans Monsieur Lecoq, en 1866, comparait l’endroit où l’enquêteur cherche des traces à une « immense page blanche, où les gens que nous recherchons ont écrit non seulement leurs mouvements et leurs démarches, mais aussi leurs secrètes pensées, les espérances et les angoisses qui les agitaient25. ».

  • 26  La mètis (du nom de la déesse Mètis, mère de Póros, le trajet) désigne une « puissance de ruse et d (...)
  • 27  Platon, d’ailleurs, exclut les poètes de sa République idéale. Cf. Rezvani, L’Enigme, Arles, Actes (...)

20Autre exemple pour illustrer la littérarité profonde des clichés : celui de la toile d’araignée - proche de celui du labyrinthe. Cette image rend compte de l’impression machiavélique qui se dégage de ce que le criminel a manigancé, faisant prisonnier le détective par la force de sa mètis26. Ce tissage serré où se prend le détective est évidemment comparable au texte, dont l’auteur ourdit la trame afin de posséder le lecteur. L’écrivain, c’est bien sûr aussi le criminel qui invente le sujet27, qui provoque l’événement, les complications, retarde le dénouement. Ainsi, les clichés policiers sont non seulement une preuve de la littérarité du genre, mais ils désignent aussi l’acte même d’écrire, ce qui peut d’ailleurs expliquer que bien des auteurs issus de la littérature « blanche », tels Auster ou Dürrenmatt, y aient fait des incursions plus ou moins fréquentes.

Consolation par le cliché

  • 28   Jean-Louis Dufays, op. cit., p. 169.

21Un autre cliché concerne le lecteur de roman policier, dont l’addiction serait liée à un besoin compulsif de mystère, d’énigme à résoudre. Umberto Eco s’inscrit en faux : pour lui, on ne lirait pas de roman policier par goût de l’imprévu. « Lire, c’est toujours en partie aller à la recherche de structures familières28 », affirme Dufays. Rechercher le criminel, c’est peut-être donc, contrairement aux idées reçues,  rechercher le déjà-vu.

  • 29   Michel Picard, « La Lecture comme jeu », in Poétique, n. 58, Archéologie du Poétique, Seuil, avril (...)

22Il nous semble d’abord important de constater que le cliché s’avère le moyen d’enchanter le lecteur, ce qu’il y a de plus primitif en lui : le besoin d’entendre une histoire. Michel Picard divise le plaisir de la lecture, où se retrouvent pour lui toutes les caractéristiques du jeu, en deux catégories : le playing – qui répond au principe de plaisir (évasion, fantasmes, abandon) –, et le game – qui répond au principe de réalité (décodage, maîtrise, défense). Or, le genre policier est en parfaite correspondance avec cette définition29

  • 30   Umberto Eco, De Superman au Surhomme, Paris, Grasset, 1993, p. 19.
  • 31  Manuel Vázquez Montalbán, La Solitude du Manager,  Paris, 10/18, 1988, p. 27.

23 Des critiques et des théoriciens se sont épuisés à montrer tout le sérieux et donc le bien-fondé du roman-problème. Mais si nous aimons lire les romans policiers, s’ils sont si populaires, et en même temps perçus comme une lecture peu sérieuse, c’est aussi pour leur lien avec la littérature enfantine, fondée d’une part sur la pulsion de répétition, et d’autre part, nous le verrons, sur la présence du fantasme. Le cliché maintient quelque chose de l’ordre de la réparation – Umberto Eco le place d’ailleurs dans les « artifices de la consolation30 ». Pour le barcelonais Montalbán, créateur d’un cycle policier des plus célèbres, l’aspect prévisible de la fin rapproche le polar du conte de fées : son détective Pepe Carvalho, au début de La Solitude du Manager, « se prédit à lui-même que l’histoire se finirait sur un coup de théâtre, un finale de conte primaire qui met tout dans la première ligne31 ». L’image du détective-Petit Poucet surgit d’ailleurs plusieurs fois dans le cycle carvalhien.

  • 32   Cf. Georges Tyras, « A la recherche du récit perdu », La Rénovation du roman espagnol depuis 1975, (...)
  • 33  Manuel Vázquez Montalbán, Les Mers du Sud, Paris, 10/18, 1988, p. 113.
  • 34   Umberto Eco, op.cit., p. 158.

24Et comment expliquer l’exigence cyclique des lecteurs, si ce n’est par le plaisir de se voir raconter sans cesse la même histoire ? C’est évident dans l’œuvre de Montalbán comme chez la plupart des auteurs de romans noirs américains bâtis autour du même détective. Pepe Carvalho constitue un cliché de la littérature et du cinéma  américains : une poignée de clichés cinématographiques et le personnage préfabriqué se déploie sur l’écran de la lecture. Il est ainsi devenu immédiatement familier32, ancré dans le même lieu, entouré de la même constellation de personnages (Charo, Bromure, Biscuter, Fuster) aux surnoms d’ailleurs enfantins. Il y a donc une joie naïve de la reproduction narrative, qu’il serait vain de nier, de refouler ou de dévaloriser, un besoin universel d’entendre toujours le même conte, en éloignant la peur de l’inconnu. « C’est encore la même histoire33 », dit de façon révélatrice à Carvalho Teresa Marsé, personnage récurrent dans le cycle. Umberto Eco explique cette demande du lecteur par une souffrance liée au temps, que vient suspendre le roman, « un plaisir où la distraction tient au refus du développement des événements, au fait de se soustraire à la tension passé-présent-futur pour se retirer vers un instant, aimé parce que récurrent34 »

25La temporalité du roman policier, et encore davantage lorsqu’il s’inscrit dans un cycle, nous extrait de la succession chronologique mortifère pour nous placer dans une temporalité cyclique et consolatrice, où tout se rejoue toujours à nouveau, instaurant ce que Umberto Eco appelle la « narrativité de la redondance » : Carvalho va dans les mêmes restaurants, donne toujours des recettes, rencontre les mêmes amis, brûle ses livres un par un, etc. Pour Eco, tout lecteur, si cultivé soit-il, a besoin, plus encore que de l’excitation de découvrir l’assassin, de se protéger de la variabilité constante de l’existence grâce à cette permanence, ce plaisir de retrouver des attitudes « topiques » de personnages « topiques ».

  • 35  Manuel Vázquez Montalbán, op. cit., p. 114.
  • 36  Françoise Escal, op. cit., pp. 26-27. « On peut rapprocher du thème, en musique, comme unité de con (...)

