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Néstor Ponce, Sous la pierre mouvante
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Comptes-rendus

Néstor Ponce, Sous la pierre mouvante

Manosque, Le Bec en l’Air, 2010
Photographies de Pablo Añeli
Jean-Marie Lassus
Référence(s) :

Néstor Ponce, Sous la pierre mouvante, Manosque, Le Bec en l’Air, 2010
Photographies de Pablo Añeli
Traduction de Claude Bleton

Texte intégral

1Les ouvrages qui font dialoguer le texte en prose et la photographie sont assez rares pour que leur parution mérite d’être soulignée. Ils ouvrent des horizons nouveaux à l’imaginaire et suscitent de fructueuses découvertes sur les dimensions poétiques du texte quand il est confronté à l’image. Le livre que Néstor Ponce (La Plata, Argentine, 1955) et Pablo Añeli (Tandil, Argentine, 1970) ont publié en 2010 aux Editions Le Bec en l’air traduit par Claude Bleton est de ceux là.

2Professeur de littérature et civilisation latino-américaines à l’université de Rennes 2 et spécialiste du roman policier, Néstor Ponce est l’auteur de six romans, d’un recueil poétique et de plusieurs essais littéraires. Pablo Añeli a débuté dans la photographie en travaillant pour un magazine de rock à Buenos Aires, puis a été reporter photographe pour le journal argentin Clarín et les agences Associeted Press et EFE à Panamá. Il vit maintenant à Tandil, qui est le lieu où se déroule l’action de Sous la pierre mouvante.

3Le point de départ de l’histoire est cet étrange rocher de la pampa argentine qui donne son titre à l’ouvrage : une énorme pierre située près de la ville de Tandil et qui maintient un équilibre précaire sur une colline jusqu’à ce jour de février 1912 où elle chute mystérieusement. Ce ne sera pas le seul mystère de l’ouvrage, puisque ce texte est aussi l’histoire de l’agonie de la petite Matildita que ses parents n’arrivent pas à sauver de la mort, même en faisant appel à Papa Dieu, un gaucho chaman aux pouvoirs surnaturels, personnage hors du commun qui ajoute à l’univers fantastique de ce récit fascinant. Les râles de la petite fille viendront hanter la maison tandis que Papa Dieu entraînera la communauté des péons dans une procession expiatoire sous la pierre de Tandil afin d’éviter la fin du monde. La répression armée qui mettra un terme à cette expérience de caractère millénariste sera  menée par ce même lieutenant Roca qui se rendra célèbre une fois parvenu au pouvoir par sa « Campagne du désert » (1879) cherchant à exterminer les autochtones du sud de l’Argentine au profit des immigrants européens.

4Le texte mêle fiction et réalité, car Tandil est aussi un lieu symbolique de la résistance indienne en Argentine : fondée en 1823 sous le nom de Fort Indépendance –, elle dut faire face jusqu’en 1875 aux assauts des Indiens pampas et ranqueles qui résistaient à l’avancée des Européens vers le sud. C’est ainsi qu’en janvier 1872 eut lieu à Tandil le grand massacre d’immigrants européens. L’initiative en fut attribuée à un certain Gerónimo de Solane, plus connu comme Papa Dieu –« el Tata Dios »- cité sous ce nom dans le texte de Néstor Ponce, qui raconte que le 24 mars 1872 les chefs des rebelles seront exécutés sur la place publique du village. Peu de temps auparavant, Papa Dieu avait été criblé de balles par une lucarne de sa prison. Tandil apparaît ainsi comme un prélude à cette campagne d’extermination des peuples autochtones du sud de l’Argentine qui sera conduite plus tard par le Président Julio Argentino Roca, figure que l’on retrouve dans d’autres textes de Néstor Ponce s’inspirant d’un XIXème siècle qui sera décisif sur le plan de la formation de l’Etat argentin moderne.

5Nous touchons là à de grands thèmes de la littérature latino-américaine confrontée à la violence et à la magie de l’histoire du continent : tellurisme et fantastique, millénarisme et nouveau roman historique, ont depuis toujours traduit les interférences suscitées par la rencontre des imaginaires et les conflits d’interprétation nés du choc entre l’Histoire officielle et l’histoire des exclus et des marginaux, créant en même temps une certaine continuité thématique toujours renouvelée. Sous la pierre mouvante rappellera l’univers de  textes comme celui du récent prix Nobel de littérature le péruvien Mario Vargas Llosa La guerra del fin del mundo, 1981 (La Guerre de la fin du monde, 1983) ou la célèbre nouvelle de Cortázar Casa tomada (1951).

6Les photographies historiques de la pierre de Tandil qui accompagnent le texte attestent de l’existence du phénomène, tandis que celles de Pablo Añeli, moins figuratives et qui jouent des effets d’ombre et de lumière ou du contraste entre l’infiniment grand et l’infiniment petit tentent d’appréhender une réalité aussi incroyable qu’insaisissable. Toute la difficulté réside en ce juste équilibre qui fait que le texte ne « dévore » pas la photo ou vice versa, faisant de celle-ci une simple « illustration »  du texte, travers dans lequel ne tombe pas cet ouvrage de Néstor Ponce et Pablo Añeli. Les références dans le domaine de l’art photographique sont nombreuses en Amérique Latine et les écrivains se sont souvent intéressés à cet art. On a oublié par exemple que le célèbre écrivain mexicain Juan Rulfo - l’un des plus importants de l’Amérique latine-, avait dès les années 1940 publié une collection de ses photographies en même temps que quelques-uns des textes qui le rendront célèbres, mais dont le succès universel fera momentanément passer au second plan cet engouement pour la photo. Au Mexique encore, et plus près de nous, Elena Poniatowska publie en 1992 un roman retraçant la vie de la photographe d’origine italienne Tina Modotti (1896-1942) : Tinísima qui fait dialoguer le texte en prose et les oeuvres de l’une des photographes les plus universelles du XXème siècle, morte à México.

7Sous l’apparence anodine du récit court, Sous la pierre mouvante aborde en profondeur la question des représentations collectives et des stratégies de résistance de ceux que la « raison d’Etat » condamne mais que la littérature n’oublie pas, en réaffirmant une nouvelle fois ici la puissance poétique d’un imaginaire collectif renforcé par la création photographique. Car il faut croire que cette « pierre mouvante » symbolise aussi les fondations instables sur lesquelles repose toute nation qui condamne l’autre et son univers à l’isolement. Loin cependant de s’en tenir à un récit purement documentaire, Sous la pierre mouvante montre que l’on peut aborder l’histoire sous l’angle du fantastique, a fortiori lorsque l’alchimie de la prose et de la photographie ne cessent d’ouvrir les portes de l’imaginaire.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Marie Lassus, « Néstor Ponce, Sous la pierre mouvante », Amerika [En ligne], 3 | 2010, mis en ligne le 10 novembre 2010, consulté le 06 mars 2014. URL : http://amerika.revues.org/1546

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Auteur

Jean-Marie Lassus

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