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Les politiques d’employabilité en Belgique : traitement clinique des chômeurs et traitement statistique du chômage
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Les politiques d’employabilité en Belgique : traitement clinique des chômeurs et traitement statistique du chômage

The Politics of Employability in Belgium : Clinical Treatment of the Unemployed and Statistical Treatment of Unemployment
Jean-François Orianne et Bernard Conter
p. 175-190

Résumés

Cet article interroge la mise en œuvre et le suivi des politiques européennes d’employabilité en Belgique à la lumière de la sociologie de Norbert Elias, en reliant les dimensions sociogénétiques et psychogénétiques de la construction européenne. Le traitement clinique des chômeurs, qui repose principalement sur la construction professionnelle de troubles de l’employabilité, contribue à l’intériorisation de normes à grande échelle, à la socialisation de la population active au marché du travail et renforce la concurrence entre les actifs occupés et les actifs inoccupés (principale condition de stabilité de la monnaie unique). Parallèlement, le traitement statistique du chômage, qui consiste en un jeu rationnel entre États (et Régions) de maximisation des indicateurs de résultats, renforce la compétition territoriale pour attirer les investisseurs et encadre, légitime, dynamise ce mouvement incertain d’harmonisation ou d’intégration des systèmes de protection sociale en Europe.

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Notes de la rédaction

Ce texte s’appuie sur une communication présentée à l’occasion des XIXe Journées juridiques Jean Dabin en décembre 2005.

Texte intégral

I. Introduction

1Les politiques de l’emploi, sous l’influence des institutions européennes, se sont progressivement transformées en politiques dites “d’employabilité”, abandonnant de la sorte leur vocation régulatrice et créatrice d’emplois. A la fonction keynésienne de soutien à la croissance se substitue une autre fonction davantage centrée sur les capacités et la responsabilité individuelles. L’hypothèse de changement de paradigme dans ce champ de l’intervention publique (Vielle et al., 2005) s’appuie sur un constat relatif à la conception du rôle de l’État : celui-ci a moins vocation à intervenir directement comme régulateur que comme “facilitateur” du jeu du marché.

2Les politiques d’employabilité visent à augmenter les chances de participation des individus au marché du travail. Elles organisent un ensemble d’actions dont le but est d’améliorer, aux yeux des employeurs l’attractivité des individus (le but ultime étant d’assurer le maintien dans l’emploi ou l’accès à ce dernier). Les pouvoirs publics encouragent ainsi l’évaluation, le recyclage et la validation des compétences des salariés mais surtout promeuvent l’accompagnement généralisé des chômeurs, au travers d’un arsenal de mesures de guidance, d’orientation et de formation (convocation, contrôle des démarches de recherche d’emploi, accompagnement social, stages de détermination, aide à l’orientation, détermination de projet professionnel, formation professionnelle, aide à la recherche active d’emploi).

3Cet article s’appuie sur divers travaux de recherche portant sur la mise en œuvre et le pilotage des politiques d’employabilité en Belgique : d’une part, une recherche empirique sur le travail des intermédiaires publics, en Région wallonne, chargés de traduire les politiques d’employabilité en action sur autrui (Orianne et al., 2004 ; Orianne, 2005a) ; d’autre part, une réflexion sur le travail de construction d’indicateurs statistiques opéré par les experts (régionaux, fédéraux, internationaux) des politiques d’emploi, et sur leur valorisation par les pouvoirs publics (Conter, 2005, 2007 à par.).

4Nous nous efforcerons de mettre en évidence, à la lumière de la sociologie de Norbert Elias, deux dimensions ou composantes principales des politiques d’employabilité en Belgique : d’un côté, l’intériorisation de normes, de l’autre, l’extériorisation de résultats. La mise en œuvre et la conduite des politiques européennes d’employabilité en Belgique s’inscrivent, selon nous, dans une nouvelle phase du processus de civilisation caractérisée par le dépassement de monopoles d’États (politique monétaire et gestion du marché du travail), par la déterritorialisation de politiques publiques et leur reterritorialisation dans un espace transnational. Suivant les principes théoriques du “petit maître de Breslau”, nous soutiendrons l’hypothèse selon laquelle ces évolutions sociogénétiques s’accompagnent de la transformation des structures psychiques.

  • 1 Voir Fitoussi J.-P., 1995.

5Nous montrerons que le traitement clinique des chômeurs, qui repose sur la construction professionnelle de troubles de l’employabilité, contribue à l’intériorisation de normes à grande échelle, à socialiser la population active au marché du travail (jusque dans ses moindres recoins) et renforce la concurrence entre les actifs occupés et les actifs inoccupés. Cette politique de mise en concurrence, entre ceux qui ont un emploi et ceux qui n’en ont pas, entre les insiders et les outsiders du marché du travail, apparaît comme l’instrument principal de lutte contre l’inflation (à défaut de lutter contre le chômage1), dans le contexte d’une monnaie unique : à la flexibilité des taux de change s’est progressivement substituée la flexibilité de la main d’œuvre en cas de « chocs idiosyncrasiques » (Gazier/Lechevalier, 2004).

6Parallèlement, le traitement statistique du chômage consiste en un jeu légitime et rationnel de maximisation des indicateurs de résultats dans le contexte d’un double dépassement de l’État-nation (par le haut et par le bas). Il apparaît comme un moyen de “limiter les dégâts” du chômage de masse persistant lorsque l’État se trouve dépossédé d’un certain nombre de moyens d’action pour agir sur le marché du travail. Cette politique d’indicateurs, instrumentale et autoréférentielle, dynamise la concurrence entre les États, mais aussi entre les Régions ou toute autre entité territoriale de l’Union européenne. La Méthode ouverte de coordination (Zeitlin/Pochet, 2005) apparaît, à cet égard, comme une méthode de scores qui contraint les États membres à renforcer le rendement statistique des politiques publiques. Cette objectivation de résultats s’inscrit, selon nous, dans ce mouvement sociogénétique d’harmonisation ou d’intégration des systèmes de protection sociale en Europe ; elle renforce la compétition territoriale.

II. Processus de civilisation et construction européenne : les politiques de l’autocontrainte

A. La sociologie de Norbert Elias : une théorie de la civilisation

7La sociologie de Norbert Elias permet de penser conjointement la construction de l’État et la civilisation des mœurs, autrement dit les dimensions sociogénétiques et psychogénétiques du processus de civilisation. Monopolisation et individualisation apparaissent comme les deux lignes de force de ce processus aveugle, dont la société de cour constitue, aux yeux d’Elias, une configuration limite.

