It is the cache of ${baseHref}. It is a snapshot of the page. The current page could have changed in the meantime.
Tip: To quickly find your search term on this page, press Ctrl+F or ⌘-F (Mac) and use the find bar.

L’installation de la Finance en France.
Navigation – Plan du site
Dossier : Normes et institutions de la finance

L’installation de la Finance en France.

Genèse, Formes spécifiques et Impacts sur l’Industrie
Benjamin Coriat

Résumés

L’article s’attache à reconstituer les conditions dans lesquelles le pouvoir de la Finance s’est installé en France et à repérer ses impacts sur le comportement des entreprises, plus généralement sur le type d’organisation industrielle qui caractérisait l’économie française à l’époque du fordisme. La thèse centrale défendue est qu’à travers les privatisations et l’installation des nouvelles et multiples régulations et règlementations qui ont permis l’installation du pouvoir de la finance, l’économie française a perdu son mode central de coordination des agents. Celui-ci qui traditionnellement se faisait à partir d’un large parc industriel et financier public servant de support à une politique industrielle centrée sur les le lancement régulier de « grands projets », a aujourd’hui perdu ses conditions de possibilité.

Haut de page

Notes de la rédaction

Une version antérieure de ce texte a été publiée dans un ouvrage en langue anglaise (cf. Coriat B., Petit P., Schmeder G, 2006, chapitre 3). La présente version largement remaniée, précise, actualise et étend, sur une série de points essentiels, l’analyse initialement proposée. Je remercie les deux reviewers anonymes, ainsi que Christopher Lantenois, qui à m’a assisté dans la collecte de données sur certaines dimensions de la financiarisation des firmes françaises.

Historique

JEL classification : L1, G01, G3

Texte intégral

  • 1  Les deux caractérisations “ à dominante financière ” et “ patrimonial ” ne sont évidemment pas équi (...)

1À l’entrée de la décennie 1990, l’un de ses traits centraux du capitalisme français tenait dans le fait que le fordisme, régime historique sur lequel la France à la suite des États-Unis avait construit sa croissance, se présentait comme à la fois “ brisé ” dans ce qui avait constitué ses ressorts dynamiques et “ sans successeur ” (Coriat, 1995). À l’entrée des années 2000, il était déjà patent que  cette évaluation devait être modifiée. Sous la forme de ce qui a été caractérisé comme un mode d’accumulation à dominante financière Chesnais (1996) ou régime d’accumulation « patrimonial » (Aglietta, 1998 ; Aglietta et Rebérioux, 2004)1, un successeur potentiel était bien en cours d’installation. Et si aujourd’hui plus que jamais, rien ne permet de discerner l’existence d’un « régime d’accumulation » doté de ses propres cercles vertueux, bien des arguments peuvent être proposés pour établir pourquoi et comment la finance est devenue en, France aussi, l’opérateur clé des transformations, la forme sociale par laquelle s’exerce la dominance sur les autres formes et qui dicte le sens changement.

  • 2  L’importance du secteur public bancaire et industriel, la puissance de l’intervention publique, le (...)
  • 3  D’une certaine manière il s’agit pour l’auteur de cet article, à quelques 15 ans de distance, de dé (...)

2L’objet de cet article est de donner corps à cette hypothèse en présentant certains des changements majeurs qu’a connus l’économie française au cours de deux dernières décennies. L’accent est porté sur deux séries de modifications clés, largement conjointes. L’une concerne la modification dans la structure de la propriété du capital qui a affecté l’économie française du fait notamment des privatisations massives qu’elle a connues ; les modifications des rapports de force entre acteurs (notamment entre managers, actionnaires, banquiers)  résultant de cette mutation sont aussi présentées. L’autre a trait à l’impact de ces modifications sur l’Organisation Industrielle à la Française. Celle-ci, jusqu’il y a peu, fortement spécifique2, constituait un « modèle français » nettement identifiable, et que nous avons amplement décrit par exemple dans Made in France (Taddei et Coriat, 1993), revêt aujourd’hui des caractères tout à fait inédits3.

  • 4  À dessein c’est sur les modifications initiales que l’accent est porté. C’est sur l’analyse des con (...)

3Comment l’installation du pouvoir de la finance s’est-il, en France, accompli ? Par quels chemins et médiations cette installation  a-t-elle procédé ? ; par quelles voies et moyens la finance exerce-t-elle son influence ? : telles sont les questions auxquelles cet article entend commencer à répondre. Après avoir porté l’accent sur les formes spécifiques qu’a pris en France, l’installation pouvoir de la finance (section 1), l’attention est portée sur la manière dont cette installation de la finance bouleverse et se soumet certaines des formes sociales essentielles qui soutiennent l’accumulation : celles qui tournent autour de l’organisation industrielle (section 2)4. Certaines conclusions seront alors proposées (section 3).

1. L’installation du pouvoir de la finance : privatisations, “ titrisation ” et montée du rôle des investisseurs institutionnels

  • 5  Pour le cas des États-Unis, l’ouvrage coordonné par F. Chesnais (1996) présente une chronologie et (...)

4En France, c’est à travers un processus largement spécifique que la finance a installé son pouvoir. Les mutations ne sont pas, comme aux États-Unis, nées et formées d’abord dans la sphère financière5. Venu des États-Unis, largement relayé par les régulations imposées par l’Union européenne, le pouvoir de la finance ne s’est affirmé en France qu’au travers d’un processus particulier ; celui des privatisations massives qu’a connu ce pays depuis 1986. Nous précisons ces points avant de proposer quelques réflexions sur la signification plus profonde de la transformation qui s’est opérée.

1.1. Les vecteurs clés de la transformation

5À l’origine de la mutation à laquelle on a assisté, c’est une série de phénomènes conjoints qu’il faut convoquer. En première approximation on peut distinguer : i) un élément “ externe ” : l’Acte Unique et la mise en place de l’Europe financière et monétaire – laquelle, nous y reviendrons s’effectue sous un régime fortement spécifique ; ii) un élément plus “ interne ” : l’ampleur comme le contenu qu’a revêtu en France le processus de privatisation, des entreprises, avec notamment à partir du milieu de la décennie 1990, le “ débouclage ” des “ noyaux durs ” et l’entrée en masse des fonds de pension anglo-saxons dans la structure du capital des plus grandes entreprises françaises.

  • 6  Rappelons que les “ quatre libertés ” visées par l’Acte Unique sont : la liberté de circulation des (...)
  • 7  Dans le prolongement des mutations introduites par l’Acte Unique, un moment décisif de l’installati (...)

6Si l’on peut parler de conditions “ externes ”, c’est pour indiquer que l’installation d’un mode d’accumulation à dominante financière n’a pas été d’abord, de beaucoup s’en faut, le fruit d’un choix et d’une délibération “ nationale ”. Ce mode d’accumulation venu des États-Unis, s’est imposé en France “ en force ” et par contagion. Un moment clé de cette pénétration a certainement été constitué par l’adoption de l’Acte Unique européen de 1986, et les dispositions nouvelles par lesquelles il s’est traduit, notamment en ce qui concerne les « quatre libertés »6, avant de se prolonger par une multitude de directives et règlements visant à promouvoir un grand marché européen unifié de la monnaie et de la finance7. On a sans doute insuffisamment perçu à l’époque, i) à quel point l’Acte Unique était d’abord et avant tout un Acte Financier, ii) la puissance et l’ampleur des modifications dont en Europe il a assuré la pénétration et l’installation, en ouvrant à la finance des domaines d’actions démultipliés.

  • 8  Cet épisode est fortement documenté dans l’étude de cas “ US against Europe ” proposé dans Bayard e (...)

7Sur le premier point, il faut rappeler que, le temps passant, il est devenu clair que la liberté de circulation des capitaux – de loin celle des “ quatre libertés ” qui avait le moins progressé depuis le Traité de Rome  – était l’objectif primordial poursuivi par l’Acte Unique. Et que les modalités d’application qui furent retenues ne pouvaient qu’avoir des effets profonds et durables Il faut en effet bien mesurer que la forme prise par la déréglementation financière en Europe, ne s’est nullement imposée d’elle-même, comme une évidence. Il y eût non une directive européenne, mais deux directives de la Commission concernant les modalités de l’ouverture à la concurrence des services bancaires et financiers. Entre la première et la deuxième a pris place un intense marchandage et lobbying, dont l’enjeu clairement identifié par les protagonistes ne tenait finalement à rien moins que ceci : l’Europe financière se constituerait-elle sur un mode “ restreint ” ou sur un mode “ élargi”, avec ou non-liberté donnée aux banques et aux institutions financières non-bancaires étrangères installées sur le territoire européen d’opérer sur le marché des titres. En d’autres termes, la question débattue tournait notamment autour de la question d’ouvrir (ou non) aux fonds de pension et autres fonds d’investissement anglo-américains l’espace financier européen. Cet enjeu n’a nullement échappé aux opérateurs américains, et il a fallu l’usage du “ Super 301 ” (la fameuse législation d’exception américaine), avec le relais et la médiation active et complice de Lord Brittan, pour que finalement la demande américaine de disposer pour ses institutions financières des mêmes droits que les firmes indigènes, l’emporte8.

  • 9  Pour une présentation détaillée des nombreuses mesures prise depuis le milieu de la décennie 1980 e (...)

8Quant aux conditions “ domestiques ” d’installation du pouvoir de la finance, si l’on met de côté la mise en place les différentes lois bancaires, et boursières, comme, plus généralement les modifications de la réglementation visant à faire basculer le système français vers une plus grande prégnance de la finance directe9, le moment clé est constitué par un triptyque dont l’enchaînement n’était nullement inévitable. Cet enchaînement est celui qui a relié privatisations massives – abandon du “ bouclage ” initial de la propriété du capital – et entrée des fonds de pension anglo-américains dans la propriété du capital des grandes entreprises françaises.

  • 10  Tel est par exemple le cas de cette initiative majeure qui a constitué pour les autorités française (...)

9Là réside ce qu’on peut désigner comme “ la chaîne centrale ” des modifications intervenues dans le domaine industriel. À partir et autour d’elle, d’autres modifications ont pris place, la relayant ou l’amplifiant, quelquefois même l’anticipant10 concourant à en marquer toujours davantage les effets.

  • 11  Nous visons ici tout particulièrement l’intense activité législative te réglementaire qui sous l’in (...)

10Voyons donc pour commencer les mutations intervenues au long de la chaîne centrale avant d’envisager les mutations “ collatérales ” qui l’ont accompagnée et quelquefois précédée, créant ainsi un terrain d’accueil favorable et propice à l’affirmation du pouvoir de la finance.11

1.1.1 La chaîne centrale…

  • Une privatisation par vagues successives et d’une ampleur sans cesse croissante.

11Les formes et les modalités prises par les privatisations se caractérisent par quelques traits saillants, que l’on présenter comme suit.

12Tout d’abord, elles vont prendre une ampleur que n’a connue aucun autre pays européen. Ceci tient au fait que hors même la dimension du parc public français, qui traditionnellement a toujours été très grand, en 1981-1982, il avait été procédé par le 1er gouvernement de la Présidence Mitterrand à une vague immense de nationalisations qui ont gonflé dans d’énormes proportions le parc public existant. Dès lors, ce qui est mis en vente, à partir de 1986, concerne tous les grands fleurons traditionnels de l’industrie (Alcatel, Saint-Gobain, Elf Aquitaine, Rhône Poulenc, Renault, France Télécom, Air France …) ou les secteurs des banques et assurances (intégralement privatisés, après avoir été presque intégralement nationalisés par les nationalisations de 1945 puis celles de 1981-1982). Cette vente massive du parc public s’est accompagnée – presque mécaniquement pourrait-on dire, nous reviendrons sur ce point plus bas dans cet article - de la perte du pouvoir de décision ou de pilotage de la puissance publique sur pratiquement toutes les grandes entreprises (excepté certaines qui relèvent du domaine militaire), ainsi que sur les sources de financement sur lesquelles étaient construits et assis les « grands projets » typiques de la politique technologique et industrielle française.

  • 12  Un dossier complet sur ce point a été préparé par la Revue Economique, vol 47, Novembre 1996, n° Sp (...)

