It is the cache of ${baseHref}. It is a snapshot of the page. The current page could have changed in the meantime.
Tip: To quickly find your search term on this page, press Ctrl+F or ⌘-F (Mac) and use the find bar.

L’ouverture d’énoncé : espace contraint, espace de liberté. Comparaison entre l’allemand et le français dans un texte de Peter Sloterdijk et sa traduction
Navigation – Plan du site

L’ouverture d’énoncé : espace contraint, espace de liberté. Comparaison entre l’allemand et le français dans un texte de Peter Sloterdijk et sa traduction

Laetitia Faivre

Résumés

Dans cet article, nous étudions l’ouverture d’énoncé dans un texte allemand du philosophe Peter Sloterdijk (Zorn und Zeit, 2006) et sa traduction en français par Olivier Mannoni (Colère et temps, 2009) à l’aune des quatre grands buts qui président en principe à l’ordre des mots au sein de l’énoncé (cf. Korzen et Nølke, 1996) : le marquage du type d’énoncé, la distinction des fonctions grammaticales, l’optimisation du message et la structuration informationnelle du message. À partir de ces critères d’analyse, dont nous montrerons la pertinence et les limites, dans l’économie du texte, nous nous demanderons à quelles conditions l’ouverture d’énoncé est un segment intraphrastique traduit et / ou à traduire.

Haut de page

Texte intégral

1. Introduction

1.1. Cadre théorique

1La présente analyse s’inscrit dans le cadre d’une « comparaison traduisante », « bilingue et textuelle » (Kocourek, 2001 : 154), dans la mesure où elle se propose de cerner des traits de langue du texte source et d’en mettre au jour des équivalences ou des contrastes dans le texte cible. Elle assume ainsi le fait de n’être « structurelle qu’indirectement » (Kocourek, 2001 : 154).

2La réflexion sera menée cependant à partir d’un questionnement exogène. Korzen et Nølke (1996 : 5) estiment ainsi que « dans la latitude laissée par la construction topologique, l’ordre des constituants de la phrase peut servir à quatre types de buts principaux » : 1) la distinction des fonctions grammaticales au sein de l’énoncé, 2) le marquage du type d’énoncé, 3) la structuration informationnelle du message, 4) l’optimisation du message.

3Nous comparerons l’ouverture d’énoncé dans un texte allemand et sa traduction en français à l’aune de ces quatre grands types d’effets de l’ordre des constituants, en tant qu’ils résultent d’un choix de la part du locuteur (que ce choix soit d’ordre sémantique, pragmatique / énonciatif, rhétorique ou stylistique, au sens large). Il s’agira ainsi de s’interroger sur la réalisation alternative de ces quatre objectifs en ouverture d’énoncé, en mettant l’accent sur les contraintes spécifiques aux deux langues.

  • 1 Pour une mise en question de la pertinence de V1 et V2 pour l’allemand, voir Poitou (...)
  • 2 Voir Marchello-Nizia (1995 : 37).

4Pour cette étude, nous modifions toutefois l’ordre selon lequel Korzen et Nølke énumèrent ces quatre buts principaux. Il est en effet plus pertinent, par rapport à la langue source et à l’objet d’étude, de commencer par le marquage du type d’énoncé, puisqu’en allemand, l’occupation ou la non-occupation de la première place détermine en principe la modalité d’énonciation1. Nous aborderons ensuite la question de la distinction des fonctions grammaticales, qui touche à une différence fondamentale entre l’allemand, langue casuelle de type V2, et le français, langue non fléchie de type SVO2. Après le traitement de la question de l’optimisation du message, décisive dans la perspective de la traduction et dont il faudra examiner les critères, nous nous intéresserons aux rapports entre structuration informationnelle et ouverture d’énoncé, zone qui peut accueillir en allemand des éléments très hétérogènes.

5La problématique sous-jacente sera la suivante : quels effets sont escomptés par le placement (ou le non-placement) de tel(s) constituant(s) en position préverbale dans le texte source ? Ces effets sont-ils retranscrits dans la proposition de traduction ? Le segment intraphrastique constitué par l’ouverture d’énoncé est-il traduit dans le texte cible ? À quelles conditions ? En essayant, dans la mesure du possible, de toujours privilégier d’abord une réponse syntaxique à ces questions, nous nous intéresserons à la démarche du traducteur, aux différentes interprétations et difficultés qui se présentent à lui pour la traduction de cet espace de l’énoncé.

  • 3 L’abréviation « ZZ » renvoie à Sloterdijk (2006). Les chiffres qui suivent corresponden (...)
  • 4 L’abréviation « CT » renvoie à Sloterdijk (2009). Les chiffres qui suivent corresponden (...)

6Le corpus étudié se compose d’un texte du philosophe Peter Sloterdijk – le chapitre qui ouvre l’introduction de Zorn und Zeit (ZZ 9-22)3 – et de la traduction en français de ce même texte, Colère et temps (CT 9-20)4, par Olivier Mannoni. Il ne s’agira pas, pour nous, d’évaluer l’interprétation du traducteur, mais de confronter deux écritures, pour tenter d’identifier des utilisations singulières de cette place dans l’énoncé.

1.2. Topologie de la phrase allemande

7Un bref rappel sur le fonctionnement de la phrase en allemand. L’ordre des mots n’est pas décrit en référence à une structure canonique qui associerait étroitement place(s) et fonction(s), mais par rapport à la règle « verbe en deuxième position », V2. Reis (1980) démontre que l’analyse topologique constitue le moyen optimal pour appréhender cette particularité (cf. Altmann et Hofmann, 2008 : 80), au sens où ce modèle rend possible une description adéquate des phénomènes de placement des constituants en allemand.

8L’organisation de la phrase s’articule autour du verbe conjugué, placé en « deuxième position ». Le modèle de Reis propose une répartition en trois champs. Le verbe conjugué et les autres parties du prédicat, disposés séparément, forment une « pince » (Klammer), un « cadre » (Rahmen), dans la phrase. Cette pince peut aussi, pour Reis, être formée par d’autres éléments ayant une valeur démarcative identique, comme certaines conjonctions et prépositions (avec infinitif). À partir de ce cadre, la structure en surface de la phrase allemande se répartit en trois « champs positionnels » (Stellungsfelder), respectivement appelés Vorfeld (littéralement pré-champ), Mittelfeld (champ du milieu) et Nachfeld (post-champ) :

[Vorfeld] verbe conjugué [Mittelfeld] [Nachfeld]

La rigidité positionnelle du verbe conjugué est essentielle du point de vue de l’analyse de l’ouverture d’énoncé en allemand (Faucher, 1984 : 88) :

[…] la règle V2 n’a pas pour but de nous permettre de déterminer le lieu où il convient que nous placions le verbe, mais de délimiter une grande unité syntaxique (cohérente) sur sa gauche (un cran à gauche du verbe !).

Le verbe conjugué fournit ainsi une borne à droite stable pour la définition de l’objet d’étude, l’ouverture d’énoncé.

9Si la borne droite de l’objet d’étude paraît très nettement définie par le verbe conjugué, il n’en va pas tout à fait de même pour la borne gauche. En dépit du préfixe vor- qui associe étroitement ce champ au commencement de la phrase, le Vorfeld n’est pas toujours premier. Un Vor-Vorfeld (pré-pré-champ, que l’on peut traduire, avec Schanen et Confais [2001], par le terme d’avant-première position) peut en effet être distingué du Vorfeld. Il désigne alors le champ, facultatif, qui se trouve encore avant le premier constituant de la phrase, délimité donc à droite par le Vorfeld et à gauche par la borne gauche de la phrase :

[Vor-Vorfeld] [Vorfeld] verbe conjugué [Mittelfeld] [Nachfeld]

Le nombre d’éléments en Vor-Vorfeld n’est pas limité.

2. Marquage du type d’énoncé

  • 5 Les autres critères sont : le mode du verbe, la catégorie grammaticale de l’élément placé (...)
  • 6 Pour une remise en cause de ce modèle, voir Poitou (2010).
  • 7 Le linguiste envisage la phrase en surface comme dérivée de la structure profonde, qui en (...)

10On envisage généralement la question du type d’énoncé en allemand à partir des trois positions du verbe conjugué – la deuxième position (V2), la première position (V1) et la dernière position (Vfin) –, même si l’ordre des mots n’est pas un critère suffisant5. Dans cette perspective, la question de l’occupation ou de la non-occupation de la première place (le Vorfeld, dans la terminologie topologique) détermine (et est déterminée en principe par) la place du verbe en V1 ou V2 et est ainsi considérée comme essentielle pour distinguer l’assertion de la question (globale) et de l’injonction6. Ainsi, la présence d’un constituant en Vorfeld est-elle pour Zemb (1993 : 19)7 la marque d’une assertion, close et achevée, tandis que pour l’exclamation et l’interrogation, quelque chose fait défaut, un savoir dans l’interrogation, une action dans l’injonction, ce que signale précisément, toujours selon Zemb, l’absence de constituant en Vorfeld. Le corpus étudié ne présentant pas d’injonctions, nous ne traiterons pas ici de ce type de phrase.

  • 8 « [D]as VF ist zwar strukturell bestimmbar, es ist aber nicht festlegbar, womit dieser st (...)

11L’interrogation se pense surtout par contraste avec l’assertion. Or, pour ce dernier type de phrase – sauf cas particuliers –, la présence d’un élément en Vorfeld est obligatoire. Syntaxiquement, il est impossible de déterminer quel est cet élément (voir Dürscheid, 19898). Comme dans le texte étudié l’absence d’élément en première place n’est significative que pour l’interrogation globale, nous n’aborderons donc que ce type d’énoncé dans cette partie. Pour des raisons logiques, nous traiterons également ensuite de l’interrogation partielle.

2.1. La phrase interrogative globale

12Syntaxiquement, l’interrogation globale directe en allemand est marquée à l’écrit par le placement du verbe conjugué en ouverture d’énoncé (exemple [1]), par contraste avec l’assertion :

  • 9 N.B. : Peter Sloterdijk continue à écrire selon les règles antérieures à la (...)
[1] Soll man ihm vorwerfen, er verletzte die Menschenwürde, indem er Individuen allzu direkt als Medien befehlender höherer Wesen auffaßte?
  (ZZ 15)9

13En français, cette construction syntaxique avec verbe en première position est possible également, comme le montre la traduction de [1], en [2].

[2] Doit-on lui reprocher de blesser la dignité humaine en concevant trop directement les individus comme les médias de créatures supérieures et donneuses d’ordres ?
  (CT 14)
  • 10 En réalité, est-ce que « s’emploie aujourd’hui aussi bien à l’oral qu’à l’é (...)
  • 11 Deux interprétations sont possibles : l’interprétation explétive (nécessité (...)