26La réduction psychologique observable dans le roman policier (et souvent critiquée) s’éclaire par la mise en parallèle avec le conte merveilleux. Cette nécessité de déterminer des rôles pour chaque personnage, Montalbán s’en amuse : « Il est évident que dans tes aventures je joue toujours le rôle de la pute distinguée35 ». Le cliché est sécrété et alimenté par la création cyclique, grâce au système de qualification fixe des personnages : Charo est toujours présentée comme la maîtresse délaissée, Bromure clame toujours le même refrain politique, Montalbán décrit toujours Biscuter comme un « avorton », etc. Dans L’Enfer de René Belletto (1986), le système de qualification fixe des personnages fonctionne à l’intérieur d’un seul roman : Rainer est l’artiste mutilé, Liliane, la « mère adoptive » ; Michèle est toujours caractérisée par l’« angoisse », Simon, « petit lapin d’enfer », est constamment décrit comme maléfique malgré son charme jusqu’à son énucléation qui le transforme purement et simplement en « petit lapin » ; son père est sempiternellement accompagné de la phrase nominale « un corps, rien qu’un corps ou de l’apposition « mort-vivant », etc. Le système prédicatif de Belletto travaille la répétition d’une façon tellement flagrante qu’il évoque un procédé musical : Françoise Escal appelle ces informations quasi invariantes, constitutives du leitmotiv,  des « indices36 », clichant chaque voix, chaque rôle de la partition.

27Les indices du roman policier fonctionnent d’ailleurs souvent comme des clichés ; autre rapprochement entre le roman policier et le conte de notre enfance : le seuil d’acceptabilité du lecteur, qui ne remet pas en question les « idées folles » du détective, quel que soit le nom qu’on leur donne, tout comme il accepte l’intervention du merveilleux dans le conte. Pour Denis Meillier, le lecteur doit lire les indices comme le fait l’enquêteur, et non comme des éléments objectivement présentés.

  • 37  Denis Meillier,  « L’Illusion logique du roman policier », in Philosophies du roman policier, Feuil (...)

Dans un récit de détection, il faut accepter les données factuelles comme on les accepte dans un conte merveilleux, et non comme une trace référencée du réel37.

  • 38  René Belletto, L’Enfer, Paris, P.O.L., Points, 1986, p. 82.

28C’est un peu comme si le cliché faisait le travail tout seul, puisqu’il convertit un fait en indice. Dans L’Enfer, l’enquêteur improvisé tombe ainsi sur les indices comme le lecteur sur le cliché (« Une des chambres de l’hôtel était éclairée. Tiens38.») Le très sérieux psychiatre du Tueur  s’émerveille régulièrement du pouvoir de ses « intuitions » qui lui font tomber dans les mains la « clé » (terme repris une dizaine de fois) de l’énigme, comme s’il pouvait réduire les arcanes de l’inconscient de son patient criminel à un simple rébus. Ainsi, le piège miroitant des coïncidences et des répétitions nous fait pressentir la vérité, accéder progressivement et de façon magique au sens, donnant ainsi pleinement raison à S.A. Steeman, qui plaça ce curieux conseil en exergue de son roman Zéro, en 1929 :

Les fées ont trouvé refuge dans ces endroits communément appelés par le profane lieux du crime. Ouvrez le roman policier avec un cœur d’enfant, car il est plus près du poème que de la vérité.

29S’il en est ainsi, c’est que la lecture du roman policier n’est pas faite pour un lecteur purement rationnel, à supposer qu’il existe. Le cliché, par la simplification qu’il opère, rend la réalité lisible, ce qui constitue un vrai bonheur…

  • 39   Manuel Vázquez  Montalbán, op. cit., p. 30.
  • 40  Marie-Claude Zimmermann, Poésie espagnole moderne et contemporaine, Paris, Dunod, 1995, p. 156.
  • 41  Manuel Vázquez Montalbán, Le Labyrinthe grec, 10/18, 1991, p. 20.

30Instrument de plaisir, le cliché l’est aussi puisque se désignant comme tel, il invite par lui-même à une lecture ironique, largement encouragée par un auteur comme Montalbán : d’un personnage féminin, il évoque les mains, « mains sensibles disaient les romanciers du siècle dernier, pour éviter de les décrire39 ». Le système clos créé par le stéréotype, et l’aspect ludique que cette liberté autorise, Montalbán a dû y être sensible : il a peut-être choisi le roman policier pour ses liens avec son écriture poétique, où sont utilisées « de manière totalement inédite les mythologies créées par les mass-media 40». Pepe Carvalho, en se désignant sans cesse lui-même comme stéréotype, en se singeant lui-même, dans son « bureau délabré des années quarante, pour ainsi dire rescapé d’une liquidation de décors appartenant à un producteur de films de Humphrey Bogart41 », nous introduit dans ce monde démystifiant du Carnaval. Le système comparatif du cliché essaime jusqu’au ridicule, par exemple l’animalité ; dans Les Mers du Sud, les voyous tueurs ne sont pas des grands fauves : l’un, surnommé « Crevette », a l’attitude d’un « chien » tout jeune, prêt à mordre, l’autre est un « jeune cheval » maladroit. Dans L’Enfer de Belletto, pour Soler, l’enquêteur, on attendrait les images du lion, du chien, d’un animal puissant armé d’un flair impressionnant, mais il est comparé à une grenouille, un cheval, un porc-épic, une chouette, etc.

  • 42  Jean-Claude Vareille, L’Homme masqué, le Justicier et le Détective, P.U.L., 1989, p. 101.
  • 43  Jean-Louis Dufays, op. cit., p. 37.

31L’intertexte si présent, dévoilé publiquement, fait finalement percevoir l’ensemble comme cliché. La littérature se dit alors d’elle-même pure redite. Par la répétition, l’auteur provoque le lecteur à ce jeu entre le même et l’autre, « Réécrire, refaire, c’est défaire un peu42 », note judicieusement Jean-Claude Vareille, évoquant l’inventivité braconneuse43 qu’appelle Jean-Louis Dufays de ses vœux. L’emprunt forcé devient manipulation jouissive d’un cliché ressassé, digéré, remanié, détourné, qui illustre le sort de tout ce que nous gardons en nous de la Bibliothèque.

Cliché et fantasme

32La réception de telles images est de surcroît garantie ; si elle est immédiate, le lecteur entrant tout de suite dans ce monde stéréotypé, elle n’est pas pour autant bornée, ouvrant au contraire la porte à toutes sortes de fantasmes : le cliché a ainsi un rôle économique dans l’écriture, son efficacité instantanée permettant en même temps des prolongements dans l’imaginaire du lecteur. Le premier niveau du déjà-dit, c’est le mot. Mais loin d’être une réduction sémantique, le cliché porte en lui une extension de possibles, autant pour l’auteur que pour le lecteur, avec des résonances variables et personnelles, même s’il part d’un schème collectif. Le langage policier crée une chaîne où les signifiants s’appellent et se nécessitent mutuellement, véhiculant un monde d’images.

33Michael Riffaterre récuse l’usure du cliché (dont l’expressivité est encore prouvée par l’effet qu’il provoque chez les lecteurs) et lui attribue un rôle mimétique ; le cliché est pour le lecteur une garantie de la vérité de l’œuvre, tout simplement parce qu’il renvoie à la somme de lieux communs qui constituent sa vision du monde :

  • 44  Michael Riffaterre, op. cit., p. 172. Cf. aussi D. Couégnas, Introduction à la paralittérature, Par (...)

Toute représentation verbale fait un tri dans la réalité, et hiérarchise ce qu’elle en retient. C’est probablement cette sélection qui donne naissance à la plupart des clichés. [...] En fait, les figures semblent bien se polariser autour des grands thèmes archétypes qui sollicitent de tout temps l’imagination humaine, ou aux tournants dramatiques de l’action ou de la pensée44. 