  • 2 L’usage du couteau, de la fourchette, du mouchoir ou encore du pyjama sont interprétés comme autant (...)

8Dans La civilisation des mœurs, Elias examine un ensemble de documents historiques qui illustrent le comportement de l’aristocratie et expriment, de manière plus générale, la modification du comportement humain. Il épluche, entre autres, un grand nombre d’extraits de traités de savoir-vivre concernant les besoins naturels (uriner, cracher, se moucher, dormir) et les manières de table, mettant en perspective des documents datant du Moyen-Age, de la Renaissance et des Lumières, pour faire apparaître l’évolution d’un processus sociohistorique2. Ces traités de savoir-vivre apparaissent comme des dispositifs d’intériorisation de normes sociales : ils cherchent avant tout à inculquer des sentiments de pudeur, de gêne, de culpabilité. Elias désigne par l’autocontrainte le passage progressif de la contrainte sociale extérieure à une intériorisation de plus en plus grande des normes sociales.

9Dans La dynamique de l’occident, il procède à l’analyse sociogénétique du royaume franc et identifie trois phases distinctes : 1) la phase de concurrence libre (XIe- XIIIe), 2) la phase des apanages (XIVe- XVe), 3) la victoire du monopole royal (XVe- XVIe). La question principale qu’il se pose est la suivante : par quel mécanisme la configuration de départ (petites unités indépendantes) aboutit-elle à une configuration d’hégémonie ? Si la situation de départ se caractérise par la compétition libre et l’utilisation de la force entre différents membres d’une configuration où les chances monopolistiques sont diffuses, non-organisées, et d’intérêt personnel ou “privé”, l’évolution tend vers un stade où certaines institutions centrales organisent les chances monopolistiques dans un intérêt “public”, « en fonction des exigences du processus de la division du travail et de la coopération optimale de tous les individus entre lesquels la répartition des fonctions a tissé des liens » (Elias, 1994 :39-40).

  • 3 Elias envisage Louis XIV comme une fonction royale. Il n’est pas un despote mais un connecteur. La (...)
  • 4 « L’homme de cour a conscience qu’il se fait violence pour des raisons sociales » (Elias N., 1994, (...)

10La société de cour constitue, pour Elias, une configuration “inédite” du processus de civilisation et des mécanismes de monopolisation qui lui sont inhérents. Elle se caractérise par la “déterritorialisation” du despote : le roi est extrait de son territoire privé pour devenir fonction de régulation d’un territoire public3. Mais la société de cour cristallise également le passage d’une contrainte sociale à une autocontrainte (les dimensions psychogénétiques du processus) : le phénomène de curialisation des guerriers, par lequel les guerriers se changent en courtisans4.

11Elias développe, sur ces bases, une véritable théorie de l’individualisation : ce qui se présente d’un côté comme un processus de civilisation, est en même temps, d’un autre côté, un processus d’individualisation croissante. La contradiction entre les impulsions spontanées et les impulsions répressives à long terme que l’homme hautement individualisé ressent à ce stade du processus lui apparaît souvent comme un gouffre existentiel, comme une éternelle opposition entre société et individu. Elias attire cependant notre attention sur le fait que l’individualisation ne peut se résumer à l’isolement (ce mythe de l’homo clausus), parce qu’elle va de pair avec un accroissement considérable des liens d’interdépendance entre les individus : « On pourrait peut-être dire que l’établissement de la domination d’une nouvelle forme d’organisation humaine, plus étendue et plus complexe, va toujours de pair avec une nouvelle poussée et un nouveau mode d’individualisation. Même les règles de comportement et surtout la portée de l’identification d’un être à l’autre subissent une modification spécifique lors du passage à un nouveau stade d’intégration » (Elias, 1991 :222). Telle est l’hypothèse que nous suivrons pour lire la construction d’un “ordre” communautaire en Europe.

B. Les politiques de l’autocontrainte

  • 5 Certes, les politiques d’emploi sont encore et toujours élaborées au niveau des États ou, comme en (...)

12Depuis quelques années, dans le champ des politiques d’emploi et de formation, on assiste à la déterritorialisation de l’intervention publique, au dépassement de “monopoles nationaux” : les politiques d’emploi de l’État-providence sont partiellement extraites de leur territoire national et redéployées à un niveau transnational (l’espace communautaire)5. Plus largement, la construction européenne marque, selon nous, une nouvelle phase du processus sociogénétique : l’émergence d’un niveau supérieur d’intégration, au sein d’un espace de concurrence élargi, qui reconfigure les liens d’interdépendance et l’économie pulsionnelle des individus.

13A l’instar des traités de savoir-vivre qu’Elias décortique afin de rendre compte du phénomène de curialisation des guerriers (comme pacification interne de la concurrence entre la noblesse et la bourgeoisie), les politiques “actives” d’emploi (ou politiques d’employabilité) cristallisent un phénomène similaire d’autocontrôle à grande échelle, œuvrant à l’intériorisation de normes et de contraintes sociales. La civilisation des actifs (ou socialisation de la population active au marché du travail) apparaît ainsi comme le produit d’une interdépendance fonctionnelle croissante entre les différents États membres de l’Union européenne (répondant à une nécessité de différenciation, de distinction au sein même de cet espace) ; elle assure une pacification interne de la concurrence et permet aux différents États membres de conserver certains monopoles clés (comme l’assurance-chômage) sous l’arbitrage des institutions européennes. Si par l’usage de la fourchette ou du mouchoir, l’homme de cour à conscience qu’il se fait violence pour des raisons sociales, on attend aujourd’hui du chômeur qu’il intériorise, incorpore les normes de l’employabilité, dans le cadre d’un parcours (ou dispositif intégré) d’insertion socioprofessionnelle, au nom de l’intégration européenne et de son intégration sur un marché du travail sans frontière.

  • 6 La « convention keynésienne de plein emploi » (Salais R. et al., 1986, p.239).

