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Administration du personnel ou gestion des ressources humaines au sein de la fonction publique ?
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Analyse et description d'expériences

Administration du personnel ou gestion des ressources humaines au sein de la fonction publique ?

Thibaut Duvillier
p. 57-66

Résumé

Bien souvent, dans le langage courant comme au sein de nombreux ouvrages scientifiques, on tend à confondre "l'administration du personnel" et "la gestion des ressources humaines". Au regard des politiques de mobilité et d'évaluation des performances au sein de l'administration publique, nous souhaiterions toutefois mettre en lumière une différence essentielle entre un mode de gestion du personnel qui, basé sur un important corpus juridique, répond aux strictes contraintes réglementaires et légales en la matière et une pratique de gestion des ressources humaines caractérisée par la mise en oeuvre de méthodes plus "relationnelles" qui, nécessitant une forte volonté de changement tant de la part du monde politique que des acteurs de terrain, pourrait, lorsque les statuts le permettent, conduire à une meilleure prise en considération des aspirations des fonctionnaires dans une perspective d'amélioration du service public.

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Texte intégral

Introduction

1Depuis que les décideurs politiques ambitionnent de moderniser l'administration publique belge, la gestion des ressources humaines figure à l'avant-plan des réformes à réaliser. En effet, à titre d'exemple, pourrait-on envisager de simplifier la lisibilité de textes administratifs à l'attention des usagers ou clients des services publics sans modifier le comportement des acteurs qui s'attèlent à l'élaboration de tels documents officiels. Effectivement, évitant tout risque de réification, nous partons du postulat que toute organisation n'existe que par le jeu d'actions et d'interactions qui s'y déroule en permanence entre les différents membres du personnel. Dès lors, nous comprenons bien l'importance de l'attention portée aux ressources humaines dans le cadre de restructurations organisationnelles. La tendance actuelle du milieu politique semble à la managérialisation des méthodes de travail traditionnelles. Le ministre de la Fonction publique, Luc Van den Bossche, désire d'ailleurs créer au sein de chaque ministère une cellule de Gestion des Ressources Humaines (GRH) chargée d'impulser une dynamique de changement organisationnel et comportemental sous la houlette d'un expert en management humain. Même au niveau du recrutement, l'idée germe de plus en plus de faire appel à des consultants en GRH issus du secteur privé afin que, contrairement à ce qui se passe actuellement dans le cadre de concours très généraux, chaque personne puisse occuper une fonction en rapport avec ses compétences et ses aspirations professionnelles.

2Même si ces activités recouvrent en partie une même réalité, nous distinguerions toutefois celles d'administration du personnel d'une part de celles de gestion des ressources humaines d'autre part. Schématiquement, la première pourrait se composer de l'ensemble des tâches que toute organisation publique ou privée se doit de réaliser dans le cadre de son cycle de vie. A titre d'exemple, nous pouvons citer la procédure de recrutement et de sélection, la gestion des salaires et des avantages extralégaux ou encore le suivi des relations collectives du travail. A partir du moment où l'organisation se développe et tend à rechercher un équilibre structurel et organisationnel avec son environnement, le volet « plus relationnel » de la gestion des ressources humaines devra faire l'objet d'une attention croissante de la part du sommet hiérarchique. A ce niveau, nous pouvons parler de formation et de développement continu du potentiel du personnel, d'évaluation des compétences, de communication interne et externe, de description des emplois ou encore de mobilité interne.

3Or, dans l'administration publique belge, du moins au niveau fédéral, l'élaboration de telles procédures et leur mise en œuvre se heurtent à de multiples obstacles dont le statut juridique des fonctionnaires. La rigidité en la matière associée à une perception traditionnelle de l'administration empreinte de hiérarchie pesante, de respect scrupuleux et « inhumain » de la règle (au sens de « sans considérations humaines »), de résistance au changement ou encore de lourdeur et de lenteur administratives affectent grandement les perspectives d'implémentation d'outils et de méthodes de gestion utilisés par le secteur privé au sein d'administrations publiques dont les hauts fonctionnaires ne cessent de mettre en exergue les spécificités.

4Nous nous proposons de présenter, dans les grandes lignes, la politique de gestion des ressources humaines en matière de mobilité interne et d'évaluation des compétences dans la fonction publique fédérale. Les obstacles à leur réalisation ne sont pas entièrement dus au statut juridique. Ils peuvent aussi résulter de la structure organisationnelle bureaucratique au sein de laquelle s'intègrent les actions des fonctionnaires. Il n'en demeure cependant pas moins que le développement impressionnant de règles impersonnelles assurant la protection des fonctionnaires contre l'arbitraire du chef constitue un des principaux freins ou plutôt, une des principales contraintes en matière de restructuration organisationnelle.

