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L’économie de la responsabilité sociétale d’entreprise (RSE) :éléments de méthode institutionnaliste
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Dossier : RSE, régulation et diversité du capitalisme

L’économie de la responsabilité sociétale d’entreprise (RSE) :
éléments de méthode institutionnaliste

The economics of the corporate social responsibility (CSR):
methododological tools for an institutionalist analysis
Jean-Pierre Chanteau

Résumés

La responsabilité sociétale des entreprises (rse) incorpore une dimension politique et morale qui ne peut se réduire à la performance sociétale – dont traite habituellement l’économie de la rse – mais qui l’impacte : l’analyse de cette dimension est donc indispensable à l’analyse économique. Cet article propose des éléments méthodologiques pour endogénéiser ce facteur institutionnel dans l’analyse. Une première partie présente le cadre d’analyse des dispositifs symboliques d’une norme de qualité visant à objectiver ses caractéristiques, attester la conformité à cette qualité et la valoriser à un niveau satisfaisant aux conditions du marché. La difficulté est que cette qualité – typique de biens de réputation – porte sur des propriétés de l’organisation productive et du produit qui ne peuvent être confirmées par leur valeur d’usage. La seconde partie montre que i) les conditions institutionnelles sur l’identité, la conformité et la rentabilité nécessaires ne sont pas encore réunies pour assurer la diffusion de la qualité rse par une voie non réglementaire ; et que ii) deux types de conceptions managériales et politiques de la rse divergent quant à la traduction de la rse au niveau opérationnel et de la structure du gouvernement de l’entreprise.

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Notes de l’auteur

L’auteur tient à remercier les trois rapporteurs anonymes de la revue, ainsi que Suzanne Berger, Pierre Berthaud, Michel Capron, Philippe Hugon, Antoine Jeammaud, Thierry Kirat, Frédéric Lordon, Nicolas Postel et Richard Sobel pour leurs commentaires avisés sur des versions antérieures.

Texte intégral

Introduction générale

  • 1  Cette notion désigne les modalités par lesquelles une institution produit ses effets normatifs sur (...)
  • 2  Selon l’usage dominant désormais, l’adjectif « sociétal » englobe les relations professionnelles a (...)
  • 3  Les congrès du Riodd (Réseau international de recherche sur les organisations et le développement (...)

1La « responsabilité » est un devoir de rendre des comptes sur ses actes et d’en assumer les conséquences. Elle implique donc une délibération préalable d’ordre moral ou politique pour définir ce devoir, et se traduit par une formalisation institutionnelle (par exemple de type juridique) dont le principe d’action1 conduit l’entité responsable à adopter une conduite conforme à la prescription normative de ce devoir. Les économistes se sont sentis d’abord peu concernés par ce type d’enjeu et donc par la responsabilité sociétale2 d’entreprise (RSE), voire réticents, compte tenu de la conception habituelle des frontières de leur science qui impose une théorie restrictive des institutions (cadre exogène à l’économie, c’est-à-dire donné par des acteurs non économiques aux agents économiques, au sein duquel ceux-ci s’organisent ensuite le plus efficacement possible). Mais cette réticence s’efface si l’on ne limite pas l’analyse à des situations d’équilibre où seuls des problèmes de défaillances de marché pourraient apparaître et où la fonction politique elle-même serait subordonnée à un objectif utilitariste (Orléan, 1997). De fait, les analyses institutionnalistes se sont déjà largement saisies de cet objet (Bodet, Lamarche, 2007 ; Postel, Rousseau, 2010)3.

  • 4  La méthode n’en privilégie a priori aucun, puisque c’est l’observation qui conduit à leur identifi (...)
  • 5  Comme c’est le cas par exemple d’un secteur industriel, où les offreurs et demandeurs s’efforcent (...)