14Nous parlons ainsi de politiques de l’autocontrainte (Orianne, 2005a) pour désigner ces mesures qui contribuent directement à déplacer la contrainte de “l’extériorité” des dispositifs (institutionnels, organisationnels…) à “l’intériorité” des personnes. Les politiques d’employabilité signent, en effet, le passage d’une contrainte externe ou extérieure à l’économie pulsionnelle des individus6, à une contrainte interne : la norme intériorisée du chômeur “pleinement employable”.

  • 7 Cette évolution est pleinement appuyée par les organisations internationales. Dans ses études écono (...)

15Force est de constater que, sous l’influence des institutions européennes, les créations directes d’emploi, les politiques de soutien à la croissance (commandes publiques, renforcement du pouvoir d’achat des allocataires sociaux, développement des services publics) ont tendance à être délaissées et perdent leur légitimité de politiques de l’emploi, au profit de politiques visant à soutenir les individus dans leurs tentatives d’insertion sur le marché du travail7. Ces politiques relativement nouvelles s’appuient sur l’idée d’une responsabilité plus grande conférée aux individus quant à leur situation de travail. Il appartient ainsi à chacun, travailleur ou demandeur d’emploi, d’entretenir sa capacité à accéder à l’emploi ou à s’y maintenir. “L’entretien de son employabilité” devient un devoir. Divers dispositifs encadrent, à cette fin, les demandeurs d’emploi et leur proposent, après un bilan, diverses actions d’orientation, d’accompagnement, de formation. Ainsi, l’État à travers ses acteurs de première ligne ne se présente plus comme responsable de l’emploi ou du non-emploi des personnes, il investit dans la responsabilisation des individus à gérer leur employabilité et il charge des professionnels d’accompagner ces individus travaillant leur employabilité. L’idée d’employabilité met en avant deux éléments : l’insistance sur la mobilisation personnelle du demandeur d’emploi et l’importance du niveau local comme lieu privilégié de l’action publique (Dubar, 2000).

16Dépossédés des leviers de politique macroéconomique, limités (par la “rigueur budgétaire”) dans leurs possibilités de création directe d’emplois, les pouvoirs publics n’ont plus d’autre option que de développer l’employabilité individuelle pour résoudre le problème du chômage. En situation de concurrence avec les autres collectivités dans un contexte globalisé, les États sont également tenus de maximiser leurs efforts d’activation des individus. Ces efforts seront quantifiés au moyen d’indicateurs statistiques. Ceux-ci seront utilisés dans une perspective de comparaison des performances des politiques.

17Le développement de dispositifs d’accompagnement, de formation des demandeurs d’emploi, sans intervention concrète visant à élargir la demande de travail a été qualifié de traitement individualisé, voire clinique, du chômage. Les efforts visant à multiplier quantitativement ces mesures et à développer leur visibilité statistique peuvent être assimilés à son traitement statistique. On peut émettre l’hypothèse selon laquelle les politiques visant au développement de “l’employabilité” articulent ces deux formes de traitement du chômage autour d’un même impératif de concurrence généralisée : d’un côté, l’intériorisation de normes et de contraintes qui contribuent à augmenter la concurrence entre ceux qui ont un emploi et ceux qui n’en ont pas ; de l’autre, l’extériorisation de résultats, la production de chiffres comparables, qui contribuent directement à renforcer la concurrence entre les États, les Régions, les territoires.

18A première vue, ces deux formes de traitement du chômage, par les intermédiaires ou par les experts, semblent contradictoires : le qualitatif contre le quantitatif, les moyens contre les fins, l’égalité des chances contre l’égalité des résultats, l’invisible contre le visible… En effet, les intermédiaires publics du marché du travail s’opposent explicitement à cette politique d’indicateurs, avide de performances statistiques : « nous, on ne fait ne pas du chiffre mais de la qualité », ne cessent-ils de répéter en entretien (Orianne et al., 2004). Ils se refusent à parler en termes de solution, car le travail de mise à l’emploi du chômeur leur apparaît comme extrêmement réducteur par rapport à leurs pratiques, par rapport à ce qu’ils pensent pouvoir procurer aux chômeurs (un travail sur leur employabilité, leur capacité d’insertion, leur autonomie). Et ce travail “invisible” d’accompagnement de chômeurs se heurte, au quotidien, à la logique de l’accountability.

19Mais par delà cette apparente contradiction, les traitements clinique et statistique se révèlent étroitement liés car l’intégration européenne s’opère, à l’instar de la construction d’un État, par une transformation simultanée des structures psychiques et des structures sociales. Ils constituent, à cet égard, le “dedans” et le “dehors” de la politique de l’Union : d’une part, conformer les individus, et d’autre part, rendre visible et légitime ce mouvement d’harmonisation progressive des systèmes de protection sociale et d’intégration des marchés. Notons cependant que ce qu’Elias décrit en termes de processus (largement inconscient) sur la construction de l’État en Occident, nous le donnerons à voir, ici, en termes de stratégies (politiques ou institutionnelles) et de procédures délibératives, en ce qui concerne la construction européenne. Il s’agit selon nous d’une caractéristique principale du stade actuel du processus de civilisation : le dépassement de l’État-nation s’opère à un niveau supérieur de réflexivité (Giddens, 1990) et de procéduralisation des normes (De Munck/Verhoeven, 1997).

III. Le traitement clinique

20Les politiques de l’employabilité s’organisent autour d’une convocation systématique et d’un suivi individualisé des demandeurs d’emploi. On peut les définir comme des politiques d’accompagnement personnalisé visant à renforcer l’autonomie des individus et à conformer leurs comportements et compétences aux attentes (supposées) des employeurs potentiels.

  • 8 “Objectifs et jalons fixés dans le cadre de la stratégie européenne pour l’emploi”, annexés aux Lig (...)

21La politique d’accompagnement des chômeurs en Belgique, qui articule un volet fédéral de contrôle et un volet régional d’accompagnement, s’inscrit pleinement dans cette optique. La stratégie européenne pour l’emploi prône ce type d’orientation puisqu’elle prescrit que « tous les chômeurs se voient offrir un nouveau départ avant le 6e mois de chômage pour les jeunes et avant le 12e mois de chômage pour les adultes sous forme de formation, d’une reconversion, d’une expérience professionnelle, d’un emploi ou de toute autre mesure propre à favoriser leur insertion professionnelle, combinée, le cas échéant, à une assistance permanente en matière de recherche d’emploi »8 ; il s’agit aussi de veiller à ce que 25 % des chômeurs de longue durée se soient vus proposer une “mesure active” du même type que celles énoncées ci-devant, à l’exception de… l’emploi.

