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Sandrine Parageau. Les Ruses de l'ignorance. La Contribution des femmes à l’avènement de la science moderne en Angleterre
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Recensions

Sandrine Parageau. Les Ruses de l'ignorance. La Contribution des femmes à l’avènement de la science moderne en Angleterre

Laurence LUX-STERRITT
Référence(s) :

Sandrine PARAGEAU. Les Ruses de l'ignorance. La Contribution des femmes à l’avènement de la science moderne en Angleterre. Paris : Presses Sorbonne Nouvelle, 2010. 359 p. ISBN 978-2-87854-484-8. 23€

Texte intégral

1Avec Les Ruses de l’ignorance, Sandrine Parageau signe une première monographie de grande qualité, issue des travaux de sa thèse de doctorat. L’auteur y aborde « La Contribution des femmes à l’avènement de la science moderne en Angleterre » –comme l’indique le sous-titre de l’ouvrage– par le biais de la comparaison de deux des figures féminines les plus remarquables du XVIIème siècle: Margaret Cavendish, duchesse de Newcastle (1626-1676) et Anne, vicomtesse Conway (1631-1679).

2De ces deux figures, la première est la mieux connue. Comme en témoigne une efflorescence de publications et de modules d’enseignement, c’est tout un champ d’études qui s’est développé autour de Margaret Cavendish depuis les années 1990 dans les pays anglophones. La France a apporté de belles contributions à ce domaine, grâce notamment aux travaux de Line Cottegnies, avec qui Sandrine Parageau a travaillé. Paradoxalement, les écrits d’Ann Conway, s’ils sont aujourd’hui moins connus, étaient sans doute à l’époque plus appréciés que ceux de « Mad Madge ». C’est précisément la confrontation de l’œuvre de Margaret Cavendish et de celle d’Ann Conway qui donne à cette étude une envergure qui dépasse la somme de ses composantes considérées séparément. Comme l’auteur l’explique dans son excellente introduction, Cavendish et Conway, sans jamais se rencontrer, évoluent dans un même milieu culturel et sont en relation avec les mêmes hommes politiques, intellectuels, écrivains, scientifiques, et philosophes. La comparaison de leurs écrits permet une analyse originale, riche et nuancée des modalités d’accès au savoir et de la contribution des femmes au débat philosophique de l’époque.

3L’ouvrage est organisé en trois grandes parties : « La prédilection des femmes pour la philosophie de la nature : les facteurs socio-historiques », « Les modalités du discours scientifique de Margaret Cavendish et d’Anne Conway : une pensée autodidacte au service de l’ordre » et « Contre le désenchantement de la nature : la réponse de Cavendish et de Conway aux ‘nouvelles philosophies’ ». La première partie pose les jalons contextuels nécessaires à l’étude : après un bref état des lieux de l’éducation des femmes au XVIIème siècle, l’auteur révèle l’autodidaxie de Cavendish et Conway, avant de montrer comment cette dernière –qui court comme un fils rouge tout au long de l’ouvrage– conditionne les contributions philosophiques des deux femmes. C’est aussi elle qui, souvent, influe sur l’opinion que se fait d’elles la communauté des lettrés à laquelle elles se targuent d’appartenir. Grâce à une belle étude de leur correspondance, l’auteur dévoile les rouages de cercles intellectuels où les critiques tout comme les éloges et les conseils des plus grands révèlent une conception élitiste et complexe de la philosophie naturelle qui, si elle est accessible aux femmes, n’en demeure pas moins un domaine où elles sont l’exception.

