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La cohérence des comportements professionnels et privés chez les viticulteurs biologiques alsaciens
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La cohérence des comportements professionnels et privés chez les viticulteurs biologiques alsaciens

The Coherence of Professional and Private Behaviours among Alsatian Organic Winegrowers
Jean Nizet, Denise Van Dam et Marcus Dejardin
p. 23-42

Résumés

Cette contribution s’interroge sur la forte cohérence observée au niveau des comportements professionnels et privés d’un petit échantillon de viticulteurs alsaciens que nous avons interviewés longuement. On s’attache d’abord à décrire ces comportements et à identifier les principes à partir desquels les acteurs les justifient. On propose ensuite deux hypothèses susceptibles de rendre compte de la cohérence constatée. La première suggère que cette cohé­rence est en partie construite par le discours des interviewés. La seconde s’interroge sur les mécanismes de socialisation. Trois mécanismes sont iden­tifiés : les tensions identitaires que les personnes ressentent lorsqu’elles s’écar­tent des principes évoqués ; les contrôles, formels et surtout informels, qu’elles exercent les unes sur les autres ; la hiérarchie qui s’instaure dans le champ de la viticulture biologique, en raison précisément de la plus ou moins forte cohé­rence des comportements. On montre que ces mécanismes combinent leurs effets pour produire une socialisation puissante et uniforme, qui fait des viti­culteurs biologiques interviewés des individus beaucoup plus intégrés que ce que prédisent des théories sociologiques qui mettent en avant la diversité, ou encore l’éclatement de l’expérience de l’individu contemporain.

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Texte intégral

I. Introduction

1Plusieurs sociologues qui ont étudié l’individu contemporain présen­tent celui-ci comme un être diversifié, éclaté. Ainsi, Bernard Lahire met l’accent sur les socialisations diverses et souvent contradictoires que ren­contre l’individu, qui le dotent de multiples dispositions, de multiples manières de percevoir et de se comporter (Lahire, 2006). François Dubet montre dans plusieurs de ses écrits que la société ne constitue plus un ensemble organisé assurant la socialisation des individus ; ceux-ci n’adoptent plus les « rôles » que leur confèrent les institutions ; ils construisent leurs « expériences » à partir de multiples composantes que leur offrent la situation sociale et les rapports sociaux dans lesquels ils sont engagés (Dubet, 1987, 1994). Ce « relâchement des dispositifs d’inté­gration » (Dortier, 2006 :11) et cette nécessité pour l’individu de compo­ser avec des influences diverses ont été soulignés également par des auteurs travaillant sur des domaines plus spécifiques comme l’expérience religieuse (Hervieu-Léger, 2003), ou la vie au travail (Dubet/Caillet/Cor­tésero/Mélo/Raul, 2006).

2Cet éclatement des expériences individuelles, nous ne l’avons guère retrouvé dans la recherche que nous avons menée auprès d’un petit groupe de viticulteurs biologiques alsaciens. Nos données montrent au contraire qu’une des particularités des personnes que nous avons inter­viewées est de présenter des comportements (tant professionnels que privés) qui manifestent une forte cohérence, ce qui donne également au groupe une grande homogénéité. Cet article entend décrire cette cohé­rence et cette homogénéité, pour ensuite tenter de les expliquer.

3Nous procéderons en quatre temps. Nous présenterons d’abord la méthode de recherche. Nous procéderons ensuite à la description des comportements, en faisant également état des principes à partir desquels les viticulteurs les justifient. Dans un troisième temps, nous chercherons à apprécier la cohérence des comportements ; nous montrerons que, dans les limites de notre échantillon, elle est effectivement assez élevée. Enfin, nous chercherons à l’expliquer en recourant à deux hypothèses. Nous sug­gérerons d’abord que la cohérence est en partie produite par le discours des interviewés dans leur interaction avec les intervieweurs. Nous nous interrogerons ensuite sur les processus de socialisation des viticulteurs biologiques, en mettant en relief un certain nombre de mécanismes psy­chologiques et sociologiques qui assurent une socialisation relativement puissante et uniforme.

II. La méthode de recherche

4Notre contribution s’inscrit dans le cadre d’une recherche entreprise depuis six ans environ par Denise Van Dam et à laquelle collaborent depuis trois ans Marcus Dejardin et Jean Nizet.

5L’information est collectée suivant plusieurs méthodes. À titre princi­pal, nous avons procédé par interviews semi-directives approfondies d’abord auprès d’agriculteurs (céréaliers et/ou laitiers) belges wallons et flamands, ensuite chez des agriculteurs (céréaliers et/ou laitiers et/ou maraîchers) français de Picardie, puis chez des arboriculteurs français du Nord-Pas de Calais, et enfin, auprès de viticulteurs français d’Alsace. Chaque sous-échantillon comporte 6 personnes, soit 24 personnes pour l’ensemble de la recherche. Ces données d’interviews ont été complétées, dans un tiers des cas environ, par des visites d’installations (selon les cas, les vergers, les champs, les vignobles, les caves, ou encore les magasins où les interviewés écoulent leurs produits, etc.). Enfin, nous avons ren­contré, dans chacune des régions, des responsables d’organismes qui coordonnent et promeuvent l’agriculture ou la viticulture biologiques.

6Le présent article se réfère plus précisément aux données collectées auprès des viticulteurs alsaciens, données que nous serons toutefois ame­nés à comparer à celles qui sont collectées auprès des autres sous-échantillons.

  • 1 Pour le vignoble alsacien, nous renvoyons à Delpal J.-L., 2004 ; France B., Berger J.-L., Combaz A. (...)
  • 2 Voir Bouvier M., 2007 ; Joly N., 2007 et Koepf H., Schaumann W., Haccius M., 2001. Pour une présent (...)

7Le vignoble alsacien s’étend sur quelque 15.000 ha. Il comporte envi­ron 5.000 exploitations, dont 1860 disposent de plus de 2 ha et exploitent 80 % de la surface1. 85 exploitations fonctionnent en biologique, repré­sentant environ 10 % de la production. Parmi les exploitations biologi­ques, une grande partie d’entre elles (qu’il est difficile d’estimer préci­sément) recourent à la biodynamie. Alors que la culture biologique consiste à éviter l’emploi d’engrais chimiques et de pesticides, la biody­namie se réfère, en plus, à l’anthroposophie, un courant de pensée dû à Rudolf Steiner (1861-1925) qui cherche à repenser les liens entre la personne humaine et l’univers. L’anthroposophie a des implications en matière d’esthétique, de pédagogie, de médecine et, bien entendu d’agri­culture, avec la biodynamie. Cette dernière consiste entre autres à mainte­nir la dynamique de la terre en traitant celle-ci avec des préparations faites à partir de produits naturels (dont la “bouse de corne”, confection­née à partir de bouse de vache introduite dans une corne, puis enterrée un long laps de temps)2.

