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Mesure des effets d’une nouvelle politique pénale : la suppression de la grâce collective
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Confrontations

Mesure des effets d’une nouvelle politique pénale : la suppression de la grâce collective

Annie Kensey et Aurélie Ouss

Résumé

Entre 1991 et 2006, une grâce collective annuelle a été prononcée à l’occasion de la fête nationale afin de remédier à la surpopulation carcérale, en permettant la libération anticipée de condamnés. La décision du président de la République élu en mai 2007 de ne pas mettre en œuvre une loi d’amnistie ou des grâces collectives a mis fin à ces libérations qui permettaient un court répit de la croissance de la population carcérale. Les grâces collectives, qui ne prennent pas en compte les caractéristiques individuelles des bénéficiaires, étaient une spécificité française dans leur ampleur et leur régularité. Cette étude est établie à partir d’une analyse complémentaire d’une enquête portant sur la récidive des sortants de prison de 1996-1997.

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Entrées d’index

Géographique :

France

Chronologique :

XXe siècle, XXIe siècle
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Texte intégral

La grâce collective : un des facteurs de l’érosion des peines

  • 1  Depuis 2008, les grâces collectives ont été enlevées de la Constitution.
  • 2  Les peines bénéficiant d'un sursis ne peuvent donc faire l’objet d’un recours en grâce qu’à l'occa (...)
  • 3  Il en résulte qu’elle peut être prise en considération en cas de nouvelle condamnation.

1L’article 17 de la Constitution française prévoit que le président de la République peut accorder des grâces, individuelles ou collectives1. Une grâce dispense partiellement ou totalement un condamné d’exécuter une peine prononcée par une juridiction pénale, ou l’atténue en la commuant en une peine moins sévère. Elle ne peut s’appliquer qu’à une condamnation définitive et exécutoire, c'est-à-dire après épuisement des voies de recours2. Elle n’abolit pas la responsabilité civile du condamné et elle n’efface pas la peine qui reste inscrite au casier judiciaire3.

2Le recours aux grâces individuelles avait plus de signification avant l’abolition de la peine de mort, puisqu’elle permettait au président de la République, en dernier recours, de commuer la peine de mort en une peine de prison. Dans les deux dernières décennies, les grâces collectives ont pris une nouvelle importance ; en effet, de 1991 à 2008, chaque année, une grâce collective a été accordée à l’occasion de la fête nationale, aux alentours du 14 juillet. Notons toutefois que les grâces présidentielles n’ont jamais eu le caractère automatique qu’on a pu leur prêter.

3La grâce collective bénéficie à de larges catégories de condamnés à l’occasion d’un événement, comme le 14 juillet susmentionné, ou l’élection présidentielle. La mesure profite à tous les condamnés remplissant certaines conditions au moment du décret de grâce, telles que la nature de l’infraction, le type et le quantum de la peine etc., qui varient selon les années. Comme pour les amnisties, un certain nombre d’infractions, dont la liste varie d’une année à l’autre, sont exclues. Cette grâce consiste généralement en une remise de peine, proportionnelle à la condamnation ou au reliquat de la peine restant à purger, de sorte qu’elles conduisent tantôt à l’annulation pure et simple de peines non encore exécutées, tantôt à la réduction de peines à exécuter ou en cours d’exécution, conduisant à de nombreuses libérations anticipées. En outre, rien n’interdit le cumul des effets des grâces collectives successives, lorsque les condamnés remplissent les conditions prévues.

4Les grâces contribuent, au même titre que d’autres mesures de réduction des peines à ce que l’on appelle l’érosion des peines, c’est-à-dire à creuser un écart plus ou moins important entre la peine prononcée et la peine effectivement subie.

5Une étude sur l’exécution de la peine (Kensey, 2003) à partir de la cohorte des libérés entre le 1er mai 1996 et le 30 avril 1997, a montré qu’en moyenne un peu plus du quart de la peine (27 %) n’est pas effectuée. Cette moyenne se décompose ainsi : 18 % sont non effectués du fait des réductions de peine ordinaires, 1 % des réductions de peine supplémentaires et 8 % des grâces collectives. Un peu plus de quatre libérés sur dix (43 %) avaient bénéficié d’au moins une mesure de grâce collective au cours de leur détention. Cette proportion variait de 10 % pour les « recels » à 85 % pour les « vols criminels ». Cette mesure était également corrélée à la longueur de la peine. Plus la durée de la détention était longue et plus la personne libérée a pu bénéficier de décret de grâce collective puisque, rappelons-le, les décrets étaient annuels entre 1991 et 2006, et cumulables.