2La définition même de la rse est donc un premier enjeu pour l’économie, d’abord parce qu’il s’agit d’un acte normatif particulièrement fort que le scientifique – sauf à endosser un rôle d’acteur économique ou politique (expert, conseiller, militant…) – se doit d’expliciter. À ce stade, il peut choisir entre deux postures :
i) soit il caractérise lui-même le problème visé par « la rse », assumant alors ex cathedra la fonction normative puisque un événement ne peut être qualifié de problème que par rapport à la question de référence que le chercheur s’est donnée.
Selon cette approche positiviste, dominante en économie depuis la révolution smithienne contre la pensée mercantiliste (Steiner, 1998), les problèmes visés par « la » rse ont été définis classiquement comme des situations sous-optimales par rapport à un référentiel utilitariste (optimum de Pareto, équilibre de Nash, etc.), pour cause d’externalités ou d’asymétrie d’informations. En général, l’argumentaire renvoie à l’idée que tout événement affectant négativement le profit dégagé par l’entreprise pénalise l’investissement futur voire la pérennité de l’entreprise, et donc dégrade le bien-être général (composante considérée indispensable à un mode durable de développement).
ii) soit il caractérise la classe de problèmes visés par « la rse » à partir des acteurs sociaux instrumentalisant ce terme, fondement d’une économie politique du phénomène. Cette approche constructiviste nécessite d’abord une analyse de discours pour repérer les définitions agissantes dans les décisions économiques et spécifier leur contenu sémantique, puis une analyse économique des événements qui en découlent.
La dimension normative se situe alors plus en amont de la définition, au niveau du choix pluraliste d’endogénéiser dans l’analyse toutes les options mises en débat par les acteurs s’efforçant de définir le référentiel d’évaluation4 (ces efforts, s’ils atteignent un niveau suffisamment structuré, construisent alors un champ social5).

3Pour une théorie de la régulation qui formalise les régimes, les crises et le changement institutionnel à partir d’interactions sur des rapports sociaux historicisés, la posture constructiviste apparaît la plus cohérente : identifier les rapports sociaux structurants en observant la mobilisation des groupes concernés par les institutions menacées ou en émergence, et donc construire l’objet d’étude à partir de ce que révèlent les discours et les pratiques de ces acteurs, avant d’en analyser les effets (ce qui, en matière de rse, ne préjuge pas de l’orientation de ses possibles effets transformationnels, et n’exclut pas non plus que ces effets soient neutralisés par la mobilisation des acteurs). Nous délimitons donc ici au plan empirique les « dispositifs rse » comme étant l’ensemble des phénomènes (actions, valeurs, règles, etc.) que des acteurs économiques désignent ou produisent en termes de « responsabilité sociétale de l’entreprise ».

Tableau 1. Exemples de dispositifs de « responsabilité sociétale des entreprises »

dispositifs standardisés

dispositifs non standardisés

Outils de gouvernance et de management opérationnel

statuts d’entreprise de l’économie sociale ; comités consultatifs multi-parties prenantes ; iso 14000 ; sd 21000 ; Bilan sociétal© ; etc.

incitations morales (chartes éthiques…) ; actes unilatéraux de l’employeur (codes de conduite…) ; etc.

Reddition de comptes, accountability

Global reporting initiative ; loi nre (France : obligation de reddition, mais contenu non standardisé) ; etc.

Procédures internes ou externes ad hoc ; « méthodologie » d’agences de notation et d’évaluation ; Global compact ; etc.

Contrôle des engagements

sa 8000 ; accréditation publique, certification iso de contrôleurs ; etc.

Procédures ad hoc (par des tiers ou par l’entreprise elle-même), négociées ou décidées unilatéralement.