La politique de mobilité interne

5La politique de la mobilité interne constitue un outil précieux de gestion des ressources humaines dans la mesure où elle favorise les échanges relationnels interpersonnels entre fonctionnaires de divers services et où elle permet à ceux-ci d'acquérir une vision globale du fonctionnement de l'administration. Par ailleurs, la mobilité encourage les agents à s'enrichir de nouvelles compétences, à devenir plus polyvalent de sorte que le service du personnel puisse allouer harmonieusement les ressources humaines entre les services en fonction de leurs différentes périodes d'activité.

6Cependant, à l'instar des politiques d'évaluation des performances, la politique de mobilité au sein des administrations publiques rencontre beaucoup de résistances quant à sa mise en œuvre. L'un des principaux obstacles à la mobilité réside dans la diversité et le cloisonnement des statuts juridiques particuliers. Actuellement, le mode de gestion des ressources humaines poursuit une logique essentiellement juridique d'administration du personnel sans réelle prise en considération des compétences des agents. Dans la majorité des cas, l'administration publique ne gère son potentiel humain que sous la forme d'un juridisme exacerbé au détriment de l'adéquation entre les besoins d'un service et les effectifs de fonctionnaires disposant des compétences nécessaires à l'exercice de la fonction au sein de ce service. Le grade, le niveau, le rang, l'ancienneté constituent donc autant d'éléments qui, inscrits dans des règlements juridiques, conditionnent autant qu'ils limitent une politique dynamique de gestion des compétences et de mobilité interne.

7D'autres facteurs entravent la réalisation d'une politique active de mobilité. En effet, la mobilité est souvent considérée comme suspecte dans la mesure où elle est le plus souvent associée à un acte de sanction à l'égard d'un fonctionnaire. De plus, le développement d'une telle politique passe, en partie, par un changement de mentalités. Dans de nombreux cas, le chef direct considère les fonctionnaires sous ses ordres comme des agents dont il détiendrait la propriété exclusive, c'est-à-dire dont lui seul serait apte à porter un jugement sur le déroulement de leur carrière. L'agent se sent, quant à lui, souvent prisonnier de l'administration ou du service dans lequel il travaille. Enfin, le chef peut craindre, parfois à juste titre, que si on lui trouve un remplaçant, ce dernier ne soit pas aussi compétent que son prédécesseur.

8Ces résistances ne pourront être battues en brèche que si l'on met en avant les avantages de la mobilité interne tant pour le personnel que pour l'administration et donc a priori que si l'on crée une culture de la mobilité au sein des administrations publiques.

9Sachant que le changement ne se décrète pas mais se négocie du plus bas vers le plus haut niveau, il serait illusoire de penser pouvoir agir sur « la structure juridique » d'une administration sans modifier les comportements des agents qui y travaillent. En d'autres termes, il est impératif d'impliquer les acteurs locaux dans le cadre d'une restructuration et ce, aussi globale soit-elle. Ainsi, il conviendrait de mener une politique de communication interne performante en favorisant les contacts latéraux entre services et en associant les fonctionnaires à la réflexion.

La politique d'évaluation des performances

10L'évaluation des performances figure aussi parmi les quelques grandes applications de la gestion des ressources humaines indispensables à la mise en œuvre d'un système méritocratique. Or, il faut bien constater que dans beaucoup d'administrations publiques, cette technique de management n'est pas bien utilisée voire mal conçue. N'est-il pas normal que certains fonctionnaires ne soient plus motivés ni impliqués dans leur travail dès lors que la qualité de ce dernier ne se voit pas reconnue à sa juste valeur par l'organisation ? N'est-il pas encore plus démotivant pour un fonctionnaire assidu au travail d'observer que pour un même salaire et pour un même type de travail un autre fonctionnaire preste le minimum voire moins que les charges de travail qui lui incombent au regard de son contrat ?