14Cette tournure est en général considérée comme plus soutenue par rapport à l’énoncé interrogatif concurrent introduit par « est-ce que »10. Cependant, l’inversion du sujet n’est possible que si le sujet est un pronom. Pour que la phrase soit correcte grammaticalement, le sujet doit être à l’initiale et redoublé par la forme du pronom personnel sujet à la troisième personne correspondante après le verbe conjugué11. On parle alors d’inversion complexe :

[2’] Le philosophe doit-il lui reprocher de blesser la dignité humaine en concevant trop directement les individus comme les médias de créatures supérieures et donneuses d’ordres ?

15En allemand, en revanche, il est remarquable que la présence d’un élément disloqué à gauche ne modifie pas le décompte syntaxique des éléments de l’énoncé, c’est-à-dire que dans [3], le verbe est toujours considéré comme étant en première position (V1), bien qu’empiriquement il ne soit pas « premier » dans l’énoncé :

[3] [Diesen unheimlichsten und menschlichsten der Affekte] 0, [soll] 1 man ihn dementsprechend dämpfen, zügeln, unterdrücken?
  (ZZ 9)
[3’] [Soll] 1 man ihn dementsprechend dämpfen, zügeln, unterdrücken?
  • 12 Même si, comme le montre Schanen (1993 : 145-160), les éléments disloqués sont caractér (...)

16La structure topologique de [3] et [3’] est rigoureusement la même. L’accusatif du constituant disloqué en position 0 (ou Vor-Vorfeld) « diesen unheimlichsten und menschlichsten der Affekte » (cet affect le plus inquiétant et le plus humain) est une anticipation de sa position syntaxique dans l’énoncé où il est repris ensuite anaphoriquement, à l’accusatif également, par « ihn » (le)12. La reprise signale la dislocation.

17La possibilité correspondante de la dislocation à gauche en français autorise un même ordre des mots en allemand et en français :

[4] Cet affect, le plus inquiétant et le plus humain de tous, faut-il par conséquent l’assourdir, le brider, le réprimer ?
  (CC 9)

18Nous reviendrons sur la dislocation dans la dernière partie de cet article.

2.2. La phrase interrogative partielle

19L’interrogation partielle est signalée par le point d’interrogation et la présence d’un groupe nominal introduit par un pronom interrogatif en w- obligatoire en Vorfeld. Ainsi dans l’exemple [5] :

[5] Welche Art Beziehung zum Zorn wird in dem magischen Auftakt des Heldenlieds den Hörern vorgeschlagen?
Quelle sorte de relation à la colère est proposée aux auditeurs dans l’ouverture magique du chant du héros ? (Nous traduisons.)
  (ZZ 9)

20La seule possibilité de variation est représentée par la présence d’un autre constituant faisant aussi lui-même l’objet d’une interrogation, marquée morphologiquement par un mot en w- :

  • 13 Sur le modèle d’une phrase trouvée chez Luginbühl et Perrin (2011 : 9) : «  (...)
[5’] In welchem magischen Auftakt des Heldenlieds wird welche Art Beziehung zum Zorn den Hörern vorgeschlagen13?
Dans quelle ouverture magique du chant du héros est proposée quelle sorte de relation à la colère aux auditeurs ? (Nous traduisons.)

21Aucun autre type d’élément ne peut occuper la première position pour ce type de phrase :

[5’’] * In dem magischen Auftakt des Heldenlieds wird welche Art Beziehung zum Zorn den Hörern vorgeschlagen?

22En français, pour l’interrogation portant sur le complément d’objet direct, le pronom personnel sujet doit être placé après le verbe conjugué, mais avec quel + nom, il est possible de placer le sujet avant ou après le verbe (Riegel, Pellat et Rioul, 2006 : 395-396) :

[6] Quel type de relation à la colère propose-t-on dans l’ouverture magique de ce chant héroïque ?
  (CT 9)

23La remontée des circonstanciels en ouverture d’énoncé reste syntaxiquement possible :

[6’] Dans l’ouverture magique de ce chant héroïque, quel type de relation à la colère le philosophe propose-t-il ?

24Comme pour l’interrogation globale, la présence d’un élément disloqué ne modifie pas la place syntaxique du verbe, en V2 :

[7] [Den Zorn, mit dem im alten Westen alles anfing] 0 – [auf welche Weise] 1 [will] 2 der Rezitator ihn zur Sprache bringen?
  (ZZ 9)
[7’] [Auf welche Weise] 1 [will] 2 der Rezitator ihn zur Sprache bringen?

Un même ordre des mots est possible en français :

[8] La colère, avec laquelle tout a commencé dans le vieil Occident – de quelle manière le récitant veut-il l’exprimer ?
  (CT 9)

2.3. La question rhétorique

25La question rhétorique globale ne se distingue pas, en allemand, au niveau syntaxique, de l’interrogation globale classique, même si aucun savoir ne fait défaut. L’ignorance n’est que mimée pour mieux asseoir l’évidence d’un oui, obligeant l’assentiment du lecteur :

[9] Hat nicht noch Karl Marx der Gräfin Hatzfeld im September 1864 nach dem Duell-Tod des Arbeiterführers Lassalle mit den Worten kondoliert, dieser sei „jung gestorben, im Triumph, als Achilles“?
N’est-ce pas Karl Marx qui en septembre 1864, après la mort en duel du leader ouvrier Lassalle, a présenté ses condoléances à la comtesse Hatzfeld en disant que celui-ci était « mort jeune, en triomphe, comme un Achille » ? (Nous traduisons.)
  (ZZ 16)

26Il est notable que le traducteur ait choisi de faire remonter les compléments circonstanciels de temps « im September 1864 nach dem Duell-Tod des Arbeiterführers Lassalle » (en septembre 1864 après la mort en duel du leader ouvrier Lassalle) en ouverture d’énoncé :

  • 14 Nous pensons que « noch » ne s’applique pas au complément circonstanciel de temps, comm (...)
[10] En 1864 [sic] encore14, après la mort en duel du leader ouvrier Lassalle, Karl Marx n’a-t-il pas présenté ses condoléances à la comtesse Hatzfeld en disant que celui-ci était « mort jeune, en triomphe, comme un Achille » ?
  (CT 15-16)

27Cette différence entre le texte source et le texte cible indique une possibilité supplémentaire d’ouverture de l’interrogation globale en français par rapport à l’allemand. Elle est aussi d’ordre stylistique au sens où ce placement des circonstants permet d’éviter une attente peut-être trop longue pour le lecteur français entre l’auxiliaire et le participe passé :

[10’] ? Karl Marx n’a-t-il pas en septembre 1864, après la mort en duel du leader ouvrier Lassalle, présenté ses condoléances à la comtesse Hatzfeld en disant que celui-ci était « mort jeune, en triomphe, comme un Achille » ?

Ou une attente également trop longue entre le verbe et l’objet direct :

[10’’] ? Karl Marx n’a-t-il pas présenté en septembre 1864, après la mort en duel du leader ouvrier Lassalle, ses condoléances à la comtesse Hatzfeld en disant que celui-ci était « mort jeune, en triomphe, comme un Achille » ?

28On remarque que la référence à d’autres facteurs explicatifs et l’anticipation sur les autres buts cités par Korzen et Nølke (1996) sont presque toujours nécessaires.

29En allemand, la forme syntaxique correspondant à l’interrogation globale limite les possibilités de variations en ouverture d’énoncé, les constituants non disloqués étant placés systématiquement après le verbe. En français, en revanche, le placement des circonstanciels en ouverture d’énoncé ne modifie pas la structure syntaxique de l’interrogation (globale ou partielle) ; il peut même être requis car l’espace postverbal est organisé différemment dans les deux langues, notamment au niveau des distances entre l’auxiliaire et le participe passé (participe 2 en allemand) : proximité en français contre éloignement relatif en allemand, le participe 2 étant un marqueur de clôture du Mittelfeld (champ « intermédiaire ») dans la topologie allemande (cf. Faucher, 1984 ; Dalmas et Vinckel, 2006).

3. Distinction des fonctions grammaticales

30La distinction des fonctions grammaticales correspond à un choix sémantique de la part du locuteur qui, usant d’une certaine disposition des constituants, décide d’exprimer un certain contenu propositionnel, dans une configuration où le changement de la disposition des mots pourrait entraîner, sans malformation grammaticale, un changement de sens. Dès lors, il s’agit de mettre au jour ces cas d’ambiguïté ou d’« homonymie de construction », selon l’expression de Chomsky (cité par Sauzet, 1996 : 11), pour lesquels un changement en ouverture d’énoncé peut, en l’absence de marques morphologiques décelables, conduire à un changement de sens.

3.1. La distinction sujet / objet (non conjoints)

31L’allemand est une langue fléchie. En principe ce sont donc les cas qui permettent de distinguer sujets et objets. Cependant, les marques flexionnelles du groupe nominal neutre et féminin et du groupe nominal au pluriel, tous genres confondus, sont identiques à l’accusatif et au nominatif. En outre, les noms propres sont invariables au nominatif, à l’accusatif et au datif. Dans cette perspective, on pourrait penser que la place permet d’évacuer toute ambivalence entre sujet et objet. En réalité, ce sont les logiques textuelles ou le sémantisme du verbe qui prennent le plus souvent en charge le résidu d’ambiguïté que pourrait susciter cette ressemblance morphologique. Dans [11], par exemple :

[11] [Nicht anderes]ACCUSATIF hat [Homer]NOMINATIF im Sinn, wenn er die lange Belagerung von Troja und den kaum noch erhofften Sturz der Stadt ganz auf die mysteriöse Kampfkraft des Protagonisten bezieht, wegen dessen Grollen die Sache der Griechen zur Erfolglosigkeit verurteilt war.
  (ZZ 20)

32Les formes nominative et accusative des éléments qui revêtent les fonctions sujet et objet de la locution verbale transitive « im Sinn haben » (avoir à l’esprit) ont une même forme au nominatif et à l’accusatif. Cependant, « im Sinn haben » requiert un sujet animé. Par ailleurs, un autre rôle, textuel, est assigné à l’élément en position préverbale, qui assure un lien évident avec l’énoncé qui précède :

[11’] [Den Zorn muß man im reifen Moment besingen, wenn er seinem Träger widerfährt] – nichts anderes hat Homer im Sinn, wenn er die lange Belagerung von Troja und den kaum noch erhofften Sturz der Stadt ganz auf die mysteriöse Kampfkraft des Protagonisten bezieht, wegen dessen Grollen die Sache der Griechen zur Erfolglosigkeit verurteilt war.
  (ZZ 20)

33« [N]ichts anderes » (rien d’autre) reprend en effet anaphoriquement l’ensemble de la phrase précédente (la colère, il faut la chanter le moment venu, quand elle arrive à celui qui la porte). La version française s’en tient à l’ordre SVO canonique, et si l’ordre des constituants n’est pas le même, la traduction est fidèle, car il serait faux ici de considérer le placement de « nichts anderes » à l’initiale comme un effet d’emphase :

[12] Homère n’a rien d’autre à l’esprit lorsqu’il attribue entièrement le long siège de Troie et la prise inespérée de la ville à la mystérieuse force de combat du protagoniste dont la rancœur condamnait la cause des Grecs à l’insuccès.
  (CT 19)
[12’] Rien d’autre n’a Homère à l’esprit lorsqu’il attribue entièrement le long siège de Troie et la prise inespérée de la ville à la mystérieuse force de combat du protagoniste dont la rancœur condamnait la cause des Grecs à l’insuccès.
  • 15 Cette proposition de traduction n’est pas idiomatique, mais vise à exprimer une interpr (...)
[12’’] Ce n’est rien d’autre qu’Homère a à l’esprit lorsqu’il attribue entièrement le long siège de Troie et la prise inespérée de la ville à la mystérieuse force de combat du protagoniste dont la rancœur condamnait la cause des Grecs à l’insuccès15.