4Cet enjeu de méthode ne se limite pas à la définition de l’objet d’étude, et se prolonge aux concepts nécessaires à l’analyse économique de la rse (section 1). Pour cela, nous nous efforçons de préciser et d’appliquer une méthode d’analyse économique du changement institutionnel intégrant les variables non économiques de la conduite des acteurs économiques. Cette méthode mobilise le concept de symbole (Godelier, 1984 ; 2007) pour penser l’économie d’une « qualité rse » particulière qui caractériserait une conduite d’entreprise responsable que l’on ne peut réduire à un objectif purement concurrentiel ou altruiste, purement utilitariste (comme dans l’économie néoclassique des market failure) ou purement politique (comme dans la théorie de l’intérêt général).

  • 6  Voir le questionnement explicite d’un texte fondateur de la problématique de la rse (Bowen, 1953). (...)
  • 7  Au sens de Gorz (1980).

5La portée structurelle des phénomènes relevant de la rse constitue ensuite un second enjeu de cet article, au plan empirique. Certains observateurs prédisent un nouveau mode de régulation, d’autres la relégitimation du capitalisme, et d’autres n’y voient que la reconfiguration de régulations locales (au niveau d’une entreprise ou d’une branche) – ces divergences renvoient de fait à la diversité des projets intéressés par la définition de la rse, qui ne s’excluent pas toujours mutuellement et participent ainsi au succès de cette notion. Mais il faut d’abord souligner fortement que parler de « la » rse désigne d’abord un problème (l’imputation d’une responsabilité pour réparer voire prévenir des dommages jusque-là ignorés par l’entreprise ou qu’elle a abusivement reportés sur les ménages ou les pouvoirs publics, d’où un enjeu d’imputation des coûts, donc de redistribution voire de répartition des revenus et des pouvoirs) avant de caractériser éventuellement une solution. Une analyse des discours sur la rse montre ainsi, au niveau le plus général et fondamental, une congruence de questionnements religieux (Acquier et al., 2011), moraux et politiques sur le sens de l’activité économique et donc du capitalisme, de l’économie de marché6 et de l’hétéronomie7 du travail salarié — questionnements d’abord critiques sur l’insuffisante « responsabilité » des entreprises,puis investis par d’autres acteurs pour en réduire ou réorienter la portée. Cette question n’est bien sûr pas nouvelle (voir par exemple la critique du fétichisme de la marchandise par Marx ou la crise du sens de l’économique annoncé par Keynes dans ses « Perspectives économiques pour nos petits-enfants ») mais elle a pris une acuité particulière dans le contexte de la mondialisation : d’une part celle-ci a modifié les rapports entre « perdants » et « gagnants » du capitalisme et déstabilisé ainsi les compromis nationaux sur la répartition et la redistribution de la valeur ajoutée ; d’autre part la transnationalisation pose des problèmes inédits de management quant à la mobilisation et la valorisation marchande du travail et du capital à une échelle multinationale.

  • 8  Ce qui n’évacue pas la dimension environnementale, qui participe de la reproduction sociale, mais (...)

6Est ainsi rouverte, à la fois à l’échelle microéconomique et macroéconomique, la question de la valeur sociale des personnes, question cruciale pour une économie de marché qui voudrait faire oublier que « l’objectivation de la valeur abstraite (des biens et des personnes) ne préexiste pas aux échanges marchands mais qu’elle en est l’enjeu le plus fondamental » (Orléan, 2008b), tant la qualification des biens et du travail interagit avec la qualification des personnes, à travers les prix, les revenus et les statuts dans l’organisation productive – et au-delà les positions sociales. En effet, l’internalisation de coûts sociaux, au nom de la rse, conduirait à modifier les niveaux relatifs de prix et de revenus – au sein des entreprises et au niveau du marché –, et, au-delà, à reconnaître l’importance de ces coûts sociaux et donc des populations concernées. Le débat sur la « responsabilité sociétale d’entreprise », comme sur le « commerce équitable » et le prix juste, est donc aussi un enjeu de justice sociale8 par lequel se joue l’appartenance statutaire au groupe – communauté, entreprise, nation, etc. –, autrement dit la socialisation des individus (Fraser, 2005, 2010) : « (L’objectivité marchande) est toujours un rapport au groupe, construit socialement. En son fondement, on trouve l’adhésion généralisée à certaines règles, valeurs ou représentations, adhésion si fermement établie à un moment donné que chaque agent agira en la considérant comme […] une évidence » (Orléan, 2003, p. 185)

  • 9  Non pas comme harmonie achevée, mais au sens où ils entretenaient après-guerre l’espoir plausible (...)