11Ce problème est assez particulier au niveau de l'administration publique. Tout d'abord, faute de politique disciplinaire stricte mais équitable, un sentiment d'impunité se développe chez certains fonctionnaires avec pour corollaire un sentiment de démotivation chez d'autres. Ensuite, dans la fonction publique, les règles et statuts juridiques régissent, limitent et orientent très fortement les modes de gratifications et de sanctions. En effet, en Belgique, si les fonctionnaires « contractuels » ne bénéficient pas d'une totale stabilité d'emploi, il en va différemment pour les fonctionnaires « statutaires » qui, pour reprendre une expression bien connue, doivent « avoir tuer père et mère » pour se voir licencier. L'évaluation des performances et du mérite devrait permettre notamment de changer le système actuel et obsolète de promotion en fonction de l'ancienneté. Dès lors que l'on admet que l'ancienneté ou la couleur de la carte politique du fonctionnaire ne constitue pas un facteur objectif de distribution des gratifications et des promotions, il paraît plus censé de prendre en considération la performance de l'individu. Évaluer la performance d'une personne, c'est juger de la qualité de son travail. On ne met pas en cause la personnalité de l'individu mais le travail tel qu'il est effectué. Par ailleurs, au regard des insuffisances constatées lors de l'entretien d'évaluation des performances, le gestionnaire en ressources humaines peut déceler assez rapidement les besoins de formation des fonctionnaires dans un domaine particulier.

12Le système d'évaluation des performances tel qu'il est appliqué aujourd'hui n'est pourtant pas parfait. En Belgique, plus de 90 % des fonctionnaires se voient attribuer une note très favorable par leur responsable hiérarchique. Loin de refléter une administration performante et efficace relevant presque de l'idéal, ce constat manifeste plutôt le manque d'implication voire la peur des chefs à devoir évaluer leurs subordonnés. Plusieurs spécialistes en management parlent d'ailleurs d'une certaine crise de l'autorité. L'engagement de l'encadrement intermédiaire dans ce type de projet constitue pourtant une condition nécessaire à la bonne réalisation d'un système d'évaluation des performances. Dans la mesure où, faute d'une plus grande flexibilité juridique, les résultats du système d'évaluation ne pourront être pris en considération dans le cadre de la politique de formation, de responsabilisation des agents, de sanction ou encore de promotion, il n'est pas étonnant que l'investissement des supérieurs hiérarchiques ne corresponde pas à celui attendu. L'absence de réalisation des objectifs du système d'évaluation naît-il du manque d'implication des chefs ou le désengagement de ces derniers résulte-t-il de l'absence de réaction de l'administration aux résultats de ce système ? De manière à éviter le caractère tautologique de notre raisonnement, ne pourrait-on parler de cercle vicieux dans la mesure où ces deux phénomènes ne se nourrissent mutuellement qu'à partir d'un même terreau juridique ?

13Par ailleurs, il convient d'insister sur le fait que ce qu'on appelle « le bulletin de signalement » au sein des administrations publiques n'a pas contribué à une réelle appréciation des performances. Premièrement, ce procédé ne couvrait pas toutes les fonctions ni tous leurs aspects et jugeait plus de la personnalité du fonctionnaire que de ses compétences. Deuxièmement, strictement « évaluatif » et quantitatif, victime d'une grande ritualisation, il n'apportait ni le dialogue ni une mise en perspective nécessaires à tout système d'évaluation des performances. Troisièmement, la communication, la contribution à la motivation et à une certaine éthique du travail et la responsabilisation des agents ne faisaient pas l'objet d'une grande attention lors de la pratique de ce système d'évaluation. Autant d'éléments vertueux qui devraient être pris en considération dans le cadre de tout système d'évaluation performant dans la mesure où ce dernier entendrait distinguer les agents dont l'appréciation de la qualité de travail laisse apparaître quelques manquements ou incompétences particuliers de ceux dont la qualité de travail fut jugée satisfaisante, bonne, très bonne voire excellente.

14L'arrêté royal du 7 août 1939 organisant l'évaluation et la carrière des agents de l'État modernisé à plusieurs reprises, illustre parfaitement cet aspect exagérément quantitatif de l'évaluation basée sur une stricte règle de pondération et de cotation au détriment de l'entretien évaluatif. Au cœur du débat sur la conciliation des exigences managériales et des garanties juridiques, nous nous sommes permis de poser la question de la pertinence d'un système d'évaluation où l'on reconnaît unanimement la qualité des services offerts par les fonctionnaires. Si cette situation de surévaluation résultant d'une déresponsabilisation des supérieurs hiérarchiques pouvait être mise, en partie, sur le compte de leur réticence à s'engager dans un processus où les règles leur interdiraient toute marge de manœuvre, l'attitude du législateur paraît davantage déresponsabilisante. En effet, l'application d'un système construit sur base de méthodes de pondération beaucoup moins discutables « scientifiquement parlant » que ne pourrait l'être un dialogue d'entretien ne pouvait-elle pas conduire inéluctablement à cet état de surévaluation ? D'autant que si nous nous référons à l'arrêté royal du 2 octobre 1937 portant le statut des agents de l'État, la minutie du législateur à détailler les diverses possibilités de recours, incontestablement nécessaires dans le cadre d'un tel système, nous semble pourtant occuper une place démesurément disproportionnée au regard de la description faite de la méthode et surtout des objectifs de ce système d'évaluation des performances.