13Sur le plan légal, deux vagues de privatisations doivent être distinguées : celles déterminées par les deux lois de 1986 et 199312.

  • La première loi de privatisation, celle de 1986, a pour trait central d’organiser la dissolution complète de l’immense parc industriel qui avait été rendu public par les nationalisations conduites sous le 1er gouvernement de la présidence Mitterrand. En pratique cependant, les privatisations incluses dans la Loi de 1986 vont cependant bien au-delà puisqu’elles incluent 28 groupes ou sous-groupes ainsi que la quasi-totalité du secteur bancaire.

  • La seconde vague, initiée par la loi du 19 juillet 1993 approfondit et parachève le mouvement. Après les « nationalisées de 1981 »  visées par la loi de 1986, la loi de 1993 « remonte » aux entreprises « historiques » du secteur public nationalisé juste après la 2ième guerre mondiale. Par ailleurs, après les banques (incluses dans la Loi de 1986) c’est cette fois le secteur des assurances qui pour sa quasi-totalité est cédé à des actionnaires privés.

  • 13  Même si dans ces cas il s’est agi d’abord de privatisations partielles.

14Enfin, il faut observer que le retour aux affaires de la Gauche, avec la nomination de Jospin comme 1er Ministre en 1997, n’a nullement mis fin à ce mouvement. Tout au contraire, si l’on raisonne en termes de valeur agrégée des titres mis en marché, les privatisations effectuées entre 1997 et 2001 dépassent en valeur celle des titres mis en marché pendant les 2 vagues précédentes. Ces privatisations « de la troisième vague » ont aussi ceci de remarquable qu’elles vont concerner aussi des entreprises en charge de délivrer des services publics (France Telecom, Air France…)13, rendant ainsi « d’opinion commune » que rien ne peut échapper à ce mouvement. Que la privatisation est en somme inscrite dans la nature des choses, utilités « publiques » y compris.

14
  • 15   Outre Loiseau (2002) déjà cité, voire Cartelier (1995) Dion (1995), ainsi que le  N° spécial déjà (...)

15Enfin outre leur impact proprement économique15 il faut ajouter que les privatisations des grands fleurons traditionnels de l’industrie ou de banque ou de l’assurance (voire la longue liste des privatisées dans l’encadré 1) ont été aussi l’occasion de commencer à donner forme à ce capitalisme de “ salariés actionnaires ”, tentation ancienne des pouvoirs publics successifs. En offrant aux salariés des anciennes entreprises publiques des accès préférentiels aux titres patrimoniaux des nouvelles privatisées, une très forte incitation a été créée au développement d’un actionnariat salarié. L’incitation a bien été suivie d’effets car pour la première fois en France des millions de salariés acquièrent (en très faibles quantités, il est vrai) des titres patrimoniaux.

16Cette mutation revêt aussi une dimension qualitative décisive.

  • Après les privatisations : “ débouclage ” des “ noyaux durs ” et entrée des fonds de pension anglo-saxons

  • 16  Ce rapport est analysé plus en détail plus bas.

17Au milieu de la décennie 1990, un changement stratégique majeur intervient dans le comportement du grand patronat français que marque le premier rapport Viennot16. En effet, alors que les premières privatisations sont effectuées en prenant le plus grand soin de « boucler » la propriété du capital à travers un jeu de participations croisées (les fameux « noyaux durs ») qui visaient à assurer un contrôle du capital français sur les privatisées, le choix est fait par les acteurs clés du monde de la finance d’opérer un débouchage et d’ouvrir largement le capital aux investisseurs étrangers. En l’occurrence, chacun le savait, il ne pouvait s’agir là que des fonds de pension anglo-américains qu’une série de modifications légales et réglementaires introduites aux États-Unis avaient transformés en acteurs globaux surpuissants. L’ouverture des plus grandes entreprises de la High Tech française constituait pour eux une sorte d’aubaine. Elles répondirent en investissant massivement.

  • 17  La multiplication de la mise en marché de titres sans droits de vote, ou de titres aux droits de vo (...)

18Cette décision des élites françaises fait question. Pourquoi ce choix, très délibérément, fut-il fait ? Un motif souvent avancé est que nombre de participations croisées nouées au moment des privatisations n’avaient pas - ou plus – de sens économique. Qu’à l’heure des redéploiements planétaires, du capital se trouvait réciproquement « bloqué » et inutilement  fixé dans des actifs hétérogènes. Qu’il était donc nécessaire de regagner une liberté dans l’usage de ces titres afin de pouvoir vendre et acheter sans contraintes et mettre ces opérations au service des stratégies de redéploiement.  Au premier abord, ces arguments paraissent fondés. Ils perdent cependant beaucoup de leur poids, si l’on rappelle les mille et une recettes, les trésors d’énergie et d’ingéniosité qui vont être déployés peu d’années après le débouclage, tant par les managers des grandes entreprises que par la puissance publique pour tenter de conserver ou de rétablir le contrôle perdu. Lorsque la tornade des fusions acquisitions et des OPA « inamicales » se développera, on assistera à la multiplication des tentatives – inégalement couronnées de succès au demeurant - pour tenter de rétablir le contrôle sur ce qui avait été si généreusement « ouvert »17.

19En vérité, il semble bien que le choix du débouclage, bien plus que d’un choix « économique » relève  d’une décision stratégique : profiter du vent favorable que constituait alors la poussée mondiale vers le libéralisme, pour achever d’arrimer le capital français à son alter ego « global », achever de couper ce lien avec la puissance publique où le capital français a grandi. Ainsi, autant le choix de la déréglementation financière est venu d’ailleurs, des États-Unis en l’occurrence, qui l’a voulu et imposé, autant le choix de leur emboîter le pas, de s’engouffrer dans la brèche est lui, parfaitement « national » : en débouclant les noyaux durs, la décision était prise de tirer un trait sur une spécificité majeure du capitalisme français.

20Les effets de cette décision d’ouverture furent spectaculaires et immédiats (voir Encadré 2). La pénétration étrangère s’effectue directement au détriment des anciens « noyaux durs » : les participations croisées chutent en moyenne de 30 à 20 % (Loulmel et Morin, 1999). Hautement symbolique a été la prise de contrôle de Axa, traditionnellement l’un des opérateurs financiers au cœur de l’un des trois pôles financiers du capitalisme français, par l’allemand Allianz. Depuis comme nous aurons l’occasion de le rappeler, la modification des périmètres et des vocations industrielles des groupes deviendra un mode ordinaire de leur existence. Les logiques financières présidant aux fusions et acquisitions s’imposeront comme le mode premier de croissance ou d’évolution des entreprises, au gré des évaluations des titres effectuées par les gestionnaires de fonds.

21Résultat de ces mutations: le total des titres patrimoniaux  contrôlés par les fonds de pension anglo-américains dépasse en moyenne de 50 % le total des actions correspondant à des participations croisées entre actionnaires nationaux (cf. Encadré 2, Tableau 2). Surtout : la France se retrouve avec le taux de pénétration des investisseurs étrangers le plus élevé de tous les grands pays industriels. De quoi faire sourire, lorsqu’à l’occasion de telle ou telle OPA qui soulève en France un peu d’émotion, se lève la grogne des investisseurs institutionnels contre la réputée « frilosité » française…

  • 18  Cf. “ Made in France ”, chapitre 2

22Du temps du fordisme déjà, on avait pu soutenir que “ la France était le meilleur élève de Taylor et Ford ” 18. Par une cruelle ironie, l’émancipation du capital français de la tutelle publique – si ardemment appelée de ses vœux par les tenants de la modernisation libérale - s’effectue sous un registre bien particulier, conduisant  à une autre dépendance, réglée par une norme étrangère, américaine en l’occurrence, qui fait de la valorisation de la valeur actionnariale l’alpha et l’oméga des redéploiements d’activité. Ainsi passe-t-on d’une “ exception ” à une autre, avec un capitalisme qui se présente (du point de vue de la structure financière de la propriété du capital) comme un des plus ouverts de la planète.

  • 19  Pour une vue d’ensemble de leur nature et leur rôle, voire Boubel et Ponsard (2003)

23Finalement, l’enchaînement « privatisation - débouclage des noyaux durs – entrée en masse des fonds de pension étrangers dans le capital des grandes sociétés » a bouleversé en profondeur la configuration traditionnelle capitalisme français. On est ainsi passé “ d’un capitalisme de réseaux financiers ” (contrôlé par la puissance publique et un actionnariat national et stable) à un “ capitalisme de marchés financiers ” (Loulmel et Morin, 1999), ouvert au grand large de la finance internationale. Cette mutation va consacrer la surpuissance, désormais sur le territoire français aussi, des investisseurs institutionnels19, gestionnaire d’une formidable accumulation d’épargne et devenus les intermédiaires obligés de la gestion des patrimoines.

1.1.2. Conditions permissives et processus collatéraux 

24Sans prétendre à l’exhaustivité, il faut mentionner quelques-unes des autres transformations majeures qui accompagnent les mutations dans la propriété du capital que l’on vient de rappeler, car elles sont constitutives du passage au régime de finance libéralisé.

25Au premier rang des mutations, il faut noter la formation des marchés monétaires spécialisés, à la fin de la parié fixe or/$ de 1971 qui a ouvert la voie au régime de changes flottants. Ils vont nourrir une activité hautement spéculative : sur le marché des changes, sur quelque 1100 à 1300 milliards de $ de mouvements quotidiens sur les devises, moins de 10 % est justifié par les besoins de règlements du commerce international. La formation de multiples marchés monétaires spécialisés (et de leurs “ dérivés ”) est venue alimenter des innovations permanentes dans la gestion des portefeuilles de monnaies, avec les multiples techniques permettant différentes formes d’assurances, de couvertures sur les risques de change ou de prise de position (“ futures ”) sur des horizons divers de temps.

  • 20  C’est ainsi qu’en France, la détention de titres publics par des investisseurs étrangers passe de 0 (...)

26La Titrisation de la dette publique a sans doute constitué, avec les privatisations, l’autre choc majeur ayant contribué à la métamorphose du capitalisme français. Mis en œuvre par les pouvoirs publics français – à l’instar du Trésor américain - pour faire face aux brusques creusements des déficits publics qui se sont manifestés au milieu des décennies 1980 et 1990, ces processus vont avoir cette conséquence majeure que  les pouvoirs publics eux-mêmes ont lié leur sort à celui du régime de finance libéralisé qu’ils ont mis en place.  Bénéficiaires directs du nouveau régime, la puissance publique se montrera désormais un artisan d’autant plus convaincu du développement des marchés financiers  qu’elle en a  intégré les pratiques au cœur des modalités de financement de l’action publique. Par certains côtés, la titrisation de la dette est un des effets directs de la politique de désinflation compétitive amorcée dès 1983. Comme on sait, si cette politique s’est traduite par le but recherché en matière de désinflation, ce ne fut qu’au prix d’un fort ralentissement de la croissance, d’une brusque accélération du chômage et d’une dégradation accélérée des finances publiques (Taddei et Coriat, 1993). Pour faire face à leurs déficits les pouvoirs publics ont alors choisi de résolument s’adresser aux investisseurs internationaux et aux plus importants d’entre eux, dont la montée en puissance s’effectue dans la même période : les investisseurs institutionnels, les fonds de pension et autres Mutual Funds.20.

  • 21  C'est aussi dans ce cadre qu’il faut interpréter la mise en place dès 1986 de marchés de produits d (...)

27Enfin, grâce à la mise en place d’une multitude de nouveaux instruments financiers, le recours aux marchés financiers est devenu de plus en plus massif et fréquent, pour des entreprises de toutes tailles, déjà cotées ou non. Pour faciliter ce processus il a été procédé à la promotion ou au réaménagement des “ Premier ” et “ Second ” marchés, du “ Nouveau Marché ”, du “ Marché Libre ” (successeur depuis 1996 du “ Marché Hors-Côte ”), en même temps qu’a été réorganisé le réseau des “ Bourses régionales ”, ou qu’ont été introduits de nouveaux instruments financiers pour drainer l’épargne des ménages vers les placements financiers ou pour assurer la promotion d’entreprises nouvelles et réputées “ innovantes ”. Une activité réglementaire et législative précoce (les premières mesures d’importance datent du milieu des années 1980, alors que se préparait l’Acte Unique) et intense a ainsi été continûment déployée pour assurer la désintermédiation bancaire et la prégnance de la finance directe21. Cette activité s’est poursuivie bien au-delà du changement de la réglementation nationale. C’est ainsi qu’en 2000, la formation d’Euronext (par fusion des places boursières de Paris, Amsterdam et Bruxelles), puis en 2002 la fusion avec la bourse portugaise et le rachat de LIFFE (marché Londonien des options et futures), enfin en 2006, l’alliance avec le NYSE vont faire franchir des pas décisifs à la « globalisation » de la place financière parisienne.

