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Torrekens Corinne, L’islam à Bruxelles, Bruxelles, Ed. de l'Université de Bruxelles, Bruxelles, Coll.Science politique, 2009, 208 p.
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Lectures

Torrekens Corinne, L’islam à Bruxelles, Bruxelles, Ed. de l'Université de Bruxelles, Bruxelles, Coll.Science politique, 2009, 208 p.

Florence Bergeaud-Blackler

Texte intégral

1Ce livre, consacré à la gestion de la pratique de l’islam en Belgique, porte sur le processus de reconnaissance et d’institutionnalisation du culte musulman au cours des trois dernières décennies. Un processus qui ne se fait pas sans heurts du fait, notamment, de la soudaineté de l’émergence, non de la religion elle-même, mais de sa visibilité, concentrée dans quelques communes de Bruxelles capitale (mosquées, abattages d’animaux lors de la fête de l’aïd el-kebir, cimetières musulmans, etc). L’hypothèse de départ de l’auteure est que l’on assiste, surtout en Belgique, à une gestion locale de l’islam, conséquence d’une prise en charge insuffisante du culte musulman au niveau des instances de gouvernement fédérales et régionales. L’auteure propose donc, dans la version ici publiée de sa thèse de doctorat, une description et une analyse de la construction d’un islam européen « par le bas » qui va l’amener à privilégier une approche empirique et pragmatique des relations qu’entretiennent les différents niveaux de gouvernance avec les groupes et populations en demande d’islam, et de tenter d’en offrir une lecture dialectique et globale.

2L’auteure commence par un premier constat : le discours médiatique met en avant la faible acceptabilité sociale du culte musulman. Pourtant, constate-t-elle, ce discours ne reflète pas la forte institutionnalisation des relations entre représentants de la communauté musulmane et pouvoirs publics. Plutôt que d’aborder cette question par une sociologie des conflits, il convient, selon elle, d‘étudier les modes de négociation et de concertation qui caractérisent les interactions entre les groupes musulmans et leur environnement social et politique immédiat. Qu’ils aient des objectifs divergents n’impliquent pas que ceux-ci soient conflictuels pas plus que concertés. « La transaction (p. 13) n’implique, alors, pas uniquement des négociations stratégiques entre des acteurs rationnels ayant des intérêts clairement identifiés et des objectifs prédéterminés, mais relève d’enjeux sous-jacents à la production de sens, de légitimité ainsi que des référentiels de l’action ». Il faut, également, préconise-t-elle, sans sacrifier à sa dimension politique, prendre au sérieux le religieux, c'est-à-dire prendre en considération la consistance du religieux et son pouvoir autonome de mobilisation. On retrouve, là, la marque de fabrique de la sociologie belge de l’islam et, notamment, d’un de ses premiers concepteurs et promoteurs, Felice Dassetto, qui s’est démarqué, très tôt, sur ce point de la tendance parisienne dominée par les sciences politiques (R. Leveau, G. Kepel) pour se rapprocher de l’orientation aixoise (B. Etienne, J. Cesari).

3Le terrain choisi par Corrine Torrekens couvre les trois communes de la région Bruxelles-capitale qui fait de la Belgique et, notamment, de sa capitale un des espaces urbains européens les plus peuplés d’habitants musulmans. Selon les chiffres officiels, basés sur la nationalité, Schaerbeek et Molenbeek comptent entre 11 et 12% de musulmans, Saint-Josse en compte 17%, mais, en réalité, selon des estimations tenant en compte les naturalisations, les pourcentages pourraient être aisément doublés. Les chiffres officiels seraient ainsi fortement sous estimés.

4La thèse de l’auteure se décline en 4 chapitres. Le premier (p. 19 à 41), essentiellement théorique, consiste en l’examen critique du concept multiforme d’« espace public », à partir de la définition qu’en donne Habermas. Il mobilise, ensuite, les théories de la structure des opportunités politiques et du néo-institutionnalisme afin d’en dégager un cadre d’analyse que l’on retrouvera tout au long de l’ouvrage. On pourra, sans doute, déplorer la présence d’un chapitre théorique en début d’ouvrage pour un lecteur qui ne connaitrait pas la réalité de l‘islam bruxellois. Heureusement le second chapitre, plus volumineux (p. 42 à 98), se concentre sur les territoires de l’islam abordant, à l’aide de nombreux exemples et citations, la centralité de la mosquée dans la vie religieuse et la gestion politique de l’islam et des musulmans. La mosquée, espace de convivialité, de solidarité, structure l’espace social et politique musulman belge pour des raisons qui tiennent aux « cycles successifs de visibilisation des mosquées » que l’auteur décrit selon une perspective historique bienvenue. Le cas emblématique, et cocasse, du minaret de la mosquée turque Fatih Camii montre toute l’ingéniosité mise en œuvre, de part et d’autre, pour faire intégrer dans l’espace et le patrimoine architectural néo-classique un minaret. Le dossier initial de demande de construction n’a pu, finalement, être accepté que lorsque les parties se sont entendues pour remplacer la mention de construction d’un minaret par « l’ajout d’une enseigne publicitaire », ayant la forme d’un minaret d’une hauteur de quelques mètres. Mais cet exemple masque une réalité encore bien défavorable de discrimination administrative que l’auteur attribue à l’absence d’interprétation unifiée du statut du culte musulman en Belgique.