  • 45   Jean-Claude Vareille, op. cit., pp. 123-126.

34Ainsi, l’œuvre policière réactive des clichés, des fantasmes parfois séculaires, à l’instar de ce système très répandu dans l’imaginaire du roman policier qu’est l’animalité. Cet ensemble métaphorique, hérité des romans de la prairie, rapproche encore le genre de l’origine du roman, les récits oraux de chasse. Holmes ne porte-t-il pas la casquette traditionnelle du chasseur américain ? Le système comparatif devenu évident qu’est le cliché embarque le lecteur dans un monde imaginaire fait de chasseurs et de chassés, une « jungle ». Jean-Claude Vareille dit que ce trope de la chasse, typique du roman policier français, fait resurgir l’imaginaire collectif, dans une « primitivisation » des personnages45 ; laquelle, de surcroît, provoque une « primitivisation » des lecteurs. Le chapitre XL des Mers du Sud de Montalbán, où culmine la violence, c’est-à-dire le retour à l’instinct, est celui où le mot « animal » est le plus souvent répété, justifiant l’attitude déraisonnable des protagonistes, la naturalisant, y compris celle du détective déchaîné.

  • 46  Manuel Vázquez Montalbán, Tatouage, Paris, Christian Bourgois, 1990, p. 110.
  • 47  Paul Ricœur, Philosophie de la volonté, Finitude et Culpabilité, Livre II, la Symbolique du mal, Pa (...)
  • 48  Cf. Paul Ricœur, op. cit., p. 147.
  • 49  Marcel Détienne et Jean-Pierre Vernant, op. cit., p. 275, établissent le lien sémantique entre traj (...)

35Le cliché ouvre ainsi à une vision fantasmée, plus efficacement et plus rapidement que toute description détaillée ne peut rendre un paysage précis. Ainsi, en répétant presque à chaque page le mot « labyrinthe », autre cliché classique, lors de la quête nocturne de Carvalho dans Le Labyrinthe grec, et en lui adjoignant les clichés du lieu obscur, barré, étroit, au bout duquel se trouve ce que l’on cherche, Montalbán plonge son lecteur dans un univers fantasmé, inchangé depuis les contes de notre enfance. Autre exemple, dans Tatouage, où le cliché du lieu obscur, gluant, terrifiant, est utilisé lors de l’épisode de l’agression de Carvalho, jeté dans un canal d’Amsterdam : « Tout était noir [...] Sa main heurta la berge visqueuse du canal. Il crut toucher la peau palpitante d’un horrible animal humide [...] Il remonta lentement à la surface où il arriva les poumons vides, comme si on lui avait cloué soudain deux pierres en plein milieu de la poitrine46. » Or, Paul  Ricœur, cherchant tous les mots hébreux signifiant le péché, y a retrouvé bien des idées incluses dans le labyrinthe policier : la « voie tortueuse », l’« égarement », la « perdition 47».Toute cette symbolisation renvoie donc sans doute dans l’imaginaire à l’image chrétienne du péché comme lien et assujettissement48. Et la forme de ce lien, au niveau de la structure narrative qui détermine le roman policier, c’est le cheminement circulaire, erratique et forcé du détective49.

  • 50  Jean-Louis Dufays, op. cit., p. 92.
  • 51   Jean-Claude Vareille, Filatures, pp. 55-56.
  • 52   Id., p. 191.

36« Les stéréotypes seraient d’anciens archétypes50 », suppose Dufays, qui identifie scénario et mythe : c’est ce qu’on peut observer avec un autre cliché des plus courants dans le domaine policier, issu de Poe : le regard, la clairvoyance du détective. Dans L’Enfer, le narrateur, l’eye de l’histoire, se fait voyeur par vocation et par nécessité. Ce que Belletto emprunte au genre, c’est d’abord un langage. Ou plutôt, comme le dit Jean-Claude Vareille de l’auteur policier, « l’écrivain ne parle pas, un langage parle en lui51 » : Belletto est possédé par un langage, celui de ses lectures policières, qui parle à travers lui de ses obsessions et qui confère toute sa cohérence à cette construction romanesque. L’auteur joue avec les mots, comme dans les premiers romans policiers : ainsi, il utilise des mots-clés – que Jean-Claude Vareille rapproche des mots « générateurs52  » du Nouveau Roman -, comme « œil », clé du mystère. L’étude des romans policiers archaïques menée par Jean-Claude Vareille rend bien compte de cet aspect producteur du langage de L’Enfer. Belletto, ayant imprégné son récit du motif oculaire, redouble cette réactivation, ou s’assure de son fonctionnement en usant d’expressions décalées, surprenantes, comme « Je ne remuais pas un œil  ». Ce motif obsessionnel, qui possède un rôle prédictif, est à mettre en rapport avec le thème essentiel du double. Pour le mesurer, voyons ce qu’écrit Belletto au sujet de l’œil :

  • 53   René Belletto, Les grandes Espérances de Charles Dickens, Paris, P.O.L., 1994, pp. 38-39.

La vue est le sens par excellence, pour qui veut vivre, en dépit de son inexistence, par observation et par imitation [...] Pour qui en est réduit à regarder (boire des yeux, manger des yeux) pour s’approprier la substance qui lui fait défaut, et ne peut s’unir aux autres que par le regard. Pour qui se sent double et se voit partout, au point de transformer les autres en lui-même, par la force hypnotique de son regard [...] Pour qui veut percer un secret (voir, savoir, posséder la connaissance), se sent coupable de ce désir et craint d’être vu dans toute l’horreur de sa faute.
Pour qui peuple de visions effrayantes un monde où il est seul et coupable53.

37Tout ce que Belletto dit là du personnage de Dickens se rapporte strictement à son propre personnage-narrateur : en effet, Belletto en tant que lecteur a sélectionné une image récurrente chez Dickens, sur laquelle il a rêvé parce qu’elle entrait en synergie avec une représentation mentale peut-être encore larvée qu’elle a cristallisée. Alors dans L’Enfer, le motif de l’œil trouve sa raison d’être dans le dédoublement permanent, le besoin de savoir et la culpabilité qui hantent le roman.

  • 54  Yves Reuter, Le Roman policier, Nathan Université, 1997, p. 81. Cf. aussi Jean-Claude Vareille, Fil (...)
  • 55  Max Milner, On est prié de fermer les yeux, Paris, NRF, Gallimard, 1991, p. 38. Cf. tout le chapitr (...)

