It is the cache of ${baseHref}. It is a snapshot of the page. The current page could have changed in the meantime.
Tip: To quickly find your search term on this page, press Ctrl+F or ⌘-F (Mac) and use the find bar.

Enjeux et pratiques documentaires en conservation-restauration, perspectives pour la recherche 
Navigation – Plan du site
Comptes-rendus

Enjeux et pratiques documentaires en conservation-restauration, perspectives pour la recherche 

Journées d’étude organisées par l’Association des restaurateurs d’art et d’archéologie de formation universitaire et le Centre de recherche en préservation des biens culturels, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Marie-Helène Breuil

Texte intégral

Introduction

1Consacrées à la documentation des œuvres, ces deux journées d’étude qui se sont tenues les 14 et 15 octobre 2010 comportaient quatre sessions : définition, production, gestion et utilisation. Elles ont permis de faire le point et d’échanger sur les outils techniques, les contenus, l’accès ainsi que la conservation de cette documentation. Dans son introduction, Thierry Lalot, directeur du CRPB (Université Paris 1), a souligné la volonté d’ouvrir des perspectives pour la recherche en conservation-restauration en lien avec l’activité professionnelle.

Définitions, méthode, formation

2La communication de Régis Bertholon (Université Paris 1), intitulée « Documentation des valeurs et valeurs de la documentation - La place de la documentation des valeurs culturelles dans un projet de conservation-restauration » ouvrait cette première session en insistant sur la prise en compte des valeurs culturelles aussi bien au moment du constat, du diagnostic, que du traitement. Si, indique-t-il, la notion de valeur culturelle est bien présente dans les écrits de William Morris ou d’Aloïs Riegl, on constate un certain paradoxe dans le code déontologique d’ECCO (European Confederation of Conservator-Restorers’ Organisations) qui ne la mentionne pas dans la phase de diagnostic. R. Bertholon pose la question de l’évaluation de ces valeurs, de leur documentation et de leur hiérarchisation, et affirme leur importance dans la compréhension de l’état matériel du bien, notamment des altérations, et dans l’orientation des choix de restauration.

3Mais peut-il y avoir un consensus sur les valeurs culturelles, alors que la notion est elle-même culturelle ? Pierre Leveau (doctorant au Centre d’ÉPistémologie et d’ERgologie Comparatives de l’Université de Provence) aborde cette question dans une intervention des plus abstraites et des plus rapides, dit-il, sobrement intitulée : « Les enjeux philosophiques de la documentation ». Partant d’une image de la Tour de Babel, évoquant le monde de la conservation-restauration dont le centre serait la documentation, Pierre Leveau s’intéresse à l’ontologie de la discipline, que ce soit du point de vue de l’étude de ses propriétés générales que de celui des sciences de l’information. Sans pour autant rendre compte de la totalité de cette intervention qui se laisse difficilement résumer, voici quelques-unes des questions posées : considérant le réseau d’institutions, les rhizomes de significations, les repères patrimoniaux (déclinés en significations, valeurs et intérêts) quelle documentation faut-il constituer ? Une documentation sur les objets, intégrant le « vague des objets », ou sur leur ancrage culturel ? Servira-t-elle à raisonner à partir de cas, en tenant compte des relations de similitude, ou de façon taxinomique, en recourant à des critères nécessaires d'appartenance ? En bref, comment les conservateurs-restaurateurs se représentent-ils le monde de la conservation-restauration ? Comment indexeront-ils leur documentation ? Pierre Leveau rappelle que l’ICOM a mis la documentation au centre de ses préoccupations et a créé des outils : le CIDOC-CRM et l’ISO 21 127 : 2006 pour l’échange d’informations et l’intégration des ressources hétérogènes. Pour les conservateurs-restaurateurs, indexer et mutualiser leur documentation sera faire la théorie de leur discipline, conclut-il.

