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Philip Schofield, Utility & Democracy : The Political Thought of Jeremy Bentham
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Compte-rendus / Book reviews

Philip Schofield, Utility & Democracy : The Political Thought of Jeremy Bentham

Oxford : Oxford University Press, 2006
Emmanuelle de Champs
Référence(s) :

Schofield, Philip, Utility & Democracy, The Political Thought of Jeremy Bentham, Oxford University Press, Oxford, 2006, ix -370.p.

Texte intégral

1Philip Schofield est general editor des Collected Works of Jeremy Bentham à University College London. Dans Utility and Democracy, il analyse la pensée politique de Bentham dans son déroulement historique et montre l’unité du système philosophique qui la sous-tend. Il examine aussi les différentes étapes au cours desquelles elle se formule dans un champ politique en permanente mutation. Évitant les interprétations rétrospectives et laissant une large place aux citations de Bentham, l’auteur rend la parole au philosophe.

2Bentham lui-même met l’accent à plusieurs reprises sur la façon dont ses propres idées politiques ont évolué au cours de sa carrière. Comme la plupart des commentateurs, Schofield tente d’identifier les moments de rupture (que l’on parle de « conversion » ou de « transition »). Mais il ne perd jamais de vu la cohérence et l’unité de l’approche benthamienne des questions politiques, ce qui explique que son plan s’interdise d’être strictement chronologique et opère de nombreux va-et-vient entre les différentes époques de la vie du philosophe.

3Le premier chapitre pose les fondations philosophiques du système de Bentham, la « théorie des entités réelles et fictives » (que Schofield préfère à l’expression « théorie des fictions », utilisée depuis Ogden). Il rappelle que la distinction entre deux types d’entités est présente dans les tout premiers textes de Bentham, puis développée dans les années 1814-1816, à deux moments clefs de sa carrière. Le second chapitre, consacré au « principe de l’utilité », montre comment sa pensée politique s’inscrit dans le droit fil de cette réflexion ontologique et psychologique. S’appuyant sur des textes des années 1820, Schofield montre comment Bentham lie explicitement morale privée et morale publique (p. 42).Il conclut que la tension entre deux interprétations du principe de l’utilité (celle selon laquelle l’individu est le meilleur juge de ses propres intérêts et celle selon laquelle un législateur peut guider les individus ensemble vers l’intérêt de tous) est résolue de manière différente au cours de la vie de Bentham, selon la direction que prennent ses engagements politiques (p. 50).

4L’opposition bien connue de Bentham aux discours jusnaturalistes permet de relier les prises de position du philosophe dans le champ politique des années 1770 (chapitre 3), que ce soit son opposition à William Blackstone ou aux justifications professées par les révolutionnaires américains, puis français, à l’appui de leurs revendications. Toutefois, note Schofield, si Bentham refuse le statut juridique qu’on peut attribuer à des déclarations des droits, il ne se montre pas hostile au rôle moral qu’on peut leur donner : vers 1820, il se montrera prêt à faire adopter à Tripoli une « charte constitutionnelle ».

5La Révolution française fut-elle l’occasion d’une première « conversion » de Bentham aux idées démocratiques ? Depuis Halévy, les chercheurs ont connaissance des textes sur le suffrage « quasi-universel » que Bentham proposait à cette époque. La parution en 2002 du volume Rights, Representation and Reform a rendu disponibles un grand nombre de manuscrits des années 1788-1795 et a relancé le débat sur la position politique de Bentham à cette époque. Schofield indique qu’il est inexact d’affirmer que Bentham prônait le suffrage universel en 1788 (p. 87-88) mais qu’il en vient à l’envisager de façon bien plus large l’année suivante, levant cette fois-ci toute barrière censitaire et incluant les femmes dans l’électorat. Pour Schofield l’évolution des idées de Bentham suit le rythme des propositions qui sont faites lors des premiers temps de la Révolution et dont il est tenu informé presque en temps réel par Dumont, alors secrétaire de Mirabeau. De même, à partir de 1792, alors que les événements de France provoquent un afflux d’émigrés auprès de Lord Lansdowne, Bentham revient sur ses propositions démocratiques, loue la stabilité de la constitution britannique et rejette les conséquences « anarchiques » de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Les fluctuations de Bentham sur la question démocratique interdisent, selon Schofield, qu’on puisse parler de « conversion ».

