Memoria Autobiografia Immaginario
Maria Immacolata Macioti - Orazio Maria Valastro (a cura di)
M@gm@ vol.10 n.2 Maggio-Agosto 2012
LA MÉMOIRE FAMILIALE ENTRE IMAGINAIRE ET RÉALITÉ
Jérôme Moreno
jerome.moreno@wanadoo.fr
Docteur en Arts plastiques, enseignant ATER au sein du département Arts plastiques - Arts appliqués de lUniversité de Toulouse II Le Mirail.
Le souvenir par limage
La photographie symbolise lobjet le plus représentatif de la mémoire familiale basée sur la création et larchivage du souvenir. Son importance dans cette stratégie de la mémoire réside dans sa facilité dutilisation (son instantanéité), son caractère indiciel (sa fiabilité) et sa capacité à fixer la réalité (son souvenir).
Tout dabord, malgré les temps de pose assez longs dès le début de son invention, la photographie a su rapidement imposer sa présence au sein de la société et donc auprès des familles car elle possède une facilité certaine dutilisation. Sa maniabilité et son faible coût encouragent son utilisation : le « clic photographique » permet une création instantanée de limage et donc une construction rapide de la mémoire.
Ensuite, limportance et lengouement pour la photographie dans la sphère familiale viennent du fait quelle est très souvent considérée comme une empreinte de lumière. Son caractère indiciel sert à établir une relation directe entre ce qui est photographié et limage, plus exactement il ny a pas de rupture entre ce que limage montre et la réalité. Dans un certain sens, cette création de limage exacte apparaît comme une sorte de miracle, de moment magique. En effet, « la photographie paraît faire fonction de ce que, dans le vocabulaire de la magie, on nomme une appartenance. Ce serait la meilleure appartenance, parce que fidèle, complète, littérale » [1].
On peut ainsi comprendre la photographie comme une preuve irréfutable de lexistence des choses et des événements qui se sont déroulés devant lobjectif. De même puisque, « limage, cest le vivant de bonne qualité, vitaminé, inoxydable, enfin fiable. » [2], elle révèle et légitime une réalité grâce à limage quelle produit.
La photographie permet donc de manière spontanée et immédiate de constituer une trace valide dun événement familial, elle dévoile ce qui sest produit de manière objective puisque « dans lécrasante majorité des cas, limage photographique se borne à « montrer », et elle ne fait rien dautre qui ne soit observable » [3]. Cest ainsi une empreinte fiable et immédiate qui montre la réalité des événements et permet de construire mécaniquement des images destinées à « prouver » lexistence dune famille et surtout dentretenir sa mémoire.
Enfin la photographie est largement utilisée dans le cercle familial car elle est une empreinte permettant denregistrer pour la postérité une action fugace, un événement unique. Elle emprisonne par limage linstant qui est par nature éphémère. En effet, « ce que la photographie reproduit à linfini na lieu quune seule fois : elle répète mécaniquement ce qui ne pourra jamais plus se répéter existentiellement » [4]. La photographie fige laction, lemprisonne au sein de limage inanimée. Elle la délimite en la suspendant dans un temps fixe, qui ne sécoule plus. En effet, « alors que tout est condamné à changer à mourir dirons certains -, la photographie imposerait un présent éternel » [5]. Il sagit de capter linstant grâce à limage puisque « lacte photographique ressemble à une opération de mémoration : lopérateur réalise, à partir de la scène présente, une représentation durable » [6]. En fixant ainsi pour léternité la réalité, la photographie permet de lutter face à la fuite du temps, face à loubli. La photographie est donc le meilleur moyen de soutenir et dalimenter la mémoire familiale puisque limage quelle produit permet de maintenir durablement le souvenir dune réalité avant tout éphémère.
La naissance dune nostalgie
Les naissances, les baptêmes, les communions, les mariages et même les décès [7] sont systématiquement photographiés puisquils font partis des moments éphémères mais néanmoins importants qui ponctuent la vie dune famille. Ces clichés pieusement et précieusement conservés et archivés dans des albums de famille, permettent détablir une généalogie mais aussi une chronologie, un récit des événements passés. Ils sont indispensables pour la postérité et la construction de la mémoire familiale. Ils font uvre de mémoire puisquils ont la capacité de faire ressurgir des traces du passé.