4On aurait pu attendre une réflexion liée au genre, notamment dans l’étude des lettres échangées avec les grands penseurs. Mais là n’est pas l’intérêt de cette analyse. La deuxième partie de l’ouvrage démontre en effet que sexe et genre jouent un rôle moins important que les modalités même d’accès au savoir (et donc l’autodidaxie) dans les contributions des femmes au débat scientifique du XVIIème siècle. Cette partie développe le thème du « bricolage » intellectuel, énoncé initialement par Claude Lévi-Strauss et appliqué ici de façon fort convaincante aux travaux de Margaret Cavendish et Ann Conway.  Dans l’œuvre de ces « polygraphes » (110), l’ordre le dispute à la diversité, et la voix des deux auteurs se mêle à celles de leurs sources dans un dialogisme et une intertextualité dont l’analyse révèle la complexité. Les deux femmes se risquent ainsi à réconcilier diverses théories glanées au fil de conversations entendues dans les salons littéraires, ou dans leurs lectures d’anthologies, dans ce que Sandrine Parageau appelle une « méthode éclectique » (150). C’est en effet de l’éclectisme de leur savoir que les deux femmes font naître une méthode personnelle, qui dans les deux cas vise à rétablir un ordre : chez la duchesse de Newcastle, tout tend à l’affirmation d’un ordre politique et social, tandis qu’Ann Conway met sa méthode au service d’un sujet qui lui est cher, pour affirmer un lien fort entre philosophie et fait religieux –un lien par ailleurs nié par Margaret Cavendish.

5La troisième et dernière partie entre en plus de détails dans les complexités du débat philosophique de l’époque, et tente de situer les positions de Margaret Cavendish et Ann Conway vis-à-vis des nouvelles hypothèses qui animent alors les milieux érudits. Dans leur rencontre avec l’hypothèse atomiste qui s’impose comme l’un des courants philosophiques majeurs en Angleterre en permettant d’expliquer les phénomènes dits « occultes » de la nature (212), les deux femmes adoptent une attitude ambivalente. Sans rejeter l’hypothèse, elles ne l’adoptent pas non plus tout  fait mais, fidèles à l’esprit « bricoleur » mis en évidence plus tôt dans l’ouvrage, elles en adaptent les aspects les plus plausibles, pour les inscrire dans leur méthode et leur affirmation de l’ordre. Loin de se laisser emporter par l’exaltation d’un temps de découvertes et de nouveautés, toutes deux rejettent le système mécaniste de Descartes et se défient des théories de Hobbes. De même demeurent-elles prudentes face à l’engouement que suscitent la philosophie expérimentale et son approche empiriste. Les philosophies de Cavendish et de Conway abordent le problème de la composition de la nature de façon très comparable et présentent une hiérarchie de trois principes clairement ordonnés : ce qui est immuable, ce qui peut être changé pour devenir meilleur, et ce qui est susceptible de changer en bien comme en mal. Dans cette discussion de la conception de la nature, Sandrine Parageau offre une étude très pointue, qui rapproche les deux femmes de la philosophie moniste et les inscrit « entre mécanisme et vitalisme ». (287)

6La conclusion de l’ouvrage met en avant l’une des forces majeures de cet ouvrage : au-delà de l’intérêt intrinsèque de l’analyse des contributions philosophiques de Margaret Cavendish et Ann Conway, cette étude comparée permet de rectifier une tendance exagérée à interpréter la nature et la pratique de la philosophie naturelle au XVIIème siècle comme un progrès inéluctable, un mouvement continu et linéaire aboutissant à l’avènement de la science moderne. En cela, cette brillante monographie s’inscrit dans un courant historiographique post-« révisionniste », au sens où elle permet de rectifier, grâce aux exemple étudiés et à leur remise en contexte aussi précise qu’érudite, des généralités bien ancrées, tant dans le domaine de l’histoire des idées que dans celui de l’histoire des femmes.  Une bibliographie thématisée de toute première qualité et deux index (index nominum et index rerum) viennent compléter un ouvrage tout à fait remarquable.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Laurence LUX-STERRITT, « Sandrine Parageau. Les Ruses de l'ignorance. La Contribution des femmes à l’avènement de la science moderne en Angleterre », E-rea [En ligne], 9.2 | 2012, mis en ligne le 15 mars 2012, consulté le 01 mars 2014. URL : http://erea.revues.org/2642

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