7Enfin, l’intensité du débat sur la rse signale aussi une réaction à un processus de crise engendré par le choc de la transnationalisation sur le système stato-centré de protection sociale associé au système de gouvernance des compromis sociaux fordistes dans les entreprises (contenu et règles de négociation de ces compromis) : la dissociation croissante des différentes fonctions de l’entreprise (employeur, producteur, offreur…), pour cause d’externalisation, d’internationalisation et de financiarisation du processus de production (sous-traitance, filialisation ; division internationale des processus productifs…), déstabilise la capacité régulatoire des compromis antérieurs (sur le rapport salarial, sur le rapport financier, sur le rapport commercial…) aux niveaux microéconomique et macroéconomique, excédant notamment les capacités de ces compromis à réguler les tensions sociales9 entre individualisation et intégration sociale. Cet approfondissement de la division sociale du travail au niveau du gouvernement de l’entreprise diffuse brutalement les responsabilités et la sanctionnabilité économique et juridique de l’employeur, en même temps que s’affaiblissent les recours à l’État-providence, comme l’exprime entre autres le débat sur les effets de l’ouverture internationale sur les inégalités domestiques (Moreau, 2006 ; Krugman, 2008). Mais comme pour tout processus de crise, l’issue dépendra de nouveaux compromis institutionnels, produits pour partie de hasards historiques et pour partie d’actions planifiées sur lesquelles chaque acteur tente de peser, malgré l’incertitude plus ou moins radicale dans laquelle il se trouve quant aux issues souhaitables et possibles (corollaire de la multiplicité des équilibres et des régimes, constatée dans le cadre de modèles néoclassiques en concurrence imparfaite comme dans le cadre institutionnaliste de la « variété des capitalismes »).

8Le second enjeu (section 2) est donc d’expliciter comment le débat sur la rse avance pour instituer une nouvelle norme organisationnelle qui amènerait les acteurs de marché à modifier leur conduite opérationnelle et décisionnelle en regard des effets sociétaux de leur mode de production et de leurs produits – autrement dit s’imputer eux-mêmes une responsabilité qu’ils n’ont pas spontanément endossée jusqu’ici… La difficulté est alors de départager les thèses les plus opposées – depuis la théorie win-win (misant sur un triple dividende « people, planet, profit ») jusqu’à celle de l’opportunisme pur (greenwashing ou bluewashing) – alors que les données manquent encore pour organiser des tests empiriques probants des dispositifs censés attester de cette nouvelle responsabilité : codes de conduite, chartes éthiques, certifications sociales, reporting sociétal, etc.

9Cette analyse des débats sur la rse réactualise donc la complexité de l’entreprise, à travers la renégociation des différents rapports sociétaux qui la constituent (Coornaert, 1989) : rapports commerciaux, financiers, salariaux, mais aussi consuméristes ou civiques. Nous concevons ici l’entreprise comme « nœud institutionnel » plutôt que comme « nœud de contrats » : la rse ne peut se réduire ni au contractuel ni à la sociabilité de l’entreprise ou de ses actionnaires car elle se renégocie dans des formes institutionnelles existantes, définissant des pouvoirs structurels (même si en leur sein une personnalisation des fonctions peut éventuellement s’opérer). Cela induit aussi que les groupes sociaux ayant aujourd’hui autorité sur la répartition du pouvoir dans l’entreprise (à commencer par son gouvernement) disposent ainsi d’une capacité particulière à peser dans cette renégociation.