  • 3 Notons toutefois que nous avons essuyé plusieurs refus de la part de responsables de grosses exploi (...)

8Nous avons interviewé longuement (en moyenne, durant 1h15) six res­ponsables d’exploitations que nous avons sélectionnés en les contrastant sur deux critères. En premier lieu, la période d’entrée dans la viticulture biologique : il y a une vingtaine d’années pour l’exploitation qui a démarré le plus tôt et il y a quatre ans pour celle qui a fait la transition le plus récemment. En second lieu, la taille de l’exploitation : de 7 à 13 ha3. Voici l’âge de nos interviewés (tous de sexe masculin) et les noms par lesquels nous les désignons : Wolff (31), Baumgart (29), Hennert (46), Wetzel (51), Schmitter (40), et Einholtz (environ 50). Nous insistons sur le fait que l’échantillon est de petite taille. Les résultats auxquels nous aboutissons doivent donc être considérés comme provisoires ; ils mérite­raient donc d’être validés à partir d’observations plus étendues. Ces résul­tats nous permettent toutefois de traiter des questions importantes ; en particulier, ils nous autorisent à formuler des hypothèses détaillées sur les processus de socialisation auxquels sont soumis les viticulteurs et les autres agriculteurs biologiques. Ceci justifie largement, à nos yeux, que nous nous y référions dans le cadre de cet article.

  • 4 Ainsi, d’un point de vue psychologique, nous cherchons à comprendre comment s’opère le passage de l (...)

9Comme les interviews étaient menées à partir de préoccupations théori­ques assez diverses4, elles nous ont forcément conduits à explorer de manière large les comportements et perceptions des interviewés. Or, dans le cas des viticulteurs alsaciens que nous avons interviewés, nous avons été frappés par la très forte cohérence existant entre ces divers comporte­ments et perceptions : une cohérence qui, comme nous le montrerons plus loin, est bien plus forte que celle que nous avons observée dans nos autres sous-échantillons.  

III. Les comportements et leurs justifications

10C’est donc cette cohérence que le présent article voudrait mettre en relief et tenter d’expliquer. Mais avant de traiter de la cohérence comme telle, il nous faut d’abord décrire les comportements des viticulteurs : leurs comportements professionnels (en distinguant ceux qui ont trait à la production du vin et ceux qui concernent sa commercialisation) mais aussi les comportements adoptés dans le cadre de leur vie privée. Nous nous penchons ensuite sur les principes à partir desquels les personnes justifient (Boltanski/Thévenot, 1991) les comportements qu’elles adoptent.

A. La production du vin

  • 5 L’analyse des transmissions (par la famille, par les pairs, etc.) qui sont à l’œuvre chez les vitic (...)

11Nos interviewés accordent beaucoup d’importance au patrimoine (terres, installations, matériel d’exploitation, etc.) qui leur est transmis par leur famille5. La valeur des terres est tout particulièrement soulignée ; ils estiment que leur devoir est de protéger ce terroir, de le pérenniser. Ceci implique bien sûr pour eux le choix de produire en biologique, d’éviter les engrais, les insecticides. Schmitter se rappelle le temps, il y a une dizaine d’années, où :

J’avais l’impression chaque année de faire une bêtise en allant dés­herber […] ; il y avait un impact négatif sur l’environnement dont on est un petit peu responsable.

12Pour Baumgart,

La bio, on pense que c’est un investissement pour l’avenir, pour pérenniser l’entreprise.

13Cette conception implique des interventions réduites au minimum, que ce soit pour la culture de la vigne, ou pour la vinification en cave. Pour ce qui concerne le travail en cave, nos interviewés laissent le vin faire sa fer­mentation, trouver son équilibre. Et pour la culture de la vigne, Hennert nous explique qu’il cherche à sortir de la monoculture : qu’il laisse des plantes et des fleurs couvrir le sol toute l’année, qu’il fait pousser des grands arbres dans ses vignes :

C’est la monoculture qui fait que vous devez vous battre contre des microorganismes ou des insectes. Si la vigne est seule, en fait, les insectes vont se multiplier à outrance et donc, il faudra traiter. Tandis que si elle est dans un environnement diversifié, ces insectes auront leurs propres ennemis et il ne faudra pas traiter.

14Nos interviewés sont en recherche continuelle d’amélioration de leur manière de produire. Cette recherche s’appuie sur une expérimentation permanente, plus que sur des théories, nous explique Baumgart. Il repart de la biodynamie et en particulier de l’usage de la silice, qui doit en principe :

[…] amener le côté lumière et verticaliser la plante. Mais tout ça, c’est théorique. Tous les viticulteurs qui font la biodynamie, ils ont essayé. On n’est pas des scientifiques, on a fait des essais, on a regardé, on a vu que le sol était plus meuble. Il y a un effet.

15Ce qui est à la base des améliorations c’est donc bien ce que les viti­culteurs voient, ce qu’ils goûtent.

16Autour de la production se développe ce que Wenger appelle « une communauté de pratiques » (Wenger, 1998). Tous nos interviewés ont suivi des formations qui les mettent en contact avec d’autres viticulteurs, dont ils vont visiter les vignes et les caves. Ils se réunissent également de manière régulière dans le cadre d’associations. Enfin, ils entretiennent des contacts plus informels. Ces rencontres ont plusieurs fonctions. De moti­vation d’abord : « c’est moins dur, nous expliquent-ils de travailler à plu­sieurs que de se retrouver seul ». D’aide pratique, ensuite :

Le fait d’aller voir les vignes des autres tous les ans, d’aller se pro­mener dans les vignes, goûter les vins des autres, et de soumettre les problèmes qu’on a, finalement, on résout nos problèmes (Wolff).

17Enfin, les relations ont aussi une fonction plus émotionnelle : Schmitter qualifie d’« événements forts » les moments où il se réunit avec ses collègues biodynamiciens pour faire les préparations.

B. La commercialisation du vin

18Nos interviewés constatent que le marché du vin devient de plus en plus concurrentiel. Dans un tel contexte, il est impératif de « [choisir] une voie » (Baumgart), autrement dit, de définir une stratégie. C’est bien la stratégie de la qualité qui est privilégiée :

La recherche de la qualité, elle est permanente. Il y a une recherche d’améliorations constante (Hennert).

19Cette démarche s’oppose à la stratégie qui consiste à réduire les coûts pour réduire les prix sur le marché.

20La qualité du vin est associée à sa personnalité, à son identité propre. Celles-ci sont liées aux caractéristiques spécifiques du lieu où le raisin est produit. Inévitablement, les vins commercialisés par les différents produc­teurs vont être différents :

Quand on goûte les vins de plusieurs vignerons certifiés en bio, chacun fait un vin différent (Wolff).

