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Tutorat en ligne – Analyse des pratiques d'interaction et de feedback dans un blogue pour l'apprentissage de l'anglais
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Tutorat en ligne – Analyse des pratiques d'interaction et de feedback dans un blogue pour l'apprentissage de l'anglais

Online tutoring: analysis of interaction and feedback on a blog
Annick Rivens Mompean

Résumés

Le blogue peut être utilisé dans un contexte pédagogique, et les études montrent le potentiel motivationnel non négligeable de ce support pour le développement de productions, dans un cadre socioconstructiviste, par le fait de l'engagement des apprenants dans des activités sociales qui ont du sens. Se pose alors de façon récurrente la question de la correction et du feedback du tuteur et de sa place dans les échanges. Nous analysons ici, par le biais d'une analyse qualitative des interactions, la façon dont le tuteur peut trouver sa place dans les échanges en ligne, par le biais des commentaires. Nous déterminons un certain nombre d'éléments qui composent son rôle de tuteur en ligne : il n'est pas seulement correcteur linguistique mais aussi animateur, membre actif des débats dans une relation quasi symétrique avec les apprenants. Ces éléments nous permettent de comprendre quelles sont les facettes d'un accompagnement réussi, dans une situation d'apprentissage spécifique, qui recompose les rôles des différents acteurs et modifie le fonctionnement de la communication pédagogique menée en ligne.

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Texte intégral

1. Introduction

1Notre contribution s'intéresse aux écrits en ligne, dans un cadre socioconstructiviste qui valorise le rôle des interactions sociales multiples dans la construction des savoirs. Ces écrits se font dans des blogues tenus par des apprenants en anglais LVE (langue vivante étrangère), de niveaux A2 à C1 tels que décrits dans le CECR (Cadre Européen Commun de Référence, Conseil de l'Europe, 2001). Le blogue a souvent été expérimenté dans un contexte pédagogique et les études montrent le potentiel motivationnel non négligeable de ce support pour le développement de productions (Soubrié, 2006 ; Tomé, 2007 ; Lara, 2006). Ceci provient, entre autres, de l'engagement des apprenants dans des activités sociales qui ont du sens (Kerbrat-Orecchioni, 2005 ; Herring et al., 2004).

2Nous nous intéressons plus particulièrement à la façon dont se mettent en place le feedback et la correction apportés par le tuteur au sein des interactions, éléments essentiels dans un contexte d'écriture à visée d'apprentissage mais qui posent souvent problème, du fait du statut public des écrits.

  • 1 La liste de ces blogues est présentée en annexe.

3Nous nous appuyons sur des données recueillies durant deux années consécutives, auprès d'étudiants de master de didactique des langues (M1 et M2 réunis) qui avaient choisi l'anglais comme langue étrangère et auxquels ont été proposées des activités de rédaction sur des blogues qu'ils tiennent, par groupes de deux ou trois1. Le tuteur qui gère les interactions sur les blogues est un jeune lecteur anglophone qui a une pratique personnelle d'écrits sur blogues et parvient à établir une relation symétrique avec les apprenants, sans hiérarchie marquée, du fait de son statut qui lui permet d'intervenir de façon assez informelle. Dans une précédente étude sur une partie du corpus (Rivens Mompean, 2010), nous avions pu attester le développement d'interactions authentiques, ou qui tout au moins avaient un sens pour l'apprenant. Nous avions également constaté que le problème de la correction restait une question centrale à résoudre, en particulier en ce qui concerne la place et le type de correction que le tuteur pouvait proposer, dans cet espace d'écriture public et permanent. C'est pourquoi nous nous référons au concept goffmanien de "face" (Goffman, 1974), terme qui se réfère à l'image de soi et à la valorisation sociale de la personne. Dans leurs écrits publics, les apprenants ont exprimé le besoin d'être corrigés et veulent s'assurer que les écrits qu'ils lisent sont "corrects" ou veulent un retour sur leurs productions. Mais comment corriger des écrits publics tout en ménageant les problèmes de "face" ? Nous nous interrogeons donc sur les modalités interactives de l'intervention en ligne, dans le cadre communicationnel spécifique du blogue avec une visée d'apprentissage.

4Nous analysons les contributions du tuteur pour déterminer sous quelle forme et à quel moment il intègre ses corrections. Une analyse de discours (Charaudeau & Maingueneau, 2002 ; Mangenot, 2007) semble la plus à même de faire émerger les nouveaux rapports qui s'établissent entre les apprenants, mais surtout entre le tuteur et la communauté d'apprentissage que constitue le groupe réparti dans différents blogues. Les relations au sein du groupe vont se reconstruire en fonction des différents rôles que les membres de la communauté d'apprentissage vont jouer sur le blogue. De nouveaux liens sociaux vont se mettre en place (Develotte & Mangenot, 2004) et des formes d'écriture spécifiques vont se développer dans cette communauté discursive (Maingueneau, 1987).

5Par une analyse qualitative du corpus recueilli, nous pouvons ainsi envisager la façon dont les écrits sont révélateurs des relations inter-personnelles et comprendre comment le tuteur se positionne et quels sont les rôles qu'il est amené à jouer dans le blogue. L'analyse des contributions du tuteur nous permet de dresser un panorama de ses interventions (feedback et correction), ce qui nous permet de mieux appréhender les mécanismes rédactionnels qui se mettent en place et qui révèlent la façon dont le tuteur se positionne au sein du groupe. Nous parviendrons ainsi à une meilleure compréhension du fonctionnement du blogue, non pas comme simple support de communication, mais comme espace d'enseignement-apprentissage.

2. Le contexte de la recherche

2.1. Le cadre de l'étude

6Ce dispositif d'écriture a été proposé à des étudiants de master de didactique des langues qui sont engagés dans le dispositif d'autoformation guidée du Centre de ressources en langues (CRL) de l'université Lille 3, pour leur apprentissage de l'anglais. Le premier semestre a permis de construire les bases de l'autonomisation, autour de trois pôles (Rivens Mompean & Eisenbeis, 2009 : 237) :

  • le dispositif CRL pour l'apprentissage linguistique, avec du travail en autonomie sur des ressources spécifiques et des ateliers de pratique orale animés par le tuteur ;

  • le journal de bord, qui permet une réflexion métacognitive individuelle ;

  • des séances d'"apprendre à apprendre", pour une réflexion métacognitive accompagnée, lors d'échanges avec les pairs ou avec l'enseignante coordinatrice du projet.