Cela provient dune particularité : « le processus photographique implique un rapport singulier au temps, et donc à la mort. La photographie inverse le cours du temps car elle projette le spectateur en arrière, dans le passé, annonçant une mort qui a déjà eu lieu et qui devient effective dès le moment où le regard se pose sur limage » [8]. Un aspect mortifère se dégage en effet de toute photographie puisquelle peut être définie avant tout suivant le fameux « ça a été » de Roland Barthes [9].
En ce sens, la photographie familiale ne peut affirmer quun terrible constat : les figures représentées sur limage dévoilent de futurs ancêtres, lesquisse dune réalité passée, disparue. La photographie familiale devient une représentation symbolique paradoxale : destinée à lutter contre loubli et labsence, elle présente et conserve le souvenir mais elle annonce en même temps une mort ou une prochaine disparition. Ce rapport à la mort induit indubitablement une certaine nostalgie.
Limage dune classe sociale
Mais la photographie qui nous révèle la mémoire familiale ne doit pas uniquement sentrevoir sous son aspect mortifère. Bien quelle dévoile sous nos yeux de futurs ancêtres et quelle développe un sentiment de nostalgie propre à tout souvenir, la photographie familiale est aussi une représentation sociale dune famille. Elle nest pas uniquement le témoignage de moments passés, elle ne montre pas uniquement des personnages familiers, elle dévoile leurs caractéristiques sociales. Si nous considérons le fait qu« il est naturel que la photographie soit lobjet dune lecture que lon peut qualifier de sociologique et quelle ne soit jamais considérée en elle-même et pour elle-même, dans ses qualités techniques ou esthétiques » [10], alors nous pouvons admettre que la photographie de famille envoie des signes sociaux plus ou moins clairs, plus ou moins compréhensibles. Létude de lattitude des personnes photographiées, de leur environnement géographique, du cadre de la prise de vue, etc., permet de situer leur classe sociale dappartenance.
En ce sens, les portraits individuels établissent la place quoccupe la personne représentée au sein de la société et les portraits de groupe établissent la place quoccupe une famille au sein de la société. La photographie familiale tente ainsi de réaliser une mémoire qui passe par un statut social puisque « la photographie elle-même nest rien, le plus souvent, que la reproduction de limage que le groupe donne de son intégration » [11]. Cest pourquoi les personnages qui sinscrivent sur une photographie familiale de groupe « prouvent » et « démontrent » leur situation sociale au sein de cette même famille. Il sagit de légitimer une hiérarchisation de ses membres afin de maintenir ou créer une cohésion sociale et de souder un lien dappartenance. Donc « les photographies de famille contribuent à donner le sentiment dappartenir à un même ensemble » [12], elles cimentent un lien entre les personnes qui forment ce groupe intime quest la famille.
Précisions que les photographies de famille se doivent dêtre cohérentes. En effet, « les photographies familiales, en particulier, sont le support de lhistoire officielle de toute famille, la preuve objective de limage que toute famille veut se donner delle-même » [13]. En ce sens, les photographies de famille doivent correspondre à limpression générale que veut donner une famille. Il ne doit pas y avoir décart, de distorsion sémantique au sein de limage ; celle-ci construit obligatoirement une mémoire désirée qui ne transcrit pas totalement la réalité. Les images doivent présenter correctement une famille, quitte à falsifier la réalité.
Nous voyons bien ici que la photographie considérée comme processus social et mémoriel doit engendrer des images « correctes », propres à souligner un statut et la cohérence dune famille.
Les archétypes servent à construire des images correspondant à lidée que nous nous faisons de la famille. Dans linconscient collectif la mémoire familiale doit être ponctuée de photographies traditionnelles de mariages, de baptêmes, de vacances, bref de « clichés » où le bonheur des personnes représentées saffiche. La photographie de famille repousse le malheur afin de mieux afficher une cohésion sociale, une unité de groupe. En ce sens, elle ne laisse apparaitre que des stéréotypes qui ne sont perturbés par aucun élément subversif. Toutes les images considérées comme ratées puisque dévoilant une faille sont alors immanquablement écartées de tout album famille pour ne pas dénaturer la construction dune mémoire familiale idéale. On montre, on dévoile ce que la morale approuve, ce que lon veut transmettre comme signes sociaux, lhistoire que lon veut donner à sa famille. La réalité devient partielle, tronquée. La mémoire familiale obéit donc à des codes de représentation qui délivrent une réalité masquée.
