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Quels paysages dans les images produites autour de l’itinéraire touristique Estrada Real (Minas Gerais, Brésil) ?
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Quels paysages dans les images produites autour de l’itinéraire touristique Estrada Real (Minas Gerais, Brésil) ?

Que paisagens nas imagens produzidas ao redor do turista-Estrada Real (Minas Gerais, Brasil) ?
Philippe Beringuier e Allaoua Saadi

Resumos

Bem além das idéias preconcebidas e bastante contestáveis, as paisagens do Brasil revelam, a quem se dispõe para tanto, uma viagem diversificada em meio à natureza e cultura num país-continente. No entanto, exceto no caso de um consumo visual dos lugares nobres, a valorização das paisagens no âmbito da atividade turística ainda é embrionária. Enquanto itinerário turístico que percorre os estados de São Paulo, Rio de Janeiro e Minas Gerais ao longo de aproximadamente 1200 km, a Estrada Real tem a ambição de impor-se como o produto de ponta do turismo rural e cultural do Brasil. Iniciado em 1999, com forte apoio de publicidade e marketing, este itinerário implementa um realce paisagístico dos territórios atravessados por meio de diversos suportes, cuja mídia principal é uma luxuosa iconografia (livros bonitos, revistas em papel brilhante, cofrinhos de cartões postais). Neste contexto, focalizamos nosso interesse sobre o modo como foi tratada a questão da paisagem nesta iconografia. Analisamos, portanto, a produção de uma imagética, na base de um corpus limitado aos cartões postais e revistas editadas pelo Instituto Estrada Real, procurando nelas a identificação e distinção das naturezas das paisagens exibidas, bem como os valores e qualidades que lhes foram atribuídos por meio dessa promoção. Causa estranheza encontrar uma homogeneidade paisagística expressa pelas diferentes imagens produzidas e quase ausência das paisagens rurais, trama fundamental desses territórios. Este icônico seletivo oferece uma visão às vezes simplista e conformista, particularmente articulada sobre o patrimônio construído, correspondendo às expectativas dos diversos alvos visados por este produto turístico. Deste modo, ele impõe, portanto, uma perspectiva paisagística misturada com uma pinta de nostalgia, um orgulho patrimonial e uma estética onde o cenário serve de palco a atividades lúdico-esportivas e ao bem-estar para públicos prósperos e “ligados”. Finalmente, as paisagens que podiam servir de imagem-suporte para um turismo inovador e diferenciado da oferta turística geral, são confinadas em um registro conservador e clássico. Como moeda de troca à implementação paisagística realizada pela Estrada Real se traduz por uma imagética paisagística incompleta e impõe, pouco a pouco, seus códigos uniformizando de leitura e valorização.

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Texto integral

  • 1  Loi nº 13.173 du 20/01/1999 de l’Etat de Minas Gerais et décret n° 41.205 du 08/08/2000.
  • 2  À titre d’illustration, on renvoie aux nombreuses publications de beaux livres sur l’Estrada Real, (...)

1Au Brésil, si la valorisation intentionnelle des paysages par le biais d’une iconographie touristique est encore rudimentaire, il n’en reste pas moins que la thématique du paysage commence à émerger notamment pour la promotion touristique. La campagne publicitaire et d’affichage de l’État du Minas Gerais, en 2005, est à ce titre révélatrice d’un changement de positionnement quand bien même elle n’aurait pas atteint un haut niveau de maturité (Image n° 1). Il en est de même lorsque l’on s’intéresse de plus près à l’Estrada Real, projet-phare de l’économie touristique du Minas Gerais, dont l’itinéraire se compose de deux chemins principaux : le plus ancien, le « caminho velho » au départ de Paraty (État de Rio de Janeiro) et le plus récent, le « caminho novo » au départ de Rio de Janeiro, qui convergent à Ouro-Preto (État du Minas Gerais) pour ensuite, par un seul et même tracé, celui du « Caminho dos Diamantes », rejoindre la ville de Diamantina (Image n° 2 : L’itinéraire Estrada Real). Cet itinéraire culturel et touristique, officiellement reconnu en 19991, reste toutefois en construction permanente, tant l’ambition et le territoire couverts sont amples. Sur un parcours de plus de 1400 km, traversant les territoires de 177 communes – réparties sur les États du Minas Gerais (166), de São Paulo (7) et de Rio de Janeiro (8) –, il est prévu d’attirer environ 2,5 millions de touristes par an, de créer plus de 178 000 emplois et d’injecter 1,25 milliard de dollars dans l’économie locale. Ponctuellement, il existe des réalisations concrètes de mise en tourisme, axées principalement autour de circuits thématiques et d’un marketing offensif2.

Cette affiche réalisée pour la campagne officielle de promotion touristique de l’État du Minas Gerais, en plus d’utiliser un paysage associé à la randonnée comme élément central, fait, dans son texte, explicitement référence au paysage. « A paisagem tira o folego. A hospitalidade devolve » : Le paysage coupe le souffle. L’hospitalité le restitue.

source : encart publicitaire (pleine page), revue Gol, avril 2005.

L’itinéraire de l’Estrada Real

L’itinéraire de l’Estrada Real
  • 3  IER : Instituto Estrada Real ; FIEMG : Federação das Industrias do Estado do Minas Gerais

2L’itinéraire Estrada Real, liant le littoral aux villes minières du Minas Gerais, suit le tracé de l’ancienne voie qui fut construite, sous la domination portugaise, pour faciliter et contrôler l’acheminement des richesses minières vers la couronne portugaise. En joignant ambiances maritimes de la mata atlantica ou montagnardes de la Serra de Mantiqueira, à celles des cerrados (savanes), l’Estrada Real propose au touriste de voyager dans l’histoire coloniale du Brésil. Ce symbole de la conquête et de l’installation des premiers immigrants, puis par la suite du contrôle du territoire, en particulier à travers la fiscalité, fonctionne comme une image puissante et vise un public aisé et cultivé. Le logo IER-FIEMG3 (Image n° 2), dont la couronne symbolise l’appartenance à la noblesse, est une heureuse coïncidence pour les promoteurs d’une voie royale. Cet itinéraire, évocation d’une riche histoire, est mis en parallèle avec le chemin de Saint-Jacques de Compostelle et peut s’entrevoir comme un pèlerinage sans objectif géographique, mais plutôt à la recherche d’une culture, d’un antan inscrit dans les paysages et les hommes. D’ailleurs, une mode vestimentaire commence à se diffuser, le bâton de pèlerin faisant partie de ses attributs.