34La distinction sujet / objet des verbes transitifs est souvent présentée comme essentielle dans la combinatoire de la phrase française, mais elle n’est pas un critère discriminant en allemand pour comprendre l’ordre des mots.

3.2. La distinction actant / circonstant

3.2.1. Complément circonstanciel / objet prépositionnel

35En français, la première place peut être utilisée pour différencier la fonction actancielle ou circonstancielle d’un groupe prépositionnel. Le choix du traducteur dans [14] par rapport à [13] paraît marqué par cette logique :

  • 16 CC = complément circonstanciel, OP = objet prépositionnel.
[13] Sie führt ihn [auf dem Schlachtfeld]CC [an die von der Vorsehung bestimmte Stelle, wo sie ihr höchstes Auflodern, ihr äußerstes Maß an erfüllender Freisetzung finden wird]OP16.
  (ZZ 19)
[14] [Sur le champ de bataille]CC, elle le conduit [au point défini par la Providence où elle trouvera son plus haut embrasement, sa mesure extrême de libération et d’accomplissement]OP.
  (CT 18)

36Le traducteur exploite la zone de liberté que constitue l’ouverture d’énoncé : le groupe prépositionnel embarrassant est remonté en position préverbale, afin de neutraliser les interférences sémantiques. Le circonstant est ainsi séparé clairement de « la structure fortement cohésive sujet-prédicat » (Le Goffic, 1993 : 460).

37Ce type de problème ne se pose pas ici dans la phrase allemande à cause du marquage flexionnel. L’article au datif (dem) fait qu’il est impossible d’interpréter « auf dem Schlachtfeld » (sur le champ de bataille) comme régi par le verbe « führen » (mener), « auf » étant une préposition mixte, qui se construit avec l’accusatif quand elle exprime une direction.

38En revanche, l’énoncé [14’] est effectivement ambigu :

[14’] Elle le conduit sur le champ de bataille au point défini par la Providence où elle trouvera son plus haut embrasement, sa mesure extrême de libération et d’accomplissement.

Dans [14’], on comprend que « le champ de bataille » est « le point défini par la Providence ». La mise entre virgules aurait été une autre manière de manifester la valeur circonstancielle de ce constituant, en conservant le même ordre des mots :

[14’’] Elle le conduit, sur le champ de bataille, au point défini par la Providence où elle trouvera son plus haut embrasement, sa mesure extrême de libération et d’accomplissement.

39Ce procédé de remontée des circonstanciels en position préverbale est récurrent chez Mannoni traducteur, pour ce texte mais aussi pour d’autres de ses traductions de Sloterdijk (voir Faivre, 2011). Ici, la première place est réinvestie pour désambiguïser le message par une séparation en surface des constituants essentiels et non essentiels. Nous reviendrons sur les compléments circonstanciels en 4.

3.2.2. Complément circonstanciel / attribut du sujet

[15] Am Anfang war das Wort „Zorn“, und das Wort war erfolgreich.
  (ZZ 10)
[16] Au commencement était le mot « colère », et le mot eut du succès.
  (CT 10)

40Dans [16], l’ouverture de l’énoncé cible reproduit exactement celle de l’énoncé source [15] ; l’ordre des constituants est strictement le même : complément circonstanciel (CC) – verbe (V) – sujet (S). En français, on pourra parler d’inversion du sujet, mais pas en allemand, puisque le placement du sujet après le verbe n’a rien d’inhabituel, au contraire, il est obligatoire dès lors qu’un constituant occupe déjà la place préverbale.

41Ce calque est le résultat d’une intertextualité très transparente avec le tout début du prologue de l’Évangile selon saint Jean, le célèbre « Am Anfang war das Wort », dont l’une des traductions en français les plus connues est : « Au commencement était le Verbe ». On a donc affaire à une ouverture d’énoncé on ne peut plus chargée de signification, on ne peut plus reconnaissable, avec un début qui, de manière iconique, se nomme lui-même comme début.

42Ce constituant en particulier, dans sa nature et sa forme, est un marqueur d’ouverture d’énoncé. En effet, c’est le placement de « am Anfang » en ouverture qui fait entrer la phrase de Sloterdijk en résonance avec le texte biblique, si bien que l’on pourrait parler de figement pour l’ensemble de la structure Am Anfang war d- et pour la structure équivalente en français Au commencement était l-. Cela étant dit, la notion même de « début » se distend, car ce n’est non plus seulement le premier constituant qu’il faudrait prendre en considération, mais bien l’ensemble de la structure figée, qui à vrai dire est encore plus longue en allemand puisqu’on peut aller jusqu’à « Wort » : Am Anfang war das Wort + N. L’adjonction du substantif « Zorn » (colère) entraîne cependant un changement sémantique non négligeable – das Wort est polysémique –, et l’on passe de la « parole » (de Dieu), le « Verbe », au « mot » comme unité sémantique. « Wort » devient ainsi un terme métalinguistique.

43Dans un article intitulé « Sur la fonction “attribut du sujet” : approche psychomécanique », Guimier (1991 : 210) soulève une question importante :

[…] tout élément situé à droite de la copule est-il attribut du sujet ? La grammaire traditionnelle voit dans les adverbes et dans la majorité des groupes prépositionnels qui occupent cette position des compléments circonstanciels et non des attributs :
(4) Pierre est ici / ailleurs / dans le jardin.
Pour Riegel […] par contre, tout élément X appartenant à la structure SNO-copule-X est un attribut, dans une conception large de ce terme et dans une perspective localiste.
Il s’agit en fait d’un simple problème de terminologie, la question véritable étant : a-t-on affaire au même type de fonctionnement syntaxique dans Pierre est fatigué et dans Pierre est dans le jardin ?

44Il convient à notre avis de poser la même question pour [15] et [16] : « am Anfang » (au commencement) est-il un attribut ou un complément circonstanciel ? « Zorn » (colère), en grec menis, est effectivement le tout premier mot de l’Illiade, le mot qui se trouve au début, au commencement (« am Anfang ») :

  • 17 Même si bien sûr, nous avons conscience que les deux structures ne sont pas (...)
[15’] Das Wort „Zorn“ war am Anfang.
Le mot « colère » était au début.
‘Au début de l’Illiade, il y avait le mot « colère »17.’
  • 18 Comme le rappelle Rémi-Giraud (1998 : 91), « [l’]espace et le temps sont à tous point (...)
  • 19 Voir Guimier (1991 : 217) : « […] à chaque fois qu’un complément situé à droite du ve (...)

45Selon cet ordre des constituants, « am Anfang » (au début) est, au moins sémantiquement18, ainsi que le montre la reformulation, un complément circonstanciel. Le test de la pronominalisation (en français) va également en ce sens et montre qu’il n’y a pas d’incidence sémantique de « au début » sur « être »19 :

[16’] Le mot « colère » est au début. (Cf. * Le mot « colère » l’est.)

46Dans l’énoncé original dont s’inspire Sloterdijk pour composer sa phrase, en revanche, l’entier verbal, pour parler en termes guillaumiens, est constitué par la copule et le groupe prépositionnel :

[17] Am Anfang war das Wort.
Au commencement était le Verbe.
‘Le Verbe est le début (de toutes choses).’

« Am Anfang » pose une qualité de « das Wort », c’est en tout cas le sens du texte biblique.

47Peter Sloterdijk joue ainsi consciemment de cette intertextualité avec la Bible, autre texte fondateur, pour construire la légitimité de son propos. C’est d’ailleurs cette intertextualité qui permet en français l’inversion du sujet : au commencement était est une formule figée, beaucoup plus qu’en allemand où la présence en Vorfeld de l’attribut n’est pas agrammaticale. Il est certain qu’un énoncé tel que [18] passe pour inacceptable :

  • 20 Alors que, sur le même modèle, « Am Ende war das Wort “Zorn” » est parfaitement (...)
[18] * À la fin était le mot « colère »20.

En conformité avec la règle énoncée par Korzen et Nølke (1996 : 59) :

L’inversion du sujet non conjoint est exclue des constructions contenants un attribut ou un complément direct après le verbe.

48Par cette référence, la valeur d’abord strictement circonstancielle de « am Anfang » est modifiée, ou plutôt une valeur prédicative se superpose à la valeur circonstancielle, essentielle, qui conforte la thèse du philosophe toujours prêt à jouer avec les mots. Sloterdijk suggère ainsi que la colère, en plus d’être originelle (en premier), est originaire (à l’origine de).

49On remarque que l’on peut attribuer une même fonction et une même valeur en allemand et en français au constituant placé en ouverture d’énoncé. La traduction de ce pan d’énoncé suit exactement le texte source sans amoindrir ou altérer la signification du circonstanciel placé en tête dans l’énoncé. Cela étant dit, il convient de souligner que cet effet n’est pas le résultat d’une traduction littérale mais une référence directe au texte biblique en français.

50Le but évoqué par Kolzen et Nølke – la distinction des fonctions grammaticales – reste pertinent pour comprendre l’ordre des mots, mais en négatif, si l’on fait l’hypothèse d’un « défigement » (voir Rastier, 1997). Le placement en ouverture d’énoncé du segment « am Anfang » permet ici justement d’obscurcir ces distinctions, prévoyant de manière ludique un double décodage de la part du destinataire (interprétation circonstancielle ou prédicative). On retrouve un principe d’amphibologie cher à Sloterdijk.