38Le cliché, réactivé, nous fait donc entrer dans l’imaginaire du texte et sa résonance doit nous donner la clé du mystère du personnage et celle du roman(cier). Enucléé, Simon, la victime dans L’Enfer, n’est plus dangereux, ni pour les autres, ni pour lui-même. Le cliché réactive alors des mythes anciens54, où s’expriment des interdits liés à la vue, d’Orphée à Loth. La référence finale à Dieu, à « l’œil impitoyable » est sans doute aussi révélatrice que l’invasion du champ lexical de l’enfer dans le roman éponyme de Belletto, dont l’écriture est si parlante - au lecteur de jouer à l’analyste dans ces romans envahis par la vision. Regarder vers l’enfer, c’est commettre une transgression et s’exposer à une punition sanctionnant un « désir de savoir » dont « le regard est un véhicule privilégié55 », pour Max Milner. Désir d’accéder à une connaissance de l’ordre du sacré, c’est-à-dire interdite aux hommes : l’enfer, lieu du refoulé, désignant comme l’inconscient une région inférieure, un lieu souterrain, emplacement du mal que l’homme ne doit pas interroger, un lieu de l’enfouissement du sens et de la vérité, gouffre où sont envoyés ceux qui ont voulu trop en savoir. « Le beau, l’aimable et l’inquiétant Simon », dont la « vue exceptionnelle » est soulignée à plusieurs reprises, est condamné à l’énucléation par le texte. Pourquoi ? Parce que tous craignent qu’il n’ait pas véritablement oublié huit jours de sa vie, huit jours durant lesquels il a été un témoin gênant. La lugubre reconstitution de cette scène à l’aide de mannequins de cire évoque irrésistiblement une sorte de scène primitive dont on cherche à extorquer la vérité à Simon ; Simon qui a tout « oublié », comme tout un chacun : « Il a eu un tel choc… ».

  • 56  René Belletto, op. cit., p. 251-257.
  • *  souligné par nous

39La description de cette scène, présentée comme terrifiante, est totalement axée sur le regard et l’interdit : « La galerie était étroite et ne nous empêchait pas de voir, en bas, une salle immense, une sorte de patio à ciel ouvert, si l’on ose dire, comme un espace central destiné à quelque spectacle ; […] or spectacle il y avait, et spectacle il y eut ! […] nous vîmes, malgré notre refus d’en croire nos yeux, nous vîmes des mannequins de cire […] A peine avions-nous vu que nous vîmes encore, mais cette fois, l’enfer allait se déchaîner, et nous emporter dans ses tourbillons ». Le bandit, figure de l’analyste terrifiant, voulant faire resurgir le refoulé par la violence, ôte le bandage qui couvre les yeux de Simon : « Souviens-toi ! Qu’est-ce que tu as vu ? Dis-moi seulement ce que tu as vu !… ». Il tire, symboliquement, sur le mannequin représentant le père de Simon, devant l’enfant déjà pétrifié, « qui semblait de cire sans vie56 » : « Ce que Simon et son père ont vu, ils sont seuls à l’avoir vu* ? », profère le dieu du texte, Von Gottardt.

  • 57  Cf. Sigmund Freud, L’Inquiétante étrangeté, Paris, NRF, Gallimard, 1985, pp. 209-263. Cf. aussi p. (...)

40En réalité, le père est condamné par le texte à la paralysie depuis les événements ici reconstitués, et son fils à l’énucléation, deux punitions fréquentes dans la mythologie pour ceux qui ont enfreint l’interdit, deux variantes de la castration redoutée par l’enfant au stade œdipien. La signification sexuelle de l’énucléation est d’ailleurs fréquemment soulignée dans ce roman où tout est « visible », par exemple page 289 :« […] on leur trancherait les parties viriles et on leur arracherait les yeux […] ». La terreur générale que répand cette scène laisse bien sûr penser qu’on a ici affaire à l’« inquiétante étrangeté57 » d’une scène déjà vécue, familière aux deux adultes qui revivent ici à travers Simon des images liées à l’enfance, mais refoulées car culpabilisantes.

  • 58  Max Milner, op. cit., p. 41 : « Celle-ci se manifeste chaque fois que l’origine cesse d’être perçue (...)

41Le récit policier avance par un long processus de retours en arrière. Le cheminement mental et physique du détective illustre ainsi à merveille ce que dit Max Milner de ce fatal besoin d’un regard en arrière, né d’un attrait pour ce qui a été refoulé (notamment les pulsions criminelles et sexuelles) que ce soit pour battre sa coulpe ou pour retrouver le plaisir contenu par ces désirs pulsionnels. Cette orientation scopique témoigne d’une « fascination de l’origine58 », évidente dans le cadre du roman policier. L’héritage de la paralittérature se fait sans conteste pleinement ressentir chez de nombreux auteurs, pour lesquels les propos de Daniel Couégnas s’appliquent parfaitement :

  • 59   Daniel Couégnas, op. cit., p. 95.

La force, l’efficacité du texte paralittéraire tiennent […] à son insidieuse lisibilité : un effet de mimesis, dans lequel les clichés se taillent la part du lion, nous fait glisser rapidement vers cette « pararéalité » qui possède la force de séduction et de fascination du rêve. Négation du principe d’identité, métamorphose de la personnalité, impérialisme du désir, volonté de puissance, pouvoir du verbe, maîtrise du temps… Tout cela à travers une expérience de lecture où se combinent sentiment de familiarité et sentiment d’étrangeté59. 

42Le travail sur le langage est donc fondamental : le cliché, le motif, les images fortes du roman policier forment l’héritage de la paralittérature; par eux, l’écrivain est parlé, donc le texte est parlant, il évoque l’Autre Scène. A l’inverse, l’abandon de ces images fortes laisse la logique et la recherche formelle dévorer le langage, le rend impalpable et univoque, formant entre l’écrivain et le lecteur un écran parfaitement opaque qui dérobe à l’un et à l’autre les fantasmes qui sous-tendent l’écriture.

43Cette autonomie ne peut que plaire à Belletto, puisqu’on dégage la langue de la nécessité de ramener au réel et de le signifier strictement. L’auteur lyonnais donne d’ailleurs cette indépendance - ou cette dépendance inversée - comme « clé de [l’]esthétique » de Charles Dickens, dans cette étude de l’œuvre d’un autre qui donne tant d’éclaircissements sur la sienne propre :

  • 60   René Belletto, L’Enfer, p. 48.

Il n’y a pas une réalité préexistante qui serait produite en mots mais des mots qui suscitent une fausse réalité. La réalité est comme une vision, une apparition, un fantôme issu des mots - un double des mots60

  • 61  Sigmund Freud, Essais de psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1981, p. 78 : « […] l’enfa (...)
  • 62  Cf. encore Freud, op. cit., p. 79 : « Il n’y a pas là contradiction au principe de plaisir ; il est (...)

44La répétition de scènes, comme la scène primitive, ou d’une structure archétypale, peut être douloureuse (on pense à Simenon), mais elle peut constituer également le moyen d’accéder à une certaine « maîtrise61 » du contenu oppressant du refoulé. Dans cette perspective, l’écriture fictionnelle se présente comme le biais par lequel l’écrivain  s’empare de son vécu conscient et inconscient et tente de l’assumer ; par le biais du cliché, ce contenu pénible peut être neutralisé, et même constituer une source de jouissance62.

  • 63  Colas Duflo, « le Livre des facultés : l’invention du lecteur de roman policier », in Philosophies (...)