1. L’analyse de la qualité « rse » : d’une qualification de la performance sociétale à une qualification de l’organisation

  • 10  Il est sans doute plus juste de qualifier de « performance » sociétale l’objet de cette économie, (...)
  • 11  On notera cependant que rien n’interdit d’examiner si la responsabilité sociétale ne devrait pas e (...)

10L’approche standard de l’économie de la rse analyse la construction de marchés dans le cadre desquels les acteurs privés échangent des biens et services dont une qualité recherchée – au-delà de leur utilité particulière – serait la réalisation de biens publics ou l’optimisation d’externalités, soit directement (par l’usage du bien) soit indirectement (par l’activité de l’entreprise ayant produit ce bien)10. Il s’agit donc de résoudre par l’échange marchand des problèmes relevant classiquement d’une théorie de la décision publique ou de la rationalité quand celles-ci sont en échec : soit le problème (par exemple, la réduction de la pollution) suppose un changement de rationalité que rien n’explique (sauf hypothèses héroïques sur la mutation psychologique de l’agent au fil du temps d’un modèle multi-générationnel) ; soit il suppose une intervention budgétaire publique que l’économie de la rse exclut a priori11.

11Compte tenu de l’état du débat sur la rse, qui fait une large place à la notion d’« initiative volontaire » et à la grammaire du management de la qualité, il est de fait intéressant d’analyser à la lumière de l’économie de la qualité les différents dispositifs visant à attester et améliorer la responsabilité sociétale de l’entreprise : puisque ces dispositifs induisent ex ante un coût pour l’entreprise (celle-ci devant alors satisfaire des exigences sociétales plus fortes quant à ses produits ou son organisation sans que cela améliore l’utilité pratique du produit pour ses clients), comment ces exigences pourraient-elles devenir la norme de marché alors que les acteurs économiques – offreurs ou demandeurs – l’ont logiquement ignorée ou refusée jusque là ? Il faut alors expliciter le « principe d’action » d’une norme de qualité marchande – autrement dit, il ne suffit pas d’affirmer que « les institutions comptent », il s’agit d’expliquer comment.

12Pour cela, notre analyse économique de la qualité appliquée à la rse se fondera sur une théorie du changement et de la stabilisation des normes montrant que : i) une norme de qualité marchande est une institution au sens de Commons (1934), par ses capacités de coercition, de permission et d’innovation sur l’action individuelle, dont le principe d’action est un pouvoir symbolique sur les représentations sociales des individus (et le désir, la crainte, la répulsion, etc., qu’elles peuvent susciter) ; et ii) ce pouvoir symbolique d’une norme – y compris marchande – mobilise des dimensions à la fois matérielles et idéelles, dont les enjeux sont indissociablement des enjeux économiques et politiques de bien-être et de reconnaissance sociale (Fraser, 2005 ; 2010).

1. 1. L’économie d’une norme marchande de la qualité organisationnelle

1. 1. 1. Résoudre un problème d’incertitude sur la qualité « verticale » des produits

13À un premier niveau, la qualité a d’abord été comprise en analyse néoclassique comme un critère utilitariste de différenciation verticale du produit (« bas de gamme / haut de gamme »). Et la norme de qualité ne peut avoir ici qu’un seul sens, celui de comportement commun à tous les agents économiques « normalement constitués » (i.e. rationnels) – ce que traduit implicitement l’hypothèse d’agent « représentatif ».

  • 12  En ce sens, norme est synonyme de « standard ». à ce stade de l’analyse, on ne retient pas la dist (...)
  • 13  Qu’il s’agisse pour un offreur d’accroître son pouvoir de marché ou pour un demandeur de s’assurer (...)

