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Pichon Frédéric, Maaloula (XIXe-XXIe siècles), Du vieux avec du neuf, Histoire et identité d’un village chrétien de Syrie, Presses de l’IFPO, 2010, 288 p.
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Lectures

Pichon Frédéric, Maaloula (XIXe-XXIe siècles), Du vieux avec du neuf, Histoire et identité d’un village chrétien de Syrie, Presses de l’IFPO, 2010, 288 p.

Chantal Verdeil

Texte intégral

1Petit bourg de Syrie perché dans un décor naturel grandiose à quelques kilomètres de Damas, Maaloula est aujourd’hui célèbre parce que sa population parle un idiome proche de l’araméen, autrement dit, comme se plaisent à le rappeler les brochures touristiques, de la langue du Christ. C’est la construction de cette identité qui fait l’objet du livre de Frédéric Pichon, Maaloula (XIXe-XXIe siècles), Du vieux avec du neuf, Histoire et identité d’un village chrétien de Syrie, ouvrage issu de sa thèse préparée sous la direction de Bernard Heyberger et soutenue en 2009. Cette recherche qui entrelace l’histoire et la mémoire, autrement dit les transformations du village du milieu du XIXe siècle à la fin du XXe et les discours orientalistes produits à son sujet, part de l’interrogation suivante : « qu'est ce qui dans le contexte du Proche-Orient contemporain [a] permis la survivance d'un parler que l'usage n'a jamais pu consacrer ni sur le plan linguistique ni sur le plan littéraire ? » (p. 23). La réponse pourrait se résumer ainsi : depuis le début du XIXe siècle, les orientalistes, et notamment les philologues, s’intéressent à Maaloula, village dont la population chrétienne et musulmane parle ce que les spécialistes nomment le « néo-araméen occidental », usité ici, comme dans quelques villages du Qalamoun, sous une forme uniquement orale. Tous s’inquiètent de la disparition annoncée de ce parler en raison de la diffusion de l’arabe. Pourtant, en dépit des bouleversements qu’a connus Maaloula, comme l’ensemble du monde rural du Proche-Orient sous l’effet de la modernité (scolarisation, urbanisation, émigration), cet idiome s’est maintenu. Il fait l’objet aujourd’hui d’un nouvel investissement pour élaborer une identité chrétienne susceptible de séduire le public occidental, les touristes et les pèlerins, tout en préservant l’intégration de ce modeste bourg dans un ensemble syrien défini par le parti ba‘th au pouvoir comme arabe et laïc.

2La première partie du livre, la plus convaincante, présente une galerie de portraits des orientalistes qui ont écrit sur Maaloula. F. Pichon met en lumière les apports de l’école allemande, injustement négligée par de nombreux travaux sur l’orientalisme, à commencer par celui d’Edward Saïd. Ses recherches l’on conduit aussi à exhumer la thèse de Sigismund Sussia Reich soutenue en 1937 sous le titre Etudes sur les villages araméens de l’Anti-Liban et publiée par l’IFD (Institut Français de Damas) dont l’auteur a ensuite poursuivi une carrière universitaire à Londres en histoire des arts islamiques sous le nom de David Storm Rice. F. Pichon se livre à une lecture attentive et minutieuse des écrits de ces orientalistes dont plusieurs sont aussi des missionnaires protestants (comme E. Bliss). Il retrace leurs séjours (parfois très courts), décrit leurs méthodes et discute leurs résultats. Quelques habitants du village, peu nombreux, deviennent des informateurs patentés, habitués des Européens et de leurs questions sur le dialecte araméen, que pourtant, ils sont loin de maîtriser. C’est le cas de Abdallah al-Mouallem, cité à plusieurs reprises et qui réside… à Damas où il est boulanger. Ces différents travaux sont aussi replacés dans le mouvement plus vaste « d’objectivation que l’Europe fit de ses propres coutumes » (p. 98) : connaître le « Notre-Père » en araméen (qui ne sert pas de langue liturgique) ne s’inscrit pas dans une quête des origines des premiers chrétiens, mais obéit à des impératifs méthodologiques : depuis le XVIIIe siècle, le Notre-Père est en effet devenu un « modèle textuel standardisé » à l’usage des linguistes (p. 99). Cette méthode ne sera pas sans conséquence. Selon F. Pichon, elle explique, avec le rôle des missionnaires protestants, « l’identification [faite par les villageois] entre leur identité chrétienne et l’araméen (p. 161) ».