3Le paysage participe des composantes fortes de l’attractivité touristique (Yázigi, 2002), toutefois quelles significations prend-il au prisme de l’iconographie touristique ? Le paysage sera ici entendu comme une expression visible, le reflet d’une géohistoire à la fois naturelle et sociale, et comme une construction sociale, produit des regards projetés sur cette réalité. Cette interaction confère au paysage un certain nombre de valeurs potentielles au rang desquelles la dimension patrimoniale est de plus en plus prégnante. Dans un tel contexte, les paysages constituent une ressource territoriale (Derioz, 2004) en tant que support à l’élaboration de l’itinéraire touristique et sont donnés à voir, en particulier à travers une iconographie singulière et sélective.

4Cet article s’intéressera à la manière dont le projet touristique Estrada Real s’approprie les paysages, ce qu’il en donne à voir à partir des images diffusées et en quoi cette iconographie peut être en décalage avec la réalité. Suite à une mise en perspective géohistorique des territoires traversés par l’Estrada Real (Encart n° 1), il s’agira, dans un premier temps, de repérer et d’identifier, à partir d’un corpus d’images, la construction d’une imagerie des paysages. Puis, nous préciserons les natures des paysages retenus et les valeurs mises en exergue et propagées par les supports iconographiques de l’itinéraire Estrada Real. Une dernière partie conclusive mettra en évidence les écarts et les insuffisances repérés entre le regard-lecture proposé par cette scénarisation touristique et celui que nous portons.

De la carte postale comme image touristique des paysages à la carte postale expression des qualités mises en exergue

La carte postale dans sa version papier et digitale

  • 6  On utilise le terme de carte postale plus en référence au support choisi par l’éditeur qu’à son us (...)

5Le corpus iconographique analysé6 correspond à une sélection des images produites pour la promotion des paysages et de la destination Estrada Real. Même si les intérêts économiques du tourisme se sont quelque peu approprié cette route historique, il n’en demeure pas moins que l’effort fait en direction d’une meilleure intégration et connaissance de l’histoire du Brésil a contribué à revisiter cette épopée (cycle de l’or), donnant lieu à de multiples publications scientifiques et grand public.

  • 7  www.estradareal.org.br, visité en juillet 2010 (...)

6Dans ce contexte, notre sélection, volontairement réduite tout en préservant une diversité suffisante pour éviter un cadrage étroit et enfermant, adopte la logique suivante. D’une part, nous avons retenu 450 photographies de la galerie photographique du site internet7 de l’Institut Estrada Real (Image n° 3 : La galerie photographique) et sa revue d’information et de commercialisation (IER 2003, 2004a, 2004b, 2005). La multiplicité des auteurs, photographes professionnels, est ici dévoilée par la variété des compositions et cadrages. Outre l’intérêt suscité pour visiter virtuellement les sites, monuments et paysages attractifs de l’itinéraire, ces photographies peuvent également s’utiliser comme des cartes postales virtuelles à envoyer par courriel. Elles servent aussi de banque d’images pour la revue et les textes d’accompagnement apportent éclairage et matériaux d’analyse distincts. Les photographies de cette galerie sont réparties en 11 catégories à l’intérieur desquelles les clichés sont inégalement distribués : villes (24), musées (20), cascades et lacs (77), grottes et cavernes (19), églises (51), montagnes et pics (49), monuments (18), fermes et belles demeures (22), autres (97), tourisme d’aventure (20), faune et flore (52) - les chiffres entre parenthèses indiquent le nombre de clichés.

Présentation de la galerie photographique du site internet de L’Institut Estrada Real.

Présentation de la galerie photographique du site internet de L’Institut Estrada Real.

Source : http://www.estradareal.org.br/​galer_fotos/​index.asp

7D’autre part, nous nous sommes intéressés à un recueil de 200 cartes postales sur l’Estrada Real (Image n° 4 : Jaquette du coffret de cartes postales), édité sous la forme d’un coffret (Arte & Postais 2005). Toutes ces photos sont l’œuvre de Paulo Laborne, photographe renommé, à qui un groupe d’entreprises privées, avec l’appui du Ministère de la Culture, a confié le projet de mettre en image l’itinéraire. L’unité de regard et le style minimaliste prévalant dans l’ensemble témoignent de la liberté de choix dont il a joui. Ici point de classification explicite, même lorsqu’on se réfère aux indications portées au dos de chacune des cartes postales. Nous avons procédé à une première classification qui a donné lieu à 12 catégories très inégales - archéologie (1), nature (31), routes et chemins (6), ponts (5), tropeiros - figure traditionnelle des troupiers- (6), fazenda -ferme brésilienne- (22), produits et artisanat (25), manifestations culturelles (6), monuments religieux (52), monuments et bâti urbains (36), mines et chemin de fer (5), parcs et jardins (5) - les chiffres entre parenthèses indiquent le nombre de clichés. Ces dernières furent ensuite agrégées en 5 nouvelles catégories : nature, itinéraire, patrimoine rural et culturel, patrimoine architectural et monuments urbains, autres.

Jaquette du coffret de cartes postales (Arte & Postais, 2005)

Jaquette du coffret de cartes postales (Arte & Postais, 2005)
  • 8  Dans la mesure, où les autres types d’iconographiques (dessin, tableau, cartes, vidéo…) sont peu u (...)

8En matière d’iconographie, le média dominant reste la photographie8 à travers la carte postale, parfois accompagnée d’une légende. Cette iconographie touristique construit l’image de la destination et participe d’un marketing territorial à diverses échelles : de la pousada - hébergement typiquement brésilien au style d’auberge moderne - jusqu’au circuit touristique, en passant par les produits artisanaux et le patrimoine religieux par exemple.