Dépasser les clichés
Cependant, certains artistes photographes tentent de déjouer les stéréotypes des images destinées à la mémoire familiale.
Tout dabord ils brisent lintimité de leur propre histoire et plus largement de leur famille : elle passe de la sphère privée à la sphère publique. Les images destinées normalement à une utilisation restreinte au sein du cercle familial investissent les cimaises des musées et des galeries dart. Cela ne va pas bien sur sans changements : limage familiale normalement conservée dans un album est délibérément agrandie pour faciliter sa vision. De même, sa présentation, son support, éventuellement son cadre, sont fortement travaillés ce qui a pour conséquence de la faire évoluer : elle passe du statut dobjet domestique au statut duvre dart.
Ensuite, ils rompent les codes de représentation de la photographie familiale en dévoilant des images ne correspondant pas aux « clichés » attendus.
Pour cela, ils produisent des images non conformes aux idéaux familiaux dune classe sociale. Au lieu de montrer des images où le bonheur domestique saffiche normalement ostensiblement, ils dévoilent la face cachée de tout album de famille, la part maudite de la mémoire familiale.
Chaque membre du cercle familial est ainsi montré tel quil est dans son intimité, cest-à-dire sans poser. Les images prises sur le vif, dans linstant, dévoilent alors des failles, des faiblesses. Elles traduisent un quotidien parfois cruel : la mémoire se construit sur une réalité révélée qui dépasse les clichés.
Bien entendu, ces images révèlent aussi lappartenance à une classe sociale, mais elles mettent surtout en scène lidentité particulière du photographe, elles manifestent son regard puisque « même lorsque aucun visage ny est présent, toute photographie est encore habitée par la présence dun autre. Toute photographie impose en effet un point de vue à la scène qui y est représentée » [14].
Cest bien son regard que nous propose le photographe anglais Richard Billingham sur sa propre famille.
Richard Billingham sest fait connaître en 1997 lors dune exposition intitulée Sensation organisée sous légide du collectionneur dart contemporain Charles Saatchi en présentant des photographies de sa famille. Celles-ci illustrent parfaitement le travail effectué par des artistes photographes sur la mémoire familiale.
En photographiant les membres de sa famille et en les exposant dans la sphère artistique, Richard Billingham na pas uniquement brisé leur intimité respective : il a également déjoué les codes propres à la photographie de famille.
En effet, ses photographies nillustrent pas limage dune famille traditionnelle mais montre les membres dune famille en marge évoluant dans un univers quotidien sordide. Dans le décor crasseux et étouffant de lappartement familial évolue un huit clos dont les protagonistes sont représentés par sa mère Lise, femme obèse et outrancière, recouverte de tatouages, son père Ray alcoolique et son frère Jason, jeune homme violent et drogué.
Lensemble des images forme un album de famille particulier [15] qui ne correspond pas aux archétypes de la famille idéale : elles ne montrent pas la normalité mais la réalité de la misère sociale.
On voit bien ici que Richard Billingham propose une autre mémoire familiale marquée par le chaos, les ravages de lalcool, la drogue et la violence. Cest une autre mémoire sociale qui se dégage : celle dune classe sociale oubliée et marginalité. Illustrant le désespoir dune ère post Thatcher, les membres de cette famille semblent cohabiter dans un appartement à la limite de linsalubrité. Lespace familial nest pas ici un refuge face aux agressions externes mais concrétise des tensions, des exaspérations profondes, un mal être collectif et individuel. Lappartement devient un environnement inhospitalier où lil du photographe dévoile les disputes de ses parents et la déchéance de son père à létat débriété constant. Il est le lieu dune intimité, dune réalité sociale dévoilée, qui nest pas travestie, cachée ou falsifiée.