14Par contre, en concurrence imparfaite, apparaît le besoin d’une norme de qualité, au sens de l’analyse de la qualité en économie industrielle : dispositif de qualification des biens ou des organisations concourant à leur production12. Ce besoin naît d’un problème d’incertitude sur l’objet de l’échange, qui conduirait à une inefficience du marché (Akerlof, 1970) en l’absence de garantie de la qualité du produit échangé. Mais cette norme n’est produite (processus de normalisation) et adoptée spontanément par les entreprises que si son coût est inférieur aux échecs de marché subis à leur niveau microéconomique ou si, selon cette conception néoclassique où la qualité est une ressource individuelle pour le pouvoir de marché de la firme13 (Laffont, Tirole, 1993), une ou plusieurs entreprises dominantes trouvent intérêt à imposer leur conception particulière de la qualité.

1. 1. 2. Résoudre un problème généralisé d’incertitude sur l’« identité » des produits et des acteurs économiques

  • 14  Pour une présentation de cette mise en cause de l’hypothèse de nomenclature, cf. Orléan (2003, p.  (...)
  • 15  Au sens où, pour reprendre la définition de Schotter (1981, p. 9), une convention est « une régula (...)

15Ce problème d’identification de la qualité14 comme critère de différenciation verticale est cependant plus général et concerne aussi la différenciation horizontale : comment caractériser précisément deux produits pour déterminer dans quelle mesure ils sont substituables ou non, adéquats à la demande (par exemple « dédiés » ou « génériques », Salais, Storper, 1993) ? L’approche conventionnaliste définit alors la qualité comme un critère conventionnel identitaire15, et la normalisation comme une épreuve de conformité (Martuccelli, 2006) à cette identité, d’autant plus nécessaire à la coordination marchande que celle-ci s’inscrit dans une division du travail poussée et à distance – et pas seulement sur certains segments de marché (Eymard-Duvernay, 1989 ; Thévenot, 1995). Par exemple, la qualité d’un produit d’« appellation d’origine contrôlée » désigne sa « typicité » (et non pas une hiérarchie de gamme), laquelle est définie par un cahier des charges (« référentiel ») ; la conformité du produit à cette qualité est vérifiée par un processus codifié (agrément des vérificateurs, règles de procédures…) ; et ce dispositif est symbolisé in fine par un « signe de qualité » (dénomination précise type « appellation Hermitage contrôlée » ; ou, pour d’autres qualités, les logotypes « AB », « NF », etc.). Dans cette approche conventionnaliste de la qualité, la formalisation des propriétés attendues du produit devient alors une ressource collective améliorant l’efficacité de chaque organisation participant à l’échange (cf. par exemple la norme technique permettant aujourd’hui à chacun d’échanger des fichiers numériques sans perdre de temps à connaître et négocier au préalable les différents protocoles possibles de communication entre modems comme c’était encore le cas au milieu des années 1980). La norme a ainsi une propriété informationnelle mais, à la différence de l’approche néoclassique, elle se construit collectivement non seulement parce qu’elle présente certains attributs d’un bien public mais surtout parce qu’aucun acteur ne peut individuellement instituer de tels signes de qualité.

  • 16  C’est par exemple une thèse avancée pour expliquer le ralliement de Dupont de Nemours au protocole (...)

16Cependant, la norme a dans le même temps une dimension stratégique, se traduisant selon les rapports de pouvoir économique et politique en diverses formalisations institutionnelles (codifiée ou non ; publique ou privée, imposée par une entreprise leader ou négociée ; etc.). Cette formalisation (marque individuelle ou collective, label, certification privée, etc.) dépend en effet de l’état des rapports sociaux dans lesquels les acteurs de la normalisation sont impliqués, à commencer par la forme institutionnelle de concurrence qui détermine dans quelle mesure la maîtrise d’une norme de qualité est une ressource pour défendre ou accroître un pouvoir de marché. La capacité d’une firme, ou de quelques firmes, à en déterminer le contenu d’une part et d’autre part à l’utiliser sont ainsi deux enjeux stratégiques reconnus de la normalisation16. Autrement dit, l’information constituant aussi une ressource de pouvoir et n’étant pas nécessairement également partagée entre tous les acteurs de marché, la maîtrise de l’information contenue dans la norme est un enjeu de pouvoir et donc de conflits potentiels.