22Comme le soulignent de nombreuses recherches, en Belgique et en France notamment (cf. infra), de telles politiques comprennent une fonction de tri des demandeurs d’emploi et une fonction de conformation des comportements. Les modalités d’exercice de ces fonctions varient selon la situation du marché du travail local et des perspectives d’emploi offertes par celui-ci. L’objectif ultime des politiques est de maximiser le nombre des demandeurs d’emploi prêts à se présenter à l’entrée du marché du travail.

  • 9 Les missions locales en France, les entreprises de formation par le travail en Wallonie, par exempl (...)

23Selon certains auteurs (Demazière, 1995 ; Houzel et al., 2000 ; Orianne, 2005b), le travail des intermédiaires locaux du marché de l’emploi comporte, à plusieurs égards, une dimension “clinique” : la politique de l’employabilité se décline sous le binôme “diagnostic-traitement”. L’accompagnement visant le “renforcement de l’employabilité individuelle” suppose, de la part des services dits d’intermédiation, un tri, établi sur la base d’un “diagnostic d’employabilité”, entre les demandeurs d’emploi “employables”, suffisamment formés et autonomes dans leur démarche de recherche d’emploi, ceux dont l’employabilité doit être travaillée et ceux, parfois qualifiés “d’inemployables”, temporairement orientés vers des structures spécialisées9.

A. Du tri des chômeurs…

24Dans le prolongement direct des travaux de Demazière relatifs à la catégorisation des chômeurs (Demazière, 1992), Benarrosh a analysé le tri des chômeurs comme la résultante d’un nécessaire consensus des acteurs de l’emploi (Benarrosh, 2000). Dans son analyse du processus de catégorisation des publics à l’anpe (France), l’auteur montre que l’agence (relais local de l’anpe) commence invariablement par définir ceux pour lesquels l’institution ne peut rien (ce qui entraînerait leur “invisibilisation”). Ce premier tri opéré relève d’une sorte de compromis entre les critères des employeurs, les orientations de la politique d’emploi et la gestion quotidienne de flux importants de demandeurs d’emploi.

25L’autonomie du chômeur ainsi que sa capacité à construire un projet d’insertion socioprofessionnelle apparaissent comme les deux “critères minimum d’employabilité” qui régissent ce premier tri. Le chômeur sans demande est ainsi laissé à lui-même car il doit faire son apprentissage, sa propre expérience de l’agence. Bennarosh insiste par ailleurs sur la psychologisation du traitement du chômage : individualisation, valorisation du travail sur soi et de l’univers thérapeutique. Les “maux” à diagnostiquer et à traiter relèvent des inaptitudes à chercher un emploi.

26Le sens du travail des intermédiaires de l’emploi a été questionné par Houzel, Houtin et Ramaux qui montrent que dans les multiples tâches que ces intermédiaires sont amenés à effectuer (accueil, conseil et orientation, suivi et contrôle, médiation, animation et création de réseaux), trois compétences principales sont mobilisées : l’écoute, le diagnostic et le traitement (Houzel et al., 2000). Ces auteurs montrent que l’écoute n’est jamais passive mais suppose toujours une démarche analytique, un travail d’interprétation ; le diagnostic concourt à l’objectivation de la situation ; le traitement correspond à la mise en œuvre d’une solution (plus ou moins négociée).

27Ces auteurs soulignent par ailleurs toute l’ambiguïté de la mission de placement de l’anpe et les difficultés de mettre en œuvre cette mission de placement « dès lors que la demande d’emploi est durablement supérieure à l’offre » (Houzel et al., 2000 :116) : faut-il privilégier la sélection renforcée et la satisfaction des offres ou la lutte contre l’exclusion et le travail social ? Ils montrent qu’« à défaut d’emplois suffisants, tout se passe comme si la fonction de placement nécessitait un travail de tri entre employables et inemployables » (Houzel et al., 2000 :131).

B. … à la construction des troubles de l’employabilité

28La politique de l’employabilité ne peut se limiter à cette seule fonction de tri. L’accompagnement, souvent développé dans une forme de relation contractuelle, vise à stimuler le comportement autonome de formation et de recherche d’emploi. Outre l’enseignement de techniques de recherche d’emploi (entretiens individualisés ou séances d’information collectives, groupes de discussion ou ateliers d’écriture de lettres de motivation et de cv, simulations d’entretiens d’embauche filmées, mises en situation professionnelle…), et l’orientation vers la formation professionnelle, l’accompagnement des chômeurs implique un intense travail de conversion identitaire.

29En région wallonne, la finalité du travail des intermédiaires publics vise directement le développement de l’employabilité du demandeur d’emploi, et non sa mise à l’emploi, comme le faisait anciennement le “placeur” : le travail d’insertion consiste à motiver et à intéresser l’individu à se mettre au travail sur lui-même (Orianne et al., 2004). Cette finalité semble la seule tenable, viable sur un plan éthique pour ces agents de première ligne. En effet, n’ayant de pouvoir d’action ni au niveau de la création d’emploi, ni au niveau de l’accès à l’emploi, c’est à un autre niveau que se situe leur intervention : n’étant pas responsables de l’emploi ou du non-emploi des individus, ils responsabilisent les individus à travailler sur eux-mêmes.

  • 10 Il convient d’évoquer la nouvelle situation de concurrence entre les intermédiaires publics et priv (...)

30La mise au travail sur soi du chômeur repose, comme nous l’avons montré par ailleurs (Orianne, 2005a), sur la construction professionnelle de « troubles de l’employabilité » ; ces troubles peuvent avoir pour objet la mobilité, la formation, la capacité de présentation (interview, cv, lettre de motivation), la recherche d’emploi, le projet professionnel, la motivation… La capacité des intermédiaires à traduire de la souffrance en catégories cliniques fonde la légitimité de leur intervention : pour intéresser le chômeur à se mettre au travail sur lui-même, il faut lui permettre de se rendre compte qu’il est “malade” ou, à tout le moins, qu’il souffre. Le traitement clinique du chômage est également une manière pour l’agent de se mettre à l’abri et de protéger son client du regard extérieur, de l’évaluation, de la sanction administrative : l’autonomie professionnelle des agents se construit, comme nous l’avons déjà évoqué, en rupture d’une politique d’indicateurs avide de performances chiffrées. Enfin, la construction professionnelle de troubles de l’employabilité conduit à stabiliser la pression concurrentielle exercée par les placeurs privés10 : en se repositionnant sur des activités d’accompagnement, de coaching, les intermédiaires publics s’efforcent de construire un monopole sur le traitement clinique du chômage. “L’autonomie en recherche d’emploi” apparaît alors comme le sens unique du travail d’insertion.