51De manière générale, il y a en allemand peu d’homonymies de construction, en tout cas en ce qui concerne l’ouverture d’énoncé : la structure topologique fait que l’élément préverbal est isolé et donc extrait des logiques d’ordre qui peuvent prévaloir au sein du Mittelfeld, après le verbe.

4. Optimisation du message

52Le terme d’« optimisation du message » ne va pas de soi. En effet, par rapport à quoi penser l’optimum ? Selon quels critères de communicabilité ?

  • 21 Ce but rejoint, à notre avis, le problème des homonymies de construction, trait (...)

53D’après les exemples cités par Korzen et Nølke pour expliquer ce qu’ils entendent par cette expression – « longueur vers la fin », « éviter ambiguïté »21, « séparer les syntagmes de même préposition » (Korzen et Nølke, 1996 : 5) –, nous interprétons ce but comme stylistique, mais dans un sens surtout normatif (« le bien-écrire »). Cela étant dit, d’aucuns posent la question de savoir si les unités stylistiques correspondent à des unités grammaticales et s’il faut alors considérer la stylistique comme une sous-discipline de la grammaire (cf. Sowinski, 1986 : 27).

54Il est d’ailleurs remarquable, si l’on consulte la grammaire de Schanen et Confais (2001), que les contraintes d’ordre stylistique ne soient ni explicitées ni discutées véritablement : « Au-delà des contraintes grammaticales, la linéarisation est en partie guidée par des choix d’ordre stylistique au sens étroit du terme : équilibre, rythme, harmonie (effets de parallélisme, de symétrie, etc.) » (Schanen et Confais, 2001 : 583-584). Les deux linguistes énumèrent d’abord les critères grammaticaux d’occupation ou de non-occupation de la première place (voir Schanen et Confais, 2001 : 575 sq.) puis passent à la perspective communicative, distinguant entre linéarisation neutre et linéarisation expressive (Schanen et Confais, 2001 : 583-590), ce qui nous mène vers la partie 4 de cet article.

55Dès lors, il s’agit de mettre au jour des phénomènes en ouverture d’énoncé qui seraient l’expression d’une norme stylistique écrite dans la langue source et / ou dans la langue cible. La difficulté est augmentée à ce niveau d’analyse par la comparaison interlangue : quel degré de pertinence conserve l’impératif stylistique de la langue cible ? Comment rester fidèle à la structure de l’énoncé source sans produire un énoncé mal construit dans la langue cible ? Nous n’abordons ici que les aspects les plus significatifs dans le texte étudié.

4.1. Les longueurs vers la fin

56La traduction de [19] par Olivier Mannoni en [20] paraît guidée par ce précepte stylistique selon lequel il convient de placer les constituants les plus volumineux à la fin de l’énoncé. Les caractères gras marquent le déplacement des constituants en ouverture dans l’énoncé source vers la fin de l’énoncé dans la langue cible, qui passe également par l’introduction d’un « il » explétif :

[19] Die Frage, ob Homer schon, wie etwas später Heraklit, und sehr viel später noch immer Hegel, glaubte, der Krieg sei der Vater aller Dinge, mag hier unentschieden bleiben.
  (ZZ 16)
[20] Il n’est pas nécessaire de trancher sur le point de savoir si Homère croyait déjà, comme, un peu plus tard, Héraclite, et beaucoup plus tard encore, Hegel, que la guerre était le père de toute chose.
  (CT 16)
  • 22 « Ob » correspond à la conjonction « si » de l’interrogation globale.

57La phrase qui suit [19] reprend la même structure avec la subordonnée complétive en « ob » (si)22 en ouverture d’énoncé, ce qui crée un parallélisme entre les deux énoncés :

[21] Auch ob er, der Patriarch der Kriegsgeschichte und der Griechischlehrer zahlloser Generationen, einen Begriff von „Geschichte“ oder „Zivilisation“ besaß, ist ungewiß, eher unwahrscheinlich.
  (ZZ 16)

58Le choix du traducteur dans [22] prend en compte ce parallélisme, puisqu’il renouvelle le déplacement des constituants plus longs vers la fin de l’énoncé par le même procédé :

[22] Il est aussi incertain, et plutôt invraisemblable, que lui, le patriarche de l’histoire de la guerre, professeur de grec pour d’innombrables générations, ait eu un concept de « l’histoire » ou de la « civilisation ».
  (CT 16)

59En allemand, le « es » explétif permettrait de rejeter en fin de phrase le constituant sujet :

[19’] Es mag hier unentschieden bleiben, ob Homer schon, wie etwas später Heraklit, und sehr viel später noch immer Hegel, glaubte, der Krieg sei der Vater aller Dinge.
[21’] Es ist auch ungewiß, eher unwahrscheinlich, ob er, der Patriarch der Kriegsgeschichte und der Griechischlehrer zahlloser Generationen, einen Begriff von „Geschichte“ oder „Zivilisation“ besaß.

60Cependant, la plupart des grammairiens et des linguistes analysent ce cas de figure en allemand comme relevant de la structuration informationnelle et non comme un impératif stylistique. Zemb (1978 : 417) explique ainsi la fonction retardatrice essentielle du « es » explétif :

La fonction de ce es explétif est donc de rendre premier ce qui demeure, d’un autre point de vue, second.

61Certes, les deux explications ne s’excluent pas, mais il convient de distinguer les deux niveaux d’analyse.

4.2. L’inversion locative

  • 23 La complexité syntaxique du sujet postposé peut aussi jouer un rôle (Cornish, 2001 : (...)

62En français, on le sait, la phrase canonique suit l’ordre sujet – verbe – complément. Cependant, à certaines conditions, le sujet peut être postposé. Par exemple quand le verbe est intransitif, plutôt statif, à valeur présentative – ce type de verbe est d’ailleurs souvent commutable avec il y a (voir Cornish, 2001 : 104-105)23. Les verbes « briller » (auf / leuchten) et « se produire » (sich ereignen) présentent ces caractéristiques, ce qui explique la possibilité d’un même ordre des constituants dans l’énoncé source et l’énoncé cible :

[23] In Berichten von Taten leuchtet die erste gute Nachricht auf: Unter der Sonne ereignet sich mehr als das Gleichgültige und Immergleiche.
  (ZZ 13)
[24] Dans les récits des actes brille la première bonne nouvelle : sous le soleil se produit davantage que l’indifférent et l’éternellement identique.
  (CT 12)

63Un autre ordre serait acceptable, même si la postposition est fortement contrainte par le sémantisme du verbe et le fait qu’il ne régisse pas d’autre complément que le sujet (voir Fournier, 1997 : 97) :

  • 24 « Parler de concurrence entre les deux schémas syntaxiques implique qu’on considère l’a (...)
[24’] Dans les récits des actes, la première bonne nouvelle brille : sous le soleil, quelque chose de plus que l’indifférent et l’éternellement identique se produit / a lieu24.

64C’est comme si l’intransivité du verbe, qui autorise la postposition du sujet, faisait de la place préverbale un lieu de détachement, sans qu’il soit besoin de virgule.

65Un même ordre des mots est donc possible dans les deux langues : mais si, en français, on a affaire à une structure particulière, possible avec seulement certains verbes, ce placement correspond, en allemand, à une place canonique en raison d’une affinité de fait entre la première place et le complément circonstanciel. Il n’y a pas d’indices positionnels a priori révélateurs de la « légèreté » de l’apport informationnel du verbe (voir Cornish, 2001 : 121).

4.3. La dislocation à gauche

  • 25 « […] es [gibt] eine ganze Reihe von Belegen [-], die zeigen, daß […] Formen der Heraus (...)

66Par dislocation à gauche, nous entendons un constituant placé à l’initiale, ensuite repris dans l’énoncé par une anaphore (voir Engel, 1994 : 201). Finke-Lecaudey (1993) cite Altmann pour rappeler combien il est réducteur de ne considérer cette structure que comme une imitation de l’oral ou comme l’expression d’un quelconque style familier25. De fait, c’est un procédé stylistique très répandu à l’écrit en allemand et qu’affectionne particulièrement Peter Sloterdijk.

67En français cependant, ce point de vue reste tenace, en témoignent les conclusions de l’étude sur les dislocations en français contemporain menée par Blasco-Dulbecco :

À l’écrit, la dislocation a une valeur stylistique : journalistes ou écrivains y recourent pour donner un effet d’oralité. Mais leurs exemples fabriqués présentent une distribution fort différente de celle de la langue qu’ils cherchent à refléter (Blasco-Dulbecco, 1999 : 94).

Cette étude soulève la question de la répartition des données entre oral et écrit. L’intuition ne permet pas de bien imiter les dislocations : certains écrivains abusent de ces structures dans le but de faire « plus oral » et paradoxalement ils créent des énoncés qui ne sont jamais attestés (Blasco-Dulbecco, 1999 : 187).

68Pourtant, faut-il analyser tous les exemples qu’elle cite comme des « preuves » de cette tendance ?

[25] Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, toute la face du monde aurait changé.
  (Pascal, cité par Blasco-Dulbecco, 1999 : 311)
[26] Un noble, s’il vit chez lui dans sa province, il vit libre.
  (La Bruyère, cité par Blasco-Dulbecco, 1999 : 311)

69Dans [3], traduit en [4], de même que dans [8], qui est la traduction de [7] (voir supra), Olivier Mannoni a retranscrit la dislocation :

[3] Diesen unheimlichsten und menschlichsten der Affekte, soll man ihn dementsprechend dämpfen, zügeln, unterdrücken?
[4] Cet affect, le plus inquiétant et le plus humain de tous, faut-il par conséquent l’assourdir, le brider, le réprimer ?
  • 26 CT 18.

70On pourrait certes interpréter cette figure de style comme un effet d’oralité, destiné à rendre le texte plus « vivant », mais les deux dislocations ont en réalité une fonction d’organisation textuelle (elles indexent les deux séries de questions introductives) ; d’autre part, cette place syntaxique met en valeur le constituant « den Zorn » et son anaphore par « diesen unheimlichsten und menschlichsten der Affekte », tous les deux à l’accusatif, en ouverture d’énoncé, en écho avec cet accusatif « encore ingouvernable »26 qui inaugure le texte de l’Illiade.