6Cette mesure serait peu connue et peu critiquée par l’opinion publique (voir Lévy, 2007). Notons en particulier que la grâce présidentielle est le seul décret présidentiel n’apparaissant pas dans le Journal Officiel. En revanche, les magistrats et spécialistes de la question pénale en étaient très critiques, pour différentes raisons. Tout d’abord, les personnes libérées immédiatement après le décret de grâce (leur reliquat de peine étant inférieur à la diminution proposée) ne se voyaient pas accompagnées par les services de probation. Plus généralement, le temps imparti pour bien préparer la sortie du condamné serait trop court et cette mesure viendrait en concurrence de la libération conditionnelle. Enfin, il existerait une contradiction entre le fait de réduire ponctuellement la durée de certaines peines, tout en aggravant continûment le niveau des peines encourues dans le code pénal (voir Lévy, 2006).

Évolution de la population carcérale

7Depuis le milieu des années 1950, la population carcérale est marquée par une tendance à l’augmentation en France. Les grâces des années 1990 n’ont pas contrecarré cette augmentation, se limitant à un effet de très court terme. Une période « d’inflation carcérale » sans précédent qualifie même la fin du XXe siècle. En 20 ans, entre 1975 et 1995, la population carcérale a progressé de façon continue, à l’exclusion des années où des amnisties sont intervenues – 1981, 1988, 2002 – (voir figure 1). Au total, elle a doublé alors que, sur la même période, la population française n’a globalement augmenté que de 10%. En première analyse, ce rapport à l’ensemble de la population montre que l’influence du facteur démographique est faible et que l'augmentation du nombre de détenus a été sans commune mesure. Ensuite, une période unique de décroissance s’est installée pendant cinq ans, entre 1996 et 2001. Depuis, la tendance est de nouveau à la hausse puisque la population sous écrou a augmenté de 38 % entre les premiers janvier 2002 et 2009, passant de 48 594 à 66 178. La croissance de la population pendant cette période n’est pas régulière. Après une forte hausse en 2002 et 2003 due à la montée des entrées en prison, les années 2004 à 2006 sont stables. L’année 2007 présente de nouveau un pic important avec 6 % d’accroissement soit 4 000 écroués de plus. En 2008, la tendance à croître se poursuit. Comme causes possibles de cette nouvelle inflation carcérale, on peut mentionner la suppression de la grâce collective qui n’a pu produire son effet de baisse saisonnière et la loi d’août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs. Cependant, l’année 2009 est de nouveau marquée par une stabilité pour les personnes sous écrou (66 089 au 1er janvier 2010 contre 66 178 au 1er janvier 2009), voire une baisse si l’on ne considère que les personnes détenues (60 978 contre 62 252).

8Si pendant la période 1975-1995, l’inflation carcérale était due essentiellement à l’allongement de la durée moyenne de détention et à la très forte augmentation du nombre de condamnés pour des faits graves devant exécuter de longues peines, il n’en est plus de même aujourd’hui, le nombre de condamnés à de courtes peines (moins d’un an) progressant fortement.

9Le recours accru à l’incarcération est le déterminant principal de l’inflation carcérale depuis 2002, les entrées en prison ayant crû de 34 % en 7 ans. Le nombre d’incarcérations en 2008 est en légère baisse comparé à 2007 (- 1,3 %) mais reste à un niveau relativement élevé. La durée moyenne de détention augmente et atteint pratiquement les 9 mois. Globalement en baisse, les entrées de prévenus retrouvent presque le niveau de l’année 2000. En revanche, les entrées de condamnés ont doublé entre 2000 et 2008.

Source : Statistique mensuelle de la population écrouée, ministère de la Justice, DAP, PMJ5.