21Nos interviewés essaient de promouvoir des rencontres directes, sans intermédiaire, entre consommateurs et producteurs. Idéalement, le consommateur se rend chez les différents producteurs d’un même village, d’une même sous-région ; ou alors, il fréquente des foires où les produc­teurs sont réunis et proposent leurs différents produits. Les vignerons rencontrés ne souhaitent pas recourir à des négociants ; a fortiori, ils refu­sent de commercialiser leurs vins en grande surface. D’une part, parce qu’une partie du bénéfice de la vente leur échappe. Et d’autre part, l’exis­tence d’intermédiaires amène le produit à voyager, ce qui nuit à l’environnement.

22Le nombre de producteurs biologiques présents en un même lieu (dans tel village, ou à telle foire) est plutôt vu comme un atout. D’abord parce que cette abondance de l’offre donne le choix au consommateur, ce qui le pousse à acheter. Ensuite parce que le nombre de viticulteurs biologiques renforce l’image positive de la région :

Pour moi, toute l’Alsace peut passer à la bio. Ça ne me gêne pas. Au contraire : ça me ferait même plaisir. Parce que vous avez un envi­ronnement préservé ; et puis aussi l’aspect économique, vous avez une formidable image de marque (Hennert).

23Nos interviewés insistent sur le fait qu’entre producteurs biologiques, on se considère beaucoup moins comme des concurrents que comme des collègues. Ceci se manifeste entre autres dans l’organisation des foires : auparavant, chaque producteur y présentait ses propres vins ; maintenant,

Il y a une table “pinot noir” où il y a les pinots noirs de tous les copains. Il y a une table “crémant”, etc. Et derrière la table “pinot noir”, il y a peut-être un monsieur qui ne produit pas de pinot noir, qui fait goûter les vins de ses copains (Wetzel).

C. La vie familiale, sociale et politique

24Attachons-nous également à décrire certains comportements apparte­nant à la vie privée, en particulier concernant la santé, la nourriture, les loisirs et les engagements collectifs.

25Pour ce qui concerne la santé, Baumgart nous explique que s’il est passé à la viticulture biologique, c’est parce qu’il y avait une « fibre » de ce type au niveau de sa famille. Et il nous raconte qu’étant enfant, il souffrait d’otites successives, que les antibiotiques ne parvenaient pas à éradiquer. Sa mère, pharmacienne de formation, a décidé de le soigner par homéopathie, en cachant ceci au médecin de famille. Depuis lors, toute la famille se soigne par homéopathie. Dans le même sens, Wetzel nous dit son opposition à la pratique des vaccins et Einholtz nous fait part de ses conceptions en matière de médecine et d’hygiène publique : il estime qu’il y a des gaspillages énormes, dus à la consommation des médica­ments et au recours à des opérations qui n’auraient pas lieu d’être si on prenait le problème à la racine. Il nous explique qu’il partage cette manière de voir avec sa femme, qui est médecin et ostéopathe ; il fait ce commentaire :

Je ne crois pas que j’aurais épousé une femme qui ne soit pas d’accord avec ma philosophie.

26Tous nos interviewés nous expliquent qu’ils consomment (exclusive­ment ou dans une large proportion) des aliments biologiques. Ils le font pour des raisons écologiques, mais aussi parce que les produits biolo­giques ont un goût beaucoup plus agréable. La consommation biologique s’applique aussi, pour certains, aux produits non alimentaires. Ainsi, Wolff nous déclare :

On mange bio, on essaie de se laver bio, on refait la maison avec des produits bios ; c’est vachement important. Quand vous mettez de la peinture et que vous avez des rémanences pendant des années de pro­duits chimiques dont vous ne connaissez même pas les conséquences, c’est quand même intéressant de se pencher là-dessus.

27Comme consommateurs, nos interviewés se montrent également favo­rables aux circuits courts ; ils achètent chez les producteurs, ou encore pratiquent le troc, en échangeant du vin contre d’autres produits : des fruits, des légumes, etc.

28Plusieurs de nos interviewés déclarent ne pas avoir une vie sociale ou de loisir très développée : ils n’en ont pas le temps. Wolff dit qu’il est très heureux quand il peut passer une journée avec ses jeunes enfants et s’offrir en famille un bon repas, avec de bons vins. Baumgart a tous ses amis « dans le vin » :

On est tous branchés vin. On va se retrouver une fois par mois, on déguste les vins. C’est de pire en pire : quand on ouvre une bouteille, on ouvre souvent une bouteille très chère quand on est ensemble. On a eu nos émotions, en fait, en termes de vin.

29Le manque de temps n’empêche pas plusieurs interviewés de s’engager pour des causes qui dépassent leurs stricts intérêts professionnels. Wetzel a occupé un mandat en tant que Vert au Conseil régional. Il s’est battu notamment pour le démantèlement de la centrale nucléaire de Fessenheim. Einholtz s’occupe d’une association qui collecte des fonds et soutient des projets de développement dans les pays du Sud. Schmitter nous explique qu’il participe à différents groupements :

Forcément, je fais partie de plein de choses ; il faut que tout bouge vers ce qu’on pense être positif, aller dans le bon sens.

30D’autres ont des hobbies qui ont rapport avec l’écologie, tel Hennert qui développe chez lui des systèmes de chauffage solaire et de biogaz. Il a également installé dans sa cour deux fours solaires :

On les utilise en été, à peu près de mars à novembre. On fait des gâteaux au soleil là. Et quand les gens voient une casserole au soleil, c’est rigolo et grâce à ça, on a déjà eu des contacts absolument magnifiques.

31Terminons par quelques observations plus isolées. Certains de nos interviewés ont des pratiques éducatives qui sont dans la droite ligne de leurs autres choix de vie. Ainsi, les trois enfants de Wetzel fréquentent (ou ont fréquenté) l’école Steiner :

Ce qui nous a frappés, c’est qu’à la sortie, ils s’intéressent beaucoup plus à leurs motivations personnelles, à ce qu’ils ont envie de réaliser, qu’à des facteurs extérieurs de réussite professionnelle, de convention sociale, de mode.

32Schmitter nous confie que la découverte de la biodynamie puis de l’an­throposophie l’a conduit au bouddhisme.

D. Les justifications

  • 6 À notre connaissance, aucune typologie disponible dans la littérature ne peut suffire à mener à bie (...)

33Jusqu’à présent, nous avons mis l’accent sur les comportements des viticulteurs alsaciens, sans toutefois être en mesure de séparer ceux-ci des raisons que nos interviewés avancent pour justifier ces comportements (en fait, les comportements et les justifications sont souvent livrés ensemble dans les entretiens). Il convient maintenant d’analyser plus en détail ces justifications6.