7Le deuxième semestre se poursuit dans le même cadre et vise à renforcer des pratiques langagières autonomes en engageant les étudiants dans un processus de rédaction publique et asynchrone, en ayant la liberté du choix du thème, de présentation, de gestion des écrits, au sein du groupe. Nous envisageons que l'apprentissage a lieu lorsque les apprenants sont engagés dans des activités sociales qui aident à construire du sens, dans une approche socioconstructiviste et interactionnelle. Les écrits des uns (les contributions du blogue) servent de support aux commentaires des autres, et permettent aux apprenants de s'engager dans une écriture qui se construit au sein d'une communauté d'apprentissage.

8Ces objectifs sont en accord avec les principes du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (Conseil de l'Europe, 2001) qui vise à privilégier, via le support multimédia, l'approche par tâches, afin de favoriser le développement d'interactions authentiques et collaboratives.

2.2. Le choix du blogue

9Le blogue, à la fois "outil d'auto-publication et outil de communication" (Soubrié, 2006 : 126), est un formidable espace qui permet, dans un premier temps, de publier des écrits personnels et, dans un deuxième temps, de développer des interactions avec des partenaires. Si ces deux temps sont liés, ils se déroulent de façon successive, et les modalités d'écriture sont différentes selon qu'il s'agit de la contribution initiale (rédaction argumentée et élaborée) ou des commentaires (écrits plus spontanés et moins élaborés). C'est donc à la fois un espace personnel dans lequel l'étudiant peut établir ses propres choix rédactionnels et graphiques, et un espace ouvert à la communauté des pairs pour des interactions. Pour ces raisons, le blogue a également une valeur motivationnelle.

10La tâche proposée aux apprenants était de tenir un blogue sur le thème de leur choix, à définir ensemble et à valider avec le tuteur, par groupe de deux ou trois. Certains ont toutefois préféré tenir un blogue seuls, ce qui n'a pas eu d'incidence sur le déroulement du projet. Ces blogues étaient ensuite mis en réseau et lus par l'ensemble du groupe. Les étudiants étaient évalués pour cette activité et le contrat pédagogique établissait qu'ils devaient poster au minimum cinq contributions sur la durée du projet (trois mois) et, suite à leur lecture des contributions des pairs, poster un minimum de cinq commentaires, pour les obliger à laisser une trace de leur visite sur le blogue, sans pour autant les contraindre à se manifester à chaque fois. En effet, ils pouvaient fort bien être des lecteurs assidus, sans pour autant sentir le besoin de réagir et de s'exprimer systématiquement.

11Afin de permettre une écriture spontanée, il ne nous a pas semblé souhaitable de corriger les écrits avant qu'ils ne soient postés, même si certains apprenants auraient parfois préféré qu'il en soit ainsi, soucieux de ne pas exposer publiquement des écrits qu'ils savaient ne pas être parfaits. D'un point de vue linguistique, cela pose la question de l'importance accordée à la forme, à partir de la dichotomie explicitée en anglais par les termes fluency vs. accuracy, au cœur des débats sur l'apprentissage des langues, entre une approche centrée sur la forme et une approche essentiellement communicative.

12Dans cette visée interactionniste, il nous semble important de laisser se dérouler les échanges sans intervention excessive du tuteur. Comme nous venons de l'évoquer, les étudiants ont toutefois exprimé leur souhait de trouver des corrections, qu'il s'agisse de leurs propres productions (afin d'avoir un feedback sur leurs écrits) ou des productions des pairs (ils préfèrent lire des contributions dont ils sont sûrs qu'elles sont acceptables du point de vue de la norme).

2.3. Deux étapes d'une recherche-action

13Suite à une première expérimentation, nous avons apporté des modifications dans le fonctionnement du projet blogue, en insistant davantage sur l'importance des commentaires, tant pour les contributions des pairs que pour le suivi du tuteur. Si la première phase de la recherche avait été consacrée à l'analyse de la structuration des interactions des pairs par le biais des commentaires, cette deuxième phase est maintenant consacrée à l'analyse de la construction du feedback et du suivi du tuteur, toujours par le biais des commentaires. Nous avions pu constater l'apport motivationnel du blogue (grande quantité d'écrits, implication des apprenants dans les échanges) et observer le développement d'écrits riches et argumentés, dans le contexte particulier de la première étude (Rivens Mompean, 2010). La question qui restait en suspens concernait les modalités du suivi.

14Le cadre pédagogique a été affiné et présenté plus en détail aux apprenants afin qu'ils se sentent confiants et puissent s'engager dans un dispositif dont ils comprennent tous les enjeux, ce qui n'avait pas été le cas lors de la première phase, pendant laquelle les étudiants avaient exprimé le manque ressenti de corrections, plus concernés par la forme des écrits des contributions initiales que par les interactions sociales par le biais des commentaires. Nous avons davantage insisté sur l'importance qu'il y avait à ce qu'ils postent des commentaires, et nous verrons que l'explicitation des consignes a eu une influence sur leur participation, qui s'est faite de façon très active, tant dans les contributions que par les commentaires.

15L'approche qualitative nous permet de faire émerger de nouvelles formes d'interventions non encore catégorisées, à partir d'une observation participante, en tant qu'enseignante-chercheure, engagée dans la recherche et impliquée dans la formation. Toutefois, le suivi en ligne a été délégué à un tuteur, ce qui facilite la distanciation. Il est intéressant de noter que lors de la première expérimentation, cette distanciation avait été plus ou moins bien perçue par les apprenants qui n'avaient pas compris pourquoi un des deux enseignants de la formation ne déposait pas de commentaires sur les blogues, et ils s'étaient sentis en quelque sorte "abandonnés", du fait de cette absence, qui avait été interprétée comme un manque d'intérêt pour leurs écrits. Les commentaires sont donc à la fois le lieu d'interactions entre les apprenants et entre le tuteur et les apprenants, interactions qui peuvent porter sur le contenu ou sur la forme comme nous le verrons ci-dessous, dans l'analyse des résultats.