Une étude de la récidive

10Plusieurs enquêtes ont été réalisées par l’administration pénitentiaire et le CNRS (voir bibliographie) sur le devenir judiciaire des sortants de prison. La dernière recherche porte sur un échantillon de la cohorte des libérés entre le 1er mai 1996 et le 30 avril 1997 dont les éléments contenus dans le casier judiciaire ont été analysés cinq ans après leur sortie de prison.

11Cette enquête permet d’avoir un panorama des risques de récidive. La proportion de casiers comportant au moins une nouvelle condamnation est évaluée (toutes infractions et toutes peines confondues). C’est ce que l’on appelle un taux de re-condamnation. Il est de 52 % dans les 5 ans qui suivent la libération. Le taux de retour en prison est de 41 % - on ne prend alors que les condamnations à l’emprisonnement ferme.

12Enfin en se limitant aux seules nouvelles affaires sanctionnées par une peine de réclusion criminelle, le taux est de 1 % pour l’ensemble (1 % pour les auteurs de viol, 0,5 % pour ceux qui avaient commis un homicide, 2 % pour vol criminel).

13Les risques de récidive (exprimée par les taux de recondamnation et de retour en prison) varient de façon importante selon les caractéristiques des individus et les conditions d’exécution des peines.

14Le risque est plus élevé chez les hommes, notamment ceux qui ne déclarent aucune profession. Il diminue avec l’âge mais augmente avec le poids du casier judiciaire. Il est nettement plus élevé pour les auteurs d’une atteinte aux biens que pour ceux qui ont commis une atteinte aux personnes à une exception près : les vols avec violence pour lesquels le risque est élevé.

15Ainsi pour les sortants de prison, le taux de retour dans les 5 ans après leur libération est de 65 % quand l’infraction initiale est un vol sans violence, de 57 % pour un vol avec violence, de 44 % pour des violences volontaires sur adulte, de 13 % pour un homicide et de 11 % après un viol ou une agression sexuelle sur mineur, la nouvelle infraction commise après la libération pouvant ne pas être de même nature que la première.

16Ceux qui ont un passé judiciaire, qui n’ont pas déclaré de profession et qui sont plus jeunes ont un risque de récidive très élevé. Une analyse des différents profils pour chaque infraction a été effectuée. Une analyse du groupe « violences volontaires sur adulte » montre que les condamnés qui cumulent des facteurs de risque ont un taux de 80 % de retour, à l’inverse ceux qui n’ont pas de passé judiciaire, une profession et qui sont plus âgés ont un taux de retour proche de zéro.

17La méconnaissance du phénomène de la récidive constitue un obstacle majeur à l’octroi des aménagements de peine. Le risque de récidive des libérés conditionnels est, dans la logique de ce qui précède, inférieur à celui des libérés en fin de peine. L’écart provient pour partie des critères de sélection des bénéficiaires de la libération conditionnelle mais pas seulement.

18La part de la peine exécutée par rapport à la peine prononcée est également un résultat important de ce type d’étude. La libération conditionnelle et les réductions de peine (automatiques et par l’effet de la grâce collective) permettent une sortie anticipée et donc une réduction de la peine prononcée. L’étude montre que plus la part effectuée par rapport à la peine prononcée est faible, plus le risque de récidive diminue.

19Enfin, la corrélation entre la durée de la peine prononcée et le risque de récidive n’est pas établie par l’analyse statistique.

Principe d’évaluation de la durée de la peine

20La logique propre à une politique pénale répressive est l’idée que plus la peine encourue est lourde, plus elle est dissuasive pour les délinquants potentiels. C’est en particulier l’argumentaire qui a été utilisé lors de la mise en place des peines plancher. Toutefois une peine peut aussi avoir un effet direct sur la récidive ; par exemple, si l’individu appréhende mieux la sanction liée à l’infraction. Autrement dit, il serait intéressant pour le législateur de déterminer dans quelle mesure une peine modifie le parcours d’un individu.