  • 22  Sont visées ici les formules proposées en matière d’assurance vie, ou encore celles relatives aux p (...)

28Devant cette offre, sans cesse plus profonde et diversifiée, le comportement des ménages s’est modifié. D’autant que de puissantes incitations (en termes d’exonérations de charges sociales ou fiscales) ont été mises en place pour faire “ migrer ” l’épargne et le comportement des ménages vers les nouvelles opportunités de placements financiers, domaine dans lequel traditionnellement l’épargnant français manifestait de vraies réticences22. Selon le rapport de Billigant et de Foucault « pour la seule “ Epargne Salariale ” (comprenant les placements effectués au titre de l’intéressement de la participation et des Plans d’Epargne d’Entreprise)… les 45 Milliards de Francs – de placements estimés- coûtent 20 milliards en termes d’exonérations de charges sociales (30 milliards avec le financement des retraites) et près de 5 milliards en termes d’exonération fiscale » (Billigant et de Foucault, 2000).

  • 23  À cette lumière les déclarations puis la proposition de loi de M Jospin dans le courrant de l’année (...)

29Ainsi l’État Français, autrefois qui se montrait si sourcilleux dans la défense de son domaine réservé, apparaît-il comme l’accoucheur, souvent aux forceps de sa propre dissipation comme acteur industriel. Qu’il s’agisse des privatisations, de la titrisation de la dette publique, de la réforme générale des marchés boursiers et monétaires pour en accroître la profondeur et la liquidité ou encore des mesures fiscales destinées à faire migrer l’épargne des ménages vers les marchés financiers, ce sont bien, un ensemble impressionnant  de  nouvelles réglementations qui sont à l’origine de l’installation du nouveau régime de finance libéralisée23.

30Ces mutations et ces réformes visant à favoriser les revenus des placements financiers vont conduire à un formidable déplacement  du partage de la valeur ajoutée entre part salariale  et revenus du capital, d’une amplitude de quelque 10 points. Ce brusque changement de la répartition en faveur des profits va constituer une nouvelle donnée structurelle des années 1990 (CAE, 1999), dont les effets catastrophiques continuent aujourd’hui de produire tous leurs effets, aucune correction n’ayant été effectuée.

1.2. La signification des changements : “ titrisation ” et liquidité

31Si l’on s’attache à désigner ces changements par leur concept : on dira que la mutation à laquelle on assiste est celle, continue et progressant par brusque accélération, de la “ titrisation ” des valeurs économiques. C’est elle qui constitue à la fois le support et le vecteur clé de la transformation des formes sociales à laquelle nous assistons. Précisons que nous entendons ici la notion de “ titrisation ” dans un sens étendu. Au-delà de la signification technique  qui lui a été initialement donnée, nous entendons désigner par ce terme l’ensemble des processus par lesquels valeurs, créances et patrimoines se voient représenter dans des titres négociables dont les cours sont régis par des marchés, qu’ils s’agissent de marchés  financiers organisés  et régulés ou plus souvent et prosaïquement de marchés de gré à gré (« over the counter » ) plus frustes et mois liquides) tenus par des banques ou des établissements spécialisés de diverse nature sur une infinie variété de titres (cf. Encadré 3).

  • 24  La banque commerciale elle-même voit son métier profondément bouleversé. Désormais ses revenus sont (...)

32La titrisation ainsi entendue, apparaît ainsi finalement comme l’un des protocoles centraux par lesquels la finance parvient à « normer » l’activité économique en la soumettant à ses exigences propres. En assignant une “ grandeur ” à toute activité et une grandeur négociable sur un marché, la finance tout à la fois réalise son idéal de liquidité et impose sa marque sur un vaste ensemble de pratiques économiques et de comportements qui jusque-là relevaient d’un autre ordre et d’autres principes de gouvernance 24.

33L’instauration de nouvelles normes comptables est un moment clé de cette installation du pouvoir de la finance. En imposant l’évaluation des actifs à leur réputée « juste valeur », (contre la valeur « historique »), les actifs sont évalués à une valeur présumée actuelle, utilisable immédiatement pour des transactions de marché. En ce sens, les nouvelles normes comptables satisfont aux demandes et exigences des investisseurs et permettent de faire franchir de nouveaux crans au processus de marchéisation générale dont la finance est le vecteur. Ici encore, le point vaut d’être souligné, le rôle de la Commission européenne a été décisif pour imposer cette pratique à certaines catégories d’acteurs (les banques en particulier) souvent réticents. Hérault des investisseurs institutionnels, la Commission a dû cependant effectuer un spectaculaire reniement, lorsque, en octobre 2008, en pleine tornade financière, elle a dû admettre ses errements et suspendre l’application d’une directive pour laquelle elle avait pourtant longuement et durement bataillée.

34Des années durant partout célébrée comme une innovation majeure capable d’apporter liquidité et flexibilité aux agents, - tout en assurant une nouvelle gestion des risques – la titrisation, avec l’éclatement brutal de la crise des subprimes va libérer l’énorme potentiel de ruptures et de destructions dont elle était constitutionnellement porteuse. En permettant de se défausser des risques virtuels de crédit vers des tiers, et en dispersant les risques vers des agents dont la solvabilité est douteuse ou inexistante, la titrisation va se révéler être une formidable machine à pourrir les relations entre agents. C’est ainsi qu’à quelques années d’écarts les mêmes thuriféraires de la titrisation qui louaient les vertus de l’innovation financière amenée par la déréglementation ne parleront plus à propos des produits financiers qu’elle a engendrée que comme d’« actifs toxiques » qui ont infesté l’économie mondiale.  

1.3. L’après 2001 : approfondissement et montée en puissance d’une nouvelle génération d’Investisseurs Institutionnels

35Dans l’histoire de l’installation du pouvoir de la finance, l’après 2001, en France comme partout dans le monde marque l’entrée dans une nouvelle étape.

36L’explosion, en 2001, de la bulle formée sur le marché des titres patrimoniaux (au premier chef celui des titres de valeurs technologiques), va provoquer une brusque dévalorisation, en même temps que, sur des marchés devenus fortement volatils et instables, vont se former des opportunités renouvelées et étendues de spéculation

37À côté des investisseurs institutionnels classiques de la 1re génération - Fonds de pension, Mutual Fonds (OPCVM en France), Compagnies d’assurances - vont alors s’affirmer de nouveaux types de fonds de placement et d’investissements : les Hedge Funds d’un côté, et les Fonds de Private Equity de l’autre.

38Les Hedge Funds vont occuper une place centrale pour deux motifs:

  • Le premier tient sans conteste au fait qu’ils peuvent agir en dehors de toute réglementation. L’après 2001, les scandales financiers qui ont accompagné l’explosion de la bulle sur le Nasdaq (Enron, Worldcom… aux États-Unis, Parmalat en Europe…), ont suscité la formation d’une nouvelle législation (aux États-Unis, la loi Sarbane - Oxley) se traduisant par un fort durcissement de  la responsabilité personnelle des managers. Dans ce contexte le « safe harbour » que constitue le hedge fund qui échappe à ces réglementations a constitué une très forte attraction. Nombre d’investisseurs institutionnels et de banques réglementées ont ainsi recouru aux hedge funds (souvent pour les banques en en constituant de toutes pièces) pour se donner des marges supplémentaires d’action.

  • Le second est que la multiplication des risques générés par la volatilité des marchés, a ouvert un vaste espace aux instruments de « couverture » et de transferts de risques. L’explosion du marché des dérivés - produits hautement complexes et le plus souvent largement intraçables  -  qui en est résulté vient de là. Les hedge funds se sont fait une spécialité d’opérer sur ces marchés  hautement spéculatifs et lucratifs- et verront leurs rôles croître, comme les banques et les investisseurs institutionnels plus classiques (de la 1re génération) s’en remettront à eux, pour faire progresser leurs marges.

39Les fonds de private equity partagent avec les hedge funds une série de caractéristiques, à commencer par celle d’opérer en dehors de la réglementation. Ils se distinguent cependant des hedge funds, par le fait que pour l’essentiel, ils procèdent à des acquisitions sur des marchés non réglementés et pour des actifs non-côtés. Leur cible privilégiée concerne les grosses entreprises familiales, au moment toujours délicat pour elles des transmissions vers de nouvelles générations de propriétaires et dirigeants. Sur ce marché comme sur celui des entreprises non cotées, les fonds de private equity  visent l’acquisition des parts largement majoritaires, permettant, le cas échéant le retrait rapide de la côte et dans tous les cas le contrôle absolu de la direction des entreprises. C’est que, à la différence des Investisseurs Institutionnels de première génération, les fonds opérant sur le private equity sont par nature et par vocation des fonds fortement activistes. Ils ne prennent le contrôle d’une entreprise que pour la restructurer en profondeur et la revendre avec profit. De là cette autre caractéristique du private equity : la part de fonds propres investis est en général faible. Les acquisitions se font sur la base de l’endettement (auprès des banques ou d’autres établissements financiers prêteurs) sur la base de LBO. C’est le profit tiré de l’entreprise qui doit payer la dette contractée. La re-vente de l’entreprise après restructuration permet de payer la soult de la dette (lorsqu’il y en a un) et de dégager un confortable profit partagé entre les investisseurs.

40Même si pour le private equity comme pour les hedge funds les grands acteurs sont américains, ils marqueront de leur empreinte forte l’activité financière en France. C’est ainsi qu’on attribue la brutale chute des valeurs boursières de sept à l’annonce par la Société Générale que deux de ses hedge funds ont été mis en liquidation suite à la crise des subprimes. Preuve s’il en est de l’intrication complète de la finance française avec sa grande sœur américaine.

41De même, il est remarquable de noter qu’en France c’est le fonds d’investissement Wendel (dont les principaux actionnaires ne sont autres que Le Baron Seillière, ancien président du Medef et sa famille), qui a servi d’ambassadeur pour l’entrée des fonds d’equity américains sur le marché français des acquisitions. En s’associant à KKR pour acquérir l’entreprise Legrand, Wendel ouvre au fonds américain l’opportunité de réaliser le plus grand LBO jamais réalisé sur le sol français, parachevant lui-même à cette occasion sa propre sa mue en fonds de capital investissement centré sur le LBO. Tout ou presque dans cette opération revêt une dimension emblématique du nouveau cours.

  • 25  Cet épisode comme plus généralement la politique de la concurrence pratiquée par Mario Monti est pr (...)
  • 26  Rappelons que la fiscalité française permet aux entreprises de déduire des bénéfices imposables les (...)
  • 27  Voir Godeluck et Escande (2008) où cet épisode est rapporté en détail. Pour une présentation du pri (...)

42Legrand, entreprise familiale grandie en Limousin est vite devenue un acteur majeur dans le domaine des fournitures électriques basse tension pour le secteur du bâtiment. L’entreprise cependant éprouve de vraies difficultés à se maintenir  dans le contexte européen face aux géants Schneider ou Siemens. Début 2000, elle-même retirée de la côte du CAC 40, et cherche un partenaire. Celui est trouvé en 2000. Schneider plutôt orienté sur l’électricité haute tension procède alors à l’acquisition de Legrand, à l’occasion d’une OPA amicale matérialisée sous forme d’échanges de titres. Cette acquisition pourtant ne sera pas au goût de la direction de la concurrence de l’UE. Sous l’autorité sourcilleuse de Mario Monti, la DG de la Concurrence  pratique alors une politique d’une rigueur extrême, mise entièrement au service d’une libéralisation des marchés25. C’est dans ce contexte que l’entreprise Wendel, qui elle-même achève sa mue en fonds d’equity prépare – avec KKR – une acquisition sous forme de LBO. Rien ne manque au montage : recours massif au crédit bancaire (les fonds français et américain ne verseront chacun que 650 millions d’euros ce qui leur garantira 75 % des parts de la société (pour une entreprise valorisée 3,7 milliards), restructuration du groupe en 10 sociétés distinctes de façon à tirer un avantage maximum de la fiscalité26, forte implication financière des cadres dans le capital de la nouvelle société, rémunération sous forme de stocks options, rentabilité exigée de 10 % par an (sous peine de pertes par les cadres des capitaux investis…) un vrai concentré des mille et une recettes du nouveau pouvoir de la finance et de ses modes propres d’action et de gestion. Le reste suivra, déverticalisation, passage en sous-traitance d’activités autrefois développées en interne, délocalisations en Chine… L’opération fut un succès. Réintroduite en bourse la société acquise pour 3,7 milliards d’euros sera début 2007, valorisée à hauteur de près de 6 milliards d’euros27.