Décrypter l’image touristique des paysages à travers les natures et valeurs convoquées

9Nous pensons qu’image touristique et image de paysage ne peuvent être confondues. Si la première emprunte beaucoup à la puissance évocatrice de la seconde et si elle contribue souvent à révéler et instituer l’image des paysages, elle ne peut toutefois s’y réduire. Elle constitue une image-force qui reflète une synthèse des aspects signifiants du territoire. L´interaction image touristique – modèle de paysage, illustrée par la figure n° 5 (Saadi, 2005 ; Béringuier et al, 2005), correspond à un processus d’élaboration que nous proposons comme un modèle qui sera mis à l’épreuve de l’Estrada Real.

10Le modèle de paysage résulte d´un processus dans lequel le système naturel, soumis aux influences de l´évolution socio-culturelle des groupes humains au cours de l´histoire, tend, graduellement, vers un paysage qui en reflète l´expression culturelle cumulée. Le modèle de paysage alimente l’image touristique du territoire une fois réinterprété au travers d’un filtrage dérivé des interrelations liant les caractères identitaires et leurs représentations dans les systèmes de pensée des sociétés locales. Les constructions mentales, issues de la perception et de l’intégration des éléments identitaires d´une communauté, constituent ce que l´on appellera l´imaginaire local. Il s’agit, en quelque sorte, de l’expression de la reconnaissance d´une certaine cohésion socio-culturelle à l´échelle du territoire coutumier, qui mêle perceptions d´éléments physiques du paysage, interprétations de faits ou moments historiques et toute une panoplie de mythes et croyances.

11On concevra comme imaginaire social le résultat d´une perception, moins aisée à cerner, d´un édifice socio-culturel qui associe les dimensions identitaires communes aux groupes humains habitant des territoires inscrits dans diverses unités paysagères contiguës. Celles-ci composent parfois une forte diversité scénique à l´échelle régionale dans laquelle, cependant, survivent de discrètes mais solides attaches culturelles tissées par d´importants contextes historiques. Cette résilience des liens identitaires qui sous-tend une tenace unité culturelle brésilienne, malgré l´exhibition d´éléments distinctifs de groupes socio-économiques, nettement accentuée et discriminante par ailleurs, constitue, selon Saadi (2006), un atout important, mais négligé, voire nié, du développement touristique au Brésil.

Du modèle de paysage à l´image touristique d’après Saadi (2005)

Du modèle de paysage à l´image touristique d’après Saadi (2005)

12Afin d’analyser la manière dont les paysages sont abordés par l’iconographie touristique de l’Estrada Real, nous avons opté pour un traitement en deux temps. Premièrement, il s’agit de déterminer les types et natures des paysages utilisés comme support d’image et mobilisés dans la communication de l’Estrada Real et d’y discerner les thèmes les plus récurrents. Ce premier niveau d’analyse porte sur la nature des paysages donnés à voir, nature qualifiée à partir de différentes thématiques : paysages de nature, paysages ruraux, bâti historique, patrimoine religieux, sites urbains, hommes et sociétés, production locale, fêtes. Thématiques dont nous chercherons à dégager une typologie. Ensuite, il s’agira d’identifier les messages et formes de promotion d’une certaine idée (le sens) du paysage en relation avec l’iconographie touristique de l’Estrada Real. Les valeurs ou qualités qui sont attribuées au paysage (Beringuier, 1996 ; Mason, 2002) relèvent des catégories signifiantes suivantes : esthétique, culturelle, récréative, écologique, socio-économique, auxquelles sont associés des champs sémantiques en tant que critères d’analyse comme le précise le tableau n° 1.

Valeurs du paysage et descripteurs associés, adapté de Parent, 2004

Valeur

Champs sémantiques associés

Esthétique

Scénique, sensoriel, qualité visuelle pittoresque…

Culturelle

Historique, patrimonial, identitaire, symbolique, authenticité, tradition …

Récréative

Plaisir, ludique, spectacle, liberté …

Écologique

Biodiversité, géomorphologie, géologie, faune, flore…

Socio-économique

Fonction de production, activités, produits…

13Ces deux contextes interdépendants de lecture-écriture des paysages à travers leurs traductions iconographiques serviront de bases à l’analyse des natures et valeurs paysagères. Ce double mouvement peut s’illustrer à partir de l’exemple des rochers des Prateleiras (Image n° 6 : photographie d’une une vue des rochers des Prateleiras) situés dans la partie du Parc National d’Itatiaia appartenant à l’État du Minas Gerais. Tout d’abord en tant que paysage support, il s’agit d’un type montagnard, difficile d’accès avec une nature sauvage rehaussée par la présence du minéral ; ensuite en tant que paysage promu, les valeurs véhiculées sont un espace de liberté à conquérir, un spectacle dont il faut profiter.

Une vue des rochers des Prateleiras (commune de Itamonte-MG)

Une vue des rochers des Prateleiras (commune de Itamonte-MG)

Quelle imagerie paysagère, quelles significations identifiées ?

14En tout premier lieu, domine une grande homogénéité des points de vue et des regards exprimés par les cartes postales ; en comparant les deux corpus, il est fréquent de retrouver des photographies quasi-identiques reproduisant thèmes et lieux similaires. Cette récurrence est particulièrement bien illustrée par les clichés de la chapelle de Santa Quitéria, de Catas Altas do Mato Dentro-MG (Image n° 7 : La Chapelle Santa Quitéria), avec en toile de fond le massif du Caraça. Bien que les territoires de l’Estrada Real ne manquent point de ressources paysagères dignes d’être montrées, ils sont à l’évidence l’objet de regards – photographiques – stéréotypés, en raison d’une approche superficielle guidée par des cibles à photographier prédéterminées.