21Toutefois, dès lors qu’il s’agit de mesurer l’effet d’une sanction sur la trajectoire future d’une personne, nous nous trouvons confrontés au principe fondateur de l’individualisation des peines. Le code pénal français prévoit ainsi que « la juridiction prononce les peines et fixe leur régime en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur » (art. 132-24). Il en est de même pour les aménagements de peines, qui peuvent intervenir tout au long de la peine. À titre d’exemple, on peut citer l’article 729-3 du code de procédure pénale : « La libération conditionnelle peut être accordée pour tout condamné à une peine privative de liberté inférieure ou égale à quatre ans, ou pour laquelle la durée de la peine restant à subir est inférieure ou égale à quatre ans, lorsque ce condamné exerce l’autorité parentale sur un enfant de moins de dix ans ayant chez ce parent sa résidence habituelle » (nous soulignons). Ce principe va dans le sens de la détermination d’une peine juste, et d’une peine soucieuse de ne pas sanctionner excessivement la famille de la personne inculpée. On voit cela dans l’exemple de la libération conditionnelle, mais c’est également vrai pour la détermination de la peine principale, qui prend par exemple en compte la possibilité d’indemniser les victimes, et donc l’existence d’un emploi, qui est également un facteur d’insertion sociale.

22Le principe d’aménagement de la peine a une dimension discrétionnaire ; il est donc quelque peu hasardeux de supposer que deux personnes ayant la même sanction sont comparables, ou qu’inversement, les différences dans les peines subies pour une même infraction peuvent s’expliquer par des critères sinon observables, du moins existants. Citons à cet égard les propos d’un avocat dans un tribunal de grande instance, cité par D. Simonnot dans son ouvrage Justice en France : une Loterie Nationale (2003) : « si vous faites vos conneries la semaine, vous tombez sur cette formation du tribunal et ça cogne fort. Pour les mêmes faits commis le week-end, vous êtes jugés par l’autre juge. Il est très humain et les peines se divisent par deux. Comment voulez-vous que les gens comprennent ? ».

23Afin d’évaluer l’effet d’une mesure pénale, il faudrait être capable de distinguer entre les effets de sélection des individus bénéficiant d’une mesure et les effets propres de cette mesure. Dans notre étude, nous utiliserons la récidive comme indicateur de la (non) réinsertion d’un ancien détenu. Nous tâchons d’étudier une politique qui touche un groupe de personnes pour des raisons qui ne dépendraient pas de caractéristiques individuelles que nous n’observerions pas (par exemple, leurs efforts de réinsertion). Par ailleurs, il faut s’assurer que cette mesure n’ait pas d’effet direct sur la récidive, c’est-à-dire que les éventuelles variations dans le taux de récidive ne passet que par une variation dans la mesure étudiée. Ainsi, il existe des études aux États-Unis utilisant des variations dans les législations entre États (Levitt, 1996), ou encore s’appuyant sur la sévérité différente des tribunaux (Kling, 2006) pour mettre en évidence des changements dans la peine que l’on peut supposer indépendants de l’individu.

24Nous nous sommes intéressés à l’octroi par le président de la République de la grâce collective du 14 juillet, décrite précédemment. Par opposition à l’individualisation des peines, cette mesure relevait d’une gestion de la population carcérale comme « stock » et visait à diminuer les problèmes de surpopulation, en « vidant les prisons » avant les mois d’été. Cette gestion de « stocks » fait que les personnes ne bénéficient pas de réductions en fonction de leurs caractéristiques individuelles ; la nature de l’infraction est le seul motif d’exclusion à date de condamnation donnée, et celle-ci est connue.

25En effet, pour bénéficier de la grâce, le fait d’être un détenu condamné à une certaine date (pour l’année 1996, il s’agit du 9 juillet), ou que sa peine devienne exécutoire avant une certaine date (le 21 juillet pour l’année 1996) est la seule chose prise en compte. L’effet de la grâce est de réduire la peine, proportionnellement au nombre de jours restant à purger à la date d’entrée en application du décret. Ainsi, selon la date à laquelle une personne est condamnée, toutes choses étant égales par ailleurs, le fait d’être condamné à une date proche du décret de grâce permettait de diminuer le temps passé en prison.

26Il existe donc une variation de la peine qui n’est liée qu’à la date de condamnation et à la durée de la condamnation, et non pas aux caractéristiques individuelles des individus. L’étude de cette variation nous permet d’isoler l’effet de la durée de la peine. Nous allons montrer que la durée effectivement passée en détention varie bien à l’approche de la date de proclamation de la grâce, et voir si les taux de récidive varient également pour les personnes libérées à ces dates. Pour ce faire, nous nous appuierons sur l’enquête « libérés 1996 » dont nous avons présenté les résultats précédemment.

