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1À l’intensité médiatique d’un objet correspond parfois l’importance politique qui s’y rattache, voire l’intérêt général que l’on y porte. Ce dernier peut se traduire par la qualité des informations dont une population donnée dispose à propos d´une problématique sociétale déterminée. C’est afin de mesurer ce taux de connaissance sur la thématique carcérale qu’une étude à l’échelle nationale a été menée en 20031. Basée sur un questionnaire comportant une centaine d’items abordant divers aspects de la prison et de ses enjeux, cette enquête fut effectuée auprès d’environ 1 300 personnes réparties sur le territoire français2. Le premier élément significatif qui ressort de cette recherche concerne la faiblesse relative des savoirs sur le milieu carcéral, la moyenne de la note générale n’atteignant que 4,3 sur 103. Cette valeur est toutefois à pondérer en la mettant en lien avec la minorité d’individus directement concernés par la prison4 et réévalue ainsi ce résultat vers le haut5.
2Une approche plus globale échafaude tout d’abord les contours de l’image ‘prison’. Les mots-clés la définissant sont avant tout « privation de liberté / emprisonnement », « punition » et « négatif ». Une opinion complémentaire à ce troisième terme se dégage ensuite lorsque deux tiers des personnes interrogées critiquent les conditions matérielles de détention en les considérant comme « très mauvaises » (36,3 %) ou « mauvaises » (38,6 %). Enfin, lors de la question sur l´appréhension d´être mis en prison, la thématique de la violence est récurrente, qu´elle soit explicite ou bien représentée par ses vecteurs que sont la promiscuité, l´isolement et les autres détenus. L´enfermement et la privation de liberté, essences de la prison, jouent alors un rôle presque secondaire, tant les conditions de détention ont une « mauvaise réputation ».
3Dans ce contexte, si l’aspect criminogène de la prison n’est pas abordé comme tel, les réponses à la question de savoir si par exemple l´incarcération des mineurs est une bonne chose s’en emparent. Ainsi, une majorité s´y déclare hostile, avançant d´une part la dangerosité intrinsèque de la prison et d´autre part la priorité de l´éducatif sur le répressif. Ce second point est d’actualité car il s’oppose a posteriori à la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance qui, en modifiant pour la énième fois l´ordonnance du 2 février 1945 relative à l´enfance délinquante, accentue la sévérité des sanctions éducatives et surtout des peines privatives de liberté à l´encontre des mineurs (Bonfils, 2007).
4S’agissant des professions exerçées en prison, on retrouve évidemment le gardien/surveillant comme acteur le plus souvent cité, mais également dans un ordre de grandeur équivalent, les personnels soignants (médecin, infirmière, psy), devançant largement la catégorie « sociale » (éducateur, assistante sociale, instituteur). Il s’en dégage une image statique d´une prison qui enfermerait et traiterait, éloignée de l´injonction de l´article 1er de la loi du 22 juin 1987 sur le service public pénitentiaire qui « favorise la réinsertion sociale ».
5Cette constatation intervient alors même que la libération conditionnelle (LC) est majoritairement créditée de multiples effets bénéfiques, notamment celui d´inciter le détenu à avoir une attitude positive en prison et d´être un moyen efficace de réinsertion. Pour autant, et bien que la LC n´apparaisse ni comme une preuve de la faiblesse de la justice, ni comme une mesure régulièrement bafouée par les détenus, seuls 54 % des personnes interrogées estiment que la LC remplit son rôle dans la lutte contre la récidive. Au-delà de la notion d´insertion sociale non nécessairement liée au respect des lois (Ouss et al., 2007), ce scepticisme indique une perte de croyance, voire un désenchantement dans la cohérence vertueuse de la société. Quand bien même la justice réinsèrerait, les causes et conditions du phénomène criminel s´imposent quasiment sur l´individu. Ce déterminisme structurel pessimiste rejoint pour partie les fonctions attribuées à la prison, constituées aux deux tiers par la punition et la neutralisation, alors que seulement 15,4 % estiment qu´elle réinsère. Parallèlement, la majorité des enquêtés se prononce largement en faveur du développement de mesures alternatives à la prison telles le travail d´intérêt général, l´obligation de se soigner ou bien encore les centres éducatifs spécialisés pour les mineurs (à plus de 90 %). Quant à la dissuasion, argument épouvantail des politiques pénales, elle ne rencontre qu´un très faible écho auprès de la population.
- 6 Comprendre ici, en comparaison au taux d’incarcération d’environ 1 pour 1 000 habitants, la prise e (...)
- 7 On notera ici l´ouvrage du médecin-chef de la Santé V. Vasseur de janvier 2000, puis la mise en pla (...)
