1Depuis 2007 l’Association des Amis du Roman populaire a son siège et son centre de documentation à Vignacourt près d’Amiens. Si la revue Le Rocambole qu’elle produit perdure, cette association a souhaité replacer dans des objectifs de vulgarisation l’œuvre de Jules Verne dans le contexte de production de romans populaires pour la période allant des débuts du XIXe siècle à la Grande Guerre. D’où la création du nouveau périodique le Bulletin du Club Verne. Il est nécessaire de distinguer ce dernier de la Revue Jules Verne produite depuis les années quatre-vingt-dix par le Centre international Jules Verne d’Amiens au sein du musée éponyme.
2L’Asie mystérieuse est le premier sujet abordé, suite à une proposition de Laurence Sudret (secrétaire générale de la Société Jules Verne). Si ce numéro ne propose pas d’article de synthèse, il présente l’œuvre de divers romanciers dont la lecture est souvent progressivement passée d’un public d’adultes à un public de jeunes. Laurence Sudret elle-même se penche sur Nemo et Nana Sahib afin de dégager la figure de l’opposant indien au colonialisme anglais chez Jules Verne. Les Tribulations d’un Chinois en Chine suscitent l’intérêt tant de Noémie Luciani que de Volker Dehs et de Philippe Burgaud pour des adaptations scéniques. Lionel Dupuy recherche la documentation dont a fait usage Jules Verne pour décrire la Russie asiatique dans Michel Strogoff tandis que Masataka Ishibashi livre la vision du Japon chez Jules Verne et la réception de ses œuvres au pays du Soleil levant où Deux ans de vacances est un classique la littérature de jeunesse. Claude Lengrand recense les lieux du continent visités par les héros verniens et un dictionnaire abrégé des personnages présents dans ces endroits est proposé.
3Si dans cette partie certains articles laissent sur la faim en ne survolant que le sujet traité, par contre les textes développés autour d’autres auteurs sont généralement traversés par un souffle plus dynamique. L’article de Daniel David rappelle fort à propos que le capitaine Danrit est le pseudonyme du lieutenant-colonel Driant (gendre du général Boulanger). Ainsi l’étude de L’Invasion jaune du capitaine Danrit met très bien en perspective la traduction des inquiétudes françaises suite à la défaite alors en cours de l’allié russe par les Japonais, tout en ne manquant pas de relever dans cette œuvre à la fois la responsabilité de l’Angleterre dans la montée de ce danger et la complicité de l’auteur à l’égard du militarisme prussien. Ce dernier comme Louis Jacolliot a été marqué par la connaissance de la révolte des Cipayes ; Le Coureur des jungles paru en 1887 a pour héros Nana Sahib (un personnage historique qui a également inspiré Jules Verne) et Louis Jacolliot (qui a été fonctionnaire à Chandernagor) y prend parti pour les révoltés par haine d’une Angleterre qui a dépossédé la France de ses possessions indiennes. Pour Paul d’Ivoi les peuples jaunes sont à la fois une menace pour l’Occident et une société rétrograde ; Marie Palewska le démontre à travers les contenus en particulier de Cigale en Chine, Les Cinq Sous de Lavarède et Les Dompteurs d’or. Parues en 1890 les Aventures de Sidi-Froussard de Georges Le Faure appartiennent pleinement à la littérature de jeunesse dans la catégorie alors en vogue des romans patriotiques et son plaidoyer pour l’expansion coloniale passe par un dénigrement des populations indigènes annamites et chinoises. Jean-Luc Buard, en s’appuyant sur de courtes présentations de livres déjà réalisées, essaie de dégager des lignes communes aux ouvrages à plat historié en évoquant parfois des traductions. Finalement avant 1914 une bonne part d’actualité liée aux conquêtes coloniales (européennes ou japonaises) porte l’ensemble des ouvrages évoquant l’Asie ; selon nous la dimension du fantastique servira ultérieurement à renouveler les peurs.
4La revue montre pour ce premier numéro qu’elle se veut être d'un bon niveau de vulgarisation, source d'informations inédites ; elle est plus intéressante par les pistes de recherche qu’elle ouvre en faisant un lien entre la production de romanciers contemporains de Jules Verne et l’œuvre de ce dernier, que par une volonté de proposition de synthèse sur un point particulier de son œuvre. Libérée de certaines contraintes hagiographiques, elle pourrait permettre de voir aborder des sujets iconoclastes comme par exemple la place et les caractéristiques de l’antisémitisme dans les romans de Jules Verne et dans les autres romans de voyage de la même époque.