La Chapelle Santa Quitéria inspire de nombreux clichés

La Chapelle Santa Quitéria inspire de nombreux clichés

15De plus, on a affaire à une même vision des paysages focalisée sur une nature et une culture patrimonialisées ou en voie de l’être et d’une société à folkloriser, à partir de ses produits et manifestations culturelles. Dans les faits, les espaces naturels à forte valeur écologique et aux paysages remarquables sont souvent dissociés de la gestion territoriale communale, leur classement en aires protégées s’accompagne de rigoureuses restrictions d´usage ; l´argument de la protection du patrimoine les soustrait même à la fréquentation des sociétés locales considérées, non sans torts parfois, comme peu sensibles ou conscientes de l´importance de l´équilibre des systèmes naturels. En revanche, une même argumentation fonctionne en sens inverse quand il s´agit des manifestations culturelles les plus authentiques liées à ces mêmes communautés. Leur inscription aux listes du patrimoine national ne fait qu’encourager leur mise en pâture pour une masse de touristes peu soucieux et regardants sur les programmes dédiés aux manifestations culturelles locales (Saadi 2006). Dès lors, la valorisation culturelle officialisée par le sceau patrimonial augmente la valeur d´usage, accélère le processus de commercialisation, et in fine son indéniable folklorisation. Dans de nombreux cas, certaines manifestations (danses, fêtes, processions), liées à d’anciens rites cérémoniaux et se déroulant à des dates précises, sont intégrées à des produits touristiques selon un agenda défini par les opérateurs touristiques. Elles se dérouleront, ainsi, à plusieurs reprises durant l´année et même, éventuellement, à la demande d´un groupe de touristes prêt à en supporter les frais.

16Nature, patrimoine, folklore, sont les trois ingrédients de cette mise en tourisme dont l’iconographie nous révèle l’indiscutable évidence. L’image touristique des paysages est certes sélective, néanmoins en surfant sur des imaginaires atones et bridés qui ont pour horizon un passé révolu et emblématisé, elle ne fait que les conforter au lieu de les stimuler et de les amplifier.

Natures et thématiques des paysages supports de la communication de l’Estrada Real

  • 9  A chacun des types de tourisme - listés ci-après- correspondent plusieurs circuits et/ou produits (...)

17Cinq thématiques principales émergent de l’analyse des deux corpus photographiques, confirmées par l’étude des courts textes introductifs aux itinéraires (roteiros) touristiques proposés dans les revues9.

18Les paysages de nature concernent 44 % des photographies. La majeure partie est consacrée à tout ce qui fait référence à la nature : cascades, lacs, pics, rochers, grottes, montagnes, faune et flore. Cette nature si généreuse et qu’il a fallu conquérir, domestiquer, est proposée comme le domaine d’excellence des activités éco-touristiques qui recouvrent parfois un sens bien différent que celui que le préfixe « éco- » laisserait supposer. Ils fournissent aux amateurs de frissons et d’aventure - 4x4, mountain bike, marathon, parapente - des terrains de jeu de grande ampleur.

19Les paysages ruraux représentent 13 % des clichés. L’essentiel des photographies insiste sur la partie bâtie de la fazenda et sur les maisons de village, rares sont les paysages globaux ou d’ensemble qui laissent entrevoir la ruralité à travers l’élevage, la culture du café, ou l’organisation paysagère de ces propriétés, indéniable maille territoriale. Les paysages agricoles, vus et cadrés globalement, sont quasiment absents des représentations iconographiques. :

20Les paysages de manifestations culturelles et produits du terroir ne concernent que 8 % des images. En position très marginale alors qu’ils sont nombreux dans le Minas Gerais et ont, pour certains produits agricoles, fait l’objet des premières appellations d’origine contrôlée (café et fromage). Ils sont traités de manière désincarnée, réduit à des objets de consommation ou de marchandises culturelles.

21Les monuments architecturaux et paysages urbains représentent 17 % des photographies. L’édifice et le monument, qui règnent en maître, témoignent, à travers leurs façades majestueuses, ornementées et colorées, des richesses passées des grands propriétaires et des pouvoirs publics, entraînant de fait un contraste saisissant avec la modestie de quelques ambiances urbaines.

22Le patrimoine religieux concerne 18 % des clichés. La monumentalisation des façades des églises baroques parfois associée à un arrière-plan paysager et les intérieurs surchargés de dorures et de figures allégoriques monopolisent ici toute l’attention.

23Au final, trois grands types de paysage se dessinent avec une représentativité très inégale : d’abord dominent largement les paysages de nature (44 %), ensuite les paysages patrimoniaux des monuments urbains (35 %), suivent loin derrière les paysages de la ruralité (21 %), proposant ainsi une lecture décalée d’une réalité territoriale bien plus nuancée et où notamment le quotidien rural de la majorité de la population est gommé (Image n° 8 : types de paysages sélectionnés). Il reste à noter que la route en elle-même, Estrada Real ou voie royale, retient peu l’attention malgré de beaux vestiges de tronçons pavés ou des points de vue et son tracé qui permettent de dévoiler les paysages traversés.

Synthèse des types de paysages sélectionnés

Synthèse des types de paysages sélectionnés

24Ce graphique traduit le fait que les thèmes retenus par les photographies ne mettent en relief de la matrice paysagère existante que quelques aspérités. En résulte un territoire archipel où l’essentiel de la trame des paysages ruraux mais également urbains est déconsidéré puisque quasiment inexistant des images.

Valeurs et qualités des paysages promus par le discours imagé de l’Estrada Real

25Les quatre valeurs du tableau nº1, l’esthétique, le patrimonial, l’économique, l’écologique se distinguent assez nettement, cependant chacune a un poids et une représentativité bien différentes (Image n° 9 : synthèse des valeurs paysagères). L’aspect récréatif, plutôt d’ordre transversal, figure comme une valeur de fond, fait très compréhensible dans le cadre d’une activité touristique où le bien être et le ludique priment.

26L’esthétique, bien que présente dans l’acte même de photographier, n’est pas pour autant valorisée de manière affirmée. Ici le paysage relève plus de l’écrin, du décor de l’activité éco-touristique. La beauté et la qualité scéniques des paysages n’est pas vraiment objet de contemplation, ou si peu, elle est avant toute chose un cadre offert par une nature grandiose, « vierge » et généreuse permettant la pratique sportive d’une élite sociale.