5Les relations entre l’islam et la société belge sont, certes, marquées par des hostilités de la population autochtone vis-à-vis des immigrants musulmans mais elles ont aussi produit des « plateformes de concertation » et abouti, non seulement à un soutien symbolique, mais aussi, dans une certaine mesure, à un soutien matériel et financier et une reconnaissance pour les mosquées et les élus « d’origine musulmane ». L’auteur passe en revue les circonstances qui aboutissent à ces concertations dans les trois communes étudiées, citant de pertinents extraits d’entretiens réalisés avec les bourgmestres, en recherche d’interlocuteurs représentatifs, et des responsables de mosquées. Elle met en évidence de significatives différences de traitement entre les trois communes, soulignant l’importance du niveau communal par rapport aux niveaux régional et fédéral de gouvernance. Le passage sur la complexité du rôle et du statut des élus communaux d’origine musulmane entre universalité et assignation identitaire (p. 120) réussit particulièrement bien à nous montrer les enjeux concrets de ces négociations. S’appuyant de façon pertinente sur le travail de Vincent Geisser, l’auteure montre le rôle central joué par les élus issus de l’immigration, rôle actif, mais aussi passif, dans la mesure où leur origine, leur identité religieuse assignée leur prescrit certains comportements dictés par des stratégies politiques et politiciennes plus ou moins indépendantes de la gestion du culte proprement dite. Les élus d’origine musulmane sont employés à incarner la communauté musulmane, assigné dans ce rôle aussi bien par les élus que par leur communauté au sein de structures d’opportunité politique complexes, ce qui aboutit parfois chez ces individus à de douloureux dilemmes. L’institutionnalisation par les élus de plateformes de concertation avec les présidents de mosquées montre l’évolution spectaculaire des positions des élus, de l’indifférence à l’action, pour tenter de co-gérer avec les responsables religieux les problèmes sociaux et de racisme rencontrés dans leur commune. L’auteure conclue donc qu’il existe en Belgique, et notamment dans les trois communes étudiées, une bien réelle reconnaissance politique des minorités ethniques et religieuses, et un contexte qui a rendu « la structure d’opportunités politiques plus favorable qu’elle ne l’a jamais été auparavant pour ces groupes » (p. 136). Le dernier chapitre nous ramène à des considérations théoriques stimulantes, mais un peu déroutantes car, sans doute, insuffisamment articulées aux analyses basées sur le travail empirique remarquable du chapitre trois. L’auteure s’intéresse ici aux « outils de la démocratie participative locale » et, en particulier, au déni de reconnaissance de droit, d’estime sociale et de voix au-delà du niveau communal. « Le processus de reconnaissance officiel du culte musulman étant inachevé, écrit–elle, il ne permet pas aux musulmans croyants le plein exercice de leur droit à la liberté de conscience et à la pratique de leur culte sur un pied d’égalité avec leurs concitoyens non musulmans » (p. 165). Cet inachèvement ne permet pas de lever complètement l’illégitimité de la présence musulmane en Belgique, qui reste contestée malgré une institutionnalisation locale relativement avancée. C’est ce paradoxe que l’on retient surtout des longs extraits des propos des responsables de mosquées et qui nourrissent la thèse du décrochement problématique dans le traitement local/national de l’islam en Belgique. Ce n’est pourtant pas ce sur quoi conclut l’auteure qui préfère retenir de l’islam belge ses « solutions pragmatiques et pacifiées » (p.180) et souligner, une fois encore, sa différence avec le « discours public officiel ». On reste, ainsi, sur un sentiment d’inachevé car l’auteure s’arrête précisément là où elle a commencé : sur le constat d’un décrochage local/global mais pas, comme on l’aurait souhaité, sur des hypothèses explicatives. On a, pourtant,très fortement le sentiment, en lisant les témoignages rapportés et, dans une moindre mesure, les analyses qui en sont faites, que la gestion locale de l’islam sans discours de légitimation des musulmans belges ne permettra pas de faire l’économie d’un grand débat national sur la représentation de l’islam en Belgique. Mais si l’islam belge reste un point d’interrogation, la Belgique en est un autre qui aurait mérité le rajout d’un chapitre supplémentaire spécifiquement dédié à la question musulmane dans le jeu politique belge et, notamment, l’instrumentalisation de l’islam par les séparatistes, le Vlams Belaang et, plus généralement, le nationalisme flamand. D’autant que l’islam est devenu au cours des dix dernières années l’ennemi intérieur des nouveaux partis populistes européens. Quel impact le discours raciste et nationaliste a-t-il eu sur l’administration du culte, n’est-il pas également l’instrument du décrochage local /global ? De même que l’on aurait apprécié d’en connaitre plus sur le rôle des États d’origine (du Maroc, de la Turquie notamment) dans la gestion de la religion des migrants et de leurs descendants. La thèse de C. Torrekens reste, cependant, un ouvrage modèle qui devrait inspirer d’autres monographies européennes consacrées à des petites fabriques locales de l’islam en Europe. Le niveau local est, en effet, certainement l’angle le plus pertinent pour en observer toute la complexité et en saisir les enjeux multiples.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Florence Bergeaud-Blackler, « Torrekens Corinne, L’islam à Bruxelles, Bruxelles, Ed. de l'Université de Bruxelles, Bruxelles, Coll.Science politique, 2009, 208 p. », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 130 | février 2012, mis en ligne le 17 mai 2011, consulté le 01 mars 2014. URL : http://remmm.revues.org/7046

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