43Au-delà de cet épisode singulier, rapporté ici à titre d’illustration, l’addition des pratiques de différents types de fonds d’origine et de vocation différente et leur pénétration en masse sur le marché français va y bouleverser les donnes et les pratiques.

2. L’ère des « mécanos financiers » : la rupture du modèle d’Organisation Industrielle à la française

44Après avoir rappelé comment la finance s’est progressivement rendue maîtresse du jeu, nous nous proposons de montrer ici comment elle va se soumettre la conduite des entreprises et progressivement façonner un type d’organisation industrielle propice à l’achèvement de ses fins propres. Après avoir mis en évidence la manière dont la titrisation a favorisé l’émergence d’une “ nouvelle fonction objectif ” des managers, nous montrons comment vont se déployer de nouvelles formes de coordination dans les relations inter-entreprises, loin, fort loin des coordinations de l’époque du fordisme, dictées, dans le cas français par des impératifs d’industrie et d’affirmation de « grands projets » eux-mêmes conçus comme les fers de lance de la compétitivité internationale, marque de fabrique en quelque sorte du « modèle » industriel français des trente glorieuses.

2.1. La « nouvelle fonction objectif » des managers  et son institutionnalisation

  • 28  Ce point est repris et développé plus bas.  Rappelons ici seulement, que c’est sous le gouvernement (...)

45Dotée d’une nouvelle structure de propriété du capital, désormais caractérisée par des actifs émiettés entre les mains des détenteurs de parts atomisés et anonymes mais dont la représentation  pour ce qui est des titres patrimoniaux échoit à quelques grands gestionnaires professionnels, le management des entreprises va se trouver saisie dans un jeu de tensions et d’impératifs largement renouvelés. Dans ses délibérations le manager va devoir désormais arbitrer dans les termes d’une « fonction objectif » qui, si elle continue de comporter dans ses arguments des dimensions multiples, s’organise désormais autour d’un axe majeur : celui de la promotion de la « valeur actionnariale », c’est à dire encore de la promotion en bourse des titres et de leurs rendements (Ponsard et Zarlowski, 1999 ; Baudru et Morin, 1999 ; Lordon 2000). Car si, dans la pratique, de nombreuses inerties et résistances continuent de se manifester, la soumission à la nouvelle loi de la finance va s’affirmer d’autant plus fortement, que des techniques efficaces sont mises en place pour rendre le manager consentant et … intéressé – non, comme par le passé au développement des activités qu’il conduit dans son entreprise - mais d’abord et avant tout à sa  “ valeur représentée ” sur les marchés spécialisés où s échangent les titres patrimoniaux ou obligataires. Le pouvoir des “ stocks options ” distribués aux managers remplit ici son office et les techniques de gestion visant par-dessus tout le développement de la « valeur actionnariale » ont ainsi fait florès28.

  • 29  Dans Lordon (2000) on trouvera une analyse détaillée de ce mode particulier de gestion, dominé par (...)

46À travers un ensemble de pratiques de gestion largement renouvelées – dont la très fameuse EVA29 - il s’agit de poursuivre un double objectif :

  • Chercher à obtenir sur le marché des titres la plus haute valorisation possible, afin de garantir le placement des actionnaires, de les fixer, et d’en attirer de nouveaux, ce qui alimente le cycle de valorisation des titres ;

  • Conduire le management à dégager le plus haut niveau possible de cash effectivement disponible en fin d’exercice (après couverture de tous les coûts, impôts compris), et rendre ce cash appropriable par les actionnaires, notamment minoritaires, en imposant que la discrétion dans la disponibilité de ce cash passe des mains des insiders (managers et actionnaires « viagers ») à ceux des « outsiders » ; ceux-ci petits porteurs anonymes, mais surtout investisseurs institutionnels, n’ont nulle vocation à pérenniser leurs investissements financiers dans un placement particulier ; du fait de leur statut de « minoritaires » et « d’outsiders », les investisseurs institutionnels, pour conserver les clients dont ils gèrent l’épargne, doivent faire en sorte que le cash et sa distribution sous forme de dividendes se maintiennent à des niveaux élevés. Chacun est comptable de ses performances devant ses mandants, et la concurrence entre fonds maintient l’exigence de rentabilité des placements au plus haut.

47La distribution des dividendes aux actionnaires – un indicateur clé de la « financiarisation » des entreprises connaît en France, un essor remarquable.  En effet si le taux médian pour l’ensemble des entreprises du CAC se situe à un niveau qui haut mais encore mesuré (36,9 % en 2007, en augmentation continue cependant depuis 2002, après la reprise qui a suivie le Krach de 2001) cette moyenne masque des écarts extrêmement importants. C’est ainsi qu si l’on considère les 10 premières entreprises, les taux de distribution des dividendes sont extraordinairement élevés se situant entre 40 et 60 % (de 41,05 % pour Pernod Ricard à 58,13 % pour Accor). Le taux médian (36,9 %) s’expliquant par le fait que le fait que si l’on considère les 10 dernières entreprises plusieurs des sociétés du CAC n’ont pas distribué de dividendes ayant épongé au cours de plusieurs années des pertes importantes (tel est le cas Alcatel et Alstom en particulier) Le détail des taux de distribution est présenté dans l’Encadré 4.

48Afin de s’assurer que les objectifs de maximisation de la valeur actionnariale et de distribution de cash seront bien poursuivis par les entreprises, des gages sont pris par les détenteurs de titres financiers. C’est ainsi que, à leur instigation, a-t-on assisté à l’installation de deux séries de mutations dans les formes institutionnelles qui président à la direction des entreprises. Il s’agit des mutations dans le gouvernement d’entreprise d’une part, de nouvelles formes de rémunérations des dirigeants d’autre part (stocks options). L’effet conjugué de ces nouveautés (même si l’attribution de stocks options jugés trop élevés, a été ici où là à l’origine de nouvelles tensions entre actionnaires et managers) va contribuer à modifier en profondeur les modes de prises de décision et d’adhésion à ces décisions.

  • 30  Une analyse détaillée du contenu de ces rapports, comme de leurs spécificités par rapport à leurs é (...)

49Concernant le gouvernement d’entreprises les choses se firent en France à rythme plutôt lent (Coriat 1995). Les moments clés ont été les deux rapports Viennot30. À leur lecture on sent bien tout à la fois que la pression de la finance est irrépressible (compte tenu de la nouvelle composition de la propriété du capital, ou dominent les investisseurs institutionnels cf. encadré 2), et que les dirigeants français souhaitent garder le contrôle d’une évolution qu’ils savent pourtant inévitable. Tout va se jouer sur quelques recommandations clés. Il s’agit d’une part d’assurer la montée en puissance du nombre des représentants et des auditeurs « externes » dans le CA, et d’autre part de constituer des Comités spécialisés notamment en matière de rémunération des dirigeants.

50Même s’il s’agit d’une révolution très « silencieuse », les données compilées par Goyer (2001) et présentées dans l’Encadré 5, montrent l’importance des changements intervenus dans le corporate governance des entreprises du CAC dans les années qui ont suivies la privatisations.

  • 31  La chronique ne cesse d’égrener les cas où les investisseurs institutionnels imposent leur loi aux (...)

51Les changements institutionnels sont une chose. Le fait qu’ils se traduisent par les comportements qui en sont attendus en est une autre. Pour qu’il se traduise par des effets tangibles, le nouveau pouvoir accordé aux actionnaires minoritaires doit constituer une menace crédible. Et la crédibilité se construit sur le fait que la menace est effectivement exécutée. C’est ainsi qu’il faut interpréter, en 1999, le retrait brutal des fonds de pension américain d’Alcatel amenant en quelques jours une chute de la valeur actionnariale de 40 %, ou encore le fait qu’on assiste régulièrement à des retraits significatifs en cas de “ profit warning ” annonçant des profits inférieurs à ceux sur lesquels les managers s’étaient engagés31.

52Pour ce qui concerne l’introduction de stocks options et de formules diverses d’épargne salariale, il faut noter que ces pratiques ont d’abord été expérimentées sur des marchés financiers spécialisés visant à assurer la promotion d’entreprises nouvelles réputées innovantes et le plus souvent à l’initiative du capital-risque (les fameuses start ups). Les stocks options étaient alors conçus pour réduire autant que faire se peut les coûts “ fixes ” (notamment salariaux) qui pouvaient grever l’essor de ces entreprises, tout en établissant les formules les plus incitatives possibles pour un personnel à l’effectif très réduit et auquek de très fortes rétributions étaient promises en cas de succès. La diffusion de ces pratiques au sein de groupes stabilisés de plusieurs milliers de salariés, en en limitant les bénéfices à une toute petite minorité de dirigeants, en change profondément le caractère. Il ne s’agit plus de formules visant à donner une chance à des entreprises nouvelles, mais de transformations modifiant en profondeur la nature classique du “ pacte social ”à la base du régime du salariat. Celui-ci se trouve brusquement rayé d’un trait. Le stock option signifie la fin de l’idéologie de l’entreprise comme « communauté de destin ». Dès lors qu’une toute petite minorité s’approprie l’essentiel d’une valeur créée, souvent sur la base d’un systématique amincissement des effectifs, l’opposition des intérêts est ouvertement et en grand réintroduite dans l’entreprise. Lors même qu’une partie de la valeur créée est distribuée sous forme de formules diverses d’épargne salariale, le principe d’une scission fondamentale au sein du salariat n’est pas aboli. Avec la diffusion de ces pratiques – là encore contemporaines de l’hégémonie de la finance – s’esquisse une division nouvelle au sein du salariat entre d’un côté les “ in ” (les nouveaux “ salariés actionnaires ”) et de l’autre les “ out ” (la main d’œuvre qui ne dispose pas de la stabilité d’emploi ou des niveaux de revenus suffisants pour bénéficier des fonds de placement d’entreprise). Pour les nouveaux “ in ”, le revenu lui-même subit une mutation majeure : on passe du salaire à la rétribution : une partie souvent importante du revenu étant constitué désormais non par une quotité “ fixe ” du produit social (le salaire plus au moins indexé à l’inflation et à la productivité), mais par un revenu variable lié à la rentabilité et aux évolutions des placements financiers.

53À ces changements se mesure l’importance de la mutation : les nouvelles formes sociales codifiant le rapport salarial et qui traditionnellement tissent le “ lien social ” au sein comme au dehors de l’entreprise sont ainsi largement déterminées par le besoin de la finance et les innovations dont elle a assuré pour ses besoins propres la promotion. Elles s’étendent désormais bien au-delà du seul marché des fonds prêtables et de ses sphères d’activités traditionnelles. L’homologie avec ce qui avait présidé à l’installation du régime d’accumulation “ antérieur ” : le fordisme ne peut ici qu’être soulignée. De même que,  du début du siècle à l’après-guerre, (avec la mise en place du Five Dollars Day puis du contrat type UAW-GM), c’est l’automobile secteur de la production de masse par excellence qui était à l’origine des innovations en matière de formules salariales, appelées à se diffuser ensuite, (Coriat, 1994) de même aujourd’hui faut-il constater que c’est la finance qui tient ce rôle. Les innovations dont elle est à l’origine en matière de rétribution, cantonnées au départ, à l’initiative du capital-risque à la promotion des start-up, se diffusent progressivement avant d’acquérir un statut de normes partout introduites.