27Le patrimoine culturel est la valeur référence et dominante. Elle renvoie à une histoire et à une culture datées qui valorisent le public touristique visé, essentiellement d’origine urbaine, qui s’en considère l’héritier et dont le niveau social et culturel lui permet de se croire investi d’une mission de perpétuation. Les sites urbains et les lieux patrimoniaux légués par l’époque baroque connaissent une concentration plutôt exceptionnelle et jouissent d’une notoriété élevée du fait de leur classement au patrimoine mondial. De plus, les fazendas bi- ou tricentenaire ancrent ce jeune pays dans une histoire et cultivent une tradition du bien vivre à la campagne.

28L’économique met l’accent sur le bien vivre et les produits de qualité à acheter issus de savoir-faire particuliers. La pousada est le pivot de cette économie folklorisée car on y trouve les produits (vitrine) et qu’elle offre différentes compétences pour les activités (en propre ou en réseau). Le voyage dans des ambiances d’origine agrémenté du confort moderne a un prix.

29L’écologique correspond à la nature dans toutes ses dimensions avec un rapport privilégié aux sommets, aux pics rocheux et à l’eau sous la forme de cascades, signifiant principalement pour les premiers l’évocation de la puissance, de la domination et pour l’autre la pureté et le ressourcement. Cette nature sauvage et vivante imprègne les touristes comme si elle leur transmettait sa puissance. Elle est au-delà d’un simple spectacle, dont on retrouve le pendant culturel en ville, le cadre d’exercice d’activités sans trop de contraintes, ni de limites.

Synthèse des valeurs paysagères exprimées par les photographies

Synthèse des valeurs paysagères exprimées par les photographies

30Objets plus que sujets : il est assez remarquable que très peu de photographies aient pour préoccupation de montrer des gens, dans leurs lieux de vie et notamment de rencontre. Absents du propos et du « décor », cela renforce l’idée de produits sans producteurs et sans terres (par ex. produits culinaires), ou de monuments hors d’usage, un patrimoine comme témoignage mais sans vie. Le temps plus que l’espace, l’histoire plus que la géographie, dont il ne transparaît en quelque sorte que les vielles pierres. Il est d’ailleurs symptomatique que la galerie photographique du site internet classe dans la catégorie « autres » les produits du terroir et les manifestations culturelles. On assiste à une fabrication d’une destination touristique quasiment a-territoriale d’où émergent seulement quelques bribes paysagères. Certains livres toutefois (Solmaci, 2004) se distinguent par une approche plus approfondie où les produits sont replacés dans leur contexte de production et de fabrication, où les rues, les chemins, les places, comme autant de lieux de vie, sont animés du passage des gens, des enfants. Mais n’est-ce pas l’exception qui confirmerait la règle ?

31L’individu et ses plaisirs avant la rencontre et la sociabilité. Les paysages avec les pratiques et les acteurs qui les façonnent ont été gommés. Rendus muets et sans rôle, les paysages se présentent alors comme un vaste champ d’activités récréatives qui oscillent entre deux moments et lieux forts de la pratique touristique promue. Le dedans, l’intérieur à travers la pousada souvent installée dans d’anciennes fazendas où les touristes peuvent jouir de tout le confort et de toutes les attentions. Le dehors, l’extérieur, qui se présente comme un vaste champ de loisirs où le touriste peut s’adonner à différentes activités ludiques (promenade à cheval, 4X4, trekking, sport, achats…), dans des décors grandioses ou bien dans des sites patrimonialisés. Dans ces deux cas de figure sont exaltées une histoire et une mémoire collectives qui ne sont pourtant pas si partagées que cela.

En guise de conclusion : le paysage n’existe pas, il faut sans cesse l’inventer et le reconstruire !

32Au final, on observe peu de différences entre les images de paysage proposées par les différentes publications, comme s’il existait une image forte des paysages qui s’imposerait d’elle-même. L’iconographie utilisée par le marketing touristique constitue un imaginaire où s’élabore un discours qui fonctionne sur des clichés dont la prégnance ne résiste pourtant pas à une approche critique et informée du territoire. Certes, cette disparité entre l’iconographie publicitaire et la réalité est intimement liée aux usages de l’image qui instrumentalisent les paysages selon les besoins respectifs de la communication, du projet politique, de l’analyse scientifique, ou de l’intérêt commercial. Pourtant faire converger ces différents points de vue n’est-il pas l’un des défis que le projet Estrada Real pourrait porter ?

  • 10  Il ne s’agit pas de s’inscrire dans le reproche classique fait au tourisme et à l’image touristiqu (...)

33Au sein de ces représentations iconographiques des paysages, il y a un jeu permanent entre le regard - qui identifie et révèle -, une conception-compréhension - qui institue - et une intention - qui constitue. L’examen de l’imagerie produite montre que ne sont mis en évidence que quelques aspects10 seulement des paysages dont le contenu et la valeur sont principalement d’ordre patrimonial, historique et écologique. On peut donc s’interroger sur une certaine capacité à extraire de l’information des paysages visibles. Existe-t-il une carence ou bien s’agit-il de choix délibérés ? Si on reprend le modèle de construction de l’image touristique (Figure nº 5) pour l’appliquer in fine à l’Estrada Real, trois types d’images (Boyer, 2002) se distinguent : l’image reconnue correspond à ce que le touriste vient reconnaître, vérifier, ressentir - l’ambiance désuète et nostalgique de certaines fazendas - ; l’image consensuelle est celle de l’appréciation partagée entre les visiteurs et les locaux - les cascades en sont un bon exemple - ; l’image consacrée est celle qui s’impose par la répétition des avis, des recommandations ainsi que par sa distinction dans le cadre du patrimoine mondial - les immeubles et monuments baroques servent ce registre.