3. Cadre théorique

16Comme nous l'avons mentionné précédemment, nous nous situons dans un cadre socioconstructiviste et valorisons le développement d'interactions sociales pour l'apprentissage. Dans ce cadre, nous envisageons le discours comme une construction collective dans laquelle communiquer revient à mettre en commun ce qui ne l'est pas d'emblée (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 33). Par ailleurs, nous nous référons au cadre de la communication médiatisée par ordinateur (CMO) pour l'apprentissage. Afin d'analyser ces pratiques langagières spécifiques, nous avons recours à une analyse de discours (Charaudeau & Maingueneau, 2002).

3.1. Blogue et apprentissage

17Le blogue n'est pas un outil conçu pour l'apprentissage linguistique à l'origine, mais il permet le développement de compétences langagières. Cardon et Delaunay-Teterel (2006) proposent une typologie des blogues, dans laquelle ils distinguent le blogue qui fait état d'un état interne, de la vie privée ; le blogue familier qui s'adresse à un réseau de proches, le blogue citoyen qui défend une cause ou encore le blogue expert qui fait état de compétences spécifiques. Soubrié (2006) propose, quant à lui, un dernier type, le blogue gueuloir où l'on exprime ses révoltes. Nous retrouvons ces catégories dans les blogues analysés.

18Le blogue permet aussi de constituer une communauté d'apprentissage, à laquelle Maingueneau (1987) se réfère comme une communauté discursive, ce qui est tout à fait pertinent dans notre étude.

3.2. Tutorat, conseil ou accompagnement ?

19Nous pouvons nous référer aux cinq catégories distinctes proposées par Nissen (2009 : 196) pour la fonction tutorale dans des formations en ligne : "les rôles ou fonctions pédagogique, social et motivationnel, organisationnel, évaluatif et technique". Au terme "social et motivationnel", nous préférons toutefois le terme de soutien "socio-affectif et motivationnel" de Quintin (2008), qui semble mieux correspondre aux écrits observés. Nous adapterons ces catégories à la situation spécifique de communication attestée sur le blogue, qui consiste essentiellement pour le tuteur à gérer les écrits. Comme il suit, par ailleurs, les apprenants en présentiel lors d'ateliers d'expression orale (voir supra pour la description du dispositif d'autoformation guidée), il n'a pas à gérer le dispositif dans son ensemble. Il travaille également en partenariat avec l''enseignante qui est responsable des sessions méthodologiques "apprendre à apprendre" réservées au dispositif d'autoformation guidée.

20Les cinq catégories proposées correspondent donc aux actions suivantes :

  • aide et stimulation cognitive ;

  • rôle social et motivationnel ;

  • soutien technique pour permettre à l'apprenant de se concentrer sur sa tâche académique ;

  • gestion organisationnelle de la communication ;

  • évaluation et définition des objectifs et des critères d'évaluation.

21Nous nous référons également aux écrits de Gremmo (2009) en lien avec la notion de conseiller, puisque les interventions du tuteur dépassent très largement le cadre de la simple correction linguistique et concernent les modalités d'apprentissage. Selon Gremmo (2009 : 174),

le terme de conseiller cherchait donc à différencier ce rôle de celui d'enseignant, pour refléter une conception de l'intervention pédagogique fondée sur une logique d'apprentissage et d'autoformation, et non une logique d'enseignement et d'hétéroformation.

22C'est le cas dans le contexte spécifique des écrits sur blogues, où le rôle de l'enseignant doit être reconstruit. Nous avons également recours à la notion de non-décisionnalité, qui consiste à "ne pas prendre les décisions à la place de l'acteur principal" évoquée par Gremmo (2009 : 175), et à celle de droit d'intervention, selon lequel les conseillers

se donnent le droit d'intervenir au moment où "bon leur semble" et non pas seulement en réaction à une demande de l'apprenant, en justifiant ce droit à l'intervention par leur expertise (ibidem).

23Nous nous intéressons au positionnement assumé par le tuteur dans cette nouvelle situation de communication pédagogique, et plus particulièrement à la façon dont ce positionnement transparaît dans ses interactions avec les membres du groupe, avec un rôle qui oscille entre celui de pair, d'expert et de tuteur, comme cela avait été repéré par Dejean-Thircuir et Mangenot (2006) dans une situation de tutorat en ligne.

24Le rôle du tuteur est complexe et l'analyse des interactions verbales nous permettra de faire émerger des traits caractéristiques.

3.3. Feedback et correction

25Nous abordons la notion de feedback et de correction en lien avec la notion de tutorat. On peut distinguer deux formes de tutorat, à tendance réactive ou proactive. Dans le tutorat réactif, selon Glikman (2002 : 64), le rôle du tuteur est de

répondre aux demandes explicites des apprenants, sans anticiper sur ces demandes et sans chercher au-delà, tandis que les tuteurs plutôt proactifs prennent l'initiative de proposer une aide et s'appliquent à faire émerger des demandes.

26Cappellini (2010), en ayant recours à la notion d'étayage de Bruner (1983), pour analyser des interactions dans un dispositif de télétandem, distingue, quant à lui, l'étayage tutoriel (observation d'un manque, correction ou explication) de l'étayage communicatif (incompréhension et négociation de sens).

  • 2 Les citations sont des commentaires isolés, sans lien les uns avec les autres, qu'il s'agisse des c (...)

