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Leimdorfer François, Les sociologues et le langage
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À propos de livres

Leimdorfer François, Les sociologues et le langage

Paris, Maison des sciences de l’homme, 2010
Jean-Louis Siroux
p. 195-197
Notice bibliographique :

Leimdorfer François, Les sociologues et le langage, Paris, Maison des sciences de l’homme, 2010, 290 p.

Texte intégral

1En intitulant son travail Les sociologues et le langage, François Leimdorfer a fait le choix d’un titre sobre et relativement déconcertant par son degré de généralité. En réalité, le titre témoigne de l’ambition de l’ouvrage. Il n’est pas seulement question ici de dresser un bref panorama de la “sociologie du langage”, ce champ de recherches explicitement consacré à l’analyse des faits langagiers. De manière plus ambitieuse, F. Leimdorfer se propose de montrer comment des auteurs (sociologues pour la plupart, mais également anthropologues, linguistes, philosophes, etc.), de sensibilités théoriques diverses, se sont emparés du langage et se sont efforcés de l’inscrire dans leur analyse des rapports sociaux. Une place de choix est ainsi dévolue aux “grands anciens” de la discipline.

2Si tous n’ont pas fait du langage l’objet privilégié de leurs investigations, les pages qu’ils lui ont consacrées sont précieuses, non seulement pour interpréter les relations entre “langage” et “société”, mais aussi pour saisir dans toute leur subtilité les débats qui ont traversé l’histoire de la sociologie. De ce point de vue, la démonstration est convaincante : le langage se révèle un excellent indicateur des clivages et des tensions qui ont polarisé la sociologie (et les disciplines parentes) au cours de sa jeune existence.

3Le livre s’ouvre sur un constat : le langage n’est pas une abstraction qui flotterait au-dessus du monde social. Conçu dans sa matérialité, il est un élément constitutif des rapports sociaux. Il n’y a pas de langage sans énonciateur et sans situation d’énonciation. En retour, c’est à travers le langage (et la symbolisation) que nos rapports sociaux prennent tout leur sens. “Langage” et “société” sont donc en étroite relation, la cause est entendue.

4Reste au sociologue à établir la nature de cette relation. Doit-on envisager l’influence du langage sur le social ? Faut-il plutôt considérer les faits langagiers comme le “reflet”, “l’indice” ou la “trace” des rapports sociaux dans lesquels ils s’inscrivent ? Ou s’agit-il d’en finir avec une opposition (le langage d’un côté, la société de l’autre) jugée stérile ? F. Leimdorfer n’est pas le premier à s’immiscer dans ce débat. Mais rarement a-t-il fait l’objet d’une présentation aussi systématique et exhaustive.

5L’auteur distingue plusieurs approches des faits langagiers. La première (incarnée par K. Marx, E. Durkheim et P. Bourdieu notamment) prête attention à l’influence qu’exercent les rapports sociaux sur les faits langagiers. Dans la mesure où le langage offre un nombre quasi infini de possibilités, il s’agit en effet de déterminer comment, dans une société donnée, des usages de la langue se constituent, se distribuent et se légitiment à travers l’autorité de ceux qui les mobilisent. Sous cette perspective, le langagier sert donc d’analyseur du social : les différences linguistiques officient comme marqueurs de différenciation sociale, et l’évolution des mots témoigne des transformations des institutions qui les mettent en circulation.

6Une seconde approche entérine la séparation entre le social et le langagier, mais inverse cette fois la relation de causalité. Les travaux anthropologiques de E. Sapir et de B. Whorf sont les plus célèbres à cet égard. Toutes les langues, avancent-ils, ne mettent pas à disposition de leurs usagers la même diversité lexicale et les mêmes structures grammaticales. Or celles-ci exercent des effets considérables quant à la manière dont les individus interprètent leur environnement social. Les sociétés ne vivent pas avec les mêmes mots, et de mots différents percent des représentations sociales distinctes.

7Une troisième approche, développée notamment par les ethnographes de la communication (J. Gumperz), les interactionnistes (E. Goffman), les ethnométhodologues (H. Garfinkel) et les conversationnalistes (H. Sacks), conçoit le langage comme une activité “en situation”. L’attention du sociologue se focalise désormais sur l’interprétation “indigène” des phénomènes langagiers. L’interaction devient son échelle d’observation privilégiée. Cette appréhension du langage est indissociable du contexte intellectuel de l’époque à laquelle elle se développe : l’opposition au structuralisme en France et à la grammaire générative aux États-Unis (les travaux de D. Hymes par exemple), transparait dans de nombreux travaux.

8Enfin, une quatrième approche s’intéresse à l’analyse du discours. Les énoncés ne sont pas des faits linguistiques isolés. Ils répondent les uns aux autres dans des “genres” (M. Bakhtine), des formations “discursives” (M. Foucault) ou “idéologiques” (M. Pêcheux). Les tensions entre une analyse plutôt socio-linguistique (qui intègre le social dans l’analyse de la variation linguistique) ou plutôt sociologique (qui intègre le langage dans l’analyse des rapports sociaux) du discours font l’objet d’une section spécifique qui donne du relief aux chapitres précédents.

9Ces différentes approches ne sont pas forcément contradictoires. On peut penser les relations entre langage et société dans leur réciprocité, sans les envisager forcément dans un rapport de pure extériorité. C’est ce dont témoignent par exemple, et en dépit de tout ce qui les différencie, les travaux de W. Labov et B. Bernstein. Il n’en reste pas moins que l’accent mis sur l’une ou l’autre orientation procède de postures théoriques et épistémologiques parfois difficilement conciliables.

10« Le problème qui se pose à la sociologie est de savoir comment intégrer l’étude de la dimension langagière dans ses propres objets, méthodes, et résultats alors même que le langage est lien social par excellence, tout en ayant sa propre logique, différente de celle des rapports sociaux », relève F. Leimdorfer. Le problème est en effet redoutable et la tentative de synthèse à laquelle s’essaie l’auteur, en guise de conclusion, impressionne par sa qualité analytique, mais perd quelque peu en lisibilité ce qu’elle gagne en précision.

11Au final, si l’on doit esquisser une réserve, elle réside moins dans les omissions (c’est la loi du genre, on pourra toujours regretter l’absence de quelques auteurs : M. Heller, B. Lahire ou B. Rampton par exemple) que dans la richesse même de l’ouvrage. L’auteur invite le lecteur à un long périple dans l’espace et dans l’histoire des idées, sans grand respect pour les frontières académiques, ce qui est tout à son honneur. La présentation des auteurs est en outre précise, dense, et impressionnante d’érudition.

12Reste toutefois une frustration quant à l’absence d’une ligne de force plus accusée qui aurait guidé le lecteur à travers ce long voyage et aurait facilité la lecture. Cela n’enlève bien évidemment rien à la grande qualité d’un ouvrage que, selon son humeur et ses besoins, on lira d’une traite ou on utilisera de manière plus ponctuelle à la manière d’un manuel.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Louis Siroux, « Leimdorfer François, Les sociologues et le langage », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 42-2 | 2011, mis en ligne le 18 juillet 2012, consulté le 05 mars 2014. URL : http://rsa.revues.org/751

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Auteur

Jean-Louis Siroux

UCL/IACCHOS

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Droits d'auteur

© Recherches sociologiques et anthropologiques

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