Cette série de Richard Billingham montre que la destruction des archétypes de la photographie de famille permet de créer des images artistiques et de révéler autrement la mémoire familiale. Celle-ci nest plus falsifiée et nobéit plus à des codes : elle est brute, violente, sans concession, devenant le signe dune réalité sociale cruelle et sans espoir.
Imaginer la réalité
La réalité violente des images de Richard Billingham ne doit pas faire oublier que limaginaire peut intervenir dans la mémoire familiale. Les artistes photographes peuvent se jouer de la qualité indiciel de la photographie afin denchanter limage, de faire rêver le spectateur.
Voyons en ce sens lexemple de la photographe française Delphine Balley. En 2002, celle-ci entreprend une série photographique où elle met en scène son propre album de famille. À partir danecdotes, dhistoires liées à sa famille et à son village natal, Delphine Balley va construire de savantes mises en scènes où les membres de sa famille jouent souvent leur propre rôle. Avant chaque prise de vue, tout est méticuleusement choisi : le décor (souvent la maison familiale), les costumes, les accessoires. De même, tout est savamment travaillé comme la lumière, le cadrage, la position et les attitudes des acteurs/membres familiaux, etc. Limprovisation nexiste pas chez Delphine Balley, la notion dinstantanéité est reléguée au second plan.
Les photographies de famille sont généralement maladroites puisquelles sont le résultat damateurs mais celles de Delphine Balley, photographe professionnelle résultent dune maitrise technique parfaite et dune volonté de contrôler et mettre en scène ce qui se passe devant lobjectif.
Chaque photographie de cette série est construite sur une réalité familiale, un fait, une histoire particulière qui va intéresser la photographe et à partir de laquelle elle va construire une image où se déploie son imaginaire, sa fantasmagorie. Delphine Balley part en effet dun récit particulier réel et familial qui va linterpeller et à partir duquel elle va construire, imaginer une mise en scène sécartant plus ou moins de lhistoire initiale. Il y a ainsi dans toutes ses photographies une part de vérité, une réalité quelle va prolonger grâce à son imaginaire, à sa vision de photographe. Elle imagine pour ainsi dire la réalité.
Il en résulte des images où le drôle le dispute à létrange. Dans la banalité des pièces de la maison parentale qui fonctionne comme un archétype, se jouent des situations incongrues, des scènes surréalistes où les personnages, parents et amis font resurgir des histoires issues du quotidien. Leurs mises en scène permettent de construire une mémoire familiale tout à la fois réelle et fantasmée.
Chaque photographie est donc toujours issue dune anecdote réelle qui se prolonge dans limage imaginée. Par exemple pour la photographie intitulée « Ma mère dans sa chambre », Delphine Balley sest inspirée dune situation réelle vécue quotidiennement par sa mère. Elle raconte à ce sujet : « Un jour jinvite ma mère à manger et je lui cuisine du poisson. Je mexcuse parce que je nai pas de citron. Elle me dit que ce nest pas grave, quelle a lhabitude. Je lui demande pourquoi. Elle mexplique quà chaque fois quelle mange du poisson chez elle, elle oublie le citron qui est dans le frigo, et quune fois assise, elle a la flemme de se relever. Ma mère a de gros problèmes darticulations. Cest pour cela quelle porte des attelles, et quelle séconomise tout le temps. Ce qui fait quelle ne mange jamais son poisson avec du citron (...). Cette histoire a été le point de départ de la photographie représentant ma mère, habillée dune chemise de nuit et de ses attelles quelle porte pour dormir, en train de ramasser des citrons à ses pieds avec une sorte de pince à glaçons géante » [16]. Cette explication montre bien que le réel est attaché à chaque photographie. Delphine Balley précise à ce sujet : « je ninvente jamais rien. Mes photographies partent toujours dune histoire vraie » [17]. Cependant, chez elle limaginaire sinvite toujours dans le récit imagé. Ses photographies ne sont donc pas de simples illustrations, elles ne montrent pas un quotidien, elles dévoilent la part dimaginaire, de grotesque, de funeste, de fantasque, de fantasme qui se cache dans le quotidien.