34L’itinéraire touristique Estrada Real peut être considéré comme une première forme de tourisme de paysage à grande échelle au Brésil, qui n’en est qu’à une formulation liminaire où l’esthétique des paysages naturels sert les exigences du marketing au détriment d’une profondeur sociale et géographique. Le poids de la charge culturelle des classes dominantes et des symboles associés peut se lire en particulier par la récurrence des images de temps anciens. Si les paysages sont constitutifs de cet itinéraire puisqu’ils en forment la trame géohistorique, ils restent cependant confinés dans une approche patrimonialisante, emprisonnés dans une focale spatiale obtuse, incompatible notamment avec la saisie des paysages agricoles sinon de manière très anecdotique. Aussi viennent s’articuler deux dimensions paysagères : le paysage remémoré, consacré et mis en scène par la mémoire, en tant que représentant authentique d’une époque11, et le paysage naturalisé avec l’illusion d’un paysage donné objectivement.

35On pourrait entre autres avancer l’explication suivante. Il n’existe pas encore, de manière affirmée, une sensibilité et une volonté d’associer un produit labellisé ou non à un ou à des paysages (fromage de Serro, cachaça comme exemples réels) puisque l’idée de terroir n’est pas présente au Brésil ou encore très marginale. Aussi, ne trouve-t-on pas d’approches ni de constructions de paysages envisagés globalement. Lorsque des produits sont représentés, ils sont mis hors du cadre de production, et donc décontextualisés, ni les paysages ni le terroir ni les lieux de production ne leur sont associés. Et, lorsque le paysage est traité comme une globalité, il est relégué au statut de décor, où cet arrière-plan n’intervient que pour son caractère monumental : comme pour les parois à Catas Altas. Apparaît alors une sensibilité qui relève essentiellement de l’évidence pour laquelle le caractère exceptionnel suffit à fonder la valeur esthétique ou patrimoniale. Comme le dit Britton (1979), cité par Saadi (2006), il y aurait « une réelle difficulté à représenter les destinations touristiques comme des lieux véritables », représentation à laquelle les images participent pleinement. L’Estrada Real apparaissant comme un projet innovant devrait donc être en capacité de proposer un discours et une iconographie novateurs sur les territoires concernés, cherchant à intégrer l’ensemble des faits paysagers. Cette mise en image d’un territoire « neuf » dans un rapport de vraisemblance devrait, car elle participe de la création d’un imaginaire liée à un espace, révéler ou susciter des regards décalés, hors des sentiers battus, proposant et suggérant une rencontre renouvelée des paysages et des hommes. Cet effort de reconsidérer la réalité territoriale pourrait donner lieu à un travail faisant collaborer la population locale, les universitaires, les agents de développement et les prestataires touristiques.

  • 12  Refuges d’esclaves noirs fugitifs, aujourd’hui protégés par des lois fédérales

36Ainsi, en même temps qu’elle viendrait à constituer un itinéraire touristique majeur du Brésil, l’Estrada Real se devrait d’être un objet d’études et de recherches scientifiques, un patrimoine du peuple et de l’histoire brésilienne, un espace et lieu de vie actuel en redéfinition et évolution permanente. Elle offrirait donc place à différents regards intéressés par de multiples réalités. Certaines, datées historiquement, participent de la patrimonialisation tels les noyaux urbains baroques, les églises et sanctuaires, les anciens postes de douanes, les vieilles fermes, les œuvres d’art et ouvrages d’ingénierie. D’autres plus actuelles, comme les zones minières et industrielles, les routes asphaltées et les aires agro-industrielles redéfinissent et transforment les paysages. Et finalement, d’autres sont susceptibles d’êtres gommés ou effacés, à l’exemple des quilombos12 et des références à la composante ethnique indigène. Malgré cela il y a le paysage qui s’entête à conserver les signes de ce mélange d’héritages forts et d’apports contemporains puissants qui entrent en contact par l’intermédiaire de la mise en tourisme, en échos à la demande des classes sociales aisées qui forment, pour l’instant, l’essentiel de la clientèle.

3711  Ceci est en partie fondée sur une « certification d’origine » des paysages, dont l’existence liée à une période historique est avérée par les recherches historiques et scientifiques (d’après Amirou, 2002).

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Bibliografia

Amirou, R. « De l’imagerie populaire à l’imagerie touristique », Espaces, tourisme & loisirs, n° 199, p. 26-33, 2002.

Arte & Postais. Estrada Real. (coffret de 200 cartes postales), Editora c/Arte, Belo Horizonte, 2005.

Béringuier, P. ; Dérioz, P. et Laques, A-E. « Glissements progressifs du regard sur des paysages mutants ». In : Actes duséminaire Enfa/ENITA/Géode Observer, analyser et accompagner le changement paysager et son appréhension, Toulouse, 9-10 mars 2004. En ligne http://www.enfa.fr/ACI/, 2005.

Beringuier, P. « La qualité des paysages. Un objectif méthodologique pour construire et imaginer les paysages de demain. » In : Le paysage pour quoi faire ?, Coll. Actes Avignon, n° 1, Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse,1996.

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Costa, A.G. ; Renger, F.E. ; Furtado, J.F. ; Santos, M.M.D. Cartografia das Minas Gerais : da Capitania à Província. Belo Horizonte, Editora UFMG, 2002.

Costa, A.G.(org.). Os caminhos do ouro e a Estrada Real. Belo Horizonte, Editora UFMG/Lisboa, Kapa Editorial, 2005.

Derioz, P. « Le paysage, une ressource territoriale emblématique mais ambiguë », Montagnes Méditerranéennes, n° 20, p. 155-163, 2004.

IER. Roteiros da Estrada Real, n° 1, outubro 2003, Ed Instituto Estrada Real, Belo Horizonte.

IER. Roteiros da Estrada Real, n° 2, julho 2004a, Ed Instituto Estrada Real, Belo Horizonte.

IER. Roteiros da Estrada Real, n° 3, novembro 2004b, Ed Instituto Estrada Real, Belo Horizonte.

IER. Roteiros da Estrada Real, n° 4, maio 2005, Ed Instituto Estrada Real, Belo Horizonte.

Mason R. « Assessing Values in Conservation Planning: Methodological, issues and choices. » In: Assessing the Values of Cultural Heritage. Rapport de recherche. Los Angeles, The Getty Conservation Institute, p. 5-30, 2002.