27Le tutorat sur la forme est d'ordre cognitif et vise l'apprentissage de l'expression écrite en anglais. Le tutorat qui vise à montrer une présence et à susciter des contributions est d'ordre psychoaffectif puisqu'il consiste surtout à maintenir un fil de conversation ou à motiver en montrant une présence. On se souvient que, dans la première phase de notre recherche, les étudiants s'étaient parfois sentis livrés à eux-mêmes, comme le montraient leurs remarques, exprimées au fil d'un questionnaire en ligne.2

- J'aurais aimé plus de commentaires de la part de professeurs pour évaluer la pertinence de notre démarche sur les erreurs au niveau de la langue, ou un tutorat.
- J'aurais aimé pouvoir vous soumettre mes articles, et vous rencontrer pour comprendre mes erreurs.

28Les apprenants sont demandeurs d'un suivi et montrent ainsi combien le rôle d'accompagnement est important, en particulier dans des activités en ligne, hors présentiel, même si elles s'inscrivent dans un dispositif plus global où des regroupements ont lieu par ailleurs.

4. Analyse des résultats

4.1. Le corpus

29Notre étude regroupe les productions de deux promotions d'étudiants issus du master de didactique des langues de l'université Lille 3. L'étude menée auprès de la première promotion de 2008-2009 (Rivens Mompean, 2010) visait à comprendre le schéma interactionnel qui se mettait en place. La deuxième génération de blogues, en 2009-2010, a permis d'élargir le corpus et surtout de faire évoluer notre objet d'étude et d'appréhender le problème du feedback.

30Le recueil de ces deux corpus successifs nous a permis d'observer le fonctionnement de 16 blogues tenus par deux promotions d'étudiants, constituées en 2008-2009 de 19 étudiants et en 2009-2010 de 23 étudiants. Nous avons eu recours à deux fournisseurs de blogues (Blogger la première année, Wordpress la deuxième année) dont les fonctionnalités se sont finalement avérées assez similaires. Tous les blogues devaient toutefois être créés chez le même fournisseur, afin de permettre au tuteur d'apporter un soutien technique homogène si besoin.

31Le tableau 1 rassemble les données quantitatives. Ces blogues ont donné lieu à la production de 153 contributions en 2009 et 156 en 2010. Le nombre des commentaires est très différent d'une année sur l'autre : 283 commentaires en 2009, 1257 en 2010. Cette grande différence quantitative est due au réajustement des consignes, qui ont été affinées suite à la première recherche-action menée en 2009. En effet, nous avions alors constaté que, malgré un nombre très satisfaisant de contributions (au-delà des exigences d'évaluation annoncées), chaque contribution suscitait assez peu de commentaires. Par contre, en 2010, une contribution suscite en moyenne huit commentaires.

32Parmi ces contributions, nous avons analysé plus particulièrement celles qui impliquaient le tuteur : ses commentaires et les réactions des apprenants à ses commentaires, afin de parvenir à décrire les éléments constituants du tutorat en ligne, à partir des pratiques langagières.

33Sur un total de 1540 commentaires, 293 émanent du tuteur. Nous notons une grande différence entre les deux années : 110 commentaires émanaient du tuteur sur un total de 283 la première année, soit un peu moins de la moitié des messages. Dans la phase 2, les 183 commentaires du tuteur étaient répartis parmi les 1257 commentaires, les apprenants s'étant cette fois emparés de la fonction "commentaire". Ainsi, le feedback apparaissait de façon moins "voyante" et pouvait se noyer dans les autres commentaires, et atténuer ainsi en partie cette caractéristique déstabilisante des actes menaçants ou face threatening acts (Brown & Levinson, 1978 ; Kerbrat-Orecchioni, 2005) qui ne sont d'ailleurs pas l'apanage du tuteur. Toutefois, on constate que les interventions des pairs ne portaient pas sur la forme mais plutôt sur le fond ou visaient à maintenir le lien social. On peut constater, en outre, que la répartition est inégale entre les blogues, certains ayant été extrêmement actifs tandis que d'autres se sont contentés du strict minimum exigé dans le contrat pédagogique.

34Les tableaux ci-dessous présentent ces données, le tableau 1 de façon détaillée pour chaque année, le tableau 2 de façon globale.

Tableau 1 – Données détaillées du corpus analysé.

  • 3 La liste des blogues avec leur nom complet et leur URL est donnée en annexe.

Blogues de l'année 2008-2009

Phase 1

Référence du blogue3

Nombre de participants

Nombre de contributions

Nombre de commentaires

Interventions du tuteur

A

3

26

46

16

B

2

16

23

11

C

4

15

37

6

D

3

20

54

19

E

4

21

31

13

F

1

38

62

33

G

2

17

30

12

Total

19

153

283

110

Blogues de l'année 2009-2010

Phase 2

Référence du blogue

Nombre de participants

Nombre de contributions

Nombre de commentaires

Interventions du tuteur

H

2

13

114

16

I

3

40

517

44

J

4

33

194

37

K

2

10

72

16

L

2

15

193

27

M

2

18

70

15

N

3

7

35

9

O

3

11

28

10

P

2

9

34

9

Total

23

156

1257

183

Tableau 2 – Données globales du corpus.

Catégorie

Nombre

Participants

42

Contributions

309

Commentaires

1540

Interventions du tuteur

293

4.2. Catégorisation des interventions du tuteur

35Nous présentons maintenant une analyse des commentaires émanant du tuteur ainsi que des commentaires suscités par ses interventions. Lorsque nous faisons référence au corpus, les participants sont mentionnés par l'initiale de leur prénom. Les exemples donnés ne constituent pas un compte-rendu exhaustif du volumineux corpus extrait et analysé, mais ils sont représentatifs et illustrent les phénomènes les plus récurrents. Chaque catégorie sera illustrée par des occurrences relevées tout au long des 1540 commentaires.

4.2.1. Contenu des interventions

36Une grande partie des interventions du tuteur consiste à créer du lien, favoriser les interactions et participer aux discussions à titre personnel. Elles jouent en quelque sorte le rôle psycho-affectif évoqué précédemment. Les commentaires révèlent :

  • une réelle participation aux échanges, dans une relation symétrique et informelle ;

  • des corrections distillées au long des commentaires, portant sur la forme plus que sur le fond, à de rares exceptions près ; les corrections sur la forme peuvent porter sur la grammaire, le lexique, des définitions de termes ou des traductions.