Mois de condamnation et durée de l’incarcération

27Une étude graphique permet de mettre en évidence la façon dont la durée de l’incarcération varie en fonction du mois d’entrée en prison. Ainsi, si l’on s’intéresse par exemple aux personnes condamnées à 3 mois ou à 6 mois de peine d’emprisonnement, on voit que le nombre de jours passés en détention diminue à mesure qu’on se rapproche du 14 juillet, et qu’elle augmente à nouveau par la suite (graphiques 2).

  • 4  Nous n’avons pas de données assez fines sur la nature de l’infraction pour ne comparer que les per (...)

28Nous allons maintenant comparer les personnes de la cohorte des « libérés 1996 », selon qu’elles étaient ou non incarcérées à la date du 9 juillet 19964, et susceptibles ou non de bénéficier de la grâce du 14 juillet 1996. Ce qui nous intéresse ici est la comparaison des personnes libérées juste avant et juste après la grâce ; nous limiterons donc notre échantillon aux personnes libérées entre les mois de mai et de septembre 1996.

  • 5  Le taux de remise de peine induit par la grâce du 14 juillet n’est pas de 0 pour les personnes qui (...)

29Tout d’abord, nous voulons nous assurer que la réduction de peine associée à la grâce du 14 juillet ne se substitue pas aux réductions de peines individuelles (réductions de peines ordinaires et supplémentaires). C’est ce que suggèrent les graphiques montrés précédemment. En effet, le taux de remise de peines individuelles est légèrement plus élevé pour les personnes n’étant pas incarcérées le 9 juillet 1996 (19,9 % contre 18,6%) ; mais la différence dans le taux de remise de peines imputable à une grâce est de 4 points (9,6 % pour les personnes incarcérées à la date du 9 juillet, contre 3,5 % pour les personnes qui n’étaient pas incarcérées à la date du 9 juillet5). Au total, la différence dans les réductions de peine entre les personnes incarcérées ou non le 9 juillet et de 4,5 points : le taux de réduction de peine (tous types de réductions confondus) est de 23,5 % pour les personnes qui n’étaient pas en prison le 9 juillet, contre 28 % pour les personnes incarcérées à cette date (voir tableau 1).

30Lorsque nous comparons pour ces deux groupes de personnes les caractéristiques sociodémographiques et pénales qui pourraient avoir un effet sur la récidive, nous ne trouvons aucune différence significative, qu’il s’agisse de l’âge à la libération, de l’existence d’un domicile ou d’un emploi, ou de la nationalité (voir tableau 2). En ce qui concerne les infractions à l’écrou, notre échantillon n’est pas assez grand pour faire des distinctions précises. Toutefois, pour les 3 trois infractions les plus représentées – vol, ILS et violences – on ne note pas de différence significative entre les deux groupes non plus (voir tableau 3).

31Il semble donc que le fait d’être en prison le 9 juillet n’a d’effet que sur la durée de l’incarcération, à travers l’effet de la grâce sur les réductions de peines collectives.

32Qu’en est-il de la récidive, définie comme le fait d’avoir au moins une affaire sur son casier judiciaire dans les 5 ans suivant la libération ? On note que pour les personnes n’étant pas incarcérées à la date du 9 juillet, le taux de récidive est de 44,4 % ; contre 48,1 % pour les personnes qui étaient en prison le 9 juillet. Cette différence n’est toutefois statistiquement significative qu’au seuil de 20 %, dû notamment à la grande variance de la variable récidive.

33Si l’on accepte notre hypothèse selon laquelle la date de libération n’a d’effet sur la récidive que dans la mesure où elle induit le bénéfice ou non d’une réduction de peine collective, ce résultat indique que cette forme de remise de peine augmente la probabilité de récidive. Cette différence dans les taux de récidive, si elle s’avère significative sur un échantillon plus conséquent, pourrait être due à l’effet négatif d’une libération anticipée et non préparée. Une autre explication pourrait être qu’une réduction de peine non liée à un bon comportement pourrait être interprétée comme une moindre sévérité de la justice par les bénéficiaires de la grâce du 14 juillet. Notre interprétation de ce résultat se confine au cas d’une réduction de peine collective, les études sur les aménagements de peine individuels ayant au contraire montré un effet positif sur la récidive.