Parent A. « L’inventaire et l’analyse de paysage. » In : Forum régional sur les paysages : Paysages et qualité du cadre de vie : approches et enjeux en milieu rural, 5 mai 2004, La Pocatière, Ed. Ruralys, http://www.ruralys.org/fichiers/Actesduforum.pdf, p 1-35, (consulté le 17 juillet 2010)

Saadi A. et al. A paisagem entre o território e a imagem : 4 séculos de construção de uma paisagem cultural nas fraldas da Serra do Caraça, Pôster, UFMG, 2005.

Saadi A. « Tourisme et identité au Brésil : entre la gomme et la courbe. » In : Michel, F. et Furt, J.-M, (Eds). Tourisme et identités. Paris, Ed. L’Harmattan, 2006.

Santos, M. Estradas reais. Belo Horizonte, Editora Estrada Real, 1999.

Solmuci Jr, P. Estrada Real, Caminhos do sabor. Editoras Gutenberg/Autêntica, Belo Horizonte, 171 p., 2004.

Yázigi E. (org.). Turismo e paisagem. Ed Contexto, São Paulo, 226 p., 2002.

Site web : http://www.estradareal.org.br

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Anexo

L’Estrada Real : une plongée dans l’histoire du Brésil

Sur une initiative menée par la Fédération des Industries du Minas Gerais4, à laquelle se sont finalement ralliés le Ministère du Tourisme (échelle fédérale) et le Secrétariat d’État au Tourisme (échelle régionale), on transforme graduellement une idée au départ intéressante en un projet de produit touristique au futur incertain. La propre dénomination de Voie Royale semble sanctifier l’idée d’un chemin sans embûche pour le développement du tourisme du sud-est brésilien et, principalement, de l’État du Minas Gerais.

L’origine de cette voie remonte à la fin du XVIIe, quand les mamelucos de São Paulo, adaptés aux rigueurs des forêts et montagnes locales – grâce au métissage avec les indigènes - et ne résistant plus aux appels des inestimables richesses qu’offriraient de fameux gisements d’or, d’argent et d’émeraudes situés au-delà des montagnes – Serra do Mar et Serra da Mantiqueira - se lancèrent à l’assaut des sertões inconnus et peuplés d’Indiens. De fait, dès le début du XVIIIe siècle, les richesses se révélèrent réellement importantes, bien que liées plutôt à des gisements d’or et de diamants. On assista, dès lors, à une ruée de bandes avides, formées de gens sans peur ni scrupule, que l’histoire glorifiera pourtant sous le nom de bandeirantes5.

Les empreintes de cette période d’orpaillage s’observent encore aisément dans les paysages de la région aurifère, entre Ouro Preto et Catas Altas, sous forme d’excavations étagées au niveau des terrasses fluviales. L’histoire rapporte que l’intensité de l’appât du gain leur fit oublier les nécessités de la production de produits alimentaires pour assurer leur subsistance. La période de sévère famine qui en résultât fut à l’origine de l’installation des fermes dédiées aux plantations et à l’élevage, cause initiale de la coupe systématique des forêts et de leur substitution par des paysages ruraux, conçus par des gens qui devaient être très peu paysans et encore moins agriculteurs. L’or des alluvions s’épuisant, survint une période atone basée sur une mauvaise agriculture, jusqu’à ce que le XIXe siècle vienne ouvrir les portes des mines d’or souterraines aux compagnies anglaises. Ce siècle attirera aussi une longue liste de voyageurs naturalistes et artistes, soutenus par des souverains mécènes européens, y compris l’empereur portugais. Ce fut par ce biais que les potentialités ferrifères et, conséquemment, sidérurgiques du Brésil furent mises à jour. Il s’ajoutera d’autres formes de blessure aux paysages de l’orpaillage, comme les immenses cratères d’extraction du minerai de fer à ciel ouvert, et leurs corollaires : bassins de retenue des rejets de lavage, teinte rouille des paysages, voies ferrées et leurs énormes ponts enjambant les vallées, etc. Cette industrie, pourvoyeuse d’emplois mal payés et temporaires, sonnera le glas de nombreuses zones agricoles.

Le XXe siècle est dominé par l’essor de l’urbanisation, la consolidation de l’économie minière et de la sidérurgie. Durant les dernières décennies, il y a bien sûr une prise de conscience environnementale, doublée de la découverte des atouts touristiques avec les classements de protection du patrimoine. Cependant, il existe également une monoculture d’eucalyptus à grande échelle pour alimenter les hauts-fourneaux et produire de la cellulose. En beaucoup de régions, la disparition des paysages agraires n’a pas été comprise comme celle aussi de paysages et de valeurs culturelles irremplaçables.

Ce fut donc autour des zones d’orpaillage découvertes par cesarmées esclavagistes et génocidaires que, sous le joug de l’église catholique, s’implanta le réseau urbain de la période baroque dont résulte la majeure partie des villes historiques brésiliennes classées au patrimoine mondial ou national. Celles-ci forment un chapelet au long de l’Estrada Real, alternant avec des zones rurales traditionnelles, au sein desquelles de grandes fermes d’époque – exhibant les témoignages de leur magnificence et ceux plus sombres de l’esclavage – sont transformées, systématiquement, en fermes-auberges ou fermes de loisirs. De superbes paysages les environnent qui, en plus de receler d’innombrables possibilités de découverte de la nature, justifient les espoirs de rendement touristique et financier que les industriels du tourisme leur prêtent.

Néanmoins, il ne suffit évidemment pas de posséder de beaux atours pour gagner toutes les faveurs du Prince. Si les jalons de l’histoire officielle, écrite sous la férule insensible de la classe dominante, paraissent à même de fournir des explications satisfaisantes pour la compréhension des éléments du patrimoine baroque, on notera une absence cruciale de connaissance des contextes sociaux de construction des territoires et des significations portées par les paysages. En effet, les connaissances scientifiques disponibles se résument à des débats d’historiens dont les questions portent sur l’unicité ou la multiplicité des chemins qui auraient composé cette voie royale, les détails de tracé de certains tronçons ou les dates d’arrivées des bandeirantes dans certaines régions. Parmi les œuvres les plus pertinentes à ce sujet et aux plus solides fondements scientifiques, on citera Santos (1999), Costa (2005) et Costa et al. (2002). On aura bien sûr aussi la possibilité de s’informer sur les caractéristiques des milieux physiques, sur les données sociales et économiques des régions ou communes traversées, à travers de nombreux travaux disciplinaires. Cependant, aucune publication ne propose un éclairage suffisamment éloquent sur l’Estrada Real en tant que projet touristique soumis à un croisement des regards.