  • 1  Pour les difficultés de traduction de cette expression, voir l’article de Rosalind Greenstein dans (...)

6Pour lui, le moment clef intervient une décennie plus tard, après l’échec du projet de construction d’une prison panoptique dans les environs de Londres. Schofield étaye une intuition déjà présente chez Halévy en montrant que l’expression « sinister interest »1 a vu le jour sous sa plume vers 1804, appliquée au monde juridique (chapitre 5). Employée d’abord dans le champ juridique, dans des écrits sur les preuves judiciaires et sur la réforme du droit écossais (Scotch Reform), l’expression est ensuite transférée dans le champ politique. C’est l’application systématique de ce nouvel outil à l’analyse des mécanismes politiques qui sera la marque distinctive du « radicalisme philosophique » à partir des années 1810.

7Cette nouvelle chronologie permet à Schofield de réfuter l’hypothèse – formulée également par Halévy – selon laquelle James Mill aurait été à l’origine de la « conversion » de Bentham aux idées radicales : la notion de « sinister interest » est bien antérieure à la rencontre des deux hommes. En 1809, lorsqu’il rédige le Parliamentary Reform Catechism, Bentham tente de trouver des solutions pour le contrer : une meilleure représentativité, des élections plus transparentes, la fin des pensions et des sinécures, en bref, pour reprendre l’expression qui sera le pivot de sa théorie constitutionnelle à venir, pour améliorer l’ « aptitude » des dirigeants. Mais comme le rappelle Schofield, ces propositions ne seront pas publiées à l’époque, il faudra attendre 1818 et la possibilité de faire entendre ses idées au Parlement (par le biais de Sir Francis Burdett), pour que Bentham les rende publiques (chapitre 6).

8L’une des spécificités du radicalisme de Bentham, et celle qui est encore la moins bien connue, est son versant religieux : selon Philip Schofield, la critique de l’Église d’Angleterre en est l’un des pivots (chapitre 7). S’ils se développent plus spécifiquement au cours de la décennie 1810, certains arguments (le rejet des serments religieux et la recherche d’un fondement moral dégagé de la religion) sont ancrés dans la pensée de Bentham depuis le début de sa carrière. La virulence des pamphlets antireligieux, longtemps indisponibles car exclus par Bowring des Complete Works est particulièrement dirigée contre le pouvoir corrupteur d’une institution qui rejette l’appel à la raison et abuse de son pouvoir sur les esprits pour encourager l’obéissance à un régime corrompu. Ce chapitre, qui met l’accent sur des textes encore méconnus est l’un des apports les plus importants de l’ouvrage.

  • 2  Voir l’ouvrage récent de Jennifer Pitts, A Turn to Empire. The Rise of Imperial Liberalism in Brit (...)

9Schofield aborde ensuite la dernière partie de la vie de Bentham, celle de la rédaction du Code Constitutionnel. Il ouvre le chapitre sur l’examen de la question des colonies pour montrer la cohérence des positions du philosophe sur ce sujet. Les arguments économiques laissent progressivement la place à des arguments constitutionnels : les colonies sont source de corruption pour le corps politique tout entier, affirme Bentham. Les textes dans lesquels il soutient au contraire les avantages que représentent les colonies en cas de surpopulation dans la métropole sont apparus contradictoires aux yeux de plusieurs commentateurs. Schofield tente de concilier ces deux approches en expliquant que les colonies ne sont acceptables, pour Bentham, qu’à condition qu’elles s’inscrivent dans un système constitutionnel où leurs effets néfastes sont limités (chapitre 8). Cette interprétation ne résout pourtant pas toutes les difficultés. Le regain d’intérêt pour la question coloniale chez Bentham fait espérer que ce sujet sera bientôt étudié plus en détail.2