34Elles sont de quatre ordres. En premier lieu, nos interviewés expliquent qu’ils sont confrontés à des problèmes qui ont une dimension collective large, parfois planétaire : problèmes de santé publique, de dégradation de l’environnement, de domination et d’inégalités sociales. On peut parler ici de justification civique (Boltanski/Thévenot, 1991 :231-241) :

C’est vrai, quand on regarde l’ensemble, cette pollution, tout ça… Chaque minute qui passe, on alourdit le bilan. C’est clair que lorsque j’entends qu’un vigneron passe en bio, c’est super, quoi (Baumgart).

35Einholtz se réjouit d’avoir participé à des mouvements de jeunesse qui lui ont fourni,

[…] des clés d’analyse permettant de comprendre pourquoi il y a des injustices, pourquoi il y a des exploitations, comment fonctionnent les multinationales, et comment on peut faire pour s’en sortir, pour fonctionner autrement.

36C’est par rapport à ces enjeux collectifs que nos interviewés déclarent se mobiliser, plus que par rapport à leurs intérêts individuels, en particu­lier leurs intérêts matériels et financiers. Dans les entretiens, ils n’abor­dent guère, de manière spontanée, les questions de coûts ou de gains financiers. Et quand l’intervieweur pose explicitement la question de la rentabilité de la viticulture biologique, ils répondent, comme le fait Baumgart, en mettant en avant une conception large de la notion, qui inclut précisément cette dimension civique :

Rentabilité… si on met la qualité du sol, la vie du sol et tout ça dans la rentabilité, oui, voilà, on augmente la rentabilité.

37Cette justification civique apparaît comme une des raisons majeures du choix de produire en biologique. Elle motive aussi certaines pratiques de commercialisation, comme le fait de privilégier les circuits courts qui limitent les déplacements et leur coût écologique ; elle justifie aussi bon nombre de comportements privés (consommation biologique, médecines parallèles, etc.) et, bien entendu, elle est à la base des engagements sociaux de nos interviewés.

38Lorsqu’on écoute les viticulteurs expliquer la manière dont il convient de rencontrer les problèmes écologiques, un deuxième principe de justifi­cation apparaît : ils sont en faveur d’une activité humaine qui respecte la nature, qui évite qu’elle ne se dégrade. À la limite, la seule intervention recommandée est celle qui régénère, qui redynamise des processus natu­rels qui ont été altérés, celle qui, dans les termes de Schmitter, « favorise les processus du vivant ». C’est dans cette direction que s’engage Hennert lorsqu’il cherche à sortir de la monoculture pour rétablir un écosystème. Car, explique-t-il,

Dès qu’on intervient dans le système, en fait, on perturbe l’ensemble. Donc, plus on intervient, plus on doit intervenir.

39Cette manière de voir qui intègre, comme on peut le constater, les prin­cipes de la théorie des systèmes (Bertalanffy, 1973), est également parta­gée par Wolff, qui reconnaît que les méthodes chimiques apportent certes des réponses à beaucoup de difficultés, mais qui estime qu’en même temps, elles en recréent d’autres. La solution n’est donc pas dans les inter­ventions, mais dans « le retour à une normalité naturelle ». Tous ces propos rejoignent une conception holiste des rapports homme/nature (Dumont, 1977 :70) : l’homme étant conçu comme une partie du “tout” que consti­tue la nature, plutôt que comme étant en dehors d’elle, désireux de la dominer et de la posséder.

40Troisième justification : nos interviewés mettent en avant les thèmes de la « spécificité », de la « personnalité », ou encore de l’« identité » et s’oppo­sent à ce qui va dans le sens de la « standardisation ». Ces critères sont appliqués tout d’abord à la production du vin :

L’objectif n’est pas de faire un vin qui ressemble aux autres, c’est de faire un vin qui soit original et vraiment qu’il n’y ait que nous qui fassions ce vin-là. C’est ça, c’est une identité. Et quand on a une identité, on ne plaît pas à tout le monde forcément. Et ça, c’est l’in­verse de l’industrialisation où on veut plaire à tout le monde (Baumgart).

41Baumgart insiste également sur le lien entre l’identité du vin et l’identité du lieu :

Regardez autour de vous, vous avez un paysage qui est unique et donc on veut essayer de faire un vin qui ait le goût du lieu.

42Pour y arriver, il faut une manière de produire qui,

[…] mette la vigne en relation avec son terroir. Et la bio est le meilleur moyen parce qu’on va plonger les racines dans le sol et retrouver cette relation de la vigne avec le sol (Wolff).

43Au-delà du terroir, le vin révèle la philosophie du producteur et in fine, sa “personnalité” propre. Convenons de parler, pour cette troisième justi­fication, de principe identitaire, en notant qu’il s’agit surtout de souligner en quoi l’identité (de tel vin, de tel terroir, de la personne elle-même) se différencie d’autres identités ; nous reviendrons plus loin sur ce thème, en montrant que l’identité implique aussi l’appartenance et l’identification à certains groupes et donc une certaine conformité avec d’autres (Tap, 1988).

44Quatrième justification : nos interviewés mettent en avant les compo­santes sensorielles et émotives de leurs comportements. Dans leurs activi­tés productives, ils mobilisent les sens que sont la vue et le goût. La vue lorsqu’ils observent l’évolution du sol, la croissance des vignes ; le goût lorsqu’ils suivent l’évolution du vin en cave. Ce sont ces expériences sen­sorielles qui leur permettent notamment de mesurer les effets du recours à la biodynamie, car, affirment-ils, ils n’adoptent celle-ci que si elle montre son efficacité. La composante émotive est très présente dans leurs rapports avec le produit, avec leurs collègues, avec leurs clients. Un inter­viewé parlait plus haut des émotions que lui procurait la rencontre avec des amis autour d’un très bon vin. Et à l’occasion d’une dégustation au cours d’un entretien, un des intervieweurs demande à son interlocuteur de quel vin il s’agit ; celui-ci précise qu’il s’agit d’un Gewurztraminer, mais il ajoute :

J’aime bien faire goûter sans dire aux gens ce que c’est ; la dégus­tation du vin devrait être une rencontre d’abord émotionnelle, puis intellectuelle seulement dans un second temps (Wetzel).

45Quatre principes (civique, holiste, identitaire et sensoriel/émotionnel) à partir desquels se justifient les comportements professionnels et privés ; quatre principes aussi qui guident les appréciations tantôt positives, tantôt négatives, que nos interviewés émettent par rapport à certaines réalités, par rapport à certains objets. Ainsi, sont connotés positivement le vin de qualité, bien sûr, mais aussi le terroir, le village, l’appareil de chauffage solaire, etc. Sont porteurs, à l’inverse, de connotations négatives, le coca-cola, les médicaments allopathiques, les désherbants, les insecticides, etc.