4Silvia Païn (attachée territoriale de conservation du patrimoine) clôt cette première session en faisant part d’un cycle de formation professionnelle proposé par l’INP portant sur la rédaction du rapport de restauration. « Former à l’élaboration du rapport d’intervention : quelques réflexions » est l’occasion d’aborder la question de la normalisation du vocabulaire en relation avec l’aspect communicationnel du document, question sur laquelle plusieurs intervenants reviendront, ainsi que celle de la propriété intellectuelle du conservateur-restaurateur. C’est de la production de la documentation qu’il s’agit ici et le large débat qui suit engage déjà des réflexions sur la session suivante. La notion d’auteur, les aspects économiques, la prise en compte du contexte de l’objet, la nécessaire interdisciplinarité et les problèmes sémantiques qu’elle soulève (on fait également remarquer que des définitions différentes existent au sein d’une même spécialisation) sont abordés. Enfin, David Cueco (restaurateur de peinture) rappelle que « la documentation appartient à l’objet » et demande quel sera le devenir des archives des restaurateurs.

Produire la documentation

5« Constat d’état sur des photographies : méthodologie », l’intervention de Stéphane Garion (conservateur-restaurateur, BNF, Département des estampes et de la photographie) porte sur sa participation à la mise en place d’un logiciel de rédaction pour les constats (notamment lors des prêts) permettant un gain de temps et un archivage numérique. Après avoir exposé les limites du constat manuscrit et d’une première tentative menée en interne avec un logiciel de traitement de texte, Stéphane Garion présente le logiciel CEOPS (Constat d’État des Œuvres PatrimonialeS), en cours d’élaboration pour les arts graphiques, comme un outil potentiel pour une base de données. Le nombre croissant d’expositions fait que les œuvres circulent beaucoup plus et que la gestion du mouvement des collections occupe la plus grande partie du temps des conservateurs-restaurateurs travaillant en institution. Benoît de Tapol et Hélène Vassal aborderont le lendemain ce même sujet, l’un du point de vue de la conservation préventive, l’autre de la régie d’œuvre.

6Giulia Cucinella (conservateur-restaurateur, doctorante Université Paris 1) intervient sur « La documentation des restaurations - Enquête sur les pratiques des professionnels de la restauration en France ». Les premiers résultats de son enquête, en cours, révèlent les manques, ou problèmes, déontologiques et pratiques dans la constitution par les restaurateurs d’une documentation sur l’œuvre qu’ils n’ont pas toujours le temps ni les moyens d’indexer et d’archiver. La mise en place d’un système de versement de la documentation dans le cadre de la formation initiale des restaurateurs à l’INP, intitulé « Prodoc », par Odile Blanc et Giulia Cucinella, fait d’ailleurs l’objet d’un poster.

7Le récit de « L’expérience lascanienne - Le suivi de contamination microbienne : une pratique documentaire dans la grotte de Lascaux » par Julien Assoun, (ainsi que Françoise Cassette-Morin, Diane Henry-Lormelle, Alessandro Ingoglia, Tristan Mahéo et Alina Moskalik-Detalle) termine cette journée par un exposé volontairement subjectif, presque poétique, des pratiques documentaires rendant compte d’une expérience et d’une « transformation personnelle » au sein de Lascaux. L’équipe en charge du suivi, confrontée à la masse de documents produits et à la volonté de décrire le plus précisément possible l’évolution microbienne, s’est trouvée confrontée à la demande des biologistes d’un vocabulaire normalisé et d’une documentation non interprétée alors qu’en interne ils faisaient usage de métaphores et de métonymies pour décrire leurs observations. Se reconnaissant dans la définition du bricoleur, qui collecte sans visées fixes selon un mode opératoire plutôt que selon un projet, Julien Assoun a évoqué les doutes et les interrogations sur le travail mené et sa transmission et a très justement indiqué l’importance du langage (ne serait-ce que dans la constitution d’un vocabulaire descriptif) comme donnée culturelle non objective.

8Lors des débats de cette fin de journée, la nécessité, mais aussi l’inévitable risque d’appauvrissement, d’un vocabulaire et d’outils communs aux différentes disciplines engagées dans l’étude et la préservation des biens culturels a été discutée. Le rôle du CEN (Comité Européen de Normalisation), dont les travaux portent sur l’établissement d’un glossaire sur la conservation du patrimoine culturel, a été rappelé alors que Pierre Leveau posait la question : « la documentation est-elle faite pour communiquer ou pour être communiquée ?