71Il est remarquable que le traducteur ait recours à cette figure de style dans l’exemple [28] alors que l’énoncé du texte source, en [27], ne présente pas d’élément disloqué :

[27] Religiösität ist die Zustimmung von Menschen zu ihrer Medialität.
La religiosité est l’assentiment des hommes à leur médialité. (Nous traduisons.)
  (ZZ 14)
[28] Le religieux, c’est l’assentiment des hommes à leur médialité.
  (CT 13)
  • 27 Voir le Deutsches Universalwörterbuch (Dudenredaktion, 2001).
  • 28 Voir le Trésor de la langue française informatisé (ATILF, http://atilf.atil (...)

72Le choix du traducteur est guidé par le souci du mot juste. En allemand, le terme Religiosität désigne simplement « le fait d’être religieux », une « attitude religieuse »27. En français, il y a dans l’expression de « religiosité » une dimension affective et sentimentale supplémentaire28. En dernière analyse cependant, c’est le rapport entre les énoncés tels qu’ils apparaissent en texte qui permet le mieux d’expliquer la préférence du traducteur :

[27’] Das Verständnis dieser für uns ferngerückten Verhältnisse dürfte durch den Hinweis erleichtert werden, daß nach der Auffassung der Alten der Held und sein Sänger in einem authentisch religiösen Sinn miteinander korrespondieren. Religiösität ist die Zustimmung von Menschen zu ihrer Medialität.
  (ZZ 14)
[28’] Nous pourrions faire comprendre plus facilement cette situation qui nous paraît très lointaine en rappelant que dans la conception des Anciens, le héros et son chanteur correspondaient l’un avec l’autre, dans un sens authentiquement religieux. Le religieux, c’est l’assentiment des hommes à leur médialité.
  (CT 13)

73L’élément disloqué enchaîne directement sur le terme « religieux » qui clôt l’énoncé précédent. Il le répète et en propose une définition inédite, exacte, ce que manifeste la dislocation et la reprise par le présentatif « c’est ».

74Certaines conventions stylistiques permettent ainsi d’expliquer des différences significatives au niveau de l’ouverture d’énoncé entre texte source et texte cible, qui vont également impliquer une redistribution de l’information au sein de l’énoncé (voir infra), tandis que d’autres permettent un ordre des mots semblable sans que cet ordre ait la même valeur en français et en allemand. La traduction de la dislocation à gauche, figure fréquente en allemand mais ressentie comme inhabituelle à l’écrit en français, est essentielle. C’est un trait récurrent de l’écriture de Sloterdijk, qui permet une organisation textuelle originale. Elle peut aussi être utilisée par le traducteur pour souligner des moments importants du texte.

5. Structure informationnelle

75Le dernier but évoqué par Korzen et Nølke est la structuration de l’information. Halliday (1967) postule que le texte se divise en « unités informationnelles » (information units). C’est le locuteur qui décide de l’étendue et de l’organisation interne de ces unités, et non les unités grammaticales (les constituants) :

[…] the distribution of information specifies a distinct constituent structure on a different plane; this “information structure” is then mapped on to the constituent structure as specified in terms of sentences, clauses and so forth, neither determining the other (Halliday, 1967 : 200).

76À l’oral, c’est l’intonation qui, indépendamment de l’ordre des constituants, détermine en dernière instance le focus de l’énoncé. À l’écrit, cette structuration informationnelle peut être explicitée par certains tours syntaxiques et / ou appuyée par la disposition linéaire des éléments dans l’énoncé.

77La place topologique n’est de ce point de vue pas un critère fiable en soi, puisqu’en allemand, le Vorfeld est selon le contexte tout à la fois lieu d’accueil privilégié des unités thématiques et lieu privilégié de l’emphase. Dès lors, il s’agira de s’interroger sur quelques phénomènes d’occupation de la première place, soit à partir du texte source, soit à partir des choix du traducteur, et qui ont directement trait à la structure informationnelle de l’énoncé et à l’organisation textuelle.

5.1. Déplacement des compléments circonstanciels

  • 29 Nous ne traiterons pas des constituants détachés entre virgules tels que «  (...)

78La plupart du temps, Olivier Mannoni se conforme à l’ordre choisi par Peter Sloterdijk pour traduire les compléments circonstanciels. Il conviendra alors d’examiner quels sont les changements et s’ils donnent lieu à des interprétations différentes, au niveau informationnel29.

79Dans cette perspective, il importe de tenir compte toujours à la fois de l’énoncé et du texte, puisqu’un changement de place peut être recevable au niveau de la microstructure de l’énoncé, mais être inacceptable au niveau de la macrostructure du texte (voir Le Querler, 1993 : 165).

5.1.1. Déplacement après le verbe

80En allemand, la position initiale est occupée de façon privilégiée par les circonstants ayant une incidence sur l’ensemble de l’énoncé (voir Pittner, 1999). Ils peuvent également avoir une valeur cadrative, c’est-à-dire être « à même d’indexer une ou plusieurs propositions faisant suite à celle en tête de laquelle ils sont détachés » (Charolles et Péry-Woodley, 2005 : 3). En raison de sa place et de sa portée interphrastique, on peut attribuer une telle valeur cadrative au complément « in Homers Horizont » (dans la perspective d’Homère) dans l’exemple [29] :

[29] [In Homers Horizont gibt es für Einwände dieser Art selbstverständlich keinen Angriffspunkt. Das Lied von der heroischen Energie eines Kriegers, mit dem das Epos der Alten beginnt, erhebt den Zorn in den Rang der Substanz, aus der die Welt gefertigt ist] – falls wir zugeben, daß „Welt“ hier den Kreis von Gestalten und Szenen des althellenischen krieger-adligen Lebens im ersten Jahrtausend vor der christlichen Zeitrechnung bezeichnet.
  (ZZ 15)

81Nous proposons comme test l’insertion du complément en question dans le deuxième énoncé :

[29’] [In Homers Horizont gibt es für Einwände dieser Art selbstverständlich keinen Angriffspunkt. In Homers Horizont erhebt das Lied von der heroischen Energie eines Kriegers, mit dem das Epos der Alten beginnt, den Zorn in den Rang der Substanz, aus der die Welt gefertigt ist] – falls wir zugeben, daß „Welt“ hier den Kreis von Gestalten und Szenen des althellenischen krieger-adligen Lebens im ersten Jahrtausend vor der christlichen Zeitrechnung bezeichnet.

82Cependant, le traducteur a choisi de placer ce complément en position postverbale, lui déniant ainsi cette fonction de cadrage interphrastique, si tant est que la position initiale garantisse ce rôle :

[30] On ne trouve bien entendu → à l’horizon d’Homère aucun point d’accroche où pourraient prendre pied des objections de ce type. Le chant de l’énergie héroïque d’un guerrier, par lequel commence l’épopée des Anciens, élève la colère au rang de la substance dont est fabriqué le monde – si nous admettons que le « monde » désigne ici le cercle des figures et des scènes de la vie des guerriers et des nobles de l’Hellène antique, au cours du premier millénaire précédant le calendrier chrétien.
  (CC 15)
[30’] [À l’horizon d’Homère, on ne trouve bien entendu aucun point d’accroche où pourraient prendre pied des objections de ce type. À l’horizon d’Homère, le chant de l’énergie héroïque d’un guerrier, par lequel commence l’épopée des Anciens, élève la colère au rang de la substance dont est fabriqué le monde] – si nous admettons que le « monde » désigne ici le cercle des figures et des scènes de la vie des guerriers et des nobles de l’Hellène antique, au cours du premier millénaire précédant le calendrier chrétien.

83Bien sûr, d’autres éléments assurent la continuité entre les deux énoncés, « l’épopée des Anciens » faisant référence à l’Illiade.

84Dans [32], une nouvelle fois, Mannoni choisit de traduire le complément circonstanciel après le verbe :

[31] Von einem Augenblick zum nächsten stellt ihre Gegenwart sich ein.
  (ZZ 19)
[32] Son actualité s’impose → d’un instant à l’autre.
  (CT 18)

85L’analyse est compliquée ici par l’interprétation de « von einem Augenblick zum nächsten », qui signifie littéralement « d’un instant à l’autre », « d’un instant à l’instant suivant ». Mais la locution « d’un instant à l’autre » signale en français que quelque chose est sur le point d’arriver, sans bornage précis ; elle ne permet donc pas de traduire le caractère ponctuel de « von einem Augenblick zum Nächsten ». C’est l’intervalle infime entre les deux instants qui donne tout son sens à l’expression allemande, que nous traduirions plutôt par « en un instant ».

[33] Son actualité s’impose → en un instant. (Nous traduisons.)
[33’] En un instant, son actualité s’impose.

86Par rapport à [32], le placement à l’initiale du complément circonstanciel dans [32’] assure une continuité immédiate avec la fin de l’énoncé précédent :

[31’] Eine solche Folgerung wäre übereilt, denn der Homer der Ilias unterläßt nichts, um die Würde des Zorns auszubreiten. Er stellt im kritischen Moment heraus, wie explosiv die Zornkraft des Achilles aufflammte. Von einem Augenblick zum nächsten stellt ihre Gegenwart sich ein.
[32’] Pareille conclusion serait prématurée, car l’Homère de l’Illiade ne néglige rien pour propager la dignité de la colère. Il montre, au moment critique, avec quelle explosivité s’est enflammée l’énergie colérique d’Achille. En un instant, son actualité s’impose.

5.1.2. Déplacement en position initiale

87Dans [35], le traducteur a choisi de basculer le circonstant « in dieser Ordnung der Dinge » (dans cet ordre des choses) en ouverture d’énoncé :

[34] Eine Säkularisierung der Affekte ist in dieser Ordnung der Dinge noch unbekannt.
  (ZZ 19)
[35] Dans cet ordre des choses, on ne connaît pas encore la sécularisation des affects.
  (CT 18)

88Il a également modifié la structure de l’énoncé, transformant la structure attributive « ist unbekannt » (est inconnue) en verbe « on ne connaît pas ». « Eine Säkularisierung der Affekte », qui était sujet, devient complément d’objet direct. Autre modification : l’article indéfini « eine » (une) est traduit par l’article défini « la ».

89Comparons [35] avec [35’] et [35’’] :

[35’] On ne connaît pas encore, dans cet ordre des choses, la sécularisation des affects.
[35’’] On ne connaît pas encore la sécularisation des affects dans cet ordre des choses.

[35] et [35’] sont clairement synonymes : dans les deux cas le circonstant est détaché et s’applique donc à l’ensemble de la proposition. Même si dans [35’], on peut ressentir l’attente créée par l’insertion du circonstant entre le verbe et l’objet comme gênante. Selon cet ordre des mots, « dans cet ordre des choses » pose le cadre de validité de la proposition et institue donc un repère. Dans [35’’] en revanche, le déplacement peut induire un changement d’incidence du complément. Ce serait « la sécularisation des affects dans cet ordre des choses » qui serait l’objet de notre inconnaissance.