54Il est essentiel de noter sur ce point que, aujourd’hui comme hier, la puissance publique joue un rôle majeur dans la  diffusion de ces normes nouvelles. De même que dans le passé le Five Dollars Day n’a pu se muer en le système complexe et fortement institutionnalisé du collective et du connective bargaining sans intervention de l’état, de même aujourd’hui, le stock option, le Plan d’Epargne Salarial (où le nouveau rôle et la nouvelle place tenue par les investisseurs institutionnels) ne se développent et ne s’affirment que par une série de mutations introduites et institutionnellement garanties par la puissance publique : au premier rang desquelles les mesures (notamment fiscales) fortement incitatives prises en faveur des revenus du capital et du placement financier. Le cas des incitations fiscales mises en place pour assurer le basculement de l’épargne des salariés vers les Plans d’Epargne d’Entreprise  fournit ici une claire illustration de l’importance de ces incitations (Cf. sur ce point, le Rapport Dilligant et Foucault déjà cité).

2.2. « La grande rupture » : les nouveaux modes de la coordination inter-entreprises et leurs effets

55En dématérialisant l’entreprise, en la fractionnant entre les mains de détenteurs multiples et dispersés et en assurant la négociabilité et la liquidité des valeurs désagrégées ainsi rendues disponibles, la titrisation va rendre possible, sous la conduite des détenteurs de titres, de toutes nouvelles orientations dans le comportement des entreprises.

  • 32  15 à 18 % ont longtemps constitué la fourchette de rentabilité exigée avant que l’explosion de la b (...)
  • 33  L’OPE est, chaque fois que possible est largement privilégié, car elle présente sur l’OPA, l’avanta (...)
  • 34  Avec le temps cependant et l’effondrement des valeurs Internet sur le Nasdaq, les choses rentreront (...)
  • 35  Dans le chapitre 3 de l’ouvrage cité (Coriat et al 2006) j’ai retracé le parcours de ces deux grand (...)

56Celles-ci semblent s’opérer en obéissant à des déterminations que l’on peut schématiser comme suit. S’il y a, et notamment de la part des grandes entreprises, maintien d’objectifs stratégiques, il y a aussi – et par définition – des activités qui ne relèvent plus désormais que de la gestion d’actifs à valoriser comme tels sur les marchés spécialisés. Par ailleurs et quels que soient ces objectifs stratégiques, le fait nouveau est que les actifs conservés dans « le cœur du métier » sont définis suivant des règles de base draconiennes et nouvelles : celles de devoir garantir des taux de rentabilité extrêmement élevés32. La forme centrale de modification des périmètres d’activités est que la poursuite des objectifs stratégiques (ou leur redéfinition) se fait à travers des opportunités qui restent largement déterminées par les évolutions relatives de la valeur actionnariale des entreprises dans des activités analogues ou réputées complémentaires. C’est par OPA et (bien plus souvent) par OPE que l’essentiel se passe33. Malheur à l’entreprise dont les cours baissent sous certains niveaux et rendent ainsi l’activité « Opéable ». Au contraire, les « survalorisations » sont une opportunité d’acquisition qui se transforment en rapprochement : la fusion AOL-Time Warner, qui a signifié, de façon spectaculaire l’entrée dans cette ère nouvelle. Du fait que sa capitalisation avait atteint des niveaux ubuesques, c’est AOL qui a pris le contrôle de Time Warmer dont le chiffre d’affaires était 4 à 5 fois supérieur34… En France, les groupes France et Vivendi illustrent chacun à leur manière l’ampleur des dérives et des déboires connus par les ex grands fleurons du capitalisme français lancés dans le monde nouveau de la financiarisation35.

57C’est ainsi que dans le cas de la France et plus généralement de l’Europe, ces nouvelles normes de comportement s’appliquant à plein, on assiste pour la première fois à la naissance d’OPA hostiles, qui bouleversent les frontières jusqu’ici stabilisées des lignes de front de la guerre économique. L’OPE de la Société Générale sur la BNP et Paribas ou celle de Vodaphone sur Mannesman marquent en Europe, l’entrée dans  cette ère nouvelle, ou prévaut par-dessus tout une logique financière. Dans le cas Société Générale, BNP, Paribas, F. Lordon a bien montré que toutes les justifications économiques (en termes de complémentarités ou de synergies) et leurs contraires ont pu être avancées, suivant les phases et les moments du jeu à trois auquel on a assisté (F. Lordon 2002).

  • 36  Au temps de la bulle internet et de la réputée « nouvelle économie » il fût même question de transa (...)

58Ces pratiques se développent d’autant plus profondément qu’elles s’effectuent sans – ou avec très peu – de déboursement de cash. La pratique de l’OPE s’appuie sur une monnaie d’échange qui présente la particularité d’appartenir entièrement à l’univers de la « représentation » dont la titrisation a assuré l’hégémonie36.

59Conséquence de ces changements, les stratégies industrielles du jour au lendemain connaissent des changements d’orientation aussi inattendus que radicaux. Ainsi d’Alactel qui s’engage d’abord dans une tentative de mega-fusions avec son alter-égo américain Lucent dans l’intention déclarée de donner naissance à l’un des plus gros mastodontes de la planète en matière de fourniture d’équipements télécom, décrète quelques semaines plus tard, après l’échec de la méga-fusion que désormais la stratégie adoptée par la firme consistera à se muer en un groupe « frugal » et « agile » en devenant un groupe « sans usines ».

60À la surprise générale cependant, quelques mois plus tard, la stratégie « frugale » est à son tour abandonnée. C’est le retour au gigantisme qui est de nouveau à l’ordre du jour, l’évolution relative des cours boursiers d’Alcatel et de son rival Lucent, rendant de nouveau possible d’envisager une alliance « entre pairs ». Celle-ci sera finalement nouée, sans pour autant que les bénéfices qui en étaient attendus soient atteints. Aujourd’hui encore (octobre 2008), le groupe dont les performances sont médiocres, paraît privé de vision stratégique.

61Ainsi à la pratique tant décriée des “ mécanos industriels ” pilotés par la puissance publique - mais qui avait au moins l’avantage de faire exister des stratégies industrielles poursuivies avec conséquence sur le long terme et qui se sont souvent traduites par des percées remarquables -  succède celle des “ mécanos financiers ” pilotés de fait par les évolutions des titres boursiers et les opportunités de valorisation de la valeur actionnariale ou de captation et de distribution de cash qui se forment et se défont au gré des évaluations financières. Ces revirements multiples et souvent brusques se traduisent ainsi par des modifications permanentes des périmètres d’activités des firmes, sans cette fois que la communauté des investisseurs et des analystes, si sourcilleuse lorsqu’il s’agissait d’apprécier la cohérence des choix industriels effectués dans le passé sous l’égide de la puissance publique, trouve rien à redire.

62Dans ces courses à la séduction des investisseurs qui constitue désormais un des objectifs majeurs du management des entreprises, on touche à des sommets. Ainsi dans leur lutte contre l’OPA hostile de Mittal, les dirigeants d’Arcelor, groupe dont le chiffre d’affaires annuel était au moment de l’OPA de quelques 17 milliards d’euros se sont engagés à distribuer aux actionnaires pas moins 15 milliards d’euros dans les 3 ou 4 années suivant l’offre hostile, si celle-ci était rejetée. Une telle distribution de valeur aux actionnaires ne pouvait être réalisée qu’en se délestant de nombre d’activités pour distribuer le revenu des cessions sous forme de dividendes ou de rachats d’actions.  C’est ainsi à l’auto-dépeçage au profit de l’actionnaire d’un groupe, longuement et patiemment construit sur deux décennies, que le management d’Arcelor s’engageait. En vain !… Mittal, en augmentant son offre l’emporta. Les teneurs et gérants de titres choisissant l’offre actuelle à la promesse future.

63Cette OPA hostile couronnée de succès après une longue bataille, fertile en rebondissements, est à bien des égards emblématique du nouveau cours. Il faut en effet se souvenir que le groupe Arcelor ne doit son existence qu’à des années de patience et d’investissements continus des pouvoirs publics, qui contre vents et marées ont maintenu leur action pour assurer la survie puis l’affirmation d’un groupe européen dans ce secteur hautement concurrencé. Parvenu à la profitabilité après des opérations complexes de diversification vers des aciers spéciaux à haute valeur ajoutée, le voici, pour avoir mené une politique très mesurée de distribution des dividendes privilégiant l’investissement et les acquisitions, brutalement sanctionné par l’actionnaire.

2.3. Des instruments d’exercice de la domination financière variés et puissants

64Différents protocoles et instruments se sont au cours du temps relayés et/ou additionnés pour marquer la forme propre d’assujettissent des entreprises aux exigences et intérêts des Investisseurs institutionnels. De même, au cours du temps ces instruments ont été mis au service d’objectifs et de stratégies qui ont évolué.

65Dans la phase qui a immédiatement succédé aux privatisations, la plus apparente et plus hautement revendiquée de ces pratiques nouvelles influencées et souvent déterminées par les Investisseurs Institutionnels est celle qui a s’est affirmée comme visant  au “ recentrage sur les métiers ”. En pratique, il s’est agi, par abandon ou cessions d’activités ne dégageant pas suffisamment de valeur, de ramener le périmètre des groupes aux activités les plus valorisées par les marchés financiers, la valeur actionnariale étant devenue l’aune à laquelle désormais succès comme échecs se mesurent.

66Goyer, dans son article déjà cité, s’est livré à de très intéressantes compilations de données. Elles mettent clairement en évidence l’ampleur des mécanos auxquels les groupes français se sont livrés au cours des années qui ont immédiatement suivi les privatisations. Le recentrage auquel on assiste autour de quelques activités jugées clés (en pratique les plus lucratives), obtenu par cession à des tiers de nombreuses activités traditionnellement exercées par ces groupes, est spectaculaire (cf. infra les Encadré 6 et 7 extraits de Goyer, 2001).

67Encadrés 6 et 7 « Recentrage sur les métiers”

  • 37  Notons que cette activité de recentrage sur les métiers les plus immédiatement valorisables s’est s (...)

68La percée ultérieure (dans l’après 2001) des fonds de private equity s’inscrit dans la même logique. Il s’agit, ici comme dans la phase initiale de tirer partie des opportunités offertes par le caractère pluri-activité des groupes légués par la période fordienne. Les logiques qui sous-tendent les acquisitions des auxquels procèdent les fonds de private equity est fondée sur cela, mettre fin à la diversification abritée par les groupes acquis, en cédant les activités les moins profitables pour renforcer et durcir celles qui sont déjà les rentables ou qui s’annoncent telles37.

  • 38  Il faut entendre la notion de “ down sizing ” au sens très précis et restrictif de réduction des ef (...)
  • 39  En France, l’annonce simultanée par Michelin, (en 2000) d’une hausse spectaculaire de ses bénéfices (...)

69Dans l’une comme dans l’autre phase, la réduction d’effectifs, le “ down sizing ” est devenu un mode ordinaire de gestion38. La mise en chômage n’est plus comme par le passé le douloureux constat d’un échec de la stratégie d’entreprise et de la nécessité de procéder à une restructuration et à une réorientation d’activité. La mise ne chômage - dont l’annonce est effectuée au sein d’entreprises dont les rentabilités sont élevées- apparaît désormais  comme le garant donné aux actionnaires des profits futurs. Une nouvelle figure de la rationalisation s’est ainsi fait jour : celle du « licenciement boursier ». De tels types de licenciement – inaugurés en France par Michelin – n’ont cessé depuis la fin de la décennie 1990 de défrayer la chronique39. La norme de rentabilité bien au-dessus de la "moyenne", imposée par les actionnaires, ne peut en générale être obtenue qu’à ce prix : le recours à des techniques “ forcées ” de gonflement de la rentabilité. Au nombre de celles-ci, l’ajustement anticipé de l’emploi est un des moyens privilégiés pour satisfaire à l’exercice imposé.

  • 40  Signe des temps des institutions spécialisées se créent même pour cela : racheter pour le compte de (...)