IV. Le degré de cohérence des comportements

46Cet article, rappelons-le, trouve son origine dans une impression res­sentie lors de la conduite des entretiens : les comportements dont nous faisaient part les viticulteurs alsaciens nous semblaient présenter un haut niveau de cohérence. C’est cette impression qu’il s’agit à présent de vali­der, éventuellement de nuancer…

47Nous le ferons en tentant de répondre brièvement à deux questions. En nous situant d’abord au niveau factuel, nous nous demanderons dans quelle mesure les comportements dont nous parlent les interviewés s’écartent ou non des principes justificateurs. En nous plaçant ensuite davantage au niveau des justifications elles-mêmes, nous nous deman­derons si celles-ci sont cohérentes les unes avec les autres.

48Au niveau factuel, les interviews font apparaître un certain nombre d’écarts par rapport aux principes justificateurs. Ainsi, plusieurs viticul­teurs nous informent qu’il leur arrive de consommer, à titre privé, des pro­duits non biologiques ; ils regrettent aussi de devoir vendre une partie de leur production sur des marchés lointains, dont le Japon. Ils nous expli­quent encore que leurs intérêts individuels peuvent à certains moments refaire surface, par exemple quand il s’agit d’éviter qu’un confrère ne leur prenne un marché. Ces écarts, on en conviendra, sont relativement réduits. Beaucoup plus, en tout cas, que ceux qu’on observe dans les autres sous-échantillons de la recherche.

  • 7 On pourrait se demander si la cohérence observée dans notre échantillon n’est pas la simple résulta (...)

49Prenons, à titre de comparaison, notre sous-échantillon d’arboriculteurs du Nord-Pas de Calais, qui est de même taille et a été sélectionné suivant les mêmes critères (pour rappel, la taille de l’exploitation et la date d’en­trée dans l’agriculture biologique). On y observe des écarts beaucoup plus considérables par rapport aux principes décrits ci-dessus7. Prenons deux exemples. Un de nos interviewés est passé à la biologie, il y a quelques années, pour ce qui concerne son activité fruitière (vente de pommes, fabrication et vente de cidre) ; pour ce qui concerne sa production laitière, par contre, il est resté en conventionnel et n’envisage pas de changer. Un autre interviewé commercialise ses produits biologiques (cidre, prépa­rations de légumes, de potages, etc.) dans les grandes surfaces. Il ouvre par ailleurs ses installations pour des visites d’écoles. Il nous explique que celles-ci sont pour lui doublement rentables : d’abord, elles sont payantes ; ensuite, elles lui offrent l’occasion de faire la promotion de ses produits, puisqu’il remet aux enfants (qui la transmettront à leurs parents) une documentation présentant ceux-ci ainsi que les surfaces de vente où l’on peut se les procurer. Dans le second exemple, on voit clairement les questions de rentabilité prendre le pas sur les raisons civiques et, dans le premier exemple, c’est bien le principe holiste de respect des processus naturels qui est fortement mis à mal.

50Si l’on se situe à présent au niveau des justifications, le constat va dans le même sens : les principes sont étroitement liés les uns aux autres dans les propos de nos interviewés. C’est le cas pour les principes holiste et identitaire : c’est en n’intervenant pas, nous explique en substance Baum­gart (principe holiste), que l’on obtient le vin qui a le plus de personnalité (principe identitaire). C’est encore le cas pour les principes senso­riel/émotionnel et identitaire : le même Baumgart nous parle du « plaisir » (principe sensoriel/émotionnel) que trouvent les clients « avec un vin qui a une spécificité, une originalité » (principe identitaire). C’est enfin le cas pour les principes holiste et civique. Ici, le lien s’établit de deux manières : tout d’abord, le fait de ne pas intervenir (principe holiste) limite les problèmes écologiques (principe civique) ; ensuite, une activité respectueuse de la nature (principe holiste) permet aux viticulteurs d’échapper à la domination qu’exercent sur eux les grandes firmes phyto­sanitaires (principe civique).

V. Les explications de la cohérence

51Comment rendre compte de la forte cohérence observée dans notre échantillon de viticulteurs alsaciens ? Notre première hypothèse est qu’elle est construite par le discours des interviewés, dans le cadre de la situation d’entretien. Elle est donc en partie factice. Plus précisément, elle ne correspond pas à la réalité des faits, tels qu’ils apparaîtraient si on uti­lisait d’autres méthodes de collecte de données, par exemple des méthodes ethnographiques.

A. La cohérence construite dans le cadre des entretiens

52Plusieurs travaux théoriques soutiennent cette première hypothèse. Ainsi, Erving Goffman montre que les individus en interaction tentent généralement de contrôler les impressions qu’ils font sur leurs parte­naires, en vue de livrer une image idéalisée et cohérente d’eux-mêmes (Goffman, 1973 :40-60). Anthony Giddens suggère que l’individu con­temporain construit son identité personnelle en produisant des récits (narratives) par lesquels il établit une continuité entre les divers épisodes de son existence (Giddens, 1991 :76).

53Il est probable que cette hypothèse se vérifie dans le cas de notre recherche. C’est en effet au travers des discours tenus par les interviewés lors des entretiens que nous appréhendons leurs comportements. Comme on l’a indiqué plus haut, d’autres méthodes de collecte de données n’in­terviennent que de manière très secondaire dans notre recherche. Or il est probable que les propos de nos interviewés exagèrent la cohérence de ces comportements. Limitons-nous à un exemple qui se rattache plus parti­culièrement à l’hypothèse de Giddens. Nous avons évoqué plus haut les propos de Baumgart concernant sa mère qui lui administrait des soins homéopathiques à l’insu du médecin de famille. Ce récit intervient dès les premières minutes de l’entretien. Par ailleurs, il est raconté avec force détail : on apprend par exemple que le médecin de famille, « très carré », vérifiait le flacon d’antibiotiques pour s’assurer que la mère avait bien administré le médicament, tandis que celle-ci retirait chaque jour les médicaments qui devaient être administrés, etc.

  • 8 Il est possible que certains interviewés aient perçu que les chercheurs partageaient un certain nom (...)

54Cet épisode et bien d’autres faits cités dans les entretiens sont vraisem­blablement mis en exergue par nos interviewés, dans la mesure où ils font partie intégrante du récit constitutif de leur identité (l’hypothèse proposée par Giddens) et/ou dans la mesure où ils participent à l’image idéalisée8 qu’ils veulent donner d’eux-mêmes (l’hypothèse de Goffman).