90Ces remontées peuvent avoir un effet de réagencement du texte, avec par exemple la création d’effets de parallélismes qui n’existaient pas dans le texte source :

[13’] Sie führt ihn auf dem Schlachtfeld an die von der Vorsehung bestimmte Stelle, wo sie ihr höchstes Auflodern, ihr äußerstes Maß an erfüllender Freisetzung finden wird. Vor den Mauern Trojas setzt ihre Vollendung das Zeichen.
  (ZZ 19)
[14’] Sur le champ de bataille, elle le conduit au point défini par la Providence où elle trouvera son plus haut embrasement, sa mesure extrême de libération et d’accomplissement. Devant les murs de Troie, elle touche à son but.
  (CT 18)

Ou à cause de fonctions concurrentes de l’occupation de la première place. Ainsi, dans [36], le constituant en Vorfeld assure-t-il la connexion avec l’énoncé directement précédent, par répétition du même morphème et par l’emploi du déterminant anaphorique dies- :

[36] Diese Schuld liegt nach altgriechischen Begriffen objektiv vor, da die Ehre des großen Kämpfers ihrerseits objektiver oder sachhafter Natur ist.
  (ZZ 18)
[36’] Ihm genügt es, zu wissen, daß er im Recht ist und Agamemnon ihm etwas schuldet. Diese Schuld liegt nach altgriechischen Begriffen objektiv vor, da die Ehre des großen Kämpfers ihrerseits objektiver oder sachhafter Natur ist.
  (ZZ 18)

91Tandis que dans la traduction de Mannoni, (exemple [37]), l’accent est mis sur le texte qui suit, à cause de la valeur cadrative du circonstant qui détermine un univers de validité pour les deux propositions consécutives :

[37] Dans la conception de la Grèce antique, cette dette existe objectivement, dès lors que l’honneur du grand combattant est pour sa part de nature objective ou réelle.
  (CT 17)
[37’] [Dans la conception de la Grèce antique, cette dette existe objectivement, dès lors que l’honneur du grand combattant est pour sa part de nature objective ou réelle. Lorsque celui qui n’est le premier que par le rang retire une distinction à celui qui est premier par la force, son honneur est bafoué au plus haut niveau.]
  (CT 17)

92La place avant le verbe est donc une place polyfonctionnelle. Les différentes fonctions qui peuvent lui être associées au sein du texte entrent parfois en concurrence les unes avec les autres, ce qui nécessite un réajustement au niveau de la traduction, qui est toujours synonyme de choix. Les irrégularités concernant le placement des circonstanciels juste avant ou juste après le verbe devraient donner lieu à une analyse plus approfondie de la valeur éventuellement encore cadrative du tout début du Mittelfeld.

5.2. Saillance

93Selon Landragin (2006), la saillance est « liée à l’émergence d’une figure sur un fond, que cette émergence soit motivée par des aspects physiques liés à la perception de la parole ou du texte écrit, ou par des aspects plus sémantiques voire cognitifs liés à la compréhension du langage ». La question qui se pose ici est de déterminer quand les éléments en position préverbale sont à considérer comme « saillants », se détachant sur le fond de la proposition qu’ils initient dans l’énoncé allemand, et comment cette « saillance » est interprétée et reconduite dans la traduction.

94Nous l’avons dit, l’occupation de la place avant le verbe dans l’assertion peut en allemand être l’expression d’un ordre non marqué comme celle de l’emphase, qui pour nous relève de la saillance. L’analyse de [11] (voir supra, partie 3) a montré cependant que le placement d’un objet en ouverture d’énoncé ne préjuge en rien de sa mise en relief, qu’en dernière analyse, c’est toujours le contexte qui établit la valeur contrastive ou non de ce segment.

95En [39], qui est la traduction de [38], Mannoni choisit de conserver l’ordre des mots du texte de Sloterdijk, en employant une construction clivée qui met en valeur l’objet prépositionnel « an seinem Maß » (à son aune) :

[38] An seinem Maß wurden bereits die Schüler der Antike geeicht, als die Oberschichten Roms, zusammen mit den übrigen griechischen Kulturmodellen, auch den epischen Bellizismus ihrer Lehrmeister importierten, ohne darüber im geringsten ihren bodenständigen Militarismus zu vergessen.
  (ZZ 16)
[39] C’est déjà à son aune qu’étaient évalués les écoliers de l’Antiquité, lorsque les classes supérieures de Rome importèrent en même temps que les autres modèles culturels grecs le bellicisme épique de leurs maîtres, sans oublier pour autant le moins du monde leur militarisme local.
  (CC 15)

96Dans les faits, ce n’est pas la place du constituant qu’il traduit, mais « bereits » (déjà), qu’il transforme en particule de focalisation s’appliquant à « an seinem Maß » (à son aune), ce que l’on pourrait retraduire par [38’] :

[38’] Bereitsan seinem Maß wurden die Schüler der Antike geeicht […].

97C’est un procédé récurrent de traduction des particules de focalisation de la part de Mannoni dans ce texte ; on en a pour preuve sa manière de traduire « nur » (seulement) en [41], « allein » (seulement) en [43] et en [45] et « gerade » (précisément, justement) en [47], particules respectivement incidentes au constituant qu’elles précèdent :

[40] Nur weil der schreckenerregende Zorn für die kriegerische Heldenerscheinung unverzichtbar ist, darf sich der Rhapsode an die Göttin wenden, um sie für vierundzwanzig Gesänge zu engagieren.
  (ZZ 13-14)
[41] C’est uniquement parce que la colère effrayante est indispensable à l’apparition guerrière du héros, que le rhapsode peut s’adresser à la déesse afin de l’engager pour vingt-quatre chants.
  (CT 13)
[42] Allein weil es einen Zorn gibt, der von oben verliehen wird, ist es legitim, die Götter in die heftigen Affären der Menschen zu involvieren.
  (ZZ 14)
[43] C’est uniquement parce qu’il existe une colère conférée d’en haut qu’il est légitime d’impliquer les dieux dans les virulentes affaires des hommes.
  (CT 13)
[44] […] und allein als Tatentäter und Werkevollbringer werden die frühen Heroen gefeiert.
  (ZZ 13)
[45] […] et c’est uniquement en tant qu’auteurs d’actes et créateurs d’œuvres que l’on célèbre les premiers héros.
  (CT 12)
[46] Gerade ihre Plötzlichkeit ist unentbehrlich, um ihren höheren Ursprung zu beglaubigen.
  (ZZ 19)
[47] C’est précisément sa soudaineté qui est indispensable pour accréditer son origine supérieure.
  (CT 18)

Une traduction plus exacte de [38] aurait donc été :

[39’] C’est à son aune qu’étaient déjà évalués les écoliers de l’Antiquité […].

Par contraste avec un ordre plus canonique en [39’’] :

[39’’] Les écoliers de l’Antiquité étaient déjà évalués à son aune, lorsque les classes supérieures de Rome importèrent en même temps que les autres modèles culturels grecs le bellicisme épique de leurs maîtres, sans oublier pour autant le moins du monde leur militarisme local.

98La vraie question à se poser est de savoir si « an seinem Maß » (à son aune) en ouverture d’énoncé est effectivement saillant ou non, par contraste avec l’énoncé [38’’], où l’objet prépositionnel est placé après le verbe :

[38’’] Die Schüler der Antike wurden bereits an seinem Maß geeicht, als die Oberschichten Roms, zusammen mit den übrigen griechischen Kulturmodellen, auch den epischen Bellizismus ihrer Lehrmeister importierten, ohne darüber im geringsten ihren bodenständigen Militarismus zu vergessen.

99Première hypothèse : ce segment assure une continuité avec le contexte qui précède, par conséquent il n’est pas saillant. Seconde hypothèse : le placement en ouverture d’énoncé correspond à une mise en relief. Cependant, les indices probants font défaut. Le possessif « seinem » (son) réfère certes au substantif « Krieg » (guerre) en amont, mais la relation anaphorique, garante de cohérence textuelle, est assez réduite : elle ne décrit qu’une relation d’appartenance. Il semble que seul le postulat d’une structure canonique (opposant [38] à [38’’]) permette en dernière analyse de cautionner l’interprétation d’une mise en relief, qui passe alors par un réagencement syntaxique en français.

100La traduction de [48] en [49] est remarquable à plusieurs points de vue :

[48] Sein Zorn hat sich wieder mit ihm vereinigt und diktiert von da an ohne Schwankung die Richtung des Handelns.
Sa colère s’est de nouveau unie à lui et dicte dès lors sans hésitation la direction de l’action. (Nous traduisons.)
  (ZZ 18)
[49] Sa fureur et lui, de nouveau, ne font plus qu’un : désormais, c’est la colère qui lui dicte sans hésitation la direction qu’il doit suivre.
  (CC 17)

Là où en allemand, un même sujet « Sein Zorn » (sa colère) était régi par les deux verbes conjugués « hat » (troisième personne du singulier au présent de l’indicatif de « haben », avoir) et « diktiert » (dicte), tous deux coordonnés par la conjonction de coordination « und » (et), le traducteur a pris la décision de dédoubler le groupe nominal sujet, traduit une première fois par « sa fureur » puis par « c’est la colère ». Cette solution lui permet de donner une traduction élégante de « hat sich mit ihm vereinigt » (littéralement : s’est avec lui réunie), en associant dans un même groupe syntaxique la colère et le héros, mais l’oblige du même coup à trouver un nouveau sujet pour le verbe « diktieren » (dicter). La proposition clivée « c’est la colère » souligne la répétition, l’antéposition du connecteur « von da an » (désormais) explicite le caractère successif des procès exprimés par les deux groupes verbaux.

101Dans [50], le placement en Vorfeld du constituant « den Zorn » (la colère, à l’accusatif) est sans conteste un écho au chant d’Homère : « Den Zorn besinge, Göttin, des Achilles, des Peleussohns […] » (ZZ 9) (La colère, chante[-la], Déesse, de l’Achille, du fils de Pélée […]) :

[50] Daher also: Den Zorn muß man im reifen Moment besingen, wenn er seinem Träger widerfährt […].
Ainsi donc : la colère il faut au bon moment [la] chanter, quand elle à son support arrive […]. (Nous traduisons.)
  (ZZ 20)

102L’accusatif est régi par le verbe transitif « besingen » (chanter, célébrer), comme dans la traduction du texte grec proposée au tout début du texte par Sloterdijk. La répétition en fin d’introduction n’est donc pas anodine : elle est entièrement motivée par le texte commenté par Sloterdijk, segment saillant dans l’énoncé, mais aussi dans le texte entier. Dans la traduction de l’Illiade, la saillance de « den Zorn » (la colère) est d’autant plus évidente que c’est le premier constituant du texte (il y a donc une absence de lien avec tout contexte précédent écrit, outre le paratexte) et qu’en principe l’injonction commence avec le verbe – ce qui nous autorise à interpréter « den Zorn » comme doublement mis en valeur.