Gestion et conservation de la documentation

9Joëlle Cretin et Christine Desgrez (C2RMF, Département Archives et Nouvelles Technologies de l’information), dans le cadre de leur communication : « La dématérialisation du dossier de restauration au C2RMF », ont présenté la base documentaire EROS (European Research Open System, consultable en Intranet) qui traite l’ensemble de la documentation sur l’œuvre de façon dématérialisée et en cours de production, sur la base d’un « vocabulaire contrôlé » accessible depuis une liste d’autorité. Clémence Raynaud (C2RMF, Département Archives et Nouvelles Technologies de l’information) a présenté ce fonds documentaire sur les matériaux techniques et la restauration des œuvres des musées de France constitué depuis la fin des années 1930, lorsque Germain Bazin instaura la pratique du rapport de restauration avec contrôle photographique au sein des ateliers de restauration de peinture du Louvre. Pierre-Emmanuel Nyeborg a fait part des résultats d’une étude commandée en 2005 portant sur une évaluation globale de ce fonds en vue de son redéploiement. Leur communication s’intitulait : « De la documentation aux archives : le plan de conservation du fonds restauration du C2RMF et ses enjeux ».

10Le poster de Gaëlle Pichon-Meunier, Fabienne Dufey, Franck Genestoux : « Les archives de conservation-restauration d’objets mobiliers conservés à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine » présentant notamment la base de données Mediathek qui signale les dossiers de restauration ; ainsi que celui de Marie-Eve Bouillon et Cécile Bosquier : « Documenter les actes de conservation-restauration dans un atelier public et centralisé - Le cas de l’Atelier de Restauration et de Conservation des Photographies de la Ville de Paris » complètent cet aperçu des politiques de documentation et de diffusion par les institutions. Nous mentionnons également le poster de Monica Corradi-Lesty : « Après un tremblement de terre : formalisation et production de la documentation nécessaire en vue de la restauration des œuvres endommagées ».

Utiliser la documentation

11Les différents intervenants de cette session ont fait part de leur expérience d’utilisateurs et de producteurs de la documentation confrontés à des systèmes informatiques qui restent encore à adapter aux besoins et aux pratiques de la conservation-restauration. La question qui revient incessamment est celle de l’exploitation de ces données et de leur possible convergence ou mutualisation vers une base de données ou des formulaires communs. « Entrée et saisies de données en conservation préventive sur logiciel… encore de gros progrès à faire ! » de Benoît de Tapol et Mireia Campuzano (MNAC, Museo Nacional d’Art de Catalunya, Barcelone) présente les problèmes rencontrés lors de l’entrée des données sur le logiciel MuseumPlus.

12Linda Van Dijck et Ilona Hans-Collas (département conservation-restauration, atelier des peintures murales, IRPA, Institut Royal du Patrimoine Artistique, Bruxelles) ont fait part d’un travail de recherche conjuguant les compétences d’un historien de l’art et de deux conservateurs-restaurateurs afin d’actualiser la documentation et renouveler la vision et l’étude de ce patrimoine : « Un projet mené à l'Institut royal du Patrimoine artistique  – L'inventaire des peintures murales médiévales conservées en Belgique : documentation, recherche et conservation ».

13Hélène Vassal, (régisseur, Agence France-Muséums) et Isabelle Loutrel (documentaliste, Musée d'Orsay) sont intervenues sur la documentation technique associée à la régie dans le cadre d’une étude portant sur le choix d’outils de gestion des collections pour le Louvre Abou Dabi : « Documenter la régie d’œuvres : quels outils pour quelles exploitations ? ». Tout en notant la complexité des outils informatiques, et après avoir rappelé le travail mené au musée du quai Branly sur le module de prêt de la base TMS intégrant les conditions environnementales et la traçabilité des objets, Hélène Vassal a très justement pointé les limites de ces outils en indiquant que l’obstacle était aussi bien économique que culturel : la régie doit être opérationnelle et l’outil de documentation doit pouvoir s’adapter à des notions de temps différents selon les disciplines engagées dans la pratique des collections.