45La mécanique intellectuelle, dont rêvait Van Dine, est donc constamment contrebalancée par l’immersion dans ce monde obscur introduit par le crime, qui stimule l’imaginaire du lecteur et l’entraîne dans des fantasmes et des peurs primitives. Le romancier qui oublierait cela réduirait son lectorat aux seuls raisonneurs, et appauvrirait les possibilités de son œuvre. Car un roman policier offre plusieurs lectures, et il serait illusoire de s’imaginer un lecteur réfléchissant sans cesse, suivant pas à pas les indices et le détective. Par moments, ou presque à tout instant selon les lecteurs, l’imaginaire, stimulé par les clichés, prend le dessus. La place des images primitives dans le roman policier motive même souvent le plaisir qu’on peut trouver à le relire, quoi qu’on en dise. On reproche au cliché de ne pas être original ? C’est que nous replongeons grâce à lui avec délice dans l’originel, « car il n’y a de lecture qu’impure du roman de détection63 », dit Colas Duflo.

Fécondité du cliché

46En fin de compte, si le cliché prolonge la lecture dans le hors texte d’une rêverie, on peut aussi affirmer qu’il pousse à écrire, comme la comptine (qui donne même l’idée d’une structure, cf. Agatha Christie), comme le conte (cf. l’utilisation d’Alice au pays des Merveilles dans La Nuit du Jabberwock de Fredric Brown). Cette fécondité provient des extensions qu’il permet dans l’imaginaire du créateur (réactivation, essaimage, métaphore filée), aussi bien que des réactions qu’il provoque, de l’ordre du rejet ou de l’acceptation. D’ailleurs, lorsque la parodie s’attaque au genre policier, elle se manifeste précisément par son traitement de ce qui est l’horizon d’attente du lecteur ; la parodie se nourrit du cliché et du besoin de clichage du lecteur, elle en prend acte et ainsi le stéréotype trouve encore par ce type d’écriture imitative (et donc répétitive) l’occasion de nous réjouir, tout en permettant à un écrivain de s’épanouir.

  • 64   René Belletto, Interview à Ecrivain Magazine, n. 2, janv. 1996, p. 42.

47Le premier chapitre des Mers du Sud de Montalbán est ainsi une sorte de mimotexte du polar américain, comme si l’auteur voulait passer du pastiche à la création, non pas d’une œuvre à l’autre comme la plupart des écrivains (Belletto décrète son tout premier roman impubliable : « C’est de l’imitation64», dit-il), mais au cours du même roman ; comme si ce début servait de matrice au soi propre. Prenant une métaphore dans le texte lui-même, on dirait qu’il faut d’abord voler la « céixe » de luxe (ce que font les voyous du premier chapitre), c’est-à-dire le genre littéraire reconnu et identifié clairement par le lecteur comme polar, ceci avant d’engendrer quelque chose de personnel, qui fera oublier la « céixe », dédaignée par le lecteur pour un crime plus intéressant.

48Apparemment, Montalbán reproduit l’idiolecte du modèle, d’où le surnom des voyous (Gueulenoire, Leveau), le lien entre sexe et violence, la vulgarité et la pauvreté réalistes des dialogues : « ça, ça me plaît, dit Leveau en riant. J’appellerai la vieille : allô la tante, je suis en train de baiser dans une céixe ! ». De plus, les descriptions figurent une ville glauque à souhait et le récit illustre le traditionnel combat entre forces de l’ordre et criminels : vol d’une voiture, poursuite, issue sanglante, fuite. Et bien sûr, le style est la sobriété et l’efficacité mêmes, puisque c’est justement ce qu’ont appris les auteurs de romans noirs européens des américains fondateurs du genre : phrases brèves, verbes d’action, métaphores attendues : « Il s’élança, en courant à toute bourre, les talons contre les fesses, les bras agités comme des pistons, pour se frayer un passage dans la nuit ».

  • 65   Frank Evrard, op. cit., p. 9.

De nombreux romans policiers, loin de chercher l’illusion référentielle, affirment leur nature langagière, l’arbitraire des mots qui les constituent et mettent à distance ironique ou parodique le texte65

49Montalbán appartient bien à cette catégorie évoquée par Franck Evrard puisqu’en effet, non seulement tout cela est franchement caricatural, encourageant une lecture ironique, mais de plus les personnages habituels du roman américain sont fortement dévalués : d’après Somerset Maugham, un des théoriciens du genre policier classique, les dix premières pages ne doivent pas être consacrées au bandit car le lecteur a un mouvement de sympathie instinctif envers le premier visage qu’il découvre dans le texte. Ici, non seulement ce sont des « méchants » qui entrent les premiers en scène, mais en plus se produit un phénomène que Gérard Genette appellerait « dégradation d’action », puisque les personnages présentés sont fortement dévalués par rapport au bandit classique, horrible mais brillant, fascinant : ce ne sont ici que de vulgaires voyous, incapables de transgresser plus de dix minutes la loi impunément ; en outre, ils disparaissent définitivement au bout d’un chapitre ! Par la suite, en fait, on se rend compte que le premier chapitre n’était pas gratuit au niveau du récit : il constituait un indice textuel ; la victime, Stuart Pedrell, a été tuée par des voyous aussi peu reluisants que Leveau et Gueulenoire.

  • 66   Michel Schneider, Voleurs de mots, Essai sur le plagiat, la psychanalyse et la pensée, Gallimard, (...)

50On peut donc concevoir ce chapitre comme une sorte d’hommage amusé au genre traditionnel, comme si Montalbán voulait se débarrasser de ses influences, s’interdisant toute cryptomnésie, par un mimétisme concerté, pour se constituer (comme Proust avec ses Pastiches) un style propre, en allant du texte-père au texte-cible : « L’écrivain tue en lui le plagiaire66 », écrit Michel Schneider. L’auteur barcelonais accumule les clichés du genre dans ce premier chapitre, dénonçant par l’ironie la répétition qui sclérose le policier : il s’en distancie par l’outrance, mettant en avant l’inertie d’une littérature figée. Ce faisant, il relance la signification des images policières, qui interviendront dans la suite de son récit, réactivées, dans une nouvelle mise en contexte.

  • 67  Umberto Eco, Lector in Fabula, Paris, Grasset, le Livre de Poche, Biblio Essais, 1985, p. 118-9.

51Ce que dit finalement le roman, c’est que le personnage de Stuart Pedrell est mort de ne plus avoir supporté d’être cliché par son entourage, ainsi que le découvrira Carvalho à travers son enquête. Le premier chapitre évoque ce poids du stéréotype, dont le personnage a tenté de s’extirper, tentant de réinventer sa vie, d’échapper aux codes et à la doxa, mais retombant dans d’autres stéréotypes. Le début du livre échappe, lui, en jouant sur le stéréotype, à son rôle de « marqueur de topic67 », puisqu’il n’est pas programmatique du livre : si le lecteur se fonde sur lui, comme il devrait pouvoir le faire, pour mettre en place une lecture stéréotypée, il va rapidement être déstabilisé, et mis dans une posture d’attente que recherche l’auteur ; et pourtant, la clé de l’énigme est habilement contenue dans ces lignes, et aussi le sens (la direction, la signification) de l’écriture, qui va affirmer le dialogisme.