31L’article de Boisard et Vennat dans Façons de recruter, préfigure en quelque sorte notre thèse relative au “traitement clinique du chômage”. Leur étude de cas se centre sur un organisme de formation (Tonicadre) qui propose aux cadres au chômage « de les aider à surmonter leurs problèmes psychologiques les plus handicapants et de les former aux méthodes de recherche d’emploi » (Eymard-Duvernay/Marchal, 1997 :197). Comme le soulignent ces auteurs, « implicitement, Tonicadre impute l’allongement de la durée du chômage des cadres, non à un mauvais fonctionnement du marché du travail, ni à un manque d’intermédiation, mais à l’inadaptation des méthodes de recherche mises en œuvre par les demandeurs d’emploi » (Eymard-Duvernay/Marchal, 1997 :215). Cependant, ces auteurs ne nous apprennent rien sur les mécanismes ou les ficelles de cet appariement “miraculeux” entre une demande d’emploi et une offre de mise au travail sur soi. Selon nous, une fois que le chômeur pénètre l’univers, le territoire professionnel des travailleurs de l’insertion, la profession impose une organisation de l’expérience des troubles de l’employabilité ainsi qu’une socialisation au rôle de “malade”. La progression de l’usager à travers les différentes catégories de déviance ou de troubles de l’employabilité gagnerait alors à être envisagée comme une carrière (Goffman, 1968 :177-225 ; Freidson, 1984 :246), un travail sur soi à temps plein et à durée indéterminée.

32Cette déconnexion radicale du travail sur l’employabilité et du travail de mise à l’emploi, opérée par les intermédiaires publics, constitue une sorte de détournement de la conception marchande de l’employabilité au profit d’une approche plus “humaniste” : il s’agit pour les professionnels du secteur « de se positionner avec un peu d’humanité entre des individus et des processus d’exclusion » (Orianne, 2005b). Cette réappropriation des instruments des politiques de l’emploi n’exempte pas les professionnels du secteur d’un devoir d’accountability, car ce travail invisible de l’agent s’opère dans un contexte d’objectivation de résultats.

IV. Le traitement statistique

33La construction européenne s’opère, selon nous, par une transformation conjointe des structures psychiques et des structures sociales. Si la Stratégie européenne pour l’emploi œuvre principalement au travers de dispositifs d’intériorisation de normes à grande échelle, à l’intégration de la population active dans un espace transnational (par la mise en concurrence des individus), la Méthode ouverte de coordination (associée à la see) contribue davantage, au travers de dispositifs d’extériorisation de résultats “comparables”, à l’intégration des marchés et systèmes de protection sociale en Europe (par la mise en concurrence des territoires).

34Améliorer l’attractivité des individus aux yeux des employeurs potentiels est une chose, rendre visible cette attractivité renforcée en est une autre. La performance des politiques de l’emploi se mesure au moyen d’indicateurs. Un indicateur est une donnée chiffrée supposée refléter une réalité globale et complexe. En théorie, il doit répondre à plusieurs exigences : disponibilité (l’indicateur s’appuie sur des données existantes et régulièrement actualisées), fiabilité (la collecte des données et le calcul de l’indicateur s’effectuent selon des méthodes crédibles et rigoureuses) et interprétabilité (l’indicateur donne une information sur une réalité selon un sens partagé par tous les utilisateurs).

35Un premier indicateur essentiel est évidemment le taux de chômage ; il mesure la proportion de personnes souhaitant travailler et privées d’emploi. Ce taux peut être mesuré selon différentes modalités et à partir de différentes sources dont il sera question ci-dessous. Un autre indicateur a tendance à supplanter ce taux dans l’évaluation des politiques, c’est le taux d’emploi qui mesure, pour une classe d’âge donnée, la proportion de la population en emploi. Enfin, l’activité des pouvoirs publics se mesure au moyen d’indicateurs dits d’efforts ou d’activation.

36Nous montrerons que le suivi statistique des politiques d’employabilité dérive vers un traitement statistique du chômage lorsque, dans un jeu légitime et rationnel entre États (et Régions), la maximisation des indicateurs devient un objectif prioritaire d’intégration, largement déconnecté des réalités de terrain : les scores de cette politique d’indicateurs ne reflètent ni les résultats de la chance ou du hasard, ni les effets de l’action des intermédiaires œuvrant à la promotion de l’égalité des chances ; ils sont les résultats de comptages procéduraux opérés par des experts “déterritorialisés”.

A. Du suivi statistique des politiques d’emploi…

37Le développement des politiques d’employabilité n’est pas sans effet sur le calcul des indicateurs (effet statistique) ; par ailleurs, le choix de l’un ou l’autre des indicateurs est également révélateur de l’objectif ultime des politiques poursuivies (effet politique). Quels sont, sur chacun des indicateurs envisagés (taux de chômage, taux d’emploi, taux d’effort des politiques publiques), les effets des politiques d’employabilité ?

1. Le taux de chômage

  • 11 Les chiffres relatifs au chômage estimés dans le cadre de l’enquête sur les forces de travail (EFT) (...)

38La construction, au niveau international, des grands indicateurs et des catégories statistiques, vise en principe à établir des données comparables et à neutraliser au maximum les différences institutionnelles régionales ou nationales. Ainsi en est-il du taux de chômage qui s’appuie sur une définition du Bureau international du travail : est chômeur un individu qui ne travaille pas, qui est immédiatement disponible et en recherche active d’emploi. Le taux de chômage rapporte ce nombre à la population active. Cette définition restrictive du chômage explique les différences parfois importantes entre le taux de chômage bit et le taux de chômage dit “administratif” publié par les services de l’emploi à partir du nombre total de demandeurs d’emploi inscrits11.