14La communication d’Arianne Vanrell (MNCARS, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia, Madrid), « La documentation des installations d’art – La conservation des œuvres à travers leur compréhension », ouvrait le champ des problématiques en conservation-restauration de l’art contemporain. Prenant pour exemple la présentation dans le cadre d’une exposition temporaire d’une installation de Mark Hansen et Ben Rubin « Listening Post », une œuvre en temps réel dont les sources textuelles viennent d’Internet, Arianne Vanrell a montré l’intérêt d’une documentation audiovisuelle sur le montage. C’est à partir de la documentation que s’écrit l’histoire d’une œuvre dont il existe des versions différentes et qui, du fait de son obsolescence technologique, inclut une démarche de sauvegarde à laquelle l’artiste est associé. Notons que l’INCCA (International Network for the Conservation of Contemporary Art) a depuis plus d’une dizaine d’années posé la documentation au centre des recherches et réflexions sur ce sujet.

Conclusions

15Dans sa synthèse, Marie Berducou (Université Paris 1) a affirmé l’ancrage de la discipline dans le champ des sciences humaines. En insistant sur la complexité croissante de la documentation, sur le fait que comme l’a montré l’« expérience lascanienne » la restauration a son propre langage, et sur la nécessaire articulation entre description et interprétation, elle a également rappelé que la documentation est consubstantielle à l’œuvre.

16Les nouvelles technologies de l’information font miroiter un idéal communicationnel, cependant chaque institution a sa base de données le plus souvent consultable en interne, ses formulaires, son vocabulaire contrôlé. Faut-il mutualiser et comment ? Créer des liens ? Il est dommage que la base Vidéomuseum qui regroupe le réseau des musées et organismes gérant des collections d’art moderne et contemporain n’ait été qu’à peine évoquée ; il y avait là, justement, un exemple de mutualisation sans doute riche d’expériences.

17La question de la conservation d’une documentation pratique et technique sur les œuvres et donc la constitution d’archives patrimoniales devient aujourd’hui plus pressante. Elle est sans aucun doute liée au développement de l’enseignement de l’histoire de la restauration, comme l’a très justement indiqué Clémence Raynaud lors de son intervention. Il est certain qu’il y a là, pour reprendre les termes de Marie Berducou, un véritable « gisement » pour la recherche, bien que l’accès à cette documentation, et notamment à la « littérature grise », ne soit pas encore aisé. Le moment où une discipline se fige et écrit sa propre histoire constitue une phase critique dans son développement et sa reconnaissance. C’est aussi le moment où cette écriture commence à lui échapper pour intéresser plus largement le champ des sciences humaines.

18La publication des actes est annoncée pour la fin de l’année 2011.

19http://araafu.free.fr/​

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Marie-Helène Breuil, « Enjeux et pratiques documentaires en conservation-restauration, perspectives pour la recherche  », CeROArt [En ligne],  | 2010, mis en ligne le 21 novembre 2010, consulté le 26 février 2014. URL : http://ceroart.revues.org/2003

Haut de page

Auteur

Marie-Helène Breuil

Docteur en histoire de l’art, Marie-Hélène Breuil enseigne l’histoire de la sculpture, l’art contemporain et l’histoire de la restauration dans le cursus conservation-restauration des œuvres sculptées de l’École supérieure des beaux-arts de Tours (France) dont elle assure la coordination avec Agnès Cascio, restauratrice. Elle a organisé les journées d’étude « Restauration et non restauration en art contemporain » qui ont eu lieu en 2007 et 2008 et dont les actes ont été publiés sous sa direction par ARSET (Association des restaurateurs de sculptures de l’École de Tours). Ses travaux portent également sur l’œuvre de l’artiste Claude Rutault.

Articles du même auteur

  • Préface [Texte intégral]
    De l'art et de la nature – Collections composites
    Paru dans CeROArt,  | 2013
  • Foreword [Texte intégral]
    On Art and Nature – Composite Collections
    Paru dans CeROArt,  | 2013
Haut de page

Droits d’auteur

© Tous droits réservés

Haut de page
  • Directory of Open Access Journals
  • Les cahiers de Revues.org