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Notas

1  Loi nº 13.173 du 20/01/1999 de l’Etat de Minas Gerais et décret n° 41.205 du 08/08/2000.

2  À titre d’illustration, on renvoie aux nombreuses publications de beaux livres sur l’Estrada Real, à la revue Roteiros da Estrada Real (voir bibliographie), au battage médiatique, ainsi qu’à la commercialisation de la marque Estrada Real, apposée par exemple sur une ligne de véhicule tout terrain lancée en 2004.

3  IER : Instituto Estrada Real ; FIEMG : Federação das Industrias do Estado do Minas Gerais

4  Celle-ci a créé l’Instituto Estrada Real (IER), ONG chargée de la promotion et du développement du produit touristique lié à cet itinéraire.

5  Bandeirantes vient de bandeira (drapeau, étendard) : toute bande servait les couleurs d’un meneur qui la finançait et devait bénéficier de la reconnaissance de la couronne portugaise.

6  On utilise le terme de carte postale plus en référence au support choisi par l’éditeur qu’à son usage classique d’image touristique, destinée à être achetée pour envoyer un billet à un destinataire. Il ne s’agira donc pas de s’étendre sur une analyse de la relation carte postale et paysage, déjà faite par ailleurs (Amirou, 2002).

7  www.estradareal.org.br, visité en juillet 2010

8  Dans la mesure, où les autres types d’iconographiques (dessin, tableau, cartes, vidéo…) sont peu utilisés jusqu’à présent, il est bien délicat de conduire une analyse croisée

9  A chacun des types de tourisme - listés ci-après- correspondent plusieurs circuits et/ou produits touristiques dont l’Institut Estrada Real fait la promotion et la commercialisation : tourisme conventionel, d’aventure, éco-culturel, écologique, éducatif, d’excursionisme (randonnée), historico-culturel, religieux et ésotérique, rural

10  Il ne s’agit pas de s’inscrire dans le reproche classique fait au tourisme et à l’image touristique de réduire certaines subtilités et nuances (Amirou, 2002), mais bien de regretter que des pans entiers des paysages soient ainsi négligés et oubliés

12  Refuges d’esclaves noirs fugitifs, aujourd’hui protégés par des lois fédérales

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Tabela das ilustrações

Legenda Cette affiche réalisée pour la campagne officielle de promotion touristique de l’État du Minas Gerais, en plus d’utiliser un paysage associé à la randonnée comme élément central, fait, dans son texte, explicitement référence au paysage. « A paisagem tira o folego. A hospitalidade devolve » : Le paysage coupe le souffle. L’hospitalité le restitue.
Créditos source : encart publicitaire (pleine page), revue Gol, avril 2005.
URL http://confins.revues.org/docannexe/image/6428/img-1.jpg
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Título L’itinéraire de l’Estrada Real
URL http://confins.revues.org/docannexe/image/6428/img-2.jpg
Arquivo image/jpeg, 516k
Título Présentation de la galerie photographique du site internet de L’Institut Estrada Real.
Créditos Source : http://www.estradareal.org.br/​galer_fotos/​index.asp
URL http://confins.revues.org/docannexe/image/6428/img-3.jpg
Arquivo image/jpeg, 328k
Título Jaquette du coffret de cartes postales (Arte & Postais, 2005)
URL http://confins.revues.org/docannexe/image/6428/img-4.jpg
Arquivo image/jpeg, 532k
Título Du modèle de paysage à l´image touristique d’après Saadi (2005)
URL http://confins.revues.org/docannexe/image/6428/img-5.jpg
Arquivo image/jpeg, 384k
Título Une vue des rochers des Prateleiras (commune de Itamonte-MG)
URL http://confins.revues.org/docannexe/image/6428/img-6.jpg
Arquivo image/jpeg, 580k
Título La Chapelle Santa Quitéria inspire de nombreux clichés
URL http://confins.revues.org/docannexe/image/6428/img-7.jpg
Arquivo image/jpeg, 408k
Título Synthèse des types de paysages sélectionnés
URL http://confins.revues.org/docannexe/image/6428/img-8.jpg
Arquivo image/jpeg, 444k
Título Synthèse des valeurs paysagères exprimées par les photographies
URL http://confins.revues.org/docannexe/image/6428/img-9.jpg
Arquivo image/jpeg, 223k
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Para citar este artigo

Referência electrónica

Philippe Beringuier e Allaoua Saadi, « Quels paysages dans les images produites autour de l’itinéraire touristique Estrada Real (Minas Gerais, Brésil) ? », Confins [Online], 9 | 2010, posto online em 23 Julho 2010, Consultado o 27 Fevereiro 2014. URL : http://confins.revues.org/6428 ; DOI : 10.4000/confins.6428

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Autores

Philippe Beringuier

Maître de conférences, Université de Toulouse le Mirail, UMR Geode 5602 CNRS, philippe.beringuier@univ-tlse2.fr

Allaoua Saadi

Professeur, Université Fédérale du Minas Gerais, Belo Horizonte, Brésil,allaoua.saadi@gmail.com

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    • Title:
      Confins
      Revue franco-brésilienne de géographie
      Briefly:
      A Franco-Brazilian geography journal publishing original papers in French and in Portuguese, as well as translations of existing articles
      Revue franco-brésilienne de géographie, consacrée à la publication d'articles originaux, en français ou en portugais et à des traductions d'articles existants
      Subjects:
      Géographie, Amériques, Nature ; paysage et environnement, Espace ; société et territoire, Géographie : politique ; culture et représentation, Brésil
    • Dir. of publication:
      Hervé Théry, Neli Aparecida de Mello
      Publisher:
      Hervé Théry
      Medium:
      Électronique
      EISSN:
      1958-9212
    • Access:
      Open access Freemium
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