103Mannoni en revanche ne renoue pas avec le début du texte où sa traduction de l’Illiade par le prisme de l’allemand (« La colère d’Achille, de ce fils de Pélée, chante-la nous, Déesse […] ») contrastait justement avec la traduction canonique de la Pléiade, par Robert Flacelière, citée quelques lignes plus loin : « Chante-nous, Déesse, la colère d’Achille […] » (CT 10) :

[51] On doit donc chanter la colère lorsque le moment est venu, lorsqu’elle arrive à celui qui la porte […].
  (CC 19)

Il rétablit un ordre des mots « basique », SVO.

104La question de la structuration informationnelle reste difficile à circonscrire de manière satisfaisante : l’insuffisance des marqueurs syntaxiques permettant d’avaliser telle ou telle interprétation est flagrante. Le lecteur, et plus particulièrement ce lecteur spécifique qu’est le traducteur, doit toujours, en définitive, prendre une décision. Les contraintes de la langue cible font renoncer le traducteur à des effets de style qui seraient ressentis comme trop incongrus. Passée la nécessité de rendre intelligible la démarche du philosophe qui s’intéresse à l’ordre des mots – ce qu’explique Mannoni dans une note (CT 10) –, le traducteur prend acte de la rigidité de la langue française et s’accommode de ses normes.

6. Conclusion(s) et perspectives

105Les critères de Korzen et Nølke fournissent un mode d’approche fructueux pour l’étude de l’ouverture d’énoncé dans le corpus choisi, en permettant de mener des analyses précises et d’embrasser un très grand nombre de phénomènes. L’ouverture d’énoncé est un espace stylistiquement pertinent, dont les occupations doivent toujours être pensées dans l’agencement non seulement de l’énoncé, mais du texte entier ; c’est également un espace fortement contraint, qui soumet de manière singulière le traducteur au dilemme du « bien-dire » et de l’étrangeté de la langue.

106Cette étude n’évite pas l’écueil lié à ce genre d’analyse : la surabondance des paramètres d’analyse convoqués, qui n’ont de cesse de se compléter ou d’interférer les uns avec les autres. Cependant, plusieurs remarques peuvent être formulées au terme de cet article. Si l’on récapitule succinctement le rôle joué dans le texte étudié par ces quatre grands buts, dans l’occupation de l’ouverture d’énoncé en allemand, il apparaît que :

  • cette place est essentielle au niveau topologique pour le marquage du type d’énoncé,
  • la distinction des fonctions grammaticales est, en revanche, assez peu pertinente à ce niveau de l’énoncé – le contexte permettant en principe d’interpréter correctement –,
  • les règles du bien-écrire exercent une contrainte difficile à déterminer de façon absolue pour cet espace dans l’énoncé, ce qui rejoint l’ambiguïté du style, tout à la fois norme et transgression de la norme, voire renouvellement de la norme,
  • la structure informationnelle n’est déterminante pour cette place qu’au niveau de la macrostructure du texte, l’élément antéposé assurant le lien avec ce qui précède ou dessinant un motif récurrent dans le texte.

Dans la langue cible, au contraire :

  • malgré des structures assez figées, plusieurs variantes sont possibles pour distinguer les différents types d’énoncés et la mobilité des circonstants n’est pas restreinte par le type d’énoncé,
  • le sens est souvent construit dans la succession des éléments les uns par rapport aux autres et l’ordre canonique SVO n’est modulable qu’à certaines conditions très strictes,
  • les normes stylistiques semblent plus établies qu’en allemand, mais difficiles à penser de manière satisfaisante,
  • il est nécessaire de passer par des tours syntaxiques spécifiques pour signaler d’éventuels effets d’emphase.

Au niveau de la traduction de l’ouverture d’énoncé, il est remarquable que :

  • un certain choix en français (par exemple : le marquage du type d’énoncé) peut correspondre à un choix d’un autre type dans la traduction (l’optimisation du message),
  • il existe un certain déséquilibre par rapport aux normes du « bien-dire » entre l’allemand et le français concernant cette place dans l’énoncé ou, en tout cas, ces normes ne sont pas correspondantes et certains cas de figure exigent un arbitrage de la part du traducteur (voir la dislocation à gauche et la traduction des segments saillants en Vorfeld),
  • la traduction est toujours une interprétation et des apories structurelles au niveau de la structuration informationnelle, qui ne se déploie finalement jamais que dans l’interaction entre le lecteur et le texte, ont été confirmées,
  • l’occupation de l’espace préverbal doit toujours être pensée comme le résultat d’un agencement au sein de l’énoncé et au sein du texte, et donc être traduite en tant que telle.

107Une analyse génétique serait intéressante : étudier des formes de l’avant-texte du texte cible et du texte source pourrait permettre de discuter certains enjeux de traduction et d’organisation du texte.

Haut de page

Bibliographie

Corpus de travail

Sloterdijk, P. 2006. Zorn und Zeit. Politisch-psychologischer Versuch, Francfort-sur-le-Main : Suhrkamp.

Sloterdijk, P. 2009. Colère et temps. Essai politico-psychologique. Traduit de l’allemand par O. Mannoni. Paris : Hachette littératures.

Références

Altmann, H. 2010. Formen der „Herausstellung“ im Deutschen. Rechtsversetzung, Linksversetzung, freies Thema und verwandte Konstruktionen. Berlin – New York : De Gruyter.

Altmann, H. et Hofmann, U. 2008. Topologie fürs Examen. Verbstellung, Klammerstruktur, Stellungsfelder, Satzglied- und Wortstellung. Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht.

Blasco-Dulbecco, M. 1999. Les dislocations en français contemporain : étude syntaxique. Paris : Champion.

Charolles, M. et Péry-Woodley, M.-P. (eds) 2005. Langue française : Les adverbiaux cadratifs 148. Paris : Larousse – Armand Colin.

Cornish, F. 2001. L’inversion « locative » en français, italien et anglais : propriétés syntaxiques, sémantiques et discursives. Cahiers de grammaire 26 : 101-123.

Dalmas, M. et Vinckel, H. 2006. Wenn die Klammer hinkt… Ein Plädoyer für das Prinzip „Abgrenzung“. In N. Fries et C. Fries (eds), Deutsche Grammatik im europäischen Dialog. Actes du congrès de Cracovie, 20-22 septembre. Accessible en ligne à l’adresse suivante : http://www2.rz.hu-berlin.de/linguistik/institut/syntax/krakau2006/beitraege/dalmas_vinckel.pdf (consulté le 12/07/2011).

Dürscheid, C. 1989. Zur Vorfeldbesetzung in deutschen Verbzweit-Strukturen. Trèves : Wissenschafttlicher Verlag Trier.

Engel, U. 1994. Syntax der deutschen Gegenwartssprache. Berlin : Erich Schmidt Verlag.

Faivre, L. 2011. Traduction des compléments circonstanciels en ouverture d’énoncé. Nouveaux cahiers d’allemand 29 (3) : 261-275.

Faucher, E. 1984. L’ordre pour la clôture. Essai sur la place du verbe allemand. Nancy : Presses universitaires de Nancy.

Finke-Lecaudey, G. 1993. Diskursfunktionen einiger topikalisierter Strukturen in Nietzsches Morgenröthe und Die fröhliche Wissenschaft. In J.-F. Marillier (ed.), Satzanfang – Satzende. Syntaktische, semantische und pragmatische Untersuchungen zur Satzabgrenzung und Extraposition im Deutschen. Tübingen : Gunter Narr Verlag : 161-173.

Fournier, N. 1997. La place du sujet nominal dans les phrases à complément prépositionnel initial. In. C. Fuchs (ed.), La place du sujet en français contemporain. Louvain-la-Neuve : Duculot : 97-132.

Guimier, C. 1991. Sur la fonction « attribut du sujet » : approche psychomécanique. In M.-M. Gaulmyn et S. Rémi-Giraud (eds), À la recherche de l’attribut. Lyon : Presses universitaires de Lyon : 209-235.

Halliday, M.A.K. 1967. Notes on Transitivity and Theme in English: Part 2. Journal of Linguistics 3 (2) : 199-244.

Hofbauer, C. 2004. Der Erwerb des Fragesatzmodus unter besonderer Berücksichtigung der Intonation. Thèse de doctorat. Fakultät für Sprach- und Literaturwissenschaften, Ludwig-Maximilians-Universität München. Munich. Accessible en ligne à l’adresse suivante : http://edoc.ub.uni-muenchen.de/7201/1/Hofbauer_Christiane.pdf (consulté le 02/06/2011).

Kocourek, R. 2001. Essais de linguistique française et anglaise : mots et termes, sens et textes. Louvain – Paris – Sterling : Peeters.

Korzen, H. et Nølke, H. 1996. Présentation. La linéarité dans la langue : du phonème au texte. Langue française 111 : 3-9.

Landragin, F. 2006. Saillance. In D. Godard, L. Roussarie et F. Corblin (eds), Sémanticlopédie : dictionnaire de sémantique. CNRS. Accessible en ligne à l’adresse suivante : http://www.semantique-gdr.net/dico/ (consulté le 09/07/2011).

Lauwers, P. 2004. La description du français entre la tradition grammaticale et la modernité linguistique : étude historiographique et épistémologique de la grammaire française entre 1907 et 1948. Louvain – Paris – Dudley : Peeters.

Le Goffic, P. 1993. Grammaire de la phrase française. Paris : Hachette.

Le Querler, N. 1993. Les circonstants et la position initiale. In C. Guimier (ed.), 1001 circonstants. Caen : Presses universitaires de Caen : 159-184.

Luginbühl, M. et Perrin, D. (eds) 2011. Muster und Variation. Medienlinguistische Perspektiven auf Textproduktion und Text. Berne : Peter Lang.

Marchello-Nizia, C. 1995. L’évolution du français. Paris : Armand Colin.

Pittner, K. 1999. Adverbiale im Deutschen. Untersuchungen zu ihrer Stellung und Interpretation. Tübingen : Stauffenburg Verlag.

Poitou, J. 2010. Enquêtes et réflexions sur la topologie de la phrase allemande. Lylia 49 : 1-33. Accessible en ligne à l’adresse suivante : http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/50/97/11/PDF/Poitou_J.-2010b.pdf (consulté le 12/07/2011).