3Le second chapitre, « Maaloula ou la fin d’un terroir, économie et société d’un village à l’âge de la révolution industrielle », cherche dans les transformations économiques et sociales du village entre 1850 et 1950 les raisons à la fois du déclin de l’araméen et de sa persistance. Comme l’indique le titre du chapitre, l’ouvrage célèbre d’Eugen Weber sur la fin des terroirs en France et le grand œuvre de Dominique Chevallier sur le Mont-Liban à l’époque de la révolution industrielle en Europe en dessinent les cadres conceptuels. Les dernières années du XIXe sont évoquées à travers les événements de 1850 (où le village et ses deux couvents furent pillés par la troupe turque) et de 1860 (mais ces derniers touchèrent davantage Damas) et la conscription ottomane (safarbalik). L’auteur s’intéresse ensuite aux causes du désenclavement de Maaloula qui ont accéléré sa transformation : l’institution scolaire, le développement des transports, les migrations. L’isolement, relatif, du village prend véritablement fin pendant la période mandataire, avec la construction de nouvelles routes (1928, 1935) qui relient Maaloula à Damas et réduisent considérablement la durée des trajets (de 7h en 1910 à 1h en 1936). Mais dès le XIXe siècle (et peut-être avant ?), les migrations saisonnières ou plus durables tissent des liens entre le village et d’autres régions de Syrie (Hauran, Damas). Après 1860, plusieurs hommes du village s’emploient dans les boulangeries de la capitale syrienne. D’autres s’aventurent plus loin, en Amérique latine (Brésil, Colombie, Argentine, Costa-Rica), et peut-être, mais l'absence de données n’autorise que des hypothèses, aux Etats-Unis. Née en 1870, cette vague migratoire chrétienne, plus modeste que celle venue d’autres villages du Qalamoun, retombe après la Seconde Guerre mondiale.

4L’histoire politique de Maaloula est évoquée, de façon plus rapide, dans la troisième partie. F. Pichon y compare notamment la destinée des habitants du village à celle des chrétiens de Jordanie étudiés par Géraldine Chatelard. Après l’indépendance, de nombreux habitants de Maaloula font carrière dans l’administration du nouvel État. Mais depuis la fin des années 1980, la corruption généralisée au sein de l’appareil d’État et les difficultés économiques et sociales, font obstacles à ce type de carrière. Restent l’émigration ou le repli à l’échelon local. C’est dans ce contexte que la langue de Maaloula a fait l’objet d’un nouvel investissement, dont on perçoit aisément tout l’intérêt touristique et financier. Elle est désormais présentée comme la langue des chrétiens, la langue du Christ. Le Notre-Père en araméen, que les orientalistes avaient tant de mal à obtenir est récité devant les voyageurs de passage. Des érudits locaux, dont tous ne connaissent pas les travaux des orientalistes, encouragent le renouveau de la langue, sa transcription et les traductions de l’arabe vers l’araméen. Cette identité chrétienne dont F. Pichon rappelle à juste titre à la fois le caractère construit et « imaginé » mais aussi l’efficience, s’impose au moment où la population permanente du bourg est majoritairement musulmane et les plus nombreux contingents de pèlerins qui visitent le village …iraniens. La population chrétienne vient cependant s’y ressourcer pendant l’été de même que les chrétiens occidentaux en quête de Terre Sainte. Cette identité, qui présente pour le régime ba‘thiste l’insigne intérêt de remonter aux temps antéislamiques, pourrait susciter davantage d’opposition si le référent musulman prenait davantage d’importance dans la vie politique syrienne.

5Cette monographie d’un petit bourg rural de Syrie laisse le lecteur davantage sur sa faim que la première partie : plusieurs questions ont été écartées (statut de la terre, rôle économique et social des couvents) ou ne sont abordées que de façon trop rapide (démographie). C’est surtout, et l’auteur en convient, une histoire des grecs-catholiques de Maaloula, davantage liés aux orientalistes. Les orthodoxes n’apparaissent qu’à travers les couvents et les musulmans en sont quasiment absents. Le lecteur regrettera aussi que les nombreux documents publiés en annexe (pourtant forts intéressants) n’aient pas fait l’objet de développements plus détaillés. Le travail de F. Pichon restera comme une contribution à l’histoire de l’orientalisme et de « l’invention de la Terre Sainte », pour reprendre l’heureuse expression d’Henry Laurens. Il fait ainsi écho à l’ouvrage de V. Lemire, La soif de Jérusalem, qui consacre lui aussi de longues pages aux écrits des orientalistes en s’efforçant de restituer à la fois la mémoire et l’histoire de la ville. Contrairement à Jérusalem, Maaloula se situe à la périphérie de la Terre Sainte dont le livre de F. Pichon vient rappeler combien les limites restent floues et fluctuantes. Changeante, différente selon les points de vue, en décalage par rapport aux évolutions démographiques, telle est aussi l’identité de Maaloula, aujourd’hui village chrétien, conservatoire vivant de l’araméen et dépositaire de coutumes rurales ancestrales syriennes.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Chantal Verdeil, « Pichon Frédéric, Maaloula (XIXe-XXIe siècles), Du vieux avec du neuf, Histoire et identité d’un village chrétien de Syrie, Presses de l’IFPO, 2010, 288 p.  », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 133 | juin 2013, mis en ligne le 08 juin 2012, consulté le 01 mars 2014. URL : http://remmm.revues.org/7568

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Auteur

Chantal Verdeil

INALCO, Paris

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