34Nous présentons ces résultats pour l’instant avec circonspection : la taille de l’échantillon ne permet pas d’avoir des intervalles de confiance fiables. Toutefois, ces premiers résultats présentent une nouvelle méthodologie dans l’analyse de la grâce du 14 juillet, qui exploite son côté aléatoire lié à la date de libération. Nous souhaitons affiner cette étude par la suite, avec des données plus précises et un plus grand nombre d’observations.

Tableau 1 : réduction de peine et incarcération le 9 juillet 1996.

Incarcéré le 09/07/1996

Taux de remise de peine individuelle

Taux de remise de peine dû à la grâce

Taux de remise de peine (total)

Taux de retour en prison

Non

19,9%

3,5%

23,5%

44,4%

Oui

18,6%

9,6%

28,1%

48,1%

Probabilité que les moyennes soient égales (test de Student)

0.0015

0.0000

0.0000

0.1800

Tableau 2 : variables sociodémographiques et incarcération le 9 juillet 1996.

Incarcéré le 09/07/1996

Âge à la libération

% de Français

% ayant un domicile

% ayant un métier

% de femmes

% ayant un diplôme

Non

31,6

70%

80%

46%

3,5%

35%

Oui

32,6

70%

80%

48%

3,7%

36%

Probabilité que les moyennes soient égales (test de Student)

0.1071

0.5304

0.8002

0.5124

0.4065

0.4665

Tableau 3 : infraction à l’écrou et incarcération le 9 juillet 1996.

Incarcéré le 09/07/1996

Vol

ILS

Violence

Non

24,5%

15%

10,6%

Oui

22,5%

12,4%

12,8%

Probabilité que les moyennes soient égales (test de Student)

0.4298

0.2380

0.2901

Conclusion

35Après avoir décrit le fonctionnement de la grâce du 14 juillet, nous avons vu en quoi cette institution particulière permet d’étudier l’effet d’une remise de peine collective sur la récidive. Nous avons vu qu’en plus des critiques institutionnelles par rapport à la grâce du 14 juillet, les remises de peines collectives semblent avoir des effets négatifs sur la récidive. Cette étude présente toutefois des limites, en particulier, la petite taille de l’échantillon qui ne permet pas d’affiner l’analyse, par exemple à différents types d’infractions, ni de faire des études plus développées sur différentes durées de peines (on peut en effet supposer que l’augmentation de la probabilité de récidive dépend de la proportion déduite de la peine par la grâce). La nouvelle base de données « libérés 2002 », en cours d’élaboration par la DAP, permettra d’avoir un regard plus fin sur la façon dont les réductions de peines collectives affectent la récidive.

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Bibliographie

Kensey A., Tournier P.V., 1994, Libération sans retour ? Devenir judiciaire de la cohorte des sortants de 1982 condamnés à trois ans ou plus, Paris, CESDIP, coll. Études & Données pénales, n° 69, Sceri, Coll. Travaux & Documents, n° 47, 127 p.

Kensey A., Lévy R., Pitoun A., Tournier P.V., 2003, Sous surveillance électronique, la mise en place du « bracelet électronique » en France (octobre 2000 – mai 2002), Paris, CESDIP, coll. Études & Données pénales, n° 93, Sceri, Coll. Travaux & Documents, n° 61, 223 p.

Kensey A., 2003, L’aménagement des peines dans sa diversité, Cahiers de démographie pénitentiaire, Paris, ministère de la Justice/DAP, n° 13.

Kensey A., 2004, Trois ans ou plus quinze ans après, analyse des casiers judiciaires en 1997 des libérés de 1982, initialement condamnés à 3 ans ou plus, Paris, DAP, coll. Travaux & documents, n° 62, 130 p.

Kensey A., Tournier P.V., 2005, Prisonniers du passé ? Cohorte des personnes condamnées, libérées en 1996-1997 : examen de leur casier judiciaire 5 ans après la levée d’écrou (échantillon national aléatoire stratifié selon l’infraction), Paris, ministère de la Justice, DAP, coll. Travaux & Documents, n° 68, 348 p.

Kling J., 2006, Incarceration Length, Employment, and Earnings, American Economic Review, 96 (3), 863-876.