- I'll put a few language tips: For the language, just say "Dutch" (not the Dutch) – "the Dutch" means the people from that country.
- Remember to capitalise letters at the beginning of proper nouns, even adjectives! E.g. European/ Dutch
- Remember to conjugate your verbs according to subject, e.g. 91% of Dutch people talk (not "talks")
- To "speak" a language is a better word than to "talk" a language
- An easy way to say Kalashnekoff in English is AK47.

37Le fait d'intégrer le feedback dans le fil des échanges permet d'intégrer les commentaires métalinguistiques aux interactions et d'éviter qu'ils soient perçus négativement ou qu'ils ne prennent trop d'importance. Ainsi, dans un même message, le tuteur interagit avec les apprenants en échangeant sur le contenu, mais aussi en apportant son feedback sur la forme, par le biais d'une correction sur la langue, comme le montre l'exemple suivant.

I hope you're having a great time in India and there weren't too many problems getting started. In case you're interested, I noted just two corrections:
- not only does Spirulina really exist (
"not only" is directly followed by "does"/ "am/is/are")
- take part "in"

4.2.2. Langue informelle : oralité, émoticônes et fonction phatique du langage

38Les corrections et le feedback se font dans un registre oral qui se manifeste par le recours à une ponctuation peu normée, à des phrases peu structurées et par l'usage d'émoticônes, qu'il s'agisse des messages des apprenants ou du tuteur. C'est une des caractéristiques de la communication médiatisée par ordinateur, qui renforce le recours à une langue informelle pour compenser l'absence de la gestuelle ou du visuel, comme ceci a pu être observé sur des échanges par forum dans un contexte pédagogique (Rivens Mompean, 2007) ou encore dans les forums grand public (Marcoccia, 2003).

39Nous avons recensé des phrases sans sujet "definitely agree with you…", le recours à des onomatopées "wow", "oh hey", "yeah", "hm", "yep", des interjections de type "Yes !", "Cool !" ou "awesome", ou encore à des messages de type SMS "I guess u meant", etc. Ces phrases oralisées sont accompagnées d'une ponctuation spécifique qui ne respecte pas les normes typographiques (pas de ponctuation, pas de majuscules en début de phrase), ou ont recours aux fonctions phatiques du langage, avec des ponctuations renforcées ( ! ! ! ! ! ! ! !) ou des émoticônes.

40Nous noterons également le recours à des expressions typiques de la communication médiatisée telles que "lol" ou encore "sigh" qui donnent des indices sur l'état d'esprit du locuteur.

- Wow I really like this video
- Definitely a bit philosophical!
- nah it's a great post! it doesn't need to be perfect at all!
- Yeah
- hm, sad
- Lol and no D., I'm not immediately familiar with the Leeds diocese nor its publications...
- *Sigh* I do miss Leeds a bit
- awesome
- Crazy!

41L'humour permet également de dédramatiser l'interaction par le recours à l'onomatopée "haha", principalement en réaction au contenu (pour créer du lien social).

- haha French, the things you come up with!
- haha irrefutable indeed
- aha good point good point!
- Hahaha I love it!! You can be really funny when you want to, O.

4.2.3. Formulations nuancées

42La plupart des formulations sont complexes et un même message contient différents éléments qui viennent nuancer les dires, ce qui vise à éviter les problèmes de face. Les corrections sont souvent intégrées à un commentaire plus large à visée communicative. On observe un recours constant à des softeners (ou "adoucisseurs" selon Kerbrat-Orecchioni, 2005) ou encore à des face flattering acts (actes valorisants pour la face d'autrui ; ibidem). Nous nous référons ici aux commentaires appréciatifs (marqueurs de félicitations, accumulation de marqueurs mélioratifs associés à des intensificateurs). Le recours à ces marqueurs permet de compenser les critiques exprimées en apportant une valorisation par ailleurs.

4.2.3.1. Recours à des actes valorisants

43Ces actes valorisants prennent la forme d'encouragements récurrents.

- Your English in this post is nearly perfect A.
- Another great post in terms of quality of your English, A.… just a few hints though…
- PS: Your English is really improving I think! I have noticed a real improvement in your written expression
- Wow you guys are amazing. This is one of the most vibrant blogs I've ever seen!!
Well done ! ! !

44Ils peuvent aussi apparaître sous la forme de conclusions encourageantes.

- See, I'm always trying hard to find things to mention. Honestly, your post appears to reflect a lot of hard work. Keep it up!
- …but your English is perfectly understandable and of good quality
- Again, you've used some great expressions, they just need perfecting a little.
- But really, in 700 words, I could have expected a lot more mistakes…

4.2.3.2. Usage d'adoucisseurs

45On note le recours à des adoucisseurs, en particulier avec l'usage régulier de "just" qui minimise la portée des remarques.

- Just a bit of help with your English here
- Just one thing, say "…" instead of "…"
- oh
just one thing

  • 4 Le gras a été apporté par l'auteure et n'est pas issu des contributions originales du tuteur.

46On observe également le recours à des diminutifs ou des adjectifs minorant l'importance du contenu4 des remarques.

- A few innocent English tips
- Hey T. here are
a couple of corrections
- one thing: "to pretend to" in English is "faire semblant"
- Two
small idiomatic hints…
- I've noted a few language points. They're
not really "corrections" because some of them are definitely positive

4.2.3.3. Syntaxe spécifique et effet adoucisseur

47Une autre façon de nuancer les propos est d'utiliser des verbes introductifs qui permettent, par un renvoi de la correction dans une proposition relative ou une subordonnée, de placer celle-ci à un second plan. Ils permettent également de montrer qu'il (ne) s'agit (que) d'une opinion personnelle du lecteur et ainsi, minorer l'impact de ces écrits.