La mémoire familiale chez Delphine Balley ne sinscrit pas comme un dévoilement de lintime normé et assujetti à des archétypes comme on en trouve habituellement dans les albums de familles. La photographie de sa mère qui semble lutter pour ramasser des citrons ne correspond pas à limage que lon se fait habituellement dune mère de famille. Limage sacharne ici à déjouer notre vision traditionnelle de la famille. La réalité et limaginaire déjouent les stéréotypes et forment des images artistiques : celles-ci permettent à Delphine Balley de construire la « réalité imaginaire » de sa mémoire familiale.
Imiter sa mémoire
Lartiste photographe Rafael Goldchain joue aussi sur le mélange entre la réalité et limaginaire afin de construire ou plutôt retrouver sa mémoire familiale.
En 2007, il entreprend une série nommée « I am my family » [18]. Celle-ci est issue dun constat : lors de la naissance de son fils, le photographe réalise quil manque à sa famille des images permettant dillustrer son histoire et la mémoire de ses membres. Labsence de ces images provient du parcours particulier de la famille juive de Goldchain : originaire de Pologne celle-ci a du affronter les tourments de la Seconde Guerre Mondiale. Une partie de ses membres a ainsi subi lextermination et lexil ce qui a provoqué des manques, des pertes, des absences ne permettant pas détablir une généalogie complète. Afin de retrouver et reconstruire la mémoire altérée de sa famille, Rafael Goldchain décide dutiliser les codes et postures de la photographie familiale afin de recomposer, redonner image aux ancêtres familiaux.
Sa volonté est bien dimiter la réalité, de retrouver des visages disparus qui forment une identité familiale.
Pour cela, le photographe va utiliser la technique du travestissement. Grace à lemploi du maquillage, daccessoires comme des perruques, des chapeaux, Rafael Goldchain va incarner des personnages sur le principe de lautoportrait qui peuplent la mémoire familiale quils soient masculins ou féminins. Il va ensuite poser face à lobjectif et former ainsi une image dancêtre : par lattitude, par lutilisation du noir et blanc, par un travail numérique effectué après la prise de vue, la photographie semble littéralement présenter les membres dune même famille apte à construire une mémoire commune.
Là encore, la réalité se mêle à limaginaire : Rafael Goldchain redonne figure à des membres familiaux, des oncles et des tantes ayant réellement existé, mais il invente aussi parfois des ancêtres. La photographie de part sa valeur indicielle est là afin de légitimer, prouver lexistence fictionnelle de ces êtres disparus. Cette série photographique joue sur la frontière de la réalité et de limaginaire. Elle tente de réactiver des souvenirs, de recomposer une histoire passée. Ainsi Rafael Goldchain semble travestir la réalité, limiter pour paradoxalement lamplifier, lexalter. Il redonne un sens et une existence à sa mémoire familiale.
Conclusion
Les travaux photographiques de Richard Billingham, de Delphine Balley et de Rafael Goldchain montrent que les artistes photographes exploitent volontiers le thème de la mémoire familiale. Cet engouement se traduit par une utilisation particulière de la photographie dite familiale.
Chez Richard Billingham, elle participe à la représentation dune réalité entièrement dévoilée. Les membres de sa famille ne posent pas, ne jouent pas au bonheur parfait, ils montrent entièrement la réalité de leurs fêlures. Les images de la famille de Richard Billingham brisent les archétypes, rendent compte dune mémoire sociale particulière et marginalisée.
Delphine Balley utilise elle aussi sa propre famille mais à linverse de Richard Billingham, elle fait poser les membres de sa famille. Grace à des mises en scènes soigneusement étudiées, elle repousse les archétypes de la photographie de famille. Les personnages familiaux ne sont plus consignés dans un rôle préétabli mais prennent place dans un récit inspiré danecdotes familiales où limaginaire entre en jeu.
Goldchain sattache aussi à développer une mémoire familiale particulière. Pour cela, il se travestit et mime des personnages familiaux fictifs ou non. Il reconstitue plus exactement la mémoire familiale qui a dû faire face à des pertes, des absences. Limaginaire intervient ici afin de combler une réalité familiale disparue.