55Cette explication ne peut toutefois, à elle seule, rendre compte de la forte cohérence, et donc aussi de l’homogénéité des comportements des viticulteurs interviewés. En particulier, on ne peut pas lui attribuer la dif­férence observée, de ce point de vue, entre le sous-échantillon des viti­culteurs, et les autres sous-échantillons de la recherche. Il s’agit donc à présent de rendre compte de cette part inexpliquée. Nous le ferons à partir d’une série d’hypothèses portant sur la socialisation des viticulteurs alsaciens.

B. Deux facteurs spécifiques de socialisation

56Deux facteurs spécifiques interviennent dans le cadre de celle-ci. Le premier a déjà été évoqué plus haut : c’est l’importance des formations, de la vie associative, des échanges informels, bref de la communauté de pra­tiques. Celle-ci fait partie intégrante du métier, estime Wolff :

[dans la bio] c’est quand même quelque chose d’assez important le côté social, le côté échange […]. Fatalement, il y aura plus de contact que dans le chimique où on attend toujours que ça vienne de l’État ou des grandes instances, et où le vigneron est plus individualiste.

57Le second facteur est la référence que nos interviewés, dans leur grande majorité, font à la biodynamie et à l’anthroposophie. Contrairement à la simple viticulture biologique, qui implique que l’on évite d’utiliser certains produits (engrais chimiques, désherbants), la biodynamie comporte en plus une « philosophie » (Wolff) qui concerne d’autres comportements que les stricts comportements professionnels.

58Comment peut-on comprendre les liens qui unissent d’un côté ces deux facteurs de socialisation et de l’autre, la cohérence et l’homogénéité des pratiques décrites précédemment ? Plusieurs mécanismes sont à l’œuvre ici ; plus précisément, un mécanisme de nature psychologique et deux mécanismes de nature plus sociologique.

C. Le mécanisme psychologique : les tensions identitaires

59Le mécanisme psychologique a rapport à nouveau avec la question de l’identité, que nous avons déjà rencontrée plus haut dans le discours de nos interviewés. Elle était liée, rappelons-nous, au thème de la différen­ciation. Mais les auteurs observent que l’identité se construit également en se conformant, en s’identifiant à d’autres (Tap, 1988). Différenciation et conformité peuvent ainsi être considérées comme deux pôles à la fois opposés et complémentaires. Or ce thème de la conformité, de l’identifi­cation, s’observe également dans notre matériau. Nos interviewés mettent en avant des idéaux, des exigences (dans leurs termes à eux, une « philo­sophie », des « convictions ») que nous avons caractérisés par les quatre principes énoncés plus haut (proches de ceux mis en avant par les autres viticulteurs qu’ils fréquentent dans le cadre des formations, des associa­tions, des échanges informels). En poursuivant des idéaux/exigences que l’on a décrits, ils se conforment donc aux idéaux/exigences qu’ils perçoi­vent chez leurs proches.

60La plupart du temps, nos interviewés se comportent en concordance avec cet idéal, avec ces exigences. Cela leur procure un sentiment positif, de bien-être : « on est bien dans nos baskets » à faire du bio, nous explique par exemple Wolff, une expression qui est également reprise par Baum­gart. Mais si d’aventure les comportements contredisent l’idéal ou les exi­gences (ce que nous avons appelé plus haut les “écarts”), il se produit ce que certains psychologues appellent des « tensions identitaires » (Higgins, 1987 ; Bourgeois, 2005) qui sont accompagnées de sentiments négatifs tels que la tristesse, la culpabilité, etc. : « on ne se sent pas bien » nous dit Wolff, tandis que Schmitter nous parlait plus haut de la « bêtise » qu’il avait l’impression de faire chaque année lorsqu’il désherbait chimi­quement sa vigne.

61Lorsqu’une tension de ce type se produit, elle peut conduire la per­sonne à adopter un comportement plus cohérent avec l’idéal ou avec les exigences qu’il se fixe, un comportement qui va contribuer à réduire la tension et, avec elle, les sentiments négatifs qui y sont associés. Hennert nous livre une illustration de ce mécanisme. Il explique son malaise de devoir expédier son vin à Paris : les transports lui semblent incompatibles avec ce qu’il appelle « la théorie ». Pour réduire cette tension, il a déve­loppé un système de production d’énergie solaire qui répond à une grande partie de ses besoins domestiques ; cela lui permet, explique-t-il, de com­penser le transport de son vin. Cet exemple est intéressant, entre autres choses, parce qu’il montre que c’est bien un comportement “privé” (l’ins­tallation d’un système de chauffage solaire au domicile) qui vient réduire la tension introduite par un comportement “professionnel” (le transport du vin). Les deux types de comportements sont donc bien mis sur le même pied dans la recherche de cohérence qui anime notre interviewé.

62Résumons-nous. Avec la problématique des tensions identitaires, nous avons repéré un premier mécanisme qui explique la cohérence des prati­ques observées auprès des viticulteurs interviewés. En effet, cette théorie montre comment des comportements qui s’écartent des idéaux ou des exi­gences portés par la personne et par ses proches produisent des tensions qui en retour, provoquent des comportements qui restaurent la cohérence.

D. Les deux mécanismes sociologiques : les contrôles et la hiérarchie du champ

63Passons à la description des mécanismes sociologiques. Le premier d’entre eux a trait aux contrôles. Nos interviewés nous parlent abondam­ment des multiples contrôles dont ils sont l’objet de la part des orga­nismes certificateurs ; ils y sont généralement favorables, puisque ceux-ci contribuent au maintien de la qualité du vin. Toutefois, ils les trouvent en partie inefficaces, et donc insuffisants :

Ils regardent votre comptabilité ; mais vous sortez votre facture de désherbant, vous le faites acheter par un collègue (Baumgart).

64Les contrôles exercés par les pairs sont jugés bien plus efficaces :

Vous savez, le meilleur contrôle, c’est le viticulteur qui regarde ce que fait son voisin. C’est totalement informel, ça ne coûte rien, et c’est d’une efficacité redoutable (Einholtz).

65Ceci implique toutefois que les viticulteurs acceptent de subir le regard des autres et, plus concrètement, qu’ils participent à des formations, qu’ils soient membres d’associations, etc. Telle est la voie préconisée notam­ment par Wolff :

Le gars qui est en bio dans son coin et qui n’est pas du tout en rela­tion sociale avec le reste, il peut vivre comme il veut, parce que per­sonne ne le connaît. Il serait intéressant qu’obligatoirement, il fasse partie de formations. Fatalement alors, un jour ou l’autre, il y a un vigneron qui va aller dans sa cour, qui va voir une charrue, des bidons de produits traîner. C’est une forme de contrôle.

66Et là encore, tout n’est pas gagné d’avance. Des comportements déviants restent possibles, en particulier lors de la vinification, puisque celle-ci ne fait pas, comme telle, l’objet de contrôles (rappelons que les contrôles officiels concernent uniquement la culture du raisin, pas le travail en cave) :

On peut se dire que la majorité des vignerons qui sont sensibles à ce qu’ils mettent dans leurs vignes ne vont pas mettre non plus un tas de saloperies en cave. Mais il n’y a rien de garanti (Wolff).

