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Ouverture officielle du colloque « Couleurs de l’architecture »
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Ouverture officielle du colloque « Couleurs de l’architecture »

Opening speech of the symposium ‘The Colours of Architecture’
François Goven

Texte intégral

1Merci, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs ; je tiens tout d’abord à excuser notre directrice, qui est aujourd’hui retenue par des questions importantes, qui nous concernent d’ailleurs tous. Je voudrais vous remercier, Monsieur le Président, ainsi que Monsieur le directeur général, Pierre Arizzoli-Clémentel, de l’accueil que vous nous faites dans ce domaine, et remercier les organisateurs, chevilles ouvrières de ce colloque, que sont Frédéric Didier, architecte en chef des monuments historiques, en charge des bâtiments du château de Versailles, et Béatrix Saule, conservateur en chef du patrimoine.

2Monsieur le Président, vous l’avez rappelé, ce n’est pas tout à fait un hasard si nous sommes ici aujourd’hui pour évoquer la question de la couleur dans l’architecture. Car si, par son échelle même, Versailles développe toute l’étendue du sujet, c’est l’occasion d’aborder des questions précises de doctrine, qui nous intéressent tout particulièrement en ce moment. Ainsi, les débats de ces journées annoncent et illustrent en quelque sorte les réflexions qui sont menées avec l’inspection générale des monuments historiques avant qu’un dossier ne soit prochainement soumis à l’avis de la Commission supérieure.

3Sans être moi-même un spécialiste, je voudrais livrer quelques remarques sur ce thème qui suscite souvent des avis enflammés, parfois même excessifs. On pourrait estimer, après tout, que les couleurs, non pas celles de la pierre ou de la brique, dont il sera également question, mais les couleurs ajoutées, c’est‑à‑dire les peintures, les enduits, les badigeons, applications fragiles et fugaces, constituent par définition des interventions réversibles qui n’engagent pas forcément la transformation de la substance de l’édifice et ne justifient donc pas la vigueur de certaines polémiques. Pourtant, la modification de la pente de couverture d’un édifice important pose souvent moins de problèmes que la simple réfection de la peinture de quelques menuiseries de ce même édifice. La couleur nous ramène en effet à un ensemble de questions complexes, et notamment à tout ce qui a trait à sa mémoire.

4En examinant les sources écrites, il ressort souvent que nous ne sommes pas certains que ce que l’on appelle « vert » ou « bleu » aux xviie et xviiie siècles – vous en débattrez, j’imagine – corresponde exactement à ce que l’on entend aujourd’hui par la couleur verte ou la couleur bleue. Ces documents d’archives ne peuvent donc suffire.

5Les sources iconographiques, notamment les tableaux anciens, nous donnent souvent des indications sur ce que pouvait être telle ou telle couleur, il y a deux ou trois siècles ; cependant, ces éléments ne sont pas toujours fiables, comme c’est souvent le cas pour l’architecture, et peut-être plus encore pour la couleur. La photographie est d’une aide certaine mais, chance ou malchance, elle est restée longtemps en noir et blanc, et ce n’est que la détermination de telle ou telle valeur qui peut, par extrapolation, permettre d’imaginer telle ou telle couleur ; par ailleurs, au moment où la couleur a été introduite dans la photographie, l’architecture a plutôt eu tendance à en réduire l’usage. La photographie n’est donc pas non plus suffisante. Reste enfin le recours à la démarche scientifique : l’analyse des couches successives ; mais, là encore, même s’il s’agit d’un outil très précieux, il ne peut tout à fait suffire. Tout cela crée donc un environnement favorable aux approches interprétatives, voire affectives. Et si cela est vrai pour nos monuments, cela l’est également à l’échelle de nos villes car la couleur peut constituer un enjeu – y compris politique – extrêmement important, comme nous le verrons avec le professeur Lolli-Ghetti qui interviendra sur l’évolution des couleurs des villes de Florence et de Rome. Si l’on ne peut guère, en l’espace de quelques années, intervenir sur la structure de l’environnement architectural, on peut en revanche en modifier l’aspect coloré plus facilement et à un moindre coût. Au sein du service des monuments historiques, nous avons été confrontés à cette question à Rome, lors de la restauration récente des façades de la villa Médicis. L’édifice, de teinte plutôt ocre avant les travaux, s’est transformé en un bâtiment aux façades resplendissantes et quasiment blanches. On devine que, derrière cette « simple » transformation de la couleur, se cache un projet ambitieux qui dépasse largement le débat esthétique sur la couleur blanche ou ocre. Mais je laisserai les intervenants en parler, ce qu’ils feront beaucoup mieux que moi.