- Mind if I just make a few English suggestions
- Hot and salty huh? I
think you mean savoury?
- I guess u meant?
- Oh C.
I wanted to just make one more correction in your post…

48On note également une mise au second plan de l'information par le biais d'un décrochage dans la phrase. Le recours à "but" permet dans un premier temps de valoriser l'énoncé tout en introduisant quelques informations critiques. L'usage du post-scriptum permet de mettre le contenu au second plan dans le plan discursif. Par ailleurs, le recours à des expressions comme "by the way" ou "also I think" permet aussi cette mise au second plan des propos.

- So your English level is great but I'm gonna give you a few tips because I know how you like perfection:))
- Also I think you probably want to say…
- by the way: if you're talking about a newspaper from Japan, say a Japanese newspaper.
- p.s.: fiveteen? Use a spell checker next time please

49Le recours à "if" permet, quant à lui, de donner le choix à l'interlocuteur de prendre ou non en considération les informations apportées et de laisser entendre que le tuteur peut se tromper.

- and if you're talking about the people from Japan, make sure to say "*the* Japanese"
- hey A. don't worry or apologise about your English! But
if you want some help, for example,just say "have fun"

4.2.3.4. Impératifs

50On observe une formulation plus directe, avec le recours à des impératifs qui permettent ainsi de donner des instructions directes. Mais on observe alors que la plupart commencent par "remember" ou "let me give" ou encore "try this" qui ne sont pas des injonctions très fortes et qui donnent le choix à l'interlocuteur d'accepter de prendre en compte ou non les remarques.

- Remember to say "on" when giving specific dates, i.e. ON the 25th June 1950…
- Let me give you a few more English tips, hope they help
- Try this for your second paragraph:

4.2.4. Positionnement visant à la symétrie

4.2.4.1. Excuses

51On constate un recours à des justifications ou à des excuses qui permettent au tuteur de se placer à un niveau d'égalité avec les participants, en montrant qu'il n'est pas lui non plus exempt de tout reproche. Le tuteur répare ainsi une situation asymétrique qui le met mal à l'aise. On peut faire un parallèle avec la situation des tuteurs en formation, décrits par Dejean-Thircuir et Mangenot (2006), qui ont recours à des procédés similaires. De par son statut de lecteur, de natif, le tuteur aborde la situation d'apprentissage de façon plus informelle et moins directive. On peut aussi penser que ce positionnement volontairement humble reflète sa volonté de rééquilibrer la situation et revaloriser l'apprenant.

52Un exemple assez flagrant est le fait qu'il s'excuse chaque fois qu'il constate qu'il a du retard dans la lecture des contributions, montrant ainsi qu'il peut lui aussi être l'objet de "critiques".

- ooo sorry C. I don't think I ever saw this post til just now. It's a shame, I really like it!
- Sorry I tend to focus on the UK/US

4.2.4.2. Renversement des rôles

53On aboutit parfois à un renversement de l'expertise, le tuteur mettant toujours en avant les éléments qu'il apprend avec les apprenants, avec le souci de les valoriser.

- If I had read a post like yours, Z., while I was studying French last year, I would have been a lot better informed about French ministers and their crazy scheme
- lol I'm not an expert either

54Les encouragements ne concernent pas que la forme des contributions, mais aussi le fond, surtout lorsque le tuteur constate un manque d'activité.

- Please do continue to update yours. You'll be setting a good example
- I agree, it is a bit lonely. Come on, tell us something about this Daniel Morin person!
- Come on guys!! What's this? Nothing's here!
- Come on people let's go! Tell us about some pubs!

4.2.5. Adressage et dialogue

4.2.5.1. Adressage personnalisé

55Au fil des commentaires, nous observons un recours quasi systématique au prénom de l'étudiant ou son pseudonyme lorsqu'il en a utilisé un sur le blogue. Nous verrons d'ailleurs que le pseudonyme ne permet pas aux étudiants de s'exprimer anonymement, puisque le tuteur demande alors qui se cache sous celui-ci. La relation est personnalisée, d'égal à égal et symétrique puisque les apprenants ont le même comportement et ajoutent eux aussi systématiquement le prénom du tuteur, lorsqu'ils répondent à ses commentaires ou l'interpellent. Ceci révèle une implication socio-affective, avec un dialogue argumenté qui s'engage entre des acteurs qui se connaissent.

- Where were you born, A.?
- Oh hey L., sorry
-
This is a nice introduction C.
- Dear Kev1

56Cette personnalisation des adressages rend donc nécessaire une identification des participants.

- Hi! Can you tell me who's writing this blog? I can't guess from your pseudo
- Hi F., it's F. right?
- Le_Christ what's your real name?
- By the way, is this O. or C.? I wonder if you could sign your posts at the bottom just so I know exactly who the author is

4.2.5.2. Usage des déictiques personnels "I" et "you"

57Nous devons également ajouter que la presque totalité des échanges se fait en ayant recours aux déictiques personnels "I" et "you", comme l'avaient constaté Celik et Mangenot (2004) qui y voient des caractéristiques de la situation de communication en ligne. Cela avait également été observé sur le support forum par Rivens Mompean (2007).

58Lorsque l'un des participants cherche à s'adresser à une troisième personne qui semble absente de la discussion, on observe une structure dialogale dans laquelle il s'adresse à l'énonciateur présent "you" pour finalement atteindre l'interlocuteur absent. Le tuteur interpelle ainsi les apprenants.

- Did you say S. was going to give her opinion? I'd love to hear what she thought
- Could you encourage A. to make a contribution?
Thanks

59À son tour, le tuteur est parfois sollicité par des apprenants au nom de ses partenaires de rédaction.

- D., you should try to speak to F. because he is the one who posted this last article, and he has been having big problems…

4.2.6. Interactions apprenants-tuteurs

4.2.6.1. Reconnaissance et remerciements

60Dans la plupart des cas, lorsque le tuteur fait une remarque formelle, l'apprenant se donne la peine de montrer qu'il a bien lu l'analyse et prend en compte les conseils. Cela se fait sous la forme de remerciements quasi systématiques ou alors d'explicitations indiquant que les conseils sont ou seront pris en compte.