15Si nous nous rapportons au plan Copernic de modernisation des administrations publiques élaboré par le ministre de la Fonction publique, un nouveau système d'évaluation des performances ou des compétences visant à prendre en considération les critiques émises à l'encontre du système du bulletin de signalement sera mis sur pied. Dans une moindre proportion, un tel effort avait déjà été fourni en 1997 en mettant l'accent sur la nécessaire périodicité des entretiens (arrêté royal du 6 février 1997 modifiant l'arrêté royal du 7 août 1939 organisant le signalement et la carrière des agents de l'État). Ce système est jugé par certains acteurs de terrain comme trop lourd et bureaucratique. Le nouveau gouvernement arrivera-t-il à négocier la mise en œuvre d'un système d'évaluation plus souple et plus efficace ? Une fois encore, c'est aux autorités publiques de manifester leur volonté d'atteindre le ou les objectifs principaux de ce système. En effet, aussi performante soit-elle au niveau de l'évaluation des performances des fonctionnaires, cette procédure de gestion des ressources humaines ne pourra être véritablement efficace que si les résultats qui en ressortent seront suivis d'un certain nombre d'actions significatives. Les décideurs politiques accepteront-ils de relever ce défi ?

16Au regard des propos qui précèdent, les objectifs de ce système d'évaluation ne pourront être atteints que si la réforme s'attache à modifier tant les techniques d'évaluation que la manière dont celles-ci seront mises en œuvre. Cette remarque nous amène donc à attirer l'attention sur la participation, ou du moins la sensibilisation, des acteurs de terrain au processus d'évaluation des performances.

Conclusion

17Au travers de ces deux politiques gestionnaires de mobilité et d'évaluation des performances, il apparaît que l'administration publique belge tend davantage vers une politique d'administration du personnel que de management des ressources humaines. Sur base de ce constat, le ministre de la Fonction publique entreprend aujourd'hui une mission périlleuse de modernisation de l'administration publique. Le concept de modernisation tel que présenté par le ministre se caractérise par une adaptation des modes de gestion de l'administration publique sur base du modèle managérial privé. Si nous définissons le juridisme sous l'angle de la rigidité organisationnelle, sa prédominance en matière de gestion constitue un obstacle majeur à la réalisation d'un tel projet. Cependant, comme nous avons pu le constater, il ne faudrait pas négliger l'importance des habitudes ou des cultures administratives propres à l'administration. Même si davantage de flexibilité résulterait d'une simplification des règlements juridiques, les mentalités ne pourront faire l'objet d'un réel changement que si le monde politique s'attache à mettre en œuvre une politique de communication interne efficiente.

18Il est évident que l'instauration d'une nouvelle politique de gestion des ressources humaines se révèle être une réponse opportune à certains problèmes organisationnels nés d'un trop grand isolement de l'administration par rapport à son environnement. Cependant, cette managérialisation de l'administration qui s'inscrit dans une perspective d'optimalisation de la satisfaction des nouveaux usagers ne doit certainement pas être perçue comme la panacée à l'ensemble des « dysfonctionnements » observés au sein des administrations publiques et ne peut en aucun cas y induire une tendance à la privatisation.

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Bibliographie

BOYE M., ROPERT G., Gérer les compétences dans les services publics, Paris, Ed. d'Organisation, 1994.

MONIE R., ROOZ G., De la notation dans la fonction publique au bilan individuel, Paris, Ed. d'Organisation, 1991.

PERETTI J-M., Ressources humaines et gestion du personnel, Paris, Vuibert, 1994.

SEKIOU et ali., Gestion des Ressources humaines, Bruxelles, De Boeck-université, 1993.

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Pour citer cet article

Référence papier

Thibaut Duvillier, « Administration du personnel ou gestion des ressources humaines au sein de la fonction publique ? », Pyramides, 2 | 2000, 57-66.

Référence électronique

Thibaut Duvillier, « Administration du personnel ou gestion des ressources humaines au sein de la fonction publique ? », Pyramides [En ligne], 2 | 2000, mis en ligne le 30 septembre 2011, consulté le 05 mars 2014. URL : http://pyramides.revues.org/558

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Auteur

Thibaut Duvillier

Aspirant du FNRS et assistant en gestion des ressources humaines à l’ULB.

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