6Je voudrais, avant de conclure et à titre d’illustration, évoquer une expérience assez amusante, que j’ai eu l’occasion de vivre à propos d’un monument qui n’est certes pas très prestigieux, mais pour lequel le débat sur les couleurs s’est transformé en une véritable guerre de tranchées ; il s’agit de la restauration, engagée il y a quelques années, d’un grand hôtel de Nice, celui-là même qui accueillait la reine Victoria lors de ses séjours sur la Côte d’Azur. Pour cet hôtel de grandes dimensions, situé sur une colline et donc très visible de loin – transformé depuis en copropriété –, les propriétaires, très légitimement, avaient décidé de procéder à un ravalement. Comme, dans les mémoires, cet édifice avait toujours été blanc, les propriétaires décidèrent de refaire les parties qui étaient en blanc « sale », pour les transformer en un blanc « propre ». L’édifice étant inscrit à l’inventaire, l’architecte des Bâtiments de France s’y opposa immédiatement. En effet, il imaginait mal ce grand volume blanc, exposé au cœur de la ville, au moment où justement il s’efforçait de développer une politique de coloration des façades marquée par un recours à des badigeons colorés de tradition plutôt génoise. Nous avons donc recherché des éléments d’archives. Par chance, nous avons trouvé une série de cartes postales colorisées – on avait beaucoup photographié le bâtiment au début du xxe siècle. Mais certaines montraient l’édifice blanc, d’autres rose ! Même chose pour les documents écrits : plusieurs écrivains l’avaient décrit, les uns comme un grand « pâté blanc », les autres comme un grand « pâté rose », et cela à peu près au même moment. Nous avons alors interrogé la mémoire des personnes âgées de Cimiez, dont un certain nombre connaissait l’édifice quasiment depuis ses premiers jours ; mais aucune d’entre elles ne nous a dit la même chose. Certaines s’en souvenaient comme d’un édifice coloré, pas trop, mais assez coloré quand même ; d’autres disaient qu’il avait toujours été blanc. Il ne restait plus qu’à convoquer la science, seul moyen d’arbitrer l’affaire. Des sondages ont donc été effectués, des échantillons prélevés et un laboratoire a analysé les différentes strates. Résultat, sur une couche blanche, probablement d’apprêt, on trouvait une couche ocrée sur laquelle étaient superposées plusieurs couches blanches ne permettant pas de savoir en définitive ce qu’il en était. Finalement, il fut conclu qu’il s’agissait d’une technique utilisée dans les colonies, notamment en Afrique du Nord, et qui consistait à disposer une sous-couche colorée sous le badigeon blanc, non pas pour modifier franchement la teinte du blanc qui était assez opaque, mais pour éviter le réfléchissement excessif du soleil. Telle fut l’interprétation donnée par les experts et historiens de l’art. Le bâtiment fut ainsi repeint en blanc cassé, mais la question reste entière.

7À cette occasion, je voudrais insister sur le rôle des architectes des Bâtiments de France – et nous en avons quelques représentants à ce colloque – dans ce domaine, même s’il concerne souvent une architecture moins monumentale, plus quotidienne. Il est conféré à ces derniers un véritable pouvoir en matière de couleur. C’est un fait que je relève, n’y voyez aucune critique. Souvent, en particulier dans les petites communes, les gens ne savent pas très bien ce qu’est exactement un architecte des Bâtiments de France ; en revanche, ils savent qu’il a le pouvoir de définir, voire d’imposer la couleur. Et si souvent il n’y a pas de consensus pour le reste, pour la couleur il existe et est reconnu. Pendant très longtemps, dans une culture locale traditionnelle, pour des raisons culturelles, économiques ou techniques, tout le monde peignait ses volets de la même façon, sauf le rebelle du village. Chaque village a eu son rebelle qui a peint ses volets en jaune citron ou en mauve pour marquer sa différence. Ensuite est arrivé l’architecte des Bâtiments de France, doté d’un pouvoir extraordinaire. Il arrive que les gens vous demandent : « Quand l’architecte des Bâtiments de France va-t-il être remplacé ? Parce que, après en avoir eu un qui nous a imposé de façon quasi systématique du bleu ou du vert, nous risquons d’en avoir un autre qui va nous imposer du bordeaux ou du rouge ! » Cette réduction un peu simpliste du contrôle architectural de l’État au pouvoir de décision sur le choix des couleurs est riche d’enseignement.

8Je voudrais dire pour terminer que ce colloque, outre son intérêt spécifique, s’inscrit dans la continuité d’une autre rencontre tenue il y a deux ans à Amiens et qui portait sur la polychromie des édifices médiévaux et plus particulièrement des grands bâtiments de l’époque gothique. Je formulerai le vœu qu’il y en ait un troisième, abordant cette fois la couleur dans l’architecture du xxe siècle, dont les pratiques ne sont certainement pas étrangères à la manière dont nous regardons les couleurs du passé.

9J’en ai donc terminé et j’espère que ces trois journées nous apporteront des éléments de réflexion tout à fait concrets pour l’architecture en général et pour Versailles en particulier.

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Pour citer cet article

Référence électronique

François Goven, « Ouverture officielle du colloque « Couleurs de l’architecture » », Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles [En ligne],  | 2002, mis en ligne le 14 mai 2008, consulté le 27 février 2014. URL : http://crcv.revues.org/79 ; DOI : 10.4000/crcv.79

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Auteur

François Goven

Conservateur général du patrimoine, François Goven est sous-directeur des monuments historiques à la direction de l'Architecture et du Patrimoine depuis 1998. Architecte de formation, il a exercé successivement les fonctions d'architecte des Bâtiments de France, puis de conservateur régional des monuments historiques dans les régions Lorraine et Provence-Alpes-Côte-d'Azur. Dans ses diverses fonctions, il s'est intéressé à la protection et à la conservation de l'architecture du xxe siècle. Courriel : francois.goven@culture.gouv.fr

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