61Nous pouvons distinguer trois types de réactions :

62- des remerciements rapides sont exprimés pour l'aide apportée ;

- Thanks D! Very useful tips!
- I agree with you D
- Thank you for the correction, D.
- by the way, thanks for correcting me.

63- les remerciements sont souvent associés à une explicitation de la prise en compte de la correction ;

- Yes, D., you help me. I didn't know this term.
- OK, D. now I agree with you, the leçon has been understood. Thank you
- Oh all right, I learnt something today… Thanks a lot D
- Oh, I did not know about that. Thanks.
That's nice to learn new things : -))
- Thank you D. ^^.
I corrected the sentences

64- les commentaires du tuteur peuvent provoquer une réflexion métacognitive, en lien avec l'apport de connaissance qui a eu lieu ;

- Thanks a lot for your tips D. Sometimes I have difficulties to formulate ideas in English and what you juste done truly helps me. I will write down those precious hints in my notebook.
- I think I understand and I am working on this! Y
ou will see in the next article :-))
- Thank you for your advice… IT's cool to have a correction from you, now i can see better where i am wrong when I write something

65- certains corrigent même la forme et demandent confirmation de leur bonne compréhension de la modification demandée.

- I tried to correct! For famousest i wrote the most famous, is it ok?
- Hello D., I tried to correct my post but i'm not sure it's good ^_^
"For this two countries"i corrected "this countries" and for "during 1 year" i corrected "for 1 year", is it ok? Please let me know !

66Ceci atteste de l'importance accordée par les apprenants au feedback du tuteur. Ils se situent bel et bien dans une situation d'apprentissage et non pas dans une conversation informelle, à simple visée communicative, malgré le format des échanges.

4.2.6.2. Connivence

67On retrouve au long des échanges une marque de l'existence d'une communauté virtuelle engagée dans une activité commune, qui fait preuve de connivence (caractéristique des blogues généralistes, où les blogueurs lecteurs réguliers finissent par bien se connaître) et interpellent le tuteur par son prénom de façon quasi-systématique.

- Hii! D. you have to become a member of the freestyle experience community!
- Hummmm D. that's for you!! You'll be able to sing too instead of teasing C.!!! -P!
- I wish I could see a picture of you wearing a uniform (^_^)
- Hi D. yes we were looking forward to having you visit on our blog!:-)

4.3. Synthèse des formes d'intervention

68Dans l'objectif de parvenir à la description d'un genre ou de modéliser certains points observés au long des échanges, nous proposons une synthèse avec les éléments les plus caractéristiques, qui nous semblent reproductibles. Nous devons toutefois signaler les limites de cette recherche qui consiste en une étude de cas, dans un contexte spécifique, qui ne peut prétendre à une généralisation sans précautions. Toutefois, dans l'objectif de reproduire de "bonnes pratiques" (terme souvent utilisé par l'institution pour mutualiser les actions), nous pouvons identifier et isoler des formes d'intervention qui nous semblent significatives.

4.3.1. Positionnement du tuteur

69De façon générale, nous constatons que la plus grande partie des échanges consiste en des interactions authentiques sur les sujets postés. Le tuteur s'intègre dans la conversation sans aucune difficulté, au même titre que les autres étudiants et nous ne percevons pas de décalage de style ou de posture. En fait, l'informalité caractéristique des échanges reflète un double positionnement. Le tuteur est à la fois :

  • un participant authentique des échanges, avec un intérêt porté sur le contenu ;

  • un tuteur pédagogique au sein des échanges, qui vient avec son expertise linguistique, qui est d'ailleurs attendue par les participants.

70Son statut d'expert linguistique est bien perçu par les participants qui revendiquent d'ailleurs son regard d'expert en l'interpellant s'il n'intervient pas comme ils le souhaiteraient ou pour demander des corrections. En outre, le tuteur a la volonté explicite de rétablir la symétrie relationnelle, ce qui est facilité par son statut de jeune lecteur natif qui est proche des étudiants. Il fait, par ailleurs, preuve d'un grand savoir-faire relationnel en nuançant ses propos, avec beaucoup de courtoisie, pour éviter le problème de perte de face.

4.3.2. Changement de paradigme éducatif ?

71On observe ici un changement de paradigme éducatif dont nous devons identifier l'origine. La situation d'apprentissage garde des éléments formels, du fait du besoin de correction langagière, qui est revendiquée par tous les participants, et du rappel du contrat pédagogique en ce qui concerne les attentes du dispositif.

72Par contre, la situation est à dominante informelle, de par différents facteurs :

  • situation de communication influencée par l'affordance des outils (Norman, 1988) ;

  • symétrie relationnelle tuteur-apprenant en ce qui concerne le fond des échanges et facilitée par la fonction "commentaire" qui est la même pour tous, apprenants et tuteurs ;

  • connivence pour éviter les problèmes de face ;

  • situation de communication authentique par le biais des commentaires, entre participants et entre le tuteur et les participants.

73Nous observons le passage d'une logique transmissive à une logique constructiviste, qui permet, par ailleurs, le développement de l'autonomie des apprenants, qui sont actifs dans leur apprentissage, tant pour la production écrite que pour l'interprétation des corrections. Peut-on, pour autant, conclure que l'outil a conduit à ce changement de paradigme ? Si les Tice (technologies de l'information et de la communication pour l'enseignement) sont certes révélatrices du changement de paradigme, elles n'en sont pas les seules responsables. On peut d'ailleurs penser que le positionnement spécifique dû au statut de lecteur a certainement influencé ses modalités de participation. Ceci n'empêche pas d'en reproduire les caractéristiques stylistiques qui démontrent un grand savoir-faire, au sein d'autres dispositifs, puisqu'on a pu ici en identifier un certain nombre.