6C’est ainsi que nombreux sont ceux (69,8 %) qui considèrent comme possible ou envisageable qu´ils soient mis un jour en prison. Ils estiment notamment que cela peut arriver à tout le monde, que d´autre part la conduite d´un véhicule implique le risque de commettre un délit (excès de vitesse, ébriété au volant), enfin qu´un débordement émotionnel (vengeance, connerie) n´est pas à exclure. À ce titre, c’est dans les mêmes proportions que 67,1 % des enquêtés se sont déjà interrogés sur le déroulement de la vie en prison. Peu l´ont fait de par une expérience directe d´emprisonnement (5,4 %)6. Une grande partie d´entre eux (39,4 %) y fut amenée à la suite de reportages télévisés, d´autres en regardant des films à la télévision. Que la télévision apparaisse comme étant la première source d´information sur la prison n’étonnera personne. En revanche, le regard est critique sur le contenu véhiculé. En effet, que les médias parlent trop ou pas assez de la prison, ils le font d´une mauvaise manière. Et seuls les 14,6 % considérant la quantité d´information comme suffisante jugent sa qualité correcte. Le sentiment partagé d’un disfonctionnement médiatique converge avec les analyses sur le traitement de l’information pénitentiaire, caractérisée notamment par une distorsion, une représentation biaisée et une mésinformation (Solomon, 2006, 53), et ce accentué par le formatage du média télévisuel qui impose un traitement court et des images choc. Une recherche sur la prison vue par les médias de la presse écrite française aboutissait à des résultats similaires (Décarpes, 2004). D’autre part, pratiquement la moitié des personnes interrogées (43,7 %) estime que les médias ne traitent « pas assez » du monde pénitentiaire, ce qui relativise l’argument journalistique et politique - « ça n’intéresse personne » - justifiant leur propre inaction. Il est par trop avancé que les citoyens ont d’autres préoccupations et que dès lors les questions carcérales n’auraient pas leur place à l’ordre du jour. Un tel positionnement se trouve en partie contrebalancé par Ouss et al. (2007) qui constatent une amélioration du niveau de connaissances […] ainsi qu´un regard plus critique sur la prison par comparaison à l´enquête précédente de 1996 (GÉNEPI). Il peut être avancé que la mise sur agenda de la problématique pénitentiaire fut influencée par un faisceau de circonstances favorables7. Il n’en demeure pas moins la difficulté analytique qui consiste à repérer la dynamique qui soutient le rapport triangulaire entre pratiques journalistiques, politiques pénitentiaires et mouvement(s) d’opinion(s) publique(s).
7Par ailleurs, la punitivité des Français est loin d´être aussi évidente que ne le laisserait croire l´inflation législative pénale. Les opinions sont partagées sur l´utilité de la peine de prison pour des faits tels que la conduite en état d´ivresse sans victime ou la consommation de stupéfiants. Suivant le rapport de la Commission de suivi et d´analyse de la récidive remis le 28 juin 2007, la critique porte surtout sur le manque de moyens, notamment concernant la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 instaurant le suivi socio-judiciaire. La référence à la victime, à sa famille ou à l´opinion publique est pour autant devenue un argument majeur si ce n´est décisif pour justifier d´un renforcement de l´appareil répressif (Garland, 1998), le débat sur son efficacité en devenant presque secondaire. Il est fait alors appel aux deux dimensions du sentiment d´insécurité que sont d´une part l´approche du problème comme un risque personnel (« peur de la délinquance »), d´autre part comme un danger social (« préoccupations pour la sécurité ») (Névanen et al., 2006), afin de gérer une panique morale propice à légiférer.
- 8 Il s´agit ici d´une anticipation du placement sous surveillance électronique mobile introduit par l (...)
8Dans une perspective comparative, la situation française est intéressante à divers titres. La prison y est représentée par un militantisme critique – Foucault, Deleuze et le Groupe d’Information sur les Prisons (GIP) au début des années 1970, le travail de l’Observatoire International des Prisons (OIP) depuis les années 1990, et récemment les États généraux sur la condition pénitentiaire. L’Allemagne, pour prendre l’exemple d’un autre objet ‘prison’ assez semblable, dispose par contre d’une loi pénitentiaire depuis 1977 et aborde la thématique carcérale d’une manière plus administrative. Un autre point de comparaison est la réalisation de fictions télévisées sur la prison par de nombreux pays (Bad girls en Angleterre, Oz et Prison break aux États-Unis, Hinter Gittern en Allemagne) mais pas en France. Le processus de construction et de diffusion du savoir n’est ainsi pas tant politique ou populaire, mais davantage intellectuel et conflictuel. En dépit du peu d’enquêtes à l’étranger semblables à celles de 1996 et 2003, il semblerait que la connaissance des Français sur leurs prisons en soit plus réactive et moins dépendante de stéréotypes. À titre d’exemple, le cliché dénonciateur de la prison « hôtel 4 étoiles » ne concorde ni avec l’affirmation de 83,2 % des personnes interrogées, selon laquelle la télévision est payante, ni avec une large majorité qui se prononce en faveur des unités de vie familiale permettant les relations sexuelles. Il serait hâtif d’y voir une opinion publique éclairée et dénuée de tous les présupposés et lieux communs qui caractérisent la prison depuis deux siècles (Kalifa, 2000), si peu connaissant par exemple la réelle fonction du bracelet électronique et estimant ainsi qu´il permet de suivre et de repérer l´emplacement du porteur8. Cependant, si l’on analyse le taux de non-réponse qui est variable, il en ressort un net intérêt fonctionnaliste impliquant le désir fort d´une prison « qui marche », lié cependant à la difficulté de projection structurelle quant au « comment ». Dès lors, si seule une minorité se prononce pour la suppression de la prison, il n’en demeure pas moins que nombreux sont ceux qui souhaitent des changements dans le cadre d´une réforme de la prison, notamment l’amélioration des conditions de vie, le renforcement de la réinsertion, une baisse de la surpopulation et la valorisation de la formation et de l’éducation.
9Suite à cette enquête de premier ordre sur les capacités d’information et de réflexion des citoyens français concernant la prison, il est à espérer et à attendre du législateur qu’il s’appuie, loin de toute ‘sondocratie’, sur des données scientifiques ou à tout le moins démocratiquement légitimes lors d’un éventuel futur projet de loi pénitentiaire.