70Enfin avec le rachat et la destruction d’actions, on touche au sommet de la contradiction : le recours aux marchés financiers supposés assurer un financement plus aisé et moins coûteux de l’économie se transforme ici en son inverse. Il contribue non à la création d’actifs, mais à leur destruction40. C’est clairement le cas aux États-Unis depuis de nombreuses années. En France, une récente étude de l’Autorité des Marchés Financiers (2005b) rappelle que (hors les deux années 1999 et 2000 où la forte émission d’action s’explique par l’intensité exceptionnelle des Fusions et Acquisitions qu’a connu cette période) de 1995 à 2004 le solde « levées de capitaux (+) nettes des annulations de titres sur les marchés d’actions (-) » est à peine positif : moins de 5 milliards d’Euros par an en moyenne, soit un montant dérisoire si l’on songe aux volumes traités quotidiennement sur les marchés financiers.

71Ici encore ces pratiques n’ont été rendues possibles que par la puissance publique qui les a rendues licites : encore une “ nouvelle régulation ” installée sans bruit… En France dès l’annonce de l’autorisation de ces pratiques, les bureaux de la COB ont été envahis de demandes de la part des entreprises cotées, qui depuis ne cessent de dédier des montants importants de la valeur créée au rachat et à la destruction d’actions, ce qui explique le rôle tout à fait marginal du marché primaire d’actions dans le financement des entreprises.

72De fait, pour les grands groupes (à commencer par ceux du CAC 40) ces pratiques se sont longtemps révélées fort profitables. En dépit de l’atonie de la croissance française et des  piètres performances macro-économiques du pays – creusements inquiétants des déficits commerciaux et des finances publiques - la santé des grands groupes apparaissait, quant à elle, florissante.

  • 41  Assets Backed Securties et Collateral Debt Securities : il s’agit de différents types d’actifs et d (...)

73Ce du moins, jusqu’à ce qu’en septembre 2008 implose la montagne d’ABS et de CDOs41 fabriqués et distribués dans le monde entier par les grandes banques américaines et qui vont aboutir à l’étalement de la plus profonde crise du capitalisme depuis 1929.

3. Pour conclure 

74Nous nous proposons ici de résumer les principaux résultats acquis avant de formuler quelques conjectures sur les évolutions prévisibles ou possibles.

3.1 Quelques points acquis

75Sur le premier point, il faut d’abord insister sur le fait que depuis quelque deux décennies c’est bien un ensemble impressionnant de « nouvelles régulations » qui a été installé au cœur des relations entre agents. En partie “ imposées ”, sous l’effet des mutations générales du cadre de gouvernance qui s’est installé avec la déréglementation financière venue des États-Unis –et relayée en Europe par l’Acte Unique et le paquet des directives qui ont accompagné le lancement du PASF -, en partie du fait d’une action soutenue et systématique des pouvoirs publics nationaux venue relayer et consolider les pratiques et les demandes des opérateurs financiers, ces nouvelles régulations ont profondément modifié la structure et le mode de fonctionnement du capitalisme français.

76La mutation majeure a pris place à travers l’accomplissement du triptyque (privatisations/débouclage des noyaux durs/entrée des fonds de pension), ce que l’on désigné comme “ la chaîne centrale ” de la financiarisation. Celle-ci a alors servi de support à l’affirmation de formes sociales propres à la finance, qui, se nouant  au cœur des pratiques des firmes, ont profondément modifié et leurs profils traditionnels (le « conglomérat » ou la firme multi-divisionnelle et multi-activité) et les rapports qui prévalaient entre elles, caractéristiques de ce qui fût longtemps l’Organisation Industrielle à la Française. Le réputé « recentrage sur les métiers », la généralisation des mises en sous-traitance ou les délocalisation au long cours … ont désassemblé des pans entiers d’un système productif autrefois marqué par l’existence de « filières » productives relativement cohérentes. Le résultat essentiel de cette mutation est que la France, qui sur le plan de l’organisation industrielle se distinguait jusqu’il y a peu par la prégnance d’une forte action publique centrée sur l’enchaînement de “ grands projets ” relevant d’une logique de “ colbertisme high tech ”, a perdu la forme centrale suivant laquelle s’effectuait traditionnellement la coordination entre agents.

77Il faut insister sur ce point : ces évolutions n’ont nullement été “ naturelles ” : elles ont résulté d’une série de décisions majeures et délibérées, qui se sont enchaînées. Depuis les toutes premières réformes de la réglementation bancaire et financière introduites par Bérégovoy en 1984, jusqu’aux plans d’Epargne d’Entreprises refondus en 2000 par Fabius - les privatisations continues depuis 1986 et amplifiées pendant la période 1997-2001 sous le gouvernement Jospin tenant ici une place clé – les « nouvelles régulations » permettant l’installation d’un régime de marchés financiers libéralisés ont été une à une et de manière systématique, introduites dans le corps législatif et réglementaire français.

78Ainsi appuyée ou relayée par la puissance publique, la finance s’est bien muée en acteur central exerçant une dominance sur les changements connus par d’autres formes sociales servant de support à l’accumulation. Par contagion les formes et les codifications sociales générées par la finance se sont étendues d’une sphère d’activité à l’autre. Cela est vrai non seulement des modes de coordination entre firmes, cela l’est aussi en matière de gouvernance des firmes avec, sous la pression des investisseurs institutionnels la montée des principes de la sharevalue. Enfin cela s’est affirmé aussi dans les modifications qui ont affecté le rapport salarial, comme en attestent la montée des éléments financiers dans le salaire (plan d’épargne d’entreprise, intéressement…) et l’affirmation de formes radicalement nouvelles pour le haut management: le stock option, directement issu du monde de la finance et normé par elle.

  • 42  Les bonnes performances de la croissance et de l’emploi pendant certaines courtes périodes (1998-20 (...)

79Pour autant, le point doit être noté, ces « complémentarités » entre formes sociales n’ont nullement permis que s’établissent des formes de bouclage macro-économiques susceptibles d’établir sur le long terme une cohérence systémique, à même s’assurer le passage vers un régime de croissance stable et soutenable42. La brutalité et la profondeur de la crise qui se déploie depuis septembre 2008, venant après le krach de 2001, vient en effet rappeler et avec quel éclat, que l’exercice d’une domination n’implique nullement que celle-ci – par elle-même – conduise à des formes stabilisées d’accumulation.

80Dès lors, l’éclatement de la crise pose la question de savoir si l’avancement dans les formes sociales dominées par la finance est « réversible », et dans quelles conditions. Pour formuler les choses autrement se pose la question de savoir si ces formes peuvent connaître de nouvelles évolutions permettant la reprise du contrôle et la domestication des instabilités de marchés revenues au cœur du système.

3.2 Perspectives

81Il faut d’abord constater que si en France, une mutation majeure s’est bien accomplie, la mue n’a pas été « complète », loin s’en faut.

82Tout d'abord, c’est le lieu de rappeler que le marché financier français, considéré dans son ensemble reste finalement bien moins profond que celui des pays (les USA ou l’Angleterre) dans lesquels il exerce traditionnellement et depuis longtemps sa domination. Ceci tient notamment au fait que l’épargnant français reste encore réticent lorsqu’il s’agit de placements proprement financiers. Le maintien en France d’une épargne retraite qui est restée centrée sur la répartition explique sans doute cette moindre profondeur et importance du marché financier, en même temps qu’elle ouvre pour l’avenir des opportunités d’évolutions favorables. La résistance opposée par le mouvement social à la migration de l’épargne retraite vers la capitalisation apparaît aujourd’hui comme une « chance » et une opportunité sur laquelle on peut encore en France, jouer.

  • 43  Pour une analyse des facteurs d’inertie concernant les évolutions contemporaines de la corporate go (...)
  • 44  Voir sur ce point la remarquable étude proposée par Montalban (2007), qui retrace la manière dont l (...)

83Par ailleurs, en dépit des évolutions qui ont été soulignées, le mode de corporate governance à la Française reste encore souvent “ hybride ” : les blocs “ d’insiders ” quoique amoindris restent forts43, et lorsqu’ils ont été dissous, on voit, comme au bon vieux temps, les managers en appeler à la protection et au soutien de la puissance publique : France Télécom, Danone, Alsthom, et aujourd’hui Suez marié en toute hâte à Gaz de France pour échapper à l’Italien Enel… sont autant d’épisodes dans lesquels le discours libéral a été vite mis en sourdine pour permettre à la puissance publique de limiter ou de prévenir les dégâts provoqués par les jeux de la Finance. Mieux encore dans certains cas, celui-ci de la constitution du groupe Sanofi-Aventis, c’est un nouveau champion national qui a été constitué, avec le soutien appuyé et non dissimulé de la puissance publique, ce alors que le terrain de manœuvre se situait déjà entièrement sur le plan des offres d’échanges de titres44.

84Il reste que, si l’on compare la situation actuelle avec celle qui prévalait dans les années 1970, avent l’essor de la financiarisation, le changement essentiel est que – à travers privatisations des groupes industriels et bancaire et la montée de la finance directe, la France a perdu son mode central de coordination, lequel traditionnellement laissait une large place à la main très visible des pouvoir publics. Le retours de l’intervention publique, signalé dans les exemples précédents, à chaque situation vécue comme périlleuse, le montre assez : là est la manière de faire Française. La France ne coordonne ses agents ni par la Haussbank et le Lander (comme en Allemagne), ni par les Keiretsu (comme au Japon), elle le fait et ne sait le faire que par la coordination publique. Et force est de le constater, l’abandon de toute politique industrielle véritable depuis quelques 30 années se paye aujourd’hui fort cher, si l’on considère les creusements très inquiétants du déficit extérieur de ces dernières années.

  • 45  L’extraordinaire décalage entre le discours et la pratique du Pdt Sarkozy doit ici être relevé. Alo (...)

85Envisagées de ce point de vue, les très récentes déclarations du Président Sarkozy appelant de ses vœux la constitution d’un « fonds souverain » à la Française (appuyé sur la Caisse des Dépôts et Consignations), venant relayer une proposition formulée d’abord par Laurent Fabius, est de ce point de vue hautement significatif du « tropisme » français. C’est ainsi que des voix de plus en plus nombreuses se font entendre en faveur de la reconstitution d’un pôle public financier, à même de redonner une capacité d’influence sur le cours des choses. Ce, alors que les besoins du secteur financier – infestées « d’actifs toxiques »- ouvrent et ouvriront sans doute plus encore dans l’avenir des opportunités au capital public d’entrer dans l’equity des groupes financiers. On peut donc espérer, même si des opportunités ont d’ores et déjà été gaspillées45, que la crise permettra un certain rééquilibrage. Dans le contexte de la crise actuelle, des opportunités sont bien ouvertes aux acteurs publics pour rétablir un contrôle – au mois partiel – sur le monde de la finance. Il faut espérer qu’elles seront saisies.

86Il reste cependant, que si les marges d’actions « domestiques » ne doivent pas être sous-estimées, l’essentiel va se jouer ailleurs. Tout dépendra de l’ampleur et de la profondeur de la re-règlementation à laquelle il sera procédé. Or celle-ci, chacun le sait bien, se décidera pour l’essentiel aux Etats-Unis, ou à tout le moins ne pourra prendre ses formes stabilisées sans l’agrément des grandes agences de régulations financières et des pouvoirs publics américains. Quel sort sera finalement réservé aux normes comptables ? Au pratiques de « ventes à découvert », aujourd’hui provisoirement suspendues ? Aux pratiques de rémunération des traders les poussant impunément à des prises de risques extrêmes ?… Aux formes de rémunérations des grands managers ? … Plus important encore, quel sort sera réservé à la réglementation de l’activité des Hedge Funds, des marchés de produits dérivés et des innovations financières en cascades auxquels ils ont donné naissance ?... Quel encadrement sera apporté à la pratique de la « titrisation » des créances au coeur de la financiarisation et de la crise actuelle ? … De même les interrogations demeurent sur la place qui sera tenue à l’avenir par les paradis fiscaux ?…  La liste est longue des pratiques et des institutions aujourd’hui sur la sellette. Et s’il est clair que les nouvelles régulations dont on annonce la venue ne pourront être pleinement opérantes que si leur extension est « globale », nul, pour l’heure ne peut prédire quelle elle sera leur étendue.