Levitt S., 1996,The Effect of Prison Population Size on Crime Rates: Evidence from Prison Overcrowding Litigation, The Quarterly Journal of Economics, 111 (2), 319-352.

Lévy R., 2006, Une particularité française : les grâces et amnisties à répétition, Questions pénales, Guyancourt, CESDIP, XIX.2.

Lévy R., 2007, Pardons and Amnesties as Instruments of Criminal Policy in Contemporary France, in Tonry (M.), (dir.), Crime, Punishment, and Politics in Comparative Perspective, Chicago-London, University of Chicago Press, 551-590.

Ouss A., 2008, Durée de la détention et récidive des sortants de prison, sous la direction d’Éric Maurin, Paris, École d’Économie de Paris.

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Annexe

Méthodologie de l’enquête sur la mesure de la récidive

La cohorte étudiée est constituée des détenus condamnés, libérés entre le 1er mai 1996 et le 30 avril 1997 pour l’un des motifs suivants : peine couverte par la détention provisoire, fin de peine (y compris grâce, amnistie), libération conditionnelle, paiement de la contrainte par corps ou contrainte subie, reconduite à la frontière. Pour fixer les idées, le nombre total de libérations de cette nature a été d’environ 59 000 au cours de 1996 et de 56 000 pour 1997 (métropole).

En réalité, seuls 2 859 dossiers ont été analysés – soit 5% des dossiers d’une année –, 17 sous-cohortes par infraction étant constituées à partir du fichier national des détenus (FND). Les taux de sondage varient en fonction de l’infraction de 1/30 à 1/5. Les infractions choisies, du fait de leur fréquence, rassemblent environ 85 % de tous les condamnés libérés.

Dans un premier temps (volet 1.), nous avons cherché à mesurer la fréquence de la proportion de condamnés ayant bénéficié d’un placement extérieur, d’une semi-liberté ou d’une libération conditionnelle. Puis nous avons analysé l’écart existant entre le quantum de la peine prononcée d’une part et le temps passé en détention d’autre part (volet 2.).

82 % des condamnés libérés n’ont bénéficié ni d’un placement à l’extérieur, ni d’une mesure de semi-liberté, ni d’une libération conditionnelle. Seuls 1,5 % d’entre eux ont fait l’objet d’un placement à l’extérieur, la proportion étant de 7,5 % pour la semi-liberté. Quant à la proportion de libérations conditionnelles, parmi les libérés – à ne pas confondre avec un taux d’octroi – l’enquête donne un pourcentage de 11,5 %.

Nous avons examiné les casiers judiciaires de l’échantillon des condamnés libérés entre le 1er mai 1996 et le 30 avril 1997, au 1er juin 2002. Le délai d’observation est donc d’environ 5 ans et correspond pratiquement au maximum de ce qui pouvait être retenu du fait de la loi d’amnistie du 6 août 20026.

Les 2 858 dossiers déjà constitués lors des précédentes étapes ont ainsi été complétés par les informations issues du casier judiciaire. Après examen des casiers, 2 408 dossiers se sont avérés exploitables7.

Pour étudier la reprise judiciaire des sortants de prison, nous avons défini pour cet article trois niveaux de gravité des nouvelles infractions, en fonction de la nature des peines prononcées :

  • 1. Toute peine inscrite au casier judiciaire : dispense de peine, confiscation, annulation, interdiction, jour-amende, amende, sursis simple, SME, SME-TIG, TIG-PP, emprisonnement ferme, réclusion criminelle.

  • 2. Emprisonnement ferme ou réclusion criminelle.

  • 3. Peine de réclusion criminelle.

Pour chaque condamné libéré, nous examinons son casier judiciaire, 5 ans après sa sortie de prison, à la recherche d’au moins une condamnation prononcée pour des faits commis après la libération et sanctionnés par une peine selon le niveau étudié. Ainsi la sélection se fait selon trois critères :

  • a. La peine doit avoir été prononcée après la libération (critère concernant la date de la condamnation).