Poitou, J. à paraître. Was bedeutet das Vorhandensein bzw. Nicht-Vorhandensein des Vorfelds? Tübingen : Stauffenburg Verlag.

Rastier, F. 1997. Défigements sémantiques en contexte. In M. Martins-Baltar (ed.), La locution, entre langues et usages. Paris : Ophrys : 305-329.

Reis, M. 1980. On Justifying Topological Frames: “Positional Field” and the Order of Nonverbal Constituents in German. Documentation et recherche en linguistique allemande contemporaine 22/23 : 59-85.

Rémi-Giraud, S. 1998. Le complément circonstanciel. Problèmes de définition. In S. Rémi-Giraud et A. Roman (eds), Autour du circonstant. Lyon : Presses universitaires de Lyon : 65-113.

Riegel, M., Pellat, J.-C. et Rioul, R. 2006. Grammaire méthodique du français. Paris : PUF.

Sauzet, P. 1996. Ordre des mots, ordre dans les mots. Langue française 111 : 10-37.

Schanen, F. 1993. Funktionen der „vor-ersten“ Stellung. In J.-F. Marillier (ed.), Satzanfang – Satzende. Syntaktische, semantische und pragmatische Untersuchungen zur Satzabgrenzung und Extraposition im Deutschen. Tübingen : Gunter Narr Verlag : 145-160.

Schanen, F. et Confais, J.-P. 2001. Grammaire de l’allemand. Formes et fonctions. Paris : Nathan.

Sowinski, B. 1986. Deutsche Stilistik. Francfort-sur-le-Main : Fischer Taschenbuch Verlag.

Zemb, J.-M. 1978. Vergleichende Grammatik Französisch-Deutsch. Mannheim : Bibliographisches Institut. Vol. 1 : Comparaison de deux systèmes.

Zemb, J.-M. 1993. Durch was und wozu wird im deutschen Satz welches Vorfeld besetzt? Sprachwissenschaft 18 : 1-28.

Dictionnaires

ATILF. Trésor de la langue française informatisé. Accessible en ligne à l’adresse suivante : http://atilf.atilf.fr/tlf.htm (consulté le 12/07/2011).

Dudenredaktion (eds) 2001. Deutsches Universalwörterbuch. Mannheim – Leipzig – Vienne – Zurich : Dudenverlag [4e édition].

Rey, A. et Rey-Debove, J. (dir.) 2006. Le nouveau Petit Robert. Paris : Dictionnaires Le Robert.

Haut de page

Notes

1 Pour une mise en question de la pertinence de V1 et V2 pour l’allemand, voir Poitou (2010).

2 Voir Marchello-Nizia (1995 : 37).

3 L’abréviation « ZZ » renvoie à Sloterdijk (2006). Les chiffres qui suivent correspondent aux pages. Un extrait du texte allemand (p. 9-21) est disponible en ligne, accessible à l’adresse suivante : http://www.bilandia.de/multimedia/leseproben/9783518459904_1_1_0.pdf (consulté le 02/06/2011).

4 L’abréviation « CT » renvoie à Sloterdijk (2009). Les chiffres qui suivent correspondent aux pages.

5 Les autres critères sont : le mode du verbe, la catégorie grammaticale de l’élément placé avant le verbe, l’intonation (critère moins pertinent à l’écrit) (voir Hofbauer, 2004 : 17-18) ; nous ajoutons à cette liste la ponctuation.

6 Pour une remise en cause de ce modèle, voir Poitou (2010).

7 Le linguiste envisage la phrase en surface comme dérivée de la structure profonde, qui en allemand correspond à l’ordre des éléments dans la subordonnée, avec le verbe conjugué en dernière place. Lors du passage de la structure profonde à la structure en surface, selon Zemb, le verbe remonte en deuxième position, accompagné d’un élément si la phrase est déclarative (Zemb, 1993 : 19).

8 « [D]as VF ist zwar strukturell bestimmbar, es ist aber nicht festlegbar, womit dieser strukturelle Abschnitt besetzt sein muß [sic] » (Dürscheid, 1989 : 16).
Le Vorfeld peut certes être déterminé d’un point de vue structurel, mais on ne sait pas par quel élément ce segment structurel doit être occupé. (Nous traduisons.)

9 N.B. : Peter Sloterdijk continue à écrire selon les règles antérieures à la réforme de l’orthographe (obligatoire depuis 2005).

10 En réalité, est-ce que « s’emploie aujourd’hui aussi bien à l’oral qu’à l’écrit » (Riegel, Pellat et Rioul, 2006 : 393). Il est même plus pratique, « présent[ant] le double avantage de fournir, dès le début de la phrase, une marque de l’interrogation et de permettre le maintien de l’ordre canonique sujet-verbe » (Riegel, Pellat et Rioul, 2006 : 393).

11 Deux interprétations sont possibles : l’interprétation explétive (nécessité grammaticale mais pas nécessité sémantique) et l’interprétation pléonastique (redondance mais pas de renforcement expressif). Voir Lauwers (2004 : 541-542).

12 Même si, comme le montre Schanen (1993 : 145-160), les éléments disloqués sont caractérisés en général par une plus grande liberté morphosyntaxique, exprimée notamment par la possible absence de continuité casuelle entre l’élément disloqué et le pronom de reprise.

13 Sur le modèle d’une phrase trouvée chez Luginbühl et Perrin (2011 : 9) : « Welche kommunikativen Praktiken schlagen sich in welchen kommunikativen Gattungen und Mustern nieder […] ? ».
Quelles pratiques communicatives se répercutent dans quels genres et dans quels modèles ? (Nous traduisons.)

14 Nous pensons que « noch » ne s’applique pas au complément circonstanciel de temps, comme le laisse penser la proposition de traduction d’Olivier Mannoni, mais se réfère au groupe nominal sujet « Karl Marx ». C’est pourquoi nous avons traduit par « N’est-ce pas Karl Marx qui […] ». La valeur adversative temporelle de « noch » est conservée, puisqu’en tant que personnage historique, il est aisément situable dans le temps, par contraste avec le temps d’Homère.

15 Cette proposition de traduction n’est pas idiomatique, mais vise à exprimer une interprétation emphatique de « nichts anderes » en ouverture d’énoncé.

16 CC = complément circonstanciel, OP = objet prépositionnel.

17 Même si bien sûr, nous avons conscience que les deux structures ne sont pas équivalentes.

18 Comme le rappelle Rémi-Giraud (1998 : 91), « [l’]espace et le temps sont à tous points de vue les meilleurs candidats. La définition sémantique est faite pour eux : en posant le cadre du procès, ils se situent effectivement autour de l’action exprimée par le verbe, à distance et en arrière-plan, mais en même temps ils offrent les repères qui permettent de la situer, de la circonscrire. Ils figurent également en bonne, sinon en première place, dans l’énumération des circonstances ». La morphologie de ce constituant (G PREP) va aussi dans le sens de cette interprétation (Rémi-Giraud, 1998 : 91).

19 Voir Guimier (1991 : 217) : « […] à chaque fois qu’un complément situé à droite du verbe être – ou d’un autre verbe d’état – est pronominalisé au moyen de le, on pourra être sûr que le support verbal est dématérialisé et qu’on a affaire à une véritable construction attributive ».

20 Alors que, sur le même modèle, « Am Ende war das Wort “Zorn” » est parfaitement acceptable.

21 Ce but rejoint, à notre avis, le problème des homonymies de construction, traité en 2.

22 « Ob » correspond à la conjonction « si » de l’interrogation globale.

23 La complexité syntaxique du sujet postposé peut aussi jouer un rôle (Cornish, 2001 : 104-105).

24 « Parler de concurrence entre les deux schémas syntaxiques implique qu’on considère l’antéposition et la postposition du sujet comme deux variantes libres ; de fait les deux positions sont presque toujours possibles dans le même énoncé, même dans les configurations qui génèrent une contrainte forte pour la postposition […]. On ne parlera donc de position obligatoire que dans des cas très précis, et on préférera, pour ménager la place des contre-exemples toujours possibles, parler de position fortement contrainte / vs. / préférentielle / vs. / libre » (Fournier, 1997 : 97).

25 « […] es [gibt] eine ganze Reihe von Belegen [-], die zeigen, daß […] Formen der Herausstellung auch als durchaus hochsprachliches Stilmittel verwendet werden, also keineswegs zur Imitation oder Kennzeichnung lockerer mündlicher Umgangssprache » (Altmann, cité par Finke-Lecaudey, 1993 : 161).
Un grand nombre d’exemples atteste que les formes de la dislocation peuvent aussi parfaitement être employées comme figures de style de la langue standard, c’est-à-dire en aucun cas pour imiter ou caractériser un langage familier relâché et oral. (Nous traduisons.)

26 CT 18.

27 Voir le Deutsches Universalwörterbuch (Dudenredaktion, 2001).

28 Voir le Trésor de la langue française informatisé (ATILF, http://atilf.atilf.fr/tlf.htm) et Le nouveau Petit Robert.

29 Nous ne traiterons pas des constituants détachés entre virgules tels que « um legitim zu sein » (pour être légitime) dans « Es muß, um legitim zu sein, als Protypisches, Ältestes, ewig Wiederkehrendes sich tarnen und sich auf die lange vorherbedachte Zustimmung der Götter berufen » (ZZ 13), que Mannoni a choisi de déplacer à l’initiale dans sa traduction (CT 13).

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Laetitia Faivre, « L’ouverture d’énoncé : espace contraint, espace de liberté. Comparaison entre l’allemand et le français dans un texte de Peter Sloterdijk et sa traduction », Discours [En ligne], 9 | 2011, mis en ligne le 20 décembre 2011, consulté le 28 février 2014. URL : http://discours.revues.org/8523 ; DOI : 10.4000/discours.8523

Haut de page

Auteur

Laetitia Faivre

Université Lumière Lyon 2

Haut de page

Droits d'auteur

© Discours – Presses universitaires de Caen

Haut de page
  •  
    • Titre :
      Discours
      Revue de linguistique, psycholinguistique et informatique
      En bref :
      Revue de linguistique, psycholinguistique et informatique, centrée sur la description, la compréhension, la formalisation et le traitement informatique de l'organisation des textes
      A journal of linguistics, psycholinguistics and computational linguistics
      Sujets :
      Langage, Linguistique
    • Éditeur :
      Laboratoire LATTICE
      UMR 8094 ENS/CNRS
      Support :
      Électronique
      EISSN :
      1963-1723
    • Accès :
      Open access
    • Voir la notice dans le catalogue OpenEdition
  • DOI / Références