87Sur le plan des idées et de la théorie, la crise qui s’étale sous nos yeux aura moins eu cette vertu : rappeler – contrairement à ce que la vulgate libérale et ses représentants ont  martelé au cours des deux ou trois dernières décennies - que les marchés ne sont pas auto-régulateurs et que seuls des ensembles codifiés et cohérents de formes institutionnelles nouées autour de lui peuvent donner au capital une relative stabilité. Si du moins cette leçon-là est entendue, à quelque chose malheur aura été bon.

Haut de page

Bibliographie

Aglietta M. (1998), « Le capitalisme de demain », Notes de la fondation Saint-Simon, novembre.

Aglietta M. (2001), Macro-Economie Financière, tomes 1 et 2, La Découverte, Paris

Aglietta M., Rebérioux A. (2004), Dérives du capitalisme Financie,r Albin Michel.

Autorité des Marchés Financiers (2005a), « Quelle est l’ampleur de l’activité de titrisation aux Etats Unis et en Europe », Revue Mensuelle des Marchés Financiers, n°15, juillet.

Artus P., (2006), Le Capitalisme est en train de s’autodétruire, La Découverte.

Autorité des Marchés Financiers (2005b) « Le rôle des marchés primaires d’actions décline-t-il », Revue Mensuelle des Marchés Financiers, n°17, septembre.

Baudru D., Morin F. (1999), « Gestion institutionnelle et crise financière. Une gestion spéculative du risque », Architecture financière internationale, Conseil d'analyse économique, La Documentation française, Paris.

Bayard P., Elliot K. (1994), Reciprocity and retaliation in U.S. trade policy, Institute for International Economics, Washington DC.

Becht M. Alisa R. (1999), “Blockholding in Europe: an International Comparison”, European Economic Review, 43 pp 1049-1056.

Billigand J.P. et de Foucault M. (2000), L’Epargne Salariale au cœur du contrat social, Rapport au Premier Ministre, La Documentation Française, Collection des rapports officiels Paris.

Boubel A., Ponsard F. (2003), Les Investisseurs Institutionnels, La Découverte, Paris.

Boyer R. (1999), "La politique à l'heure de la mondialisation et de la finance", L'année de la régulation 1999, vol. 3, La Découverte, Paris, pp. 13-75.

Cahiers d’Analyse Economique (1999), Le Partage de la Valeur Ajoutée, La Documentation Française, Paris.

Cahiers d’Analyse Economique (2008) Private Equity et capitalisme Français, La Documentation Française, Paris.

Cartelier Lysiane (1995), « Privatisations et Construction Européenne » in Les Entreprises Publiques dans l’Union Européenne : Entre Concurrence et Intérêt Général, Etudes de Droit des Communautés Européennes, Editions A. Pédone, Paris.

Charléty P. (2001), « Gouvernement d’entreprise : évolution en France depuis le Rapport Viénot de 1995 », Revue d’Economie Financière, n° 63.

Chesnais F. (coordinateur) (1996), La Mondialisation Financière : Genèse, Coût, Enjeux, ed Syros, Paris.

Cohen E. (1992), Le Colbertisme High Tech, Hachette.

Commissariat Général au Plan (1996), Le système bancaire Français, La Documentation Française, Paris.

Coriat B. (1990), L'atelier et le robot, Christian Bourgois Editeur.

Coriat B. (1995),  « France : Un fordisme brisé… et sans successeur », in Boyer R. et Saillard Y  (coordinateurs) Théorie de la Régulation : l’Etat des Savoirs, La Découverte, Paris.

Coriat B. (1996) “Gouvernement d’Entreprise : le Modèle Français dans la tourmente”, Alternatives Economiques, Avril.

Coriat B. (2004) « Politique de la Concurrence et Politique Industrielle dans l’Union Européenne : un rééquilibrage est-il possible ?», Les Cahiers Français, n° 319 « L’Euro et la gouvernance de l’Europe », pp. 64-69.

Coriat B., Orsi F., (2005), « Propriété intellectuelle, marchés financiers et promotion des firmes innovantes. Un retour sur la « nouvelle économie » », dans Frison-Roche, M.A et Abello, A. (Dir), Droit et économie de la propriété intellectuelle, L.G.D.J Edition, collection Droit & Economie.

Coriat B. (2006), “Moves Towards Fiance Led Capitalism. The French Case”, in Coriat et al (2006), chapter 3.

Coriat B., Petit P., Schmeder G., (eds) (2006) The Hardship of Nations, Exploring the Paths of Modern Capitalism, Edward Elgar.

Dion F. (coord) (1995),) Les Privatisations en France, in Documentation Française, série « Etudes », Paris.

Financial Times (2005) “Le rôle des Hedge Funds dans l’échec de la Deutsche Börse”, 25 Mai, reproduit in Problèmes Economiques, 7 décembre 2005, n° 2888.

Godeluck S. et Escande P. (2008), Les pirates du Capitalisme. Comment les fonds d’investissement bousculent les marchés. Albin Michel.

Goyer M. (2001), “ Corporate Governance and the Innovation system in France : The development of Firms’ Capabilities and strategies, 1985-2000 ”, Industry and Innovation, special issue on France.

Goyer M. (2007), “Instutional Investors in French and German Corporate Governance and the stability of coordination”, WP.

Jorion P. (2008), L’Implosion. La finance contre l’économie, ce que révèle la crise des subprimes. Fayard.

Lazonick W. & O’Sullivan M. (2000): “Maximizing shareholder value: a new ideology for corporate governance”, Economy and Society, vol. 29, n°1, February.

Loiseau H. (2002), “1985-2000 quinze années de mutations du secteur public d’entreprise » INSEE première, n° 860, Juillet 2002.

Lordon F. (2000), « La création de Valeur comme rhétorique et comme pratique. Généalogie et Sociologie de la ‘valeur actionnariale’ », l’Année de la Régulation, Volume 4, Association Recherche  et Régulation, La Découverte, Paris.

Lordon F., (2002), La Politique du capital, Editions Odile Jacob.

Montalban Th. (2007), “De Elf Sanofi à Sanofi-Aventis : construction d’un champion national à l’ère de la financiarisation”, WP, GREThA, Univesrsité  Bordeaux IV.

Morin F. (1998), Le modèle français de détention et de gestion du capital : analyse prospective et comparaisons internationales, ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Les Editions de Bercy.

Morin F. (2006), Le nouveau mur de l’Argent. Essai sur la finance globalisée. Ed du Seuil.

O'Byrne S. (1996), "EVA and market value", Journal of Applied Corporate Finance, n° 9.

Orlean A., (1999), Le pouvoir de la finance, Odile Jacob, Paris.

Peyrelevade J., (1999), Le gouvernement d'entreprise ou les fondements incertains d'un nouveau pouvoir, Economica Paris.

Peyrelevade J., (2005), Le capitalisme total, ed du Seuil. Collection La République des Idées.

Ponsard J.P., Zarlowski P. ; (1999), "Principes et apports des nouveaux indicateurs de création de valeur", Revue française de gestion, janvier.

Revue Française de Gestion (2002), L’Actionnaire, vol 28, n°141, Novembre/décembre

Scialom L., (1999), Economie Bancaire, La Découverte, Paris

Taddei D., Coriat B., (1993), Made in France. L'industrie française dans la compétition mondiale, Le Livre de poche.