10Les derniers chapitres sont consacrés aux principes de la théorie constitutionnelle. Schofield les inscrit dans la longue durée en montrant comment la théorie des pouvoirs du gouvernement s’est mise en place à partir des années 1770, puis s’est affinée dans la critique des institutions françaises à l’époque de la Révolution, puis dans celle du système britannique. La dernière étape dans la formulation de la théorie politique de Bentham est datée de 1817-1818 (p. 247) : il s’agit de la reconnaissance que la réforme constitutionnelle est le préalable nécessaire à toute réforme du champ politique et juridique selon l’utilité. Reprenant les mots de Bentham, Schofield parle alors d’un passage au « républicanisme ». Les chapitres 10 et 11 s’attachent à décrire deux des principes qui constituent selon l’auteur la clef de l’architecture constitutionnelle benthamienne : la publicité et l’aptitude officielle. Si ces chapitres apportent peu sur le plan théorique, ils sont en revanche très éclairants sur la chronologie de la mise en place des différentes dispositions. La pensée constitutionnelle de Bentham apparaît alors ancrée dans l’histoire, et non pas d’un seul tenant.

11S’il n’est pas très original de conclure sur une description de l’Auto-Icône, l’avant-dernier chapitre ouvre des pistes plus intéressantes. Schofield se penche en effet sur un épisode qui a été très peu étudié, la collaboration avortée entre Bentham et Brougham pour une réforme du droit anglais, qui occupe les dernières années de la vie du philosophe (chapitre 12). Schofield montre en quoi la stratégie adoptée par Bentham à cette occasion est représentative de toute sa carrière : publications et pamphlets se succèdent dans différents organes, tandis que Bentham lui-même multiplie les rencontres et les courriers auprès des officiels dont il espère le soutien. La continuité de ses idées sur ce sujet est marquée par la comparaison entre ces derniers textes et le projet rédigé pour la France révolutionnaire en 1790 (Draught of a plan for the judicial establishment in France). La rupture avec Brougham, suivie de l’amitié enthousiaste avec Daniel O’Connell, la création d’une Law Reform Association, sont les épisodes les plus marquants de cette période et ceux qui sont le moins connus.

12Cet ouvrage est bien le panorama le plus complet de l’évolution des idées politiques de Bentham disponible à ce jour, et le recours fréquent à des manuscrits inédits apporte un éclairage nouveau sur de nombreux sujets. De nombreuses pistes d’analyse sont ouvertes, mais on peut regretter que certaines n’aient pas été explorées systématiquement, ou bien que la problématique de la « conversion » reste le moteur de l’histoire racontée par Schofield qui ne fait que déplacer les moments où la pensée de Bentham est censée basculer (1804, puis 1818). On peut également regretter un certain manque de continuité sur le plan méthodologique entre les différents chapitres, même si la profusion des sources et des matériaux justifie la juxtaposition de différentes approches et invite à creuser chacune d’entre elles.

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Notes

1  Pour les difficultés de traduction de cette expression, voir l’article de Rosalind Greenstein dans ce numéro. Pour ma part, je pense qu’on peut reprendre l’expression « intérêts adverses » employée par Dumont dans ses manuscrits (Ms Dumont, 55, f. 262).

2  Voir l’ouvrage récent de Jennifer Pitts, A Turn to Empire. The Rise of Imperial Liberalism in Britain and France, Princeton : Princeton University Press, 2005.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Emmanuelle de Champs, « Philip Schofield, Utility & Democracy : The Political Thought of Jeremy Bentham », Revue d’études benthamiennes [En ligne], 2 | 2007, mis en ligne le 01 mars 2007, consulté le 01 mars 2014. URL : http://etudes-benthamiennes.revues.org/137

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Auteur

Emmanuelle de Champs

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