52Ainsi, Montalbán commence par la caricature pour aller vers le récit personnel, en se débarrassant au premier chapitre du récit policier typique et figé ; il se délivre du texte-père, cadavre pesant, se jouant de nos attentes pour mieux nous combler, et recrée le désir de texte, le nôtre et le sien… D’après Jean-Claude Vareille, l’auteur qui manifeste une telle dérision permettrait au lecteur une liberté faite de lucidité et de détachement, en même temps que le champ littéraire devient une rencontre permanente de significations :

  • 68  Jean-Claude Vareille, L’Homme masqué, p. 98.

Passé un certain seuil, l’écriture n’étant plus possible et seule subsistant la réécriture, s’installe une intense circulation de sens, lesquels partent dans toutes les directions : ce texte étoilé, morcelé, éclaté, écartelé, qui ne s’affirme que par tout un jeu de reflets, de miroitements et de dédoublements, ce texte qui n’existe qu’à travers ce qui n’est pas lui, peut-être conviendrait-il de l’appeler un texte baroque68

  • 69  Gilbert Pestureau, « Les Oulipoliciers ou un crime peut en cacher un autre », in Modernités, revue (...)

53Ainsi la répétition libère-t-elle, dans le domaine baroque comme dans l’écriture. Introduisant une distance carnavalesque, elle permet de dénoncer ce qui est sclérosé, en réintroduisant le mouvement dans une structure aussi figée que celle du roman policier : cela va être le but des oulipoliciers, comme Jacques Roubaud (La belle Hortense), qui, à coups de transpositions, de croisements, de métissages, de collages, d’interversions, de scissiparité, font de leur lecteur un détective en quête d’intertexte, et mettent à mort joyeusement le livre-père, dans ce que Gilbert Pestureau appelle une « fécondation incestueuse69 ».

54Le cliché dans le roman policier, et plus largement le système de réduplication, est dès lors un moyen de renouveler l’objet littéraire, via la parodie (Montalbán, Belletto, les oulipoliciers) ou en tant que tel : les images ou la structure récurrente du domaine policier, transportées dans un roman, aussi novateur soit-il (par exemple Les Gommes de Robbe-Grillet), permettent au lecteur d’entrer dans le livre et d’accepter le nouveau jeu qu’il propose. Autrement dit, le cliché est expressif parce qu’il relève de ce que Michael Riffaterre appelle l’« esthétique de la plénitude », clé d’un monde largement éprouvé, et parce qu’il fait immédiatement percevoir au lecteur tout renouvellement :

  • 70  Michael Riffaterre, op. cit., p. 172 et pp. 167-168. M. Riffaterre parle du cliché dans ses potenti (...)

Car ce n’est pas en ôtant au cliché ce qu’il a de stéréotypé qu’il rend au procédé de style sa fraîcheur : le renouvellement présuppose au contraire le maintien du stéréotype comme pôle d’opposition par rapport auquel la modification d’un ou plusieurs éléments fera contraste70.

  • 71  Cf. Iouri Lotman, Structure du texte artistique, NRF, Gallimard, Bibliothèque des Sciences humaines (...)
  • 72 Alain-Michel Boyer, « Questions de paralittérature », in Poétique n. 98, p. 148. L’expression figure (...)

55Si l’on peut parler de traces du roman policier chez des auteurs comme Juan Marsé, Patrick Modiano ou Michel Del Castillo, c’est précisément, notamment, parce que leur tissu narratif est parcouru de ces clichés policiers ; il est évident que la résurgence de ces marques génériques que sont les clichés aide le lecteur à accepter tout ce que ces œuvres, à l’instar de celles de Robbe-Grillet, ont de novateur et de déroutant. Le déjà-lu, élément d’une mémoire collective, d’une communauté de lecture – on pense à la volonté de Montalbán de créer une « littérature communicative » – soutient le lecteur, qui ne part pas dans un inconnu total et accepte plus aisément de lâcher prise par rapport à d’autres habitudes et ainsi de renouveler son mode de lecture71 : rénové par une utilisation différente, le cliché policier serait dès lors non le matériau régressif qu’on voit seulement en lui, mais un moteur, un « appât », un outil de « captatio benevolentiae72 », qu’Alain-Michel Boyer relie à l’oralité du style (la paralittérature ayant sans doute pris la place de la littérature orale) en en soulignant l’importance :

  • 73  Id., p. 134.

Certes, l’œuvre n’est pas la simple combinaison d’éléments préexistants ; écrire ne consiste pas à organiser de façon sérielle les fragments épars d’un déjà-là, d’un déjà-dit. Mais le recours au stéréotype est fondamental ; il est une référence à un savoir commun, c’est un clin d’œil de connivence, et, à ce titre, il recèle une vertu euphorisante73

  • 74  Michael Riffaterre, La Production du texte, Paris, Seuil, 1979, p. 162.

56Pour l’avoir oublié, bien des auteurs sont tombés dans une impasse, ayant franchi le seuil de lisibilité : pour Michael Riffaterre, le cliché permet au lecteur de coopérer au texte, d’engager une démarche de déchiffrement, en lui assurant une certaine prévisibilité, « facteur fondamental du narratif74 ». En tant qu’outil de recherche narrative, du Nouveau Roman à Jean Lahougue ou Benoît Peeters, le roman policier rend alors sensible le problème de ce qu’est le livre, de ce qu’est la lecture, de ce qu’est la littérature : c’est le débat entre le texte à contrainte et le texte aisément lisible, entre le texte qui exige un déchiffrement et la perception d’une clé et le texte qui s’ouvre tout seul, sur un terrain familier. On voit, évidemment, ce que le genre, par sa nature même, offre comme arguments aux deux camps : lecture herméneutique par excellence, le texte policier est saturé d’indices et de leurres, mettant en échec les stratégies de lecture ; en même temps, la force de la présence hypotextuelle fait baigner le lecteur dans la quiétude du déjà-lu, et la matière romanesque lisible attire et concentre les clichés.

  • 75  Manuel Vázquez Montalbán, Interview au magazine Hard-Boiled-Dick, nn. 20-21, 1989,  Manuel Vásquez (...)

57Ceux-ci sont, de toute façon, inévitables, et on a vu pourquoi… L’écrivain doit en prendre acte, ce qui n’est pas aisé. Le stéréotype est une question d’écriture, il la met en question. Montalban a souvent confié que son cycle policier traduisait «  un certain pessimisme face à la possibilité de faire du roman75... » Et Manchette s’est tu lorsqu’il a compris que dénoncer les clichés c’était fonder une nouvelle doxa. Si le cliché stimule l’écriture, c’est aussi par cet effort perpétuel qu’il requiert pour jouer avec (ou contre) lui, contre la page blanche.