67Selon Wetzel, la seule garantie est,

L’engagement moral du viticulteur vis-à-vis du groupe, parce que c’est un patrimoine commun, la biodynamie.

68On retrouve donc ici la nécessaire complémentarité entre les deux facteurs (communauté des pairs et adhésion à la philosophie biody­namique) pour assurer la cohérence des comportements.

69À côté des contrôles, formels et surtout informels, coexiste proba­blement un second mécanisme sociologique, toutefois plus difficile à repérer dans notre matériau. Nous devons donc nous limiter ici à formuler des hypothèses que nous ne pourrons valider que très partiellement.

70Nous avons jusqu’à présent traité (abondamment) de la cohérence des comportements de nos interviewés, sans nous interroger sur la manière dont eux-mêmes parlent de cette cohérence. Or ils s’y réfèrent effective­ment dans leurs propos et lui donnent une signification positive. Nous venons de rappeler les propos de Wolff concernant cette « philosophie » qu’il partage avec d’autres et qui a des implications dans différents domaines. Soyons surtout attentifs à l’extrait suivant, où un autre inter­viewé, Schmitter, nous dit toute l’admiration qu’il a pour un de ses collè­gues, Wetzel, dont la démarche lui semble très « complète » :

C’est quelqu’un que j’admire. Pour moi, c’est un exemple. C’est quelqu’un qui a vraiment une démarche complète au niveau de la façon de penser, au niveau de l’engagement dans le monde qui l’entoure.

  • 9 Il est possible que cette recherche de légitimité, ou, en reprenant une métaphore utilisée volontie (...)

71Ces extraits d’entretiens nous semblent pouvoir être mis en rapport avec les notions de champ et de capital, telles qu’elles sont présentées par Pierre Bourdieu (Bourdieu, 1979, 1980, 1984). Selon le sociologue, un champ est un espace où se rencontrent des acteurs qui poursuivent un enjeu commun. C’est ainsi qu’il étudie le champ artistique, le champ reli­gieux, celui de l’Université, ou encore celui de la haute couture. À l’inté­rieur d’un champ, les individus se hiérarchisent en fonction de plusieurs capitaux. Par exemple, dans le cadre de l’Université, un des capitaux est la compétence scientifique telle qu’elle se mesure par les publications, les participations à des congrès scientifiques, etc. Le capital, explique Bour­dieu, est à la fois ce que les personnes recherchent et ce sur quoi elles misent pour accroître leur légitimité ; c’est à la fois une fin et un moyen. Nous n’avons certes pas la possibilité de procéder ici à une analyse du champ de la viticulture biologique, mais nous pouvons formuler l’hypo­thèse qu’un des capitaux de ce champ pourrait bien être la cohérence que les acteurs parviennent à établir entre leurs diverses pratiques profession­nelles et privées. Comme on le voit dans l’extrait de Schmitter, ceux qui sont les plus cohérents (dans les termes de notre interviewé, ceux qui ont « la démarche [la plus] complète ») semblent également être ceux dont la légitimité est la plus forte et qui sont les plus haut placés dans la hiérar­chie du champ9.

E. Une socialisation puissante et uniforme

72Ainsi, deux mécanismes sociologiques viennent compléter les tensions identitaires pour assurer la cohérence et l’homogénéité des pratiques. D’une part, le recours aux contrôles, largement documenté par nos don­nées. D’autres part, à titre d’hypothèse, la hiérarchie de légitimité qui s’opère entre viticulteurs, en raison précisément de leur cohérence, celle-ci constituant un des capitaux du champ des viticulteurs biologiques.

73Nous pouvons revenir à présent à nos propos introductifs où il était question de l’expérience éclatée de l’individu contemporain. Selon plu­sieurs auteurs, relevions-nous, cet individu fait l’objet de socialisations diverses, opérées par différentes institutions (la famille, les institutions de formation, les instances qui organisent la consommation, le milieu de tra­vail, etc.) qui, loin de lui prescrire des rôles définis, exercent sur lui des influences plus disparates et plus diffuses. Bref, on peut parler de diversi­fication et de relâchement des dispositifs d’intégration. Or les analyses présentées dans cet article (analyses qu’il conviendrait de valider à partir de données plus étendues et plus diversifiées) tendent à infirmer cette thèse de l’éclatement ; elles font en effet apparaître, chez les viticulteurs alsaciens que nous avons interviewés, des expériences étonnamment cohérentes et homogènes.

74On peut rappeler les raisons (sans doute très particulières) de cette cohérence et de cette homogénéité. D’une part, on n’observe pas, dans le matériau limité que nous avons collecté, ce relâchement de l’intégration prédit par la théorie. Bien au contraire, chez nos interviewés, la socialisa­tion s’opère de manière relativement puissante. Elle met en jeu des fac­teurs relationnels (les échanges informels entre pairs), organisationnels (les formations, les associations), autant qu’idéologiques (l’anthropo­sophie). Elle combine différents mécanismes, psychologiques et sociolo­giques, qui mobilisent des sentiments variés (plaisir, tristesse, satisfac­tion, honte, etc.). D’autre part, on n’observe pas non plus cette multipli­cité d’instances prédite également par la théorie. Une seule instance de socialisation domine dans notre échantillon de viticulteurs biologiques : celle qui est constituée par la communauté des pairs, telle qu’elle est ins­pirée principalement par la biodynamie et l’anthroposophie. Et nos données font apparaître également comment cette instance de sociali­sation préserve, protège nos interviewés d’autres influences émanant d’instances concurrentes. Parmi ces dernières, la principale est proba­blement l’organisation de la production et de la commercialisation conventionnelle du vin, mais on peut citer aussi la médecine tradition­nelle, la consommation de masse, etc., autant de pratiques portées par des instances par rapport aux­quelles nos interviewés restent largement à l’écart. Limitons-nous à un seul exemple, en rappelant le commentaire de Einholtz concernant les gaspillages dans le domaine de la médecine : les dépenses seraient bien plus réduites, nous explique-t-il « si on prenait le problème à la racine ». Ce commentaire illustre, dans le propos de notre interviewé, comment il se préserve de l’influence que peuvent avoir sur lui les instances médi­cales, pharmaceutiques, etc., en mettant en avant le principe holiste de non-intervention, principe qu’il a intégré du fait de l’influence dominante de la communauté des pairs et de l’anthroposophie.