39L’effet des politiques d’employabilité sur le taux de chômage n’est ni évident, ni mécanique. Considérons d’abord des parcours d’insertion dits “efficaces”, comme on en observe dans certaines filières de formation, qui se concrétisent par l’accès à l’emploi. Ceux-ci ne pourraient avoir un effet sur le niveau du chômage que dans la mesure où les chômeurs ainsi insérés dans la vie professionnelle ne le sont pas au détriment d’autres salariés ; en d’autres termes, si les nouvelles recrues n’occupent pas d’emplois laissés vacants par des travailleurs sortis vers le chômage.

40En revanche, les politiques de l’employabilité peuvent avoir des effets sur la comptabilisation statistique du chômage en amont, et même en l’absence d’insertion des chômeurs dans l’emploi. Souvenons-nous des conditions de disponibilité et de recherche d’emploi pour être comptabilisé en tant que demandeur d’emploi. Celles-ci ne sont pas applicables aux chômeurs en formation ou en stage ou occupés dans une activité qui ne leur fait toutefois pas perdre leur statut de chômeurs.

2. Le taux d’emploi

41Un ensemble de constats assez similaires peut être établi à propos du calcul du taux d’emploi. La définition de l’emploi utilisée permet d’y inclure de brèves expériences de travail en intérim, dans le cadre de programmes d’activation, du travail étudiant… L’effet des politiques d’employabilité est plus limité sur le taux d’emploi car cet indicateur ne comptabilise que les mises au travail effectives, même de très courte durée. Néanmoins, nous avons vu combien l’accompagnement des demandeurs d’emploi avait une fonction de normalisation d’un certain nombre de comportements. Ainsi, l’inscription dans une société de travail intérimaire constitue l’une des étapes encouragées dans les parcours des demandeurs d’emploi.

42Par ailleurs, l’on compte au rang des politiques d’activation ou de l’employabilité un certain nombre de mesures organisant, dans le cadre de statuts hybrides et divers, des mises au travail temporaires. Parfois, l’allocation sociale est activée, c’est-à-dire convertie en partie du salaire. Dans la plupart des cas, le passage par ces dispositifs est comptabilisé comme emploi. La multiplication de ces mesures a contribué à l’institutionnalisation d’une zone intermédiaire entre inactivité, chômage et emploi (Conter et al., 2004).

3. Les taux d’effort

43Enfin, les indicateurs d’effort ont été élaborés dans le cadre de la stratégie européenne pour l’emploi pour refléter l’intensité des politiques développées par les États membres. Ils mesurent le nombre de chômeurs concernés par les mesures dites actives. Se pose la question de la définition des mesures prises en compte. Que recouvrent en effet ces notions “d’accompagnement intensif”, de “nouveau départ”, ou de “guidance” ?

44Le contenu de ces indicateurs fait l’objet d’un accord entre les techniciens chargés de les élaborer, mais la liste et la description précise des mesures (en termes de temps et de moyens) ne sont pas publiées. Au regard de ces indicateurs, proposer un emploi à un chômeur ou le convoquer à un accompagnement individualisé dans la perspective d’améliorer son employabilité sera sanctionné de la même façon. On sait pourtant que “placer” un individu est plus coûteux et plus complexe. Une utilisation habile des statistiques et des politiques permet aisément d’augmenter la performance de l’indicateur. On pouvait ainsi lire, lors des premières années d’existence de la stratégie européenne pour l’emploi, que l’Angleterre affichait un taux d’activation des chômeurs de 100 %.

B. … au traitement statistique du chômage

45Nous avons montré par ailleurs combien un dispositif tel que celui des agences locales pour l’emploi (ale), qui organise la mise au travail temporaire de chômeurs moyennant un complément à leur allocation de chômage avait été valorisé dans les statistiques comme une « mesure de création directe d’emploi », et comment les chiffres ale avaient contribué, certes de façon marginale, à la diminution des taux de chômage et à l’augmentation du taux d’emploi (Conter, 2005), et ce, sans que l’efficacité de la mesure en termes de sorties réelles du chômage ne soit jamais établie.

  • 12 Rappelons à cet égard que, dans sa forme extrême, la politique pénale américaine constitue un des o (...)

46Nous nous situons là au centre de ce que l’on peut qualifier de traitement statistique du chômage, selon l’expression de Solow12. Il s’agit de maximiser la visibilité des efforts entrepris ou l’amélioration de l’indicateur, quitte à ce que l’indicateur ne soit plus le reflet des transformations ou de l’absence de transformations de la situation réelle. On glisse du suivi statistique des politiques au traitement statistique du chômage lorsque, dans le jeu rationnel des États, le souci d’amélioration des indicateurs et des données devient un objectif prioritaire. On recherchera, souvent en toute rigueur, à améliorer la performance statistique de l’État. Il s’agira tantôt de choisir les indicateurs ou les modes de calculs les plus favorables, tantôt d’interpréter les catégories statistiques de façon plus large.

47C’est en ce sens que Salais dénonce la « dégénérescence instrumentale » de la Méthode ouverte de coordination (moc). Selon lui, « il existe empiriquement et politiquement suffisamment d’obstacles à un emploi effectif et efficace de la méthode au sein de la see pour que l’ambition de l’étalonnage se réduise in fine à une simple méthode de scores […]. L’objet du jeu (au sens de la théorie des jeux) est le rendement statistique des politiques d’emploi nationales, appréciées du point de vue des indicateurs » (Salais, 2004 :288). Salais pointe tout d’abord une série “d’étrangetés” dans l’étalonnage des politiques d’emploi : la fausse comparabilité des indicateurs à l’échelle européenne, la sélectivité de la description de ces indicateurs (minimisation du taux de chômage comme objectif des politiques d’emploi et maximisation du taux d’emploi), l’absence de définition commune de ce qu’est un travailleur ou un chômeur. Les conventions de calcul du chômage de longue durée sont ainsi explicites. La durée minimale d’interruption de chômage permettant de sortir de la catégorie de “chômage de longue durée” est variable selon les États. Elle peut aller d’une journée à trois mois. L’utilisation de modes de calculs différents donnera d’une même réalité des représentations très différentes. Chaque État règle ainsi, en fonction d’arrangements institutionnels, de dispositions légales diverses, la question du sous-emploi : dispositions diverses visant à diminuer la population active (prolongation de la scolarité, préretraites), développement du temps partiel ou d’autres formes de flexibilité du marché du travail. Salais souligne également que les résultats des politiques nationales sont évalués par “comptages procéduraux”, mais que l’effectivité des mesures quant au devenir des bénéficiaires sur le marché du travail n’est pas examinée. La moc apparaît, dès lors, comme une politique d’indicateurs, instrumentale et autoréférentielle.

