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Enrique Serna, La sangre erguida
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Comptes-rendus

Enrique Serna, La sangre erguida

Mexico, Seix Barral (Planeta), 2010
Davy Desmas
Référence(s) :

Enrique Serna, La sangre erguida, Mexico, Seix Barral (Planeta), 2010

Texte intégral

1S’il est bien un défaut que l’on ne saurait imputer à Enrique Serna, c’est celui de la monotonie et de la peur du risque. Comptant parmi la nouvelle génération d’écrivains mexicains s’étant distingués au cours des trente dernières années, son parcours littéraire se démarque en effet par un souci constant du renouvellement, tant stylistique que thématique. Du roman historique au roman noir, en passant par le récit picaresque, l’autobiographie ou encore la nouvelle futuriste, Enrique Serna n’a eu de cesse d’explorer de nouvelles pistes et de proposer à ses lecteurs des intrigues des plus diversifiées d’une œuvre à l’autre. Malgré tout, ces récits ont tous en commun la particularité d’être dictés par la nécessité de divertir : sans sacrifier pour autant aux exigences réductrices d’une littérature purement commerciale, sans abandonner non plus l’expérimentation formelle et le travail stylistique propres aux grands écrivains, Serna a toujours su mettre à profit ses talents de conteur afin de proposer des textes drôles et captivants.

2Son dernier roman n’échappe pas à la règle : paru en juillet dernier aux éditions Seix Barral au Mexique, La sangre erguida vous accroche dès les premiers mots pour ne plus vous lâcher. Égalant probablement le potentiel humoristique d’un de ses autres romans, Ángeles del abismo (2004), ce récit au titre évocateur plonge avec malice et subtilité dans les raisonnements tortueux qui sont ceux de l’homme moderne dès lors qu’il prétend percer le mystère entourant le fonctionnement de son membre viril. Défini par l’auteur comme une tragicomédie érotique, La sangre erguida brosse le portrait de trois hommes en apparence différents, mais qui vont tous faire la douloureuse expérience de l’autonomie du pénis vis-à-vis de la volonté humaine.

3Bulmaro Díaz, le premier d’entre eux, est un Mexicain exilé à Barcelone, ayant quitté famille, amis et travail pour suivre Romelia, une Dominicaine aux charmes irrésistibles. Incapable de s’opposer au despotisme sexuel instauré par celle-ci, son personnage se retrouve au cœur d’un débat hilarant opposant son esprit, raisonnable et l’incitant à quitter cette femme, et son organe viril, doué d’une conscience propre l’engageant à céder aux atouts de Romelia. Juan Luis Kerlow, pour sa part, est un acteur de films pornographiques argentin réfugié à Barcelone dans le but de redonner un nouvel élan à sa carrière ; contrairement à Bulmaro, il est maître absolu de son corps, et se targuant ainsi d’avoir toujours su contrôler ses érections par la pensée, il apprendra à ses dépens que tout peut changer dès lors que le sexe ne répond plus à une logique mécanique mais qu’il est soumis aux fluctuations des sentiments. Le dernier personnage complétant ce trio, et le seul à s’exprimer à la première personne, sera Ferrán Miralles, un Catalan ayant conservé sa virginité jusqu’à l’âge de 47 ans à la suite d’un épisode honteux durant son adolescence. Son traumatisme l’ayant réduit à l’impuissance la plus totale, la découverte du Viagra sera pour lui le déclencheur d’une nouvelle sexualité, débridée et rapidement malsaine, tant le ressentiment accumulé à l’égard des femmes pendant ces longues années sera pesant…

4Si Saint Augustin rappelait qu’avant le péché originel Adam pouvait à loisir contrôler ses érections, de la même manière qu’il bougeait un bras ou une jambe, Serna montre ici avec humour que l’homme moderne tente de retrouver cet état de grâce par le biais des fameuses pastilles bleues, commercialisées depuis une dizaine d’années. Interrogeant ses lecteurs sur le bien-fondé d’un tel comportement, l’écrivain met surtout sa plume au service d’une analyse en profondeur de la relation complexe qui unit l’homme à son instrument viril, « ce membre inobédient et tyrannique, qui, comme un animal furieux, entreprend, par la violence de son appétit, de tout soumettre à soi », comme l’écrivait déjà Montaigne.

5Roman singulièrement différent de tout ce qu’avait pu écrire Serna auparavant, La sangre erguida semble pourtant trouver sa place au sein d’un univers narratif formant un tout, s’inscrivant dans une évolution globale. On y retrouve effectivement différents thèmes ou traits d’écriture propre à l’auteur, et l’œuvre condense ainsi en elle-même des caractéristiques de ses textes précédents. Au plan structurel, l’alternance entre les chapitres consacrés successivement à chacun des trois héros, suivie d’une connexion entre leurs parcours respectifs, n’est pas sans rappeler Ángeles del abismo, qui utilisait le même procédé. De même, dans la lignée d’un José Agustín, ce dernier roman accentue le travail que Serna réalise depuis ses premiers récits sur la langue, sur la réhabilitation de l’oralité : il donne effectivement à entendre la diversité dialectale de l’espagnol (argentin, mexicain, dominicain, ce à quoi il faut ajouter la présence du catalan), de la même manière que l’auteur avait déjà recréé par le passé des variantes urbaines (Uno soñaba que era rey, El miedo a los animales etc) et historiques (El seductor de la patria, Ángeles del abismo) du castillan. La sangre erguida poursuit enfin une réflexion plus générale sur l’amour, omniprésente chez Serna, et plus particulièrement sur l’amour-propre. De Bulmaro, dont l’ego est quotidiennement piétiné par sa compagne, à Kerlow, qui en vient à n’avoir plus aucune estime de soi suite à une carrière d’acteur pornographique, en passant par Miralles, qui ne parviendra jamais à effacer l’humiliation subie durant sa jeunesse, le trio élaboré par Serna rappelle immanquablement les personnages torturés de Amores de segunda mano, son premier recueil de nouvelles, dont les protagonistes entretenaient un rapport tout aussi malsain à leur propre personne.

6Avec La sangre erguida, tout un héritage est ainsi refondu dans un environnement nouveau et pour la première fois extérieur au Mexique. Il s’agira de Barcelone, la ville cosmopolite, le lieu de confluence des nationalités et des langages, de la même manière que le roman se fera le point de confluence des techniques et des thèmes « serniens », en préservant le fil conducteur de son œuvre :  l’humour et le plaisir de conter.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Davy Desmas, « Enrique Serna, La sangre erguida », Amerika [En ligne], 3 | 2010, mis en ligne le 09 novembre 2010, consulté le 05 mars 2014. URL : http://amerika.revues.org/1547

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Auteur

Davy Desmas

Université de Nantes - Universidad Veracruzana

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Droits d’auteur

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