Ainsi, les images produites par les artistes photographes acquièrent une certaine indépendance. Tout dabord, les images ne sont plus destinées uniquement au cercle familial restreint mais sont largement montrées dans la sphère publique représentée par les musées et les galeries dart. La mémoire familiale nest plus tournée vers lintime mais évolue alors dans le cadre de la mémoire collective.
Dautre part, en agrandissant délibérément le format, en créant souvent un cadre, bref en sortant les photographies familiales de lalbum de famille, les photographes les font passer du statut dimages insignifiantes damateurs au statut duvres originales.
Enfin, en brisant les codes de représentation et les archétypes de la photographie de famille, les artistes photographes ne dévoilent plus uniquement son aspect social, ils lui apportent une dimension esthétique, ils renouvellent son genre. Il en résulte une autre approche de la mémoire familiale : elle est désormais constituée dimages artistiques où la réalité se mêle à limaginaire.
Notes
1] R. Castel, « Images et fantasmes » in Un art moyen, essai sur les usages sociaux de la photographie, sous la direction de Bourdieu Pierre, Paris, Les Éditions de Minuit, 1965, p. 328.
2] R. Debray, Vie et mort de limage, Paris, Gallimard, 1992, p. 22.
3] J. M. Schaeffer, Limage précaire, du dispositif photographique, Paris, Éditions du Seuil, 1987, p. 211.
4] R. Barthes, La chambre claire, notes sur la photographie, Paris, Gallimard, 1980, P. 15.
5] S. Tisseron, Le mystère de la chambre Claire, photographie et inconscient, Paris, Flammarion, 1996, p. 65.
6] D. Maux, La photographie et le temps, le déroulement temporel dans limage photographique, Aix-en-Provence, Publications de Luniversité de Provence, 1997, P. 27.
7] Dès son invention, la photographie a été utilisée afin de contribuer à la tradition du dernier portrait : avant que lon nenterre le défunt, son dernier portrait était créé en utilisant la technique du moulage ou bien la photographie. Cette tradition a perduré jusqu'au milieu du 20ième siècle. Pour plus de renseignements sur ce rite funéraire voir le catalogue de lexposition : Le dernier portrait, Musée dOrsay du 5 mars au 26 mai 2002, Éditions de la Réunion des musées nationaux, Paris, 2002.
8] V. Mauron et C. de Ribampierre, Le corps évanoui, les images subites, Paris, Hazan, 1999, p. 26.
9] R. Barthes, op. cit., p. 120.
10] P. Bourdieu, « Culte de lunité et différences cultivées », in : Un art moyen, essai sur les usages sociaux de la photographie, sous la direction de P. Bourdieu, Paris, Les Éditions de Minuit, 1963, p. 43.
11] Ibid., p. 48.
12] S. Tisseron, op. cit., p. 132.
13] Ibid., p. 151-152.
14] Ibid., p. 106.
15] Celui-ci fera lobjet dune publication : Richard Billingham, Rays laugh, Zurich, Scalo, 2000.
16] Citation de lartiste extraite dun article de François Beaune paru sur le site internet : http://www.photosapiens.com
17] Citation de lartiste extraite dun article de François Beaune paru sur le site internet : http://www.photosapiens.com
18] Cette série a fait lobjet dun ouvrage : Rafael Goldchain, I Am My Family, New York, Princeton Architectural Press, 2008.
Bibliographie
Barthes Roland, La chambre claire, notes sur la photographie, Paris, Gallimard, 1980.
Bourdieu Pierre (sous la direction de), Un art moyen, essai sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Les Éditions de Minuit, 1965.
Debray Régis, Vie et mort de limage, Paris, Gallimard, 1992.
Schaeffer Jean-Marie, Limage précaire, du dispositif photographique, Paris, Éditions du Seuil, 1987.
Maux Danièle, La photographie et le temps, le déroulement temporel dans limage photographique, Aix-en-Provence, Publications de Luniversité de Provence, 1997.
Mauron Véronique et Ribampierre Claire (de), Le corps évanoui, les images subites, Paris, Hazan, 1999.
Tisseron Serge, Le mystère de la chambre Claire, photographie et inconscient, Paris, Flammarion, 1996.
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