  • 13 Le PAN 2004 précise aussi que le nombre de consultations du même site par les employeurs est à peu (...)

48Le Plan d’action national pour l’emploi 2004 nous apprend que 60.644 nouveaux “accompagnements intensifs” ont été réalisés, l’année précédente, en Wallonie. A Bruxelles, 6.000 contrats ont été signés avec les demandeurs d’emploi. En Flandre, ce ne sont pas moins de 81.377 parcours d’insertion qui ont été lancés. Au total, d’après le pan, 150.000 demandeurs d’emploi ont ainsi « bénéficié d’un parcours individuel » en 2003. On peut aussi y lire qu’un service public régional annonce « 87 millions de consultations d’offres d’emploi sur son site internet »13. Quelle autre signification accorder à ces données qu’un signe de l’activation des chômeurs ? Ces nouveaux employables peuvent-ils contribuer à diminuer le taux de chômage ? Dans la même année, selon la même source, l’emploi total a diminué de 0,5 % (écart à un an).

49En l’absence de croissance rapide de la demande d’emploi, l’amélioration de la performance des États au regard de l’indicateur du taux d’emploi ne pourra se réaliser qu’au prix d’une flexibilité accrue de l’emploi. L’employabilité est supposée être une construction permanente, capable de compenser ou de s’accommoder d’une instabilité plus grande des emplois et des trajectoires.

V. Conclusion : construire l’Europe par la mise en concurrence des individus et des territoires ?

50Les politiques d’employabilité visent, comme nous l’avons vu, à préparer les individus à la compétition à l’entrée du marché du travail. L’accompagnement offert aux demandeurs d’emploi portera tant sur la transmission de savoirs utiles et valorisables dans l’entreprise que sur l’adoption d’attitudes, de comportements attendus. Dans le même temps, les performances des États sont toujours davantage étalonnées dans divers rankings internationaux, émanant de groupes privés ou institutionnalisés dans le cadre d’organisations internationales.

51On peut donc voir dans la concurrence le principe moteur des politiques de l’employabilité et de leur traitement statistique, et, plus généralement des politiques de l’emploi telles qu’elles sont pensées au niveau européen. Comme le résume Théret, « gouverner l’Europe, c’est s’activer à la rendre compétitive vis-à-vis du reste du monde, ce qui impliquerait que chacun – entreprise, État, individu – soit lui-même compétitif à l’intérieur de l’Union » (Théret, 2005). En effet, « la compétition marchande traditionnelle se double d’une compétition territoriale pour attirer les investisseurs » (Alaluf, 2005).

52Un des enjeux de cette compétition territoriale est d’offrir une main d’œuvre qualifiée, disponible en quantité suffisante, flexible et au coût limité. Au regard de cet enjeu, on comprend l’intérêt des politiques de l’employabilité et de leur valorisation statistique. Les politiques de l’employabilité comportent, de ce point de vue, l’avantage attendu de limiter les coûts de recrutement et les coûts salariaux des entreprises : elles visent à conformer les individus (en termes de compétences et de comportements) aux attentes des entreprises ; elles maximisent les possibilités de choix d’embauche parmi les candidats “adéquats” ; enfin, elles contribuent indirectement à limiter les prétentions salariales des travailleurs.

53En effet, à volume d’emploi constant, l’amélioration de l’employabilité des demandeurs d’emploi renforce la pression concurrentielle que ces derniers exercent sur les travailleurs en place. C’est du moins ce qu’enseigne la théorie économique des insiders-outsiders : s’ils sont formés et compétents, les chômeurs deviennent des concurrents réels pour les travailleurs et poussent ces derniers à limiter leurs exigences en termes de salaires. La politique de l’employabilité s’inscrit en pleine cohérence avec les orientations de la politique économique européenne qui repose sur l’objectif de stabilité des prix. Selon Raveaud, cette théorie constitue « le paradigme de référence de l’analyse communautaire de l’emploi et du chômage » (Raveaud, 2004).

  • 14 Nous renvoyons le lecteur aux « insérés permanents » dont nous parle Castel (Castel R., 1995). (...)

54Le traitement clinique du chômage ne consiste donc pas à envoyer massivement les chômeurs inemployables à l’asile. Contrairement à la logique occupationnelle du traitement social du chômage14, le traitement clinique poursuit une logique d’inclusion sociale extrêmement poussée, qui tend à “socialiser” au marché du travail l’ensemble de la population active inoccupée, jusque dans ses moindres recoins, afin d’assurer une concurrence effective et maximale entre les actifs occupés et inoccupés. En travaillant sur lui-même, en développant son employabilité individuelle, le chômeur “actif” bénéficierait d’un statut légitime (provisoire) parce qu’il contribue à l’équilibre monétaire par la pression qu’il exerce indirectement sur les salariés, et donc sur les salaires.

  • 15 Maruani M. 2000. A l’inverse de la société de plein emploi, où l’emploi est mesure de toute chose, (...)

55Bien que cette norme de l’employabilité induise et garantisse la mise en concurrence des individus, demandeurs d’emploi mais aussi travailleurs, sur le marché du travail, elle ne peut cependant avoir d’effets que si les politiques d’employabilité sont développées en grand nombre (nous avons vu les efforts de généralisation de celles-ci et les effets de leur valorisation statistique) et dans un contexte social particulier. Ainsi, les politiques de l’employabilité, toujours valorisées comme instrument d’élévation du taux d’emploi, ne peuvent-elles poursuivre leur finalité implicite que si elles sont développées dans un contexte de chômage de masse persistant, ou comme se plaît à le souligner Maruani, dans le cadre d’une société « de plein chômage »15. La crédibilité de la menace de “l’armée de réserve” des chômeurs reposera sur sa compétence : « l’employabilité doit être pour chacun à son maximum, mais en moyenne sur le marché, elle ne doit pas être trop élevée, car les demandeurs ne baisseraient pas suffisamment leur salaire de réservation » (Salais, 2004). Raveaud n’analyse pas autrement le rôle des politiques d’augmentation des taux d’emploi dans le contexte européen : « augmenter le taux d’emploi, c’est aussi nécessairement augmenter l’offre de travail, et donc la concurrence entre salariés. C’est donc faire en sorte que la modération salariale, condition de stabilité des prix, soit perpétuelle, en raison de la ‘menace crédible’ que les chômeurs exercent sur les salariés » (Raveaud, 2003 :171).