Haut de page

Notes

1 Les deux caractérisations “ à dominante financière ” et “ patrimonial ” ne sont évidemment pas équivalentes. Si toutes deux insistent sur le rôle crucial désormais tenu par la finance, les implications de ces deux caractérisations ne sont pas les mêmes. Elles diffèrent essentiellement en ce que l’une (régime patrimonial) postule que moyennant des codifications institutionnelles  appropriées la finance serait à même d’assurer le passage à une régime d’accumulation stabilisé doté de ses propres cercles vertueux, cependant que l’autre dénie à la finance cette possibilité. Une discussion plus complète, listant les points d’accords et de désaccords entre les deux approches, est menée dans l’ouvrage Coriat. B et al (2006), en particulier dans l’introduction à la partie 1 (Voir aussi sur ce thème R. Boyer, 1999). Dans l’ouvrage cité, (Coriat et al 2006) j’ai pour ma part soutenu le point de vue que si en France la finance et ce depuis quelques deux décennies tenait  un rôle moteur et directeur dans l’orientation des changements, rien de permettait de discerner la formation d’un régime d’accumulation « stabilisée ». C’est la raison pour laquelle je parlerai dans cet article consacré au cas français, de mode d’accumulation à dominante financière et non de régime d’accumulation. Sur « la difficulté à nommer le nouveau régime » et les enjeux tournant autour de sa caractérisation, voir dans cette même livraison l’article de M. Clévenot (2008)
2 L’importance du secteur public bancaire et industriel, la puissance de l’intervention publique, le poids de la politique industrielle (à travers notamment le lancement régulier de « grands projets », …) constituent autant d’éléments typiques de l’économie française et de son « modèle » propre d’organisation industrielle.
3 D’une certaine manière il s’agit pour l’auteur de cet article, à quelques 15 ans de distance, de décrire et d’évaluer la signification de certaines des mutations essentielles éprouvées par l’économie française depuis le bilan d’étape qu’avait constitué l’ouvrage « Made in France » écrit en collaboration avec Dominique Taddei en 1993. De là les références fréquentes faites dans cet article à des analyses proposées dans cet ouvrage
4 À dessein c’est sur les modifications initiales que l’accent est porté. C’est sur l’analyse des conditions qui ont assuré le passage d’un régime à un autre, et non sur celle du fonctionnement du nouveau régime, que cet essai se centre à titre principal.
5 Pour le cas des États-Unis, l’ouvrage coordonné par F. Chesnais (1996) présente une chronologie et des analyses  bien documentées de la montée en puissance et de l’installation du pouvoir de la Finance.
6 Rappelons que les “ quatre libertés ” visées par l’Acte Unique sont : la liberté de circulation des hommes, des produits, des services et des capitaux.
7 Dans le prolongement des mutations introduites par l’Acte Unique, un moment décisif de l’installation du pouvoir de la finance en Europe est constitué par le lancement en 1999 du PASF (Plan d’Action pour les Services Financiers) à l’initiative de la Commission Européenne. Un ensemble compact de directives va totalement bouleverser le paysage bancaire et financier, jusqu’à ce que la crise de 2008 force à suspendre certaines de mesures imposées alors.
8 Cet épisode est fortement documenté dans l’étude de cas “ US against Europe ” proposé dans Bayard et Eliott (1994), (chapitre 11 pp. 267-309) ; Par ailleurs une présentation complémentaire des enjeux du passage de la première à la seconde directive est aussi proposée  par in Economie Politique n°2, 1999.
9 Pour une présentation détaillée des nombreuses mesures prise depuis le milieu de la décennie 1980 en matière de réglementation financière, bancaire et boursière en France, on se référera au très utile ouvrage de Deschanel et Gizard (1999). Pour une approche plus analytique de la déréglementation financière, resituée dans le cadre global où elle a pris naissance et s’est développée cf. Chesnais (coordinateur) (1996). Enfin pour une analyse des contradictions à travers lesquelles opèrent aujourd’hui les marchés financiers voire Aglietta (2001) ainsi que Aglietta et Rebérioux (2005)
10 Tel est par exemple le cas de cette initiative majeure qui a constitué pour les autorités françaises, le choix de procéder à la titrisation de la dette publique (ce point est repris plus bas dans cet article)
11 Nous visons ici tout particulièrement l’intense activité législative te réglementaire qui sous l’instigation de  M Bérégovoy  (comme Ministre des Finances, puis 1 ier Ministre) avait pour objet de réanimer et de développer les marchés financiers
12 Un dossier complet sur ce point a été préparé par la Revue Economique, vol 47, Novembre 1996, n° Spécial « Les Privatisations ».
13 Même si dans ces cas il s’est agi d’abord de privatisations partielles.
14 Les chiffres cités dans ce paragraphe, sont extraits de l’étude de Loiseau (2002) consacrée à ce sujet.
15  Outre Loiseau (2002) déjà cité, voire Cartelier (1995) Dion (1995), ainsi que le  N° spécial déjà cité de   Revue Economique.
16 Ce rapport est analysé plus en détail plus bas.
17  La multiplication de la mise en marché de titres sans droits de vote, ou de titres aux droits de vote renforcés cédés aux seules entreprises « amies », la vente de titres sous condition de « rachat », ou encore la valse des « pactes d’actionnaires », toutes ces pratiques – totalement opposées dans leur esprit même aux philosophies « de la transparence » qui ont été mises en avant à l’occasion des privatisations -  et qui vont se développer dans le but précisément de stabiliser une partie de l’actionnariat, contre toute logique de rentabilité, mais à seule fin de garantir le pouvoir de contrôle, montre bien qu’en matière « d’ouverture » et de  « fermeture » les arguments sont très volatils. Il est au demeurant très significatif que la Commission Européenne – qui s’est érigée en vestale du strict respect des règles de concurrence, a longuement bataillé dans sa directive OPA pour tenter d’interdire ces pratiques et protéger les droits de l’assaillant.
18 Cf. “ Made in France ”, chapitre 2
19 Pour une vue d’ensemble de leur nature et leur rôle, voire Boubel et Ponsard (2003)
20 C’est ainsi qu’en France, la détention de titres publics par des investisseurs étrangers passe de 0 % (avant la titrisation) en 1979  à 31,8 % du total en 1992. (Comptes de Nation, 1993)
21 C'est aussi dans ce cadre qu’il faut interpréter la mise en place dès 1986 de marchés de produits dérivés sur action (MONEP) et obligations (MATIF)
22 Sont visées ici les formules proposées en matière d’assurance vie, ou encore celles relatives aux plans d’épargne d’entreprises (sur lesquelles nous reviendrons). De même est ici visé le placement en OPCVM qui comme on sait en France constitue la forme principale sous laquelle, pour l’heure, l’épargne des ménages migre vers les marchés financiers.
23 À cette lumière les déclarations puis la proposition de loi de M Jospin dans le courrant de l’année 2000 d’installer de « nouvelles régulations » ne pouvait paraître que fort désuètes ! Bien longtemps avant cette annonce, c’est un ensemble compact, cohérent et diversifié de « nouvelles régulations » qui avaient été installées pour assurer le passage vers la domination de la finance. De ce point de vue, de M Bérégovoy à M Jospin, en passant par MM Chirac et Balladur, la continuité de l’action l’emporte nettement sur les différences. Une même inspiration et vision traverse alors les élites politiques françaises.
24 La banque commerciale elle-même voit son métier profondément bouleversé. Désormais ses revenus sont d’avantage assurés par des “ commissions ” que par la rémunération (sous forme d’intérêts) de son activité de prêt .Voici venu ce nouvel hybride du monde de la Finance : la « banque-dividende » (Commissariat Général au Plan, 1996). En période ce crises, c’est la Banque Centrale elle-même qui se trouve comme capturée, contrainte par ses interventions (ouverture de lignes de crédit, baisse de taux…) de se plier aux besoins des agents financiers privés (Morin, 2006).
25 Cet épisode comme plus généralement la politique de la concurrence pratiquée par Mario Monti est présentée dans notre article. B. Coriat (2004). Notons que Schneider qui porta plainte contre la Commission finit – fait rarissime dans l’histoire de l’UE, par avoir gain de cause. La décision de l’administration Monti fût cassée et la commission condamnée à indemniser Schneider.
26 Rappelons que la fiscalité française permet aux entreprises de déduire des bénéfices imposables les sommes payées au titre du remboursement des emprunts contractées. De là dans les recours aux LBOs et les montages complexes qui se nouent autour d’eux visant à faire supporter à l’entreprise acquise le poids de la dette permettant son acquisition par des tiers.
27 Voir Godeluck et Escande (2008) où cet épisode est rapporté en détail. Pour une présentation du private equity, cf. CAE (2008). Ce rapport consiste en un long plaidoyer (accompagné de nombreuses recommandations) en faveur de son développement en France.
28 Ce point est repris et développé plus bas.  Rappelons ici seulement, que c’est sous le gouvernement Jospin qu’a été prise la 1 ière réglementation (si généreuse d’un point de vue fiscal, qu’elle est aujourd’hui objet d’une remise en cause) permettant la mise en place et la distribution de stocks options.
29 Dans Lordon (2000) on trouvera une analyse détaillée de ce mode particulier de gestion, dominé par les impératifs de la share value.
30 Une analyse détaillée du contenu de ces rapports, comme de leurs spécificités par rapport à leurs équivalents étrangers est proposée dans le n° 141 de la Revue Française de Gestion (2002) parue sous le titre « l’Actionnaire ». Sur ce thème voire aussi tout spécialement Perez (2003) ainsi que Charléty P. (2001) et Lazonick et O’Sullivan (2002).
31 La chronique ne cesse d’égrener les cas où les investisseurs institutionnels imposent leur loi aux managers. Un évènement récent et spectaculaire de cette cette longue chronique, véritable cas d’école, concerne l’échec de l’OPA lancée sur la LSE par  le Deutshe Börse. Les dirigeants de la Deutshe Börse  entendaient pour ce faire utiliser une soult de  750 millions d’Euros restés dans les comptes de la bourse allemande.  C’était sans compter sur les Hedge Founds (notamment Utilities et TCI) et autres Fonds de pension (dont Fidelity) actionnaires de la bourse allemande et qui entendaient que ce pactole soit versé aux actionnaires et/ou destiné à des rachats d’action. Ils parvinrent à leur fin, obtenant au passage l’éviction de Mrs Seifert et Beuer principaux managers de la bourse allemande. L’épisode est rapporté en détail dans le Financial Times du 25 mai 2005 qui conclût son analyse en observant que « … les actionnaires rebelles ont atteint leurs objectifs de court terme. Mais au prix du report aux calendes grecques de l’émergence d’une place financière puissante en Europe ».
32 15 à 18 % ont longtemps constitué la fourchette de rentabilité exigée avant que l’explosion de la bulle internet  ne force à des exigences à peine moins élevées. En ce sens, il s’agit moins pour les investisseurs institutionnels de la poursuite d’une rentabilité de court-terme que de niveaux de rentabilité « anormalement » élevés, non seulement par rapport au taux de rentabilité des capitaux investis, mais aussi par rapport à la performance moyenne de l’indice boursier. Afin de continuer à attirer à eux l’épargne des particuliers et sous l’aiguillon de la concurrence qui s’exerce entre eux, la rentabilité financière des investisseurs professionnels doit largement « superformer » l’indice boursier. Cette situation a souvent été dénoncée comme génératrice de pratiques malsaines et même à long terme destructrices. Cf. par exemple P. Artus (2006), comme aussi l’ancien banquier, Peyrelevade (2006).
33 L’OPE est, chaque fois que possible est largement privilégié, car elle présente sur l’OPA, l’avantage de n’avoir pas à mobiliser de cash trop important (la fusion ou l’absorption se règle, chaque fois que possible, par échanges de titres), le versement en cash se présentant alors comme le complément à l’échange de titres permettant l’adhésion des actionnaires hésitants. Notons sur ce point qu’une position remarquée a dès longtemps été prise par M Peyrelevade, 1999, (alors Directeur du Crédit Lyonnais) qui appelait de ses vœux une modification de la réglementation en vigueur visant à contraindre à payer en cash les opérations menées dans le cadre d’OPA « hostiles ». Cette prise de position est remarquable, car émanant « d’un homme de métier », elle indique clairement que la nouvelle « fluidité » du capitalisme, suscitait dès cette époque, des inquiétudes et des préoccupations bien au delà des critiques classiques des opposants à la globalisation financière.
34 Avec le temps cependant et l’effondrement des valeurs Internet sur le Nasdaq, les choses rentreront d’ans l’ordre. Et « l’acquéreur » initial AOL   ne figurera bientôt  plus que comme une simple division d’un groupe dominé à nouveau par la Warner.
35 Dans le chapitre 3 de l’ouvrage cité (Coriat et al 2006) j’ai retracé le parcours de ces deux grands groupes qui illustrent parfaitement les dérives auxquelles les stratégies axées sur la valeur actionnariale ont donné lieu. Le lecteur intéressé par cette double et fort instructive saga financière pourra s’y référer.
36 Au temps de la bulle internet et de la réputée « nouvelle économie » il fût même question de transactions effectuées au moyen de que l’on a désigné comme de la  e-monnaie : la valeur, formidablement gonflée des titres de certaines entreprises – sous l’influence d’analystes ayant totalement perdu touts formes de repères - permettant les plus folles acquisitions, dans des conditions qui alors paraissaient très bonnes, avant que l’explosion de la bulle ne ramène tout le monde, souvent brutalement, sur terre. (Cf. sur ce point, le cas de nombre des acquisitions effectuées par Vivendi ou France Télécom in Coriat (2006). Les stratégies suivies par ces deux entreprises fournissent de claires illustrations des dérives connues par nombre de grands groupes français au cours de la période de la réputée « nouvelle économie ». Pour une analyse des conditions institutionnelles qui ont présidé à la formation de la nouvelle économie cf. Coriat et Orsi (2005).
37 Notons que cette activité de recentrage sur les métiers les plus immédiatement valorisables s’est souvent accompagnée ou a été relayée par une forte relance de la pratique des fusions et acquisitions visant le plus souvent des « semblables », le but du jeu étant d’acheter des parts de marché et de tenter de reconstituer ainsi des positions de monopole permettant d’échapper aux pressions concurrentielles les plus fortes. C’est ainsi que le Canadien Alcan s’est saisi de Péchiney, pour concentrer les positions de force nées de l’addition des points forts des deux groupes, une large partie des actifs de Péchiney (n’entrant pas dans cette logique) étant alors cédés.
38 Il faut entendre la notion de “ down sizing ” au sens très précis et restrictif de réduction des effectifs. Nous avons déjà indiqué comment l’accroissement de taille (notamment par fusions et acquisitions sous forme d’OPA ou d’OPE) est au contraire un moyen privilégié poursuivie par les groupes pour tenter d’asseoir des postions de marché consolidées.
39 En France, l’annonce simultanée par Michelin, (en 2000) d’une hausse spectaculaire de ses bénéfices et d’une réduction drastique d’effectifs, a fonctionné pour l’opinion publique,  comme un révélateur d’une tendance nouvelle. Depuis cette pratique du licenciement comme gage du profit futur est devenue ordinaire.
40 Signe des temps des institutions spécialisées se créent même pour cela : racheter pour le compte des entreprises leurs propres actions et les stériliser.
41 Assets Backed Securties et Collateral Debt Securities : il s’agit de différents types d’actifs et de créances titrisées, mis en marché par les banques américains, pour des montants se chiffrant à plusieurs milliers de milliards de dollars, et dont la solvabilité est aujourd’hui plus ou moins complètement entamée. Dans Jorion (2008), on trouvera une analyse très précise des conditions dans lesquelles ces instruments ont été conçus et introduits sur le marché
42 Les bonnes performances de la croissance et de l’emploi pendant certaines courtes périodes (1998-2000 ou encore 2005-2007), outre qu’elles sont contemporaines de phases d’euphorie boursière précédant l’explosion de bulles, sont avant tout des phénomènes partagés avec des cycle européens de reprise.
43 Pour une analyse des facteurs d’inertie concernant les évolutions contemporaines de la corporate governance, et notamment les jeux souvent subtils entre “ Blocs d’insiders ” et “ Blocs d’outsiders ”, cf. la revue de la littérature de P. Geoffron [1999]
44 Voir sur ce point la remarquable étude proposée par Montalban (2007), qui retrace la manière dont la constitution du groupe sous autorité du partenaire français n’a pu être réalisée qu’avec la complicité active des pouvoirs publics français.  
45 L’extraordinaire décalage entre le discours et la pratique du Pdt Sarkozy doit ici être relevé. Alors qu’il va d’estrades en estrades proclamer que rien ne saurait rester comme auparavant, la formule choisie pour la recapitalisation des banques française, leur laisse entièrement la main, sans entrée dans le C.A, bien en retrait des formules adoptées par un Gordon Brown.
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Benjamin Coriat, « L’installation de la Finance en France. », Revue de la régulation [En ligne], 3/4 | 2e semestre/Autumn 2008, mis en ligne le 06 janvier 2009, consulté le 05 mars 2014. URL : http://regulation.revues.org/6743

Haut de page

Auteur

Benjamin Coriat

Université Paris 13 – CEPN
coriat AT club-internet.fr

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

© Tous droits réservés

Haut de page