  • b. Les faits sanctionnés doivent être eux aussi postérieurs à la date de libération. Mais la date des faits n’existe pas toujours, les faits pour lesquels la personne est de nouveau condamnée pouvant s’étaler dans le temps, d’où, la notion « d’intervalle des faits » : c’est l’intervalle minimal qui inclut toutes les dates de faits pour une condamnation donnée. Soit [t1, t2] l’intervalle des faits, t1 est la « borne inférieure de l’intervalle des faits », t2 est la « borne supérieure de l’intervalle des faits ». Pour que la condamnation puisse être retenue, il faut que la borne inférieure de l’intervalle des faits soit postérieure à la date de libération.

  • c. Enfin, la sanction doit être une peine de réclusion criminelle pour le niveau 3, une peine d’emprisonnement ferme ou de réclusion criminelle pour le niveau 2, toutes peines pour le niveau 1.

Il reste alors à comptabiliser les dossiers comportant au moins une condamnation répondant à ces critères et à diviser par le nombre de sortants, pour obtenir le taux de nouvelles affaires de niveau X.

Ordres de grandeur

En arrondissant les chiffres, et en se plaçant à un niveau global (auquel il ne faut évidemment pas rester), on retiendra que, parmi les condamnés sortis de prison, on compte, 5 ans plus tard, 50 %, sans nouvelle affaire sanctionnée, 10 % sanctionnés par une peine non privative de liberté, et 40 % de retour en prison (niveau 2).

Pour les sortants, dont la détention était liée à une agression sexuelle ou autre atteinte sexuelle sur mineur (délit), on compte, 5 ans plus tard, 80 %, sans nouvelle affaire sanctionnée, 10 % sanctionnés par une peine non privative de liberté, et 10 % de retour en prison.

Pour les sortants, dont la détention était liée à un vol sans violence (délit), on compte, 5 ans plus tard, 25 %, sans nouvelle affaire sanctionnée, 10 % sanctionnés par une peine non privative de liberté, et 65 % de retour en prison.

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Notes

1  Depuis 2008, les grâces collectives ont été enlevées de la Constitution.

2  Les peines bénéficiant d'un sursis ne peuvent donc faire l’objet d’un recours en grâce qu’à l'occasion de la révocation de ce dernier. De même, les peines déjà exécutées, ou prescrites, ne sont pas rémissibles.

3  Il en résulte qu’elle peut être prise en considération en cas de nouvelle condamnation.

4  Nous n’avons pas de données assez fines sur la nature de l’infraction pour ne comparer que les personnes réellement éligibles à la grâce. Toutefois, si on fait l’hypothèse que le fait de ne pas être éligible à la grâce est indépendant du mois de libération, cela ne modifiera pas les résultats, les rendant simplement plus bruyants.

5  Le taux de remise de peine induit par la grâce du 14 juillet n’est pas de 0 pour les personnes qui n’étaient pas incarcérées le 9 juillet 1996 parce que certaines personnes ont bénéficié des grâces des années précédentes.

6  Cette loi concerne certains faits commis avant le 17 mai 2002. Les condamnations amnistiées sont effacées du casier judiciaire.

7  400 dossiers sont inexploitables pour cause de personne décédée, identité non applicable, même personne sous un identifiant différent ou dossier incomplet.

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Table des illustrations

Légende Source : Statistique mensuelle de la population écrouée, ministère de la Justice, DAP, PMJ5.
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Pour citer cet article

Référence électronique

Annie Kensey et Aurélie Ouss, « Mesure des effets d’une nouvelle politique pénale : la suppression de la grâce collective », Champ pénal/Penal field [En ligne], Vol. VIII | 2011, mis en ligne le 06 mai 2011, consulté le 27 février 2014. URL : http://champpenal.revues.org/8030 ; DOI : 10.4000/champpenal.8030

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Auteurs

Annie Kensey

Ministère de la Justice/DAP. Chercheuse associée au CESDIP.
annie.kensey@justice.gouv.fr

Aurélie Ouss

École Normale Supérieure.
ouss@fas.harvard.edu

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Droits d’auteur

© Champ pénal

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      Champ pénal/Penal field
      En bref :
      Revue bilingue de criminologie
      A bilingual publication on criminology
      Sujets :
      Sociologie, Droit, Criminologie, Histoire du droit, Sociologie du droit
    • Dir. de publication :
      Frédéric Ocqueteau
      Éditeur :
      Association Champ pénal / Penal field
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      1777-5272
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