56En ce sens, pour les entreprises, la disponibilité d’une main d’œuvre formée (de préférence en adéquation avec leurs attentes, dans la mesure où ces dernières sont formulées), disposée à travailler à un coût modéré, constitue un atout économique. Il en va de même pour l’État : la maximisation des indicateurs statistiques relatifs à l’activation des demandeurs d’emploi constitue une information sur le marché du travail opposable aux entreprises et aux éventuels investisseurs étrangers. A l’inverse, pour les individus, la mise en concurrence généralisée organisée par les politiques d’employabilité (de concert avec des politiques d’érosion de la protection du travail salarié) constitue un élément de fragilité et un risque social. Comme si la société de plein emploi, objectif idéalisé des politiques d’employabilité, devait se réaliser au prix d’un développement de la précarité des emplois et d’une « déstabilisation des stables » (Castel, 1995).

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Notes

1 Voir Fitoussi J.-P., 1995.

2 L’usage du couteau, de la fourchette, du mouchoir ou encore du pyjama sont interprétés comme autant de phénomènes sociaux qui traduisent un déplacement significatif du seuil de la pudeur et du déplaisir : ce qui offense la sensibilité est relégué dans les coulisses de la vie sociale et se recouvre petit à petit du voile du silence.

3 Elias envisage Louis XIV comme une fonction royale. Il n’est pas un despote mais un connecteur. La célèbre phrase qui lui est souvent attribuée (« L’État, c’est moi ! ») témoigne moins de sa puissance despotique que de sa fonction ambiguë d’articulation entre sphère publique et sphère privée.

4 « L’homme de cour a conscience qu’il se fait violence pour des raisons sociales » (Elias N., 1994, pp.238) : il transforme son comportement par refoulement des pulsions et par rationalisation. Parce que la cohabitation sociale change, le comportement individuel, l’état de conscience et l’économie pulsionnelle se modifient inévitablement. Pour Elias, les circonstances ne sont donc pas l’extériorité de l’homme mais les interdépendances mêmes qui façonnent l’individualité et le social.

5 Certes, les politiques d’emploi sont encore et toujours élaborées au niveau des États ou, comme en Belgique, au niveau des Régions ; cependant, cette élaboration s’opère désormais dans des cadres cognitifs, normatifs, techniques et financiers communs aux différents États membres, fixés par les grandes orientations de politique économique (GOPE).

6 La « convention keynésienne de plein emploi » (Salais R. et al., 1986, p.239).

7 Cette évolution est pleinement appuyée par les organisations internationales. Dans ses études économiques sur la Belgique, l’OCDE, par exemple, recommande de moins investir dans les créations directes d’emplois au profit de politiques d’accompagnement des chômeurs.

8 “Objectifs et jalons fixés dans le cadre de la stratégie européenne pour l’emploi”, annexés aux Lignes directrices pour l’emploi 2005-2008.

9 Les missions locales en France, les entreprises de formation par le travail en Wallonie, par exemple, prennent en charge des publics pour lesquels la mise à l’emploi constitue un objectif à long terme. L’employabilité est en effet supposée être une construction permanente. Aussi, les “jugements d’inemployabilité” ne peuvent être considérés que comme temporaires, un accompagnement particulier devant ramener les individus vers une construction progressive de l’employabilité.

10 Il convient d’évoquer la nouvelle situation de concurrence entre les intermédiaires publics et privés du marché du travail, induite par la ratification, en Région wallonne, de la convention 181 de l’Organisation internationale du travail autorisant les agences privées de placement.

11 Les chiffres relatifs au chômage estimés dans le cadre de l’enquête sur les forces de travail (EFT) représentent deux tiers de ceux comptabilisés par les données administratives. En 2003, le nombre de chômeurs s’élevait à 363.500 selon l’EFT, selon les données administratives ils étaient 538.100 (source : PAN, 2004).

12 Rappelons à cet égard que, dans sa forme extrême, la politique pénale américaine constitue un des outils de régulation du chômage. Là où «l’atrophie délibérée du système social correspond à l’hypertrophie de l’État pénal», les pratiques d’emprisonnement de masse et de mise sous tutelle pénale constituent des instruments de contrôle des classes jugées dangereuses d’une société fortement inégalitaire : « le système pénal contribue directement à réguler les segments inférieurs du marché de l’emploi […] durant la décennie 90, les prisons américaines ont enlevé deux points à l’indice de chômage américain… mais le maintien de ce taux à un niveau bas dépendra de l’expansion ininterrompue du système pénal » (Waquant cité par Gadrey J., 2000).

13 Le PAN 2004 précise aussi que le nombre de consultations du même site par les employeurs est à peu près 310 fois moins élevé.

14 Nous renvoyons le lecteur aux « insérés permanents » dont nous parle Castel (Castel R., 1995).

15 Maruani M. 2000. A l’inverse de la société de plein emploi, où l’emploi est mesure de toute chose, structure les temps de vie, la négociation sociale…, la société dite de “plein chômage” se définit par le caractère omniprésent de la menace du chômage. Cette thèse constitue une critique sociologique des enseignements de l’économie néoclassique sur les vertus de la concurrence entre insiders et outsiders (Lindbeck A./Snower D., 1988 ; Layard R. et al., 1991). Elle intègre implicitement le rôle des politiques d’employabilité. En effet, cette société de plein chômage implique au moins deux éléments essentiels : d’une part, elle nécessite un niveau de chômage (certes à minimiser) suffisant pour qu’il soit perçu comme une menace ; d’autre part, elle demande que les demandeurs d’emploi soient suffisamment “employables” pour exercer une “menace crédible sur les travailleurs”.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-François Orianne et Bernard Conter, « Les politiques d’employabilité en Belgique : traitement clinique des chômeurs et traitement statistique du chômage », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 38-2 | 2007, mis en ligne le 07 mars 2011, consulté le 06 mars 2014. URL : http://rsa.revues.org/476

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