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Bibliographie

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Notes

1 Uri Eizenzwzeig, Autopsies du roman policier, Paris, U.G.E., 10/18, 1983, p. 8 : « A bien examiner ce qui s’est dit, depuis près d’un siècle, sur ce sujet, on se prend à soupçonner que l’histoire du roman policier pourrait n’être, après tout, que celle d’une perception. » 
2 Claude Amey, Roman policier et rapport juridique, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 194. Cf. p. 197 : « C’est ainsi qu’il est le moment pétrifié d’une problématique littéraire, moment qui coïncide avec les conditions d’acceptabilité dans le cycle de la consommation courante. ». Cf. aussi p. 191.
3 Jean-Louis Dufays, Stéréotype et lecture, Liège, Mardaga, 1994, p. 81.
4  Nous reprenons les termes et la distinction établis par Jean Ricardou pour définir la double nature de la fiction, in Le Nouveau Roman, Seuil, Ecrivains de toujours, 1973, pp. 28-29.
5 Jean Fabre, « Heuristique et littérarité du roman d’énigme », in Les Cahiers des Paralittératures, « Agatha Christie et le roman policier d’énigme », Actes du 5ème colloque international des Paralittératures de Chaudfontaine (nov. 1991), Textes réunis par J.M. Graitson, Bibliothèque des Paralittératures de Chaudfontaine, Liège,  CEFAL, 1994, pp. 117-120. On retrouve la même condamnation de la part d’Annie Combes, dans le même recueil, note 12, p. 94.
6 Jean-Paul Colin, Le Roman policier français archaïque, Berne, Francfort-s. Main, New-York,. Peter Lang, 1984, p. 253. Cf. aussi p. 13 et p. 252.  
7  Cf. Jean-Bernard. Pouy, « Miscellanées », in les Temps Modernes, Roman noir, Pas d’orchidées pour les Temps Modernes, n. 595, oct. 1997, pp. 224-237, article sous-titré :  « [...] dix trucs désormais à éviter quand on veut écrire un polar [...] », variante des règles de Van Dine ; il semble que le néo-polar soit parfois aussi prescriptif que le roman-problème...
8  Jean-Louis Dufays, op. cit., p. 92 : « C’est lorsqu’une collectivité identifie une série de textes comme porteuse d’un même ensemble de prédicats et de motifs qu’elle commence à percevoir cette série comme constituant un genre. ».
9 Wolf Dieter Stempel,  in G. Genette, H.R. Jauss, J.M. Schaeffer, R. Scholes, W.D. Stempel, K. Viëtor, Théorie des genres, Points, Seuil, 1986, p. 164.
10 Jean-Marie Schaeffer, op. cit., p. 71.
11 Gérard Genette, Palimpsestes, la Littérature au second degré, Seuil, 1982, p. 146.
12   Cf. Jean-Claude Vareille, Filatures, Itinéraire à travers les cycles de Lupin et de Rouletabille, Presses Universitaires de Grenoble, 1980, pp. 34-35. « Le roman policier de la Belle Epoque, genre prétendument scientiste, noie la logique sous une foule d’images qui ramènent à une pensée primitive. Ou plus exactement, il n’atteint au statut de genre littéraire que grâce à et par l’emploi de l’image. »
13  Jean-Patrick Manchette, Chroniques, Paris, Rivages/Ecrits noirs, 1996, p. 256. Cf. p. 247 sq.
14  Jean Ricardou, Problèmes du Nouveau Roman, Paris, Seuil, 1967, p. 128.
15  Françoise Escal, Contrepoints, Musique et Littérature, Paris, Méridiens Klincksieck, 1990, p. 16.
16  Cf. Michael Riffaterre, Essais de stylistique structurale, Paris, Flammarion, Nouvelle Bibliothèque scientifique, 1971, p. 173 : « Le rôle du contexte spécialisé est donc d’abord d’être une marque de littérarité, ensuite d’être une marque de genre. »
17 « [...] ce sont des variations sur des thèmes plus ou moins conventionnels qui constituent une des caractéristiques fondamentales du roman policier et qui confèrent une esthétique à ce genre [...] » : Bertold Brecht, cité par Frank Evrard, in Lire le roman policier, sous la direction de D. Bergez, Dunod, 1996, p. 10.
18 Jean-Noël Blanc, Polarville, images de la ville dans le roman policier, P.U.L., 1991, pp. 61-62.
19 Käte Hamburger, Logique des genres littéraires, Paris, Seuil, 1986 , p. 126.
20 Thomas Pavel, Univers de la fiction, Paris, Seuil, 1988 , p. 42.
21  Franck Evrard, op. cit., p. 89.
22 Paul Auster, Cité de verre, Arles, Actes Sud, 1987, p. 83.
23 Jean Ricardou, op. cit., p. 143.
24 Il le raconte dans sa biographie, le Diable par la queue, Arles, Actes Sud, 1996,  p. 150. Dans Cité de Verre, p. 14, P. Auster affirme que « l’écrivain et le détective sont interchangeables ».
25 Emile Gaboriau , Monsieur Lecoq, Le Livre de l’Avenir, 1866, p. 23.
26 La mètis (du nom de la déesse Mètis, mère de Póros, le trajet) désigne une « puissance de ruse et de tromperie », une forme d’intelligence décrite par Marcel Détienne et Jean-Pierre Vernant, in Les Ruses de l’intelligence, la mètis des grecs, Paris, Flammarion Nouvelle Bibliothèque Scientifique, 1974, cf. notamment p. 29.
27 Platon, d’ailleurs, exclut les poètes de sa République idéale. Cf. Rezvani, L ’Enigme, Arles, Actes Sud, 1995, p. 46 : « Tout poète est un criminel de mots à défaut de tueur d’êtres. » Cf. aussi, p. 59 : « Oui, il y  a toujours un peu de « crime » dans tout écrit novateur ».
28  Jean-Louis Dufays, op. cit., p. 169.
29  Michel Picard, « La Lecture comme jeu », in Poétique, n. 58, Archéologie du Poétique, Seuil, avril 1984, p. 262.
30  Umberto Eco, De Superman au Surhomme, Paris, Grasset, 1993, p. 19.
31 Manuel Vázquez Montalbán, La Solitude du Manager,  Paris, 10/18, 1988, p. 27.
32   Cf. Georges Tyras, « A la recherche du récit perdu », La Rénovation du roman espagnol depuis 1975, P.U.M., 1993, p. 71 : « Chacun aura un film à apercevoir sous cette évocation. Encore que la non identification précise d’un support non seulement ne nuit pas au bon fonctionnement du jeu référentiel, mais au contraire y contribue puisque celui-ci dote le texte d’un surcroît de fictionnalité.  »
33 Manuel Vázquez Montalbán, Les Mers du Sud, Paris, 10/18, 1988, p. 113.
34  Umberto Eco , op.cit., p. 158.
35 Manuel Vázquez Montalbán, op. cit., p. 114.
36 Françoise Escal, op. cit., pp. 26-27. « On peut rapprocher du thème, en musique, comme unité de contenu, le Leitmotiv [...] Cela consiste à accoler à chaque personnage, à chaque objet important (l’épée de Siegfried), à chaque thème (l’amour, la mort), un thème mélodique qui réapparaît en même temps que ce qu’il indexe. Si le drame le demande, il peut être modifié. Il nous renseigne . » Cf., à ce sujet, notre rapprochement entre musique et écriture, in M. François, «  L’Enfer de René Belletto : vers une écriture musicale », « Correspondances, Pour une redéfinition des rapports entre la littérature et les arts », Etudes réunies par Chris Rauseo, Karl Zieger et Arnaud Huftier, SFLGC, Camelia, Presses Universitaires de Valenciennes, sept. 2007