  • 17  En outre, l’avantage concurrentiel qui fait la substance de ce critère – sur lequel insistent de n (...)
  • 18  Pour une application au secteur des technologies de l’information, par exemple, voir (Ocde, 1991). (...)
  • 19  Mais il ne cite qu’une étude (enquête Afaq en 1994) concluant que seulement 12 % des demandes de c (...)

17L’adoption de normes techniques par effets de club ou d’oligopole démontre aussi que le critère d’efficience n’est pas exclusif17, voire non primordial dans ce processus18 : « Les institutions ne sont d’habitude pas créées pour être socialement efficientes ; elles sont plutôt créées – ou du moins les règles formelles sont créées – pour servir les intérêts de ceux qui ont le pouvoir de négocier en vue d’établir de nouvelles règles » (North, 1990, p. 16). Au sein même de l’approche conventionnaliste, Gomez (1996) a contesté aussi l’argument utilitariste en arguant qu’il n’existait pas de demande de normalisation19 et que sa diffusion s’expliquait à l’époque par une représentation culturelle dominante de la modernité (exigence de rupture avec les pratiques antérieures au nom d’un « monde qui change »).

1. 2. La nécessité de la dimension symbolique
dans l’analyse économique des normes de qualité

  • 20  On s’inscrit ici dans une théorie de l’institution (Commons, 1934) et de l’action collective (Lord (...)

18Enfin, outre ces deux principes d’adoption d’une norme de marché, d’ordres stratégique (rapports de pouvoirs de marché plus ou moins fortement hiérarchisés) et cognitif (complément d’information au service des acteurs de marché pouvant engendrer un gain collectif bien que différencié individuellement), l’analyse économique de la rse doit associer un principe d’ordre identitaire, par lequel des acteurs se conforment à la norme par identification à un groupe qui la respecte déjà ou du moins la rend désirable – ce que théorise en droit le concept de règle-modèle (Jeammaud, 1990), par exemple. Ce principe identitaire ne peut se confondre avec les deux précédents en ce qu’il n’est pas rationnel même s’il est souvent rationalisé ex post : il relève de l’affectuel et du désir, tels que construits par les processus de socialisation de l’individu et les représentations sociales qui en résultent (Chanteau, 2003)20.

  • 21  Pour une introduction à cette analyse, cf. par exemple David et Greenstein (1990) ou Foray (1993). (...)

19Une conséquence de ces développements de l’économie de la qualité est d’engager alors dans l’action et dans l’analyse économique une dimension sociale et politique, puisque la question de la qualité échangée n’est pas seulement une question d’efficience et d’utilité21, mais aussi un enjeu d’appartenance à un groupe social et de régulation de la conduite de ses membres. La question économique devient alors : dans quelle mesure et sous quelle condition un standard adopté sous l’influence d’acteurs privés dominants – au-delà des qualités utilitaires de ce standard pour les autres acteurs économiques – contribue-t-il aussi à l’identité collective ? Quels processus, selon la forme de concurrence, permettent l’adoption d’un tel standard ?

20L’analyse économique doit alors intégrer le fait qu’un standard de qualité requiert un processus politique de construction des caractéristiques qui font l’identité de ce standard – dans la mesure où sa valeur doit faire sens commun, c’est-à-dire reconnu (mais partagé ou non) par les membres comme caractéristique de leur groupe, et pas seulement pour la coordination marchande – par ailleurs, cette construction de sens nécessite des ressources économiques.

1. 2. 1. La théorie symbolique comme cadre d’analyse du potentiel régulatoire des dispositifs rse

  • 22  De même qu’il existe des causes matérielles (physico-chimiques) dans la formation des affects et d (...)
  • 23  C’est par exemple ce que fait travailler la catégorie des « manipulateurs de symboles » dans l’ana (...)
  • 24  « Le domaine du Symbolique, c’est l’ensemble des moyens et des processus par lesquels des réalités (...)