4.3.3. Genre discursif du tuteur

74L'informalité a été identifiée comme étant un élément important du tutorat et elle permet ainsi de résoudre les problèmes de face en créant une complicité au sein de la communauté. Par ailleurs, il nous semble que cette informalité place le tuteur dans une double contrainte. Nous avions évoqué la notion de double contrainte de l'apprenant dans une recherche sur les pratiques langagières sur forum (Rivens Mompean, 2007 : 234). Nous pouvons adapter cette notion au tuteur, qui nous semble tiraillé entre :

  • la forme instrumentale d'interaction communicative qui favorise l'informalité ; cette forme est due au type de support qui favorise l'informalité et qui permet de reléguer le feedback à un deuxième niveau ;

  • la forme langagière d'interaction communicative en contexte d'apprentissage, qui favorise une certaine formalité ; les interactions se situent dans un contexte pédagogique qui vise la correction langagière, laquelle doit être prise en charge à un moment donné.

75C'est sans doute ce qui distingue la CMO générale de la CMO à visée pédagogique : si le premier format permet de se focaliser sur les interactions et la communication, le deuxième doit prendre en compte la situation pédagogique spécifique et il est influencé par les objectifs formatifs, ce qui a également une influence sur le registre employé, qui tend à une certaine formalité, malgré une affordance qui privilégie un registre informel.

5. Conclusion

76Nous devons rappeler les limites de cette analyse, qui est très contextualisée, puisqu'il s'agit véritablement d'une étude de cas et d'un tuteur en particulier dont la posture est spécifique, comme l'évoquent Narcy-Combes (2003) ou Demaizière (2004). Nous avons toutefois repéré des éléments attendus et observés dans d'autres recherches, caractéristiques du tutorat en ligne. Nous avons également identifié des traits favorables à l'apprentissage qui sont transférables et qui pourront être reproduits dans d'autres situations d'apprentissage similaires, grâce à une description fine des actes langagiers du tuteur, et plus précisément encore, des actions qui ont un effet favorable sur l'apprentissage.

77Nous avons répondu à notre question initiale, qui était de déterminer les modalités langagières de feedback et d'accompagnement. Non seulement, le feedback est apporté, mais avec lui sont intégrés de multiples éléments, qui montrent toute la richesse de la palette d'actions du tuteur, et toute sa complexité.

78Cette recherche montre le fonctionnement d'un type d'interactions asynchrones, du point de vue du tuteur, et contribue ainsi à décrire des modalités de tutorat en ligne, en fonction de l'outil qui peut conditionner la prise de parole (nous faisons référence à l'affordance). Le tutorat mené par le biais d'interactions publiques et asynchrones doit, sur ce support, incorporer cette oralité, cette informalité qui permet de dédramatiser la situation et compenser ainsi le problème de face lié à l'aspect permanent et public de ce type d'écrits. C'est à cette condition que l'accompagnement peut avoir des effets favorables sur le développement des interactions et sur leur potentiel acquisitionnel. Le tuteur, comme les apprenants, est soumis à une "double contrainte", à la fois engagé dans les interactions au même titre que les autres participants, dans une relation symétrique, et impliqué en tant que tuteur censé évaluer le respect du contrat pédagogique et la qualité de la production langagière. Cette dualité du positionnement conduit à ce constant aller-retour entre encouragements et pointage des erreurs, entre focalisation sur la forme et discussion sur le fond.

79Nous avons, par ailleurs, pu observer dans ces interactions un changement de paradigme éducatif, avec des actions typiques d'un conseiller linguistique expert et non d'un enseignant transmetteur de savoir.

80Nous n'avons pas abordé la question des interactions entre les étudiants. Il serait toutefois intéressant de comprendre comment ceux-ci passent de l'auto-publication, dans les contributions, à l'interaction, dans les commentaires, et l'incidence de ces deux contextes d'écriture sur les pratiques langagières effectives et sur leur apprentissage.

L'auteure tient à remercier le tuteur, David Tattam, pour son rôle essentiel dans ce projet et pour son implication, à la fois technique et pédagogique, qui ont contribué à la réussite du dispositif.

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Références

Les liens externes étaient valides à la date de publication.

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Tomé, M. (2007). "Recherches et expériences dans les blogs du Campus Virtuel FLE", Cédille. Revista de estudios franceses, vol. 3. pp. 265-268.

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Notes

1 La liste de ces blogues est présentée en annexe.

2 Les citations sont des commentaires isolés, sans lien les uns avec les autres, qu'il s'agisse des commentaires des étudiants ou du tuteur. Elles sont reproduites telles quelles, sans correction typographique.

3 La liste des blogues avec leur nom complet et leur URL est donnée en annexe.

4 Le gras a été apporté par l'auteure et n'est pas issu des contributions originales du tuteur.

5 Les initiales JCVD se réfèrent à Jean-Claude Van Damme.

6 Les MJBs est le nom de cette promotion de master 2, choisi en hommage à Marie-José Barbot, alors responsable du master "Didactique des langues".

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Pour citer cet article

Référence

Annick Rivens Mompean, « Tutorat en ligne – Analyse des pratiques d'interaction et de feedback dans un blogue pour l'apprentissage de l'anglais », Alsic [En ligne], Vol. 15, n° 2 | 2012, mis en ligne le 25 juin 2012, Consulté le 07 mars 2014. URL : http://alsic.revues.org/2493 ; DOI : 10.4000/alsic.2493

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Auteur

Annick Rivens Mompean

Annick Rivens Mompean est maître de conférences en didactique des langues et affiliée au laboratoire "Savoirs, Textes, Langage" (STL – UMR 8163), dans la thématique "Acquisition et didactique des langues". Ses recherches portent sur les dispositifs numériques pour l'apprentissage des langues et la communication médiatisée par ordinateur en contexte d'apprentissage.
Affiliation : université Lille 3 – UMR STL 8163.
Courriel : annick.rivens@univ-lille3.fr
Adresse : université Lille 3 – UFR Angellier, Domaine universitaire Pont-de-Bois BP 60149, 59653 Villeneuve d'Ascq cedex, France.

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      Revue francophone internationale fédérant chercheurs et praticiens autour des technologies et de l'enseignement / apprentissage des langues
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      Langage, Éducation, Linguistique, Sciences de l'information, Sciences de l'éducation
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