37 Denis Meillier,  « L’Illusion logique du roman policier », in Philosophies du roman policier, Feuillets de l’E.N.S., Fontenay St Cloud, Formation Histoire des Idées et des lettres, 1995, p. 90.
38 René Belletto, L’Enfer, Paris, P.O.L., Points, 1986, p. 82.
39  Manuel Vázquez  Montalbán, op. cit., p. 30.
40 Marie-Claude Zimmermann, Poésie espagnole moderne et contemporaine, Paris, Dunod, 1995, p. 156.
41 Manuel Vázquez Montalbán, Le Labyrinthe grec, 10/18, 1991, p. 20.
42 Jean-Claude Vareille, L’Homme masqué, le Justicier et le Détective, P.U.L., 1989, p. 101.
43 Jean-Louis Dufays, op. cit., p. 37.
44 Michael Riffaterre, op. cit., p. 172. Cf. aussi D. Couégnas , Introduction à la paralittérature, Paris, Seuil, 1992, p. 93 : « le culturel est assimilé au naturel  ».
45  Jean-Claude Vareille, op. cit., pp. 123-126.
46 Manuel Vázquez Montalbán, Tatouage, Paris, Christian Bourgois, 1990, p. 110.
47 Paul Ricœur, Philosophie de la volonté, Finitude et Culpabilité, Livre II, la Symbolique du mal, Paris, Aubier Montaigne, 1960, pp. 74-75. P. Ricœur fait remarquer que chez les Grecs, le symbole de la voie est remplacé par celui de « l’erreur ou de l’errance ».
48  Cf. Paul Ricœur, op. cit., p. 147.
49 Marcel Détienne et Jean-Pierre Vernant, op. cit., p. 275, établissent le lien sémantique entre trajet et lien chez les Grecs, dans une partie consacrée au cercle et au lien.
50 Jean-Louis Dufays, op. cit., p. 92.
51  Jean-Claude Vareille, Filatures, pp. 55-56.
52   Id., p. 191.
53  René Belletto, Les grandes Espérances de Charles Dickens, Paris, P.O.L., 1994, pp. 38-39.
54 Yves Reuter, Le Roman policier, Nathan Université, 1997, p. 81. Cf. aussi Jean-Claude Vareille, Filatures, p. 165 : « L’histoire qui se noue hic et nunc s’intègre dans une chronologie et en même temps ne constitue que la répétition de quelque chose qui s’est passé dans le temps héroïque des Origines. »
55 Max Milner, On est prié de fermer les yeux, Paris, NRF, Gallimard, 1991, p. 38. Cf. tout le chapitre sur le regard en arrière dans les mythologies grecque et chrétienne.
56 René Belletto, op. cit., p. 251-257.
* souligné par nous
57  Cf. Sigmund Freud, L’Inquiétante étrangeté, Paris, NRF, Gallimard, 1985, pp. 209-263. Cf. aussi p. 258 : « […] l’inquiétante étrangeté vécue se constitue lorsque des complexes infantiles refoulés sont ranimés par une impression, ou lorsque des convictions primitives dépassées paraissent à nouveau confirmées ».
58 Max Milner, op. cit., p. 41 : « Celle-ci se manifeste chaque fois que l’origine cesse d’être perçue comme le lieu d’une absence, chaque fois qu’elle est instaurée comme un commencement absolu, dont la fixité se reflète dans le regard qu’on porte sur elle, et non comme un lieu de passage, comme le vide ou le temps mort qui rend possible une démarche.  » Cf. aussi Jean-Claude Vareille, Filatures, p. 156 : « Tout vient donc du passé. Or le passé est en chacun de nous présent-absent ; présent parce qu’il nous conditionne, absent parce que nous l’avons oublié. C’est la définition du latent. »
59  Daniel Couégnas, op. cit., p. 95.
60  René Belletto, L’Enfer, p. 48.
61 Sigmund Freud, Essais de psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1981, p. 78 : « […] l’enfant répète l’expérience vécue même déplaisante pour la raison qu’il acquiert par son activité une maîtrise bien plus radicale de l’impression forte qu’il ne le pouvait en se bornant à l’éprouver passivement. Chaque nouvelle répétition semble améliorer cette maîtrise vers laquelle tend l’enfant.  »
62  Cf. encore Freud, op. cit., p. 79 : « Il n’y a pas là contradiction au principe de plaisir ; il est évident que répéter, retrouver l’identité constitue en soi une source de plaisir »
63 Colas Duflo, « le Livre des facultés : l’invention du lecteur de roman policier », in Philosophies du roman policier, p. 129.
64  René Belletto, Interview à Ecrivain Magazine, n. 2, janv. 1996, p. 42.
65  Frank Evrard, op. cit., p. 9.
66  Michel Schneider, Voleurs de mots, Essai sur le plagiat, la psychanalyse et la pensée, Gallimard, 1985, p. 34.
67 Umberto Eco, Lector in Fabula, Paris, Grasset, le Livre de Poche, Biblio Essais, 1985, p. 118-9.
68 Jean-Claude Vareille, L’Homme masqué, p. 98.
69 Gilbert Pestureau, « Les Oulipoliciers ou un crime peut en cacher un autre », in Modernités, revue du Groupe de Recherches sur les Modernités, n. 2, Criminels et Détectives, Université de Nantes, 1988, p. 210.
70 Michael Riffaterre, op. cit., p. 172 et pp. 167-168. M. Riffaterre parle du cliché dans ses potentialités combinatoires, tandis que Roland Barthes, in Le Plaisir du texte, , Paris, Seuil, Points Essais, 1973, p. 58, a tendance à l’isoler, lorsqu’il pose la puissance érotique du mot, « à deux conditions opposées » : « ce qui est creusé, pilonné ou ce qui éclate, détonne. »
71  Cf. Iouri Lotman, Structure du texte artistique, NRF, Gallimard, Bibliothèque des Sciences humaines, 1973, pp. 397-398 : « Les stéréotypes de la conscience jouent un rôle énorme dans le processus de la connaissance et - plus largement - dans le processus de la transformation de l’information »
72Alain-Michel Boyer, « Questions de paralittérature », in Poétique n. 98, p. 148. L’expression figure également chez J.C. Vareille, l’Homme masqué, p. 91.
73 Id., p. 134.
74 Michael Riffaterre, La Production du texte, Paris, Seuil, 1979, p. 162.
75 Manuel Vázquez Montalbán, Interview au magazine Hard-Boiled-Dick, nn. 20-21, 1989,  Manuel Vásquez Montalbán et le roman noir espagnol, p. 82.
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Pour citer cet article

Référence électronique

Marion François, « Le stéréotype dans le roman policier », Cahiers de Narratologie [En ligne], 17 | 2009, mis en ligne le 22 décembre 2009, consulté le 27 février 2014. URL : http://narratologie.revues.org/1095

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Auteur

Marion François

Docteur en littérature française et en littérature comparée, e.cri.re (Université de Grenoble)

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      Cahiers de Narratologie
      Analyse et théorie narratives
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      Littératures
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      1765-307X
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