VI. Conclusion

75Cette contribution s’est interrogée sur la forte cohérence présente dans les comportements d’un petit échantillon de six viticulteurs biologiques alsaciens : comportements tant professionnels (intervenant dans la pro­duction et la commercialisation du vin) que privés (en rapport avec la santé, la consommation, etc.). Cette cohérence va à l’encontre de l’hypo­thèse mise en avant par plusieurs sociologues, selon laquelle l’individu contemporain est un être pluriel, éclaté.

76L’analyse a consisté d’abord à identifier les comportements caractéris­tiques des viticulteurs biologiques interviewés ainsi que les quatre princi­pes à partir desquels ils justifient ces comportements : le principe civique, qui met en avant la dimension collective des problèmes auxquels les per­sonnes sont confrontées ; le principe holiste, qui prône le respect de la nature ; un principe qui souligne l’importance de l’identité (du vin, du ter­roir sur lequel il est cultivé, etc.) ; enfin, un principe que l’on peut quali­fier de sensoriel/émotionnel, qui accorde de l’importance aux sens dans l’exercice du métier et qui confère de la valeur aux émotions. On a ensuite apprécié la cohérence des comportements en montrant que, dans les limi­tes de l’échantillon analysé, les écarts par rapport aux principes sont rela­tivement réduits et que les principes eux-mêmes sont étroitement articulés les uns aux autres. On s’est alors demandé ce qui pouvait rendre compte de cette cohérence élevée. Deux hypothèses ont été retenues. La première suggère que la cohérence est construite par le discours des interviewés, dans leur interaction avec les enquêteurs. La seconde met l’accent sur les particularités de la socialisation que connaissent les viticulteurs biologi­ques. Elle souligne notamment la présence de plusieurs mécanismes. Le premier est d’ordre psychologique : les tensions identitaires que les inter­viewés vivent lorsqu’ils adoptent des comportements qui s’écartent des principes qu’on a identifiés. Les deux autres sont de nature sociologique : les contrôles, formels et surtout informels que les producteurs exercent les uns sur les autres ; la hiérarchie qui s’instaure entre producteurs dans le champ de la viticulture biologique en raison précisément de la plus ou moins forte cohérence de leurs comportements, cette dernière intervenant donc, à titre d’hypothèse, comme capital du champ. Ces trois mécanismes combinent leurs effets pour produire une socialisation puissante et unifor­me qui fait des viticulteurs biologiques interviewés dans le cadre de cette recherche des individus beaucoup plus intégrés que ce que prédisent les théories sociologiques évoquées.

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Notes

1 Pour le vignoble alsacien, nous renvoyons à Delpal J.-L., 2004 ; France B., Berger J.-L., Combaz A., 2008 et Muller C., 1999.

2 Voir Bouvier M., 2007 ; Joly N., 2007 et Koepf H., Schaumann W., Haccius M., 2001. Pour une présentation de la General Anthroposophical Society : http://www.goetheanum.org/336.html?L=1

3 Notons toutefois que nous avons essuyé plusieurs refus de la part de responsables de grosses exploita­tions et que, en conséquence, notre échantillon se limite aux entreprises petites et moyennes.

4 Ainsi, d’un point de vue psychologique, nous cherchons à comprendre comment s’opère le passage de l’agriculture conventionnelle (ou d’une autre activité professionnelle) vers l’agriculture bio, à partir des histoires de vie de ces personnes. D’un point de vue économique, nous nous intéressons aux différentes manières selon lesquelles les agriculteurs bio assurent la fonction d’entrepreneur. D’un point de vue sociologique, nous tentons de comprendre qui assure la transmission du patrimoine, des compétences nécessaires à l’exercice du métier ; nous cherchons également à comprendre les formes d’action collective que les agriculteurs bio mettent en place, etc. (confer notamment : Van Dam D., 2005 ; Van Dam D., 2007 ; Nizet J., Van Dam D., Dejardin M., 2008 ; d’autres articles sont en préparation, ainsi qu’un ouvrage).

5 L’analyse des transmissions (par la famille, par les pairs, etc.) qui sont à l’œuvre chez les viticulteurs alsaciens a fait l’objet d’une autre contribution de la part des mêmes auteurs (Nizet J., Van Dam D., Dejardin M., 2008).

6 À notre connaissance, aucune typologie disponible dans la littérature ne peut suffire à mener à bien cette analyse ; nous devons donc nous limiter à faire des liens ad hoc avec plusieurs cadres théoriques existants. Pour le reste, nous adoptons une posture essentiellement inductive, prônée par Luc Boltanski en référence à Paul Ricoeur (Boltanski L. et al., 2006), qui consiste à expliciter le sens que les per­sonnes donnent à leurs actions, plutôt que de tenter de dévoiler des significations qui échapperaient aux acteurs et auxquelles le sociologue serait le seul à avoir accès.

7 On pourrait se demander si la cohérence observée dans notre échantillon n’est pas la simple résultante du fait qu’il porte sur un groupe professionnel relativement spécifique ; autrement dit, la cohérence serait fonction inverse du degré d’agrégation de l’échantillon. La comparaison à laquelle nous procédons ici permet d’écarter cette hypothèse puisqu’elle montre que la cohérence varie très sensiblement entre les différents sous-échantillons, alors qu’ils présentent le même degré d’agrégation. Au-delà de cette compa­raison avec d’autres producteurs bios, il serait intéressant de comparer notre échantillon avec d’autres groupes professionnels ; nous faisons l’hypothèse que les différences seraient, a fortiori, bien plus importantes encore, autrement dit, que notre échantillon de viticulteurs bios présente un degré de cohé­rence entre les divers comportements tant professionnels que privés, beaucoup plus élevé que la plupart des autres groupes professionnels.

8 Il est possible que certains interviewés aient perçu que les chercheurs partageaient un certain nombre de leurs principes justificateurs et que ceci les ait stimulés davantage encore à mettre en avant la cohé­rence de leurs comportements.

9 Il est possible que cette recherche de légitimité, ou, en reprenant une métaphore utilisée volontiers par Bourdieu, cette « course » à la légitimité, soit d’autant plus intense que la production du vin (biologique) est elle-même une activité comportant une certaine “noblesse”, une certaine légitimité. Si l’on revient à la comparaison faite plus haut entre viticulteurs et arboriculteurs biologiques, il est possible que ce mécanisme sociologique joue davantage chez les premiers que chez les seconds, dont l’activité est moins noble. Cette différence de noblesse entre les deux métiers explique peut-être une partie des différences de cohérence entre les différents sous-échantillons de notre recherche.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean Nizet, Denise Van Dam et Marcus Dejardin, « La cohérence des comportements professionnels et privés chez les viticulteurs biologiques alsaciens », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 39-2 | 2008, mis en ligne le 18 juillet 2012, consulté le 06 mars 2014. URL : http://rsa.revues.org/346

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Auteurs

Jean Nizet

FUNDP-UCL

Marcus Dejardin

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Denise Van Dam

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