21L’institutionnalisation d’une norme de qualité est un processus à l’issue duquel la norme est adoptée comme règle « normale » de conduite, depuis l’écriture de la norme (si elle est codifiée) jusqu’à sa diffusion généralisée avec in fine le réglage des comportements par rapport au modèle. Or ce processus requiert des investissements de forme (Eymard-Duvernay, 1989 ; Thévenot, 1995) que, à la suite de Godelier (2007), on qualifiera de ressources matérielles et idéelles22 :
i) Promouvoir ses propres ressources idéelles (faire partager « sa » propre conception de ce qui est « bon », « juste », en l’occurrence faire accepter qu’un produit peut être évalué sur d’autres critères que sa seule utilité) dépend de ressources matérielles (des ressources financières ou humaines sont nécessaires à la diffusion de l’information, à une campagne de propagande, pour prendre le temps de se documenter avant d’argumenter, etc.) ; mais les ressources idéelles sont aussi nécessaires à la qualification et à la mobilisation des ressources matérielles (par exemple, la capacité à justifier – du moins à rendre plausible – la contribution au développement durable d’un investissement ou d’un prix, la capacité à justifier par un diplôme la compétence nécessaire à la conduite des affaires publiques ou privées, etc.). De fait, au-delà de la possession d’un capital économique, la réussite en économie de marché et le pouvoir sur le gouvernement d’une entreprise supposent des ressources non économiques, notamment des ressources socio-cognitives (connaissances, réseaux sociaux, etc.) – comme le prouvent a contrario les situations d’anomie où la richesse ne suffit plus à faire les choix pertinents ou simplement à garder confiance en un avenir devenu incertain23.
ii) Plus fondamentalement d’ailleurs, toute institution et toute ressource économique peuvent s’analyser par leur dimension symbolique qui est toujours à la fois d’ordre matériel et idéel : « il ne peut y avoir de transformation des conditions d’existence en de nouveaux rapports sociaux, ou en des formes nouvelles de rapports anciens, sans un travail d’interprétation par la pensée de ces conditions nouvelles, interprétation qui leur donne un sens et s’accompagne d’un travail d’organisation de la société qui leur confère une forme et une structure institutionnelles » (Godelier, 1984). Ainsi, toute ressource (une personne, un territoire, un objet, etc.) doit être qualifiée pour être pensée comme utilisable (de façon générique ou spécifique), avant d’être effectivement utilisée : autrement dit, toute action économique s’inscrit dans un ensemble de représentations sociales (Chanteau, 2003). Il faut cependant préciser que cette insistance sur la dimension symbolique des normes de qualité – comme de toute action économique – ne peut s’interpréter comme une lecture hegelienne de l’histoire, car d’une part « l’imaginaire et le symbolique24 n’épuisent pas le contenu des réalités sociales que les humains produisent et reproduisent au cours de leur existence » du fait que les rapports sociaux répondent à des « enjeux qui ne sont pas seulement imaginaires ni purement symboliques » (Godelier, 2007), et d’autre part, comme on l’a rappelé supra, parce qu’une valeur symbolique ou imaginaire ne s’impose jamais sans mobiliser des ressources matérielles.

  • 25  Pour une application à la puissance symbolique du discours journalistique, cf. Chanteau (1998) et, (...)
  • 26  Notion plus pertinente que celle de « violence symbolique » (Guibert, 1995).
  • 27  C’est-à-dire les acteurs exerçant un effet sur l’entreprise au niveau de sa stratégie ou de sa con (...)
  • 28  À propos du marché industriel de la maison individuelle, Bourdieu (2000) illustre bien comment l’a (...)

22Cette dimension symbolique constitue le principe d’action essentiel – le pouvoir de coercition ou d’attraction notamment – d’une norme de qualité, par sa capacité à orienter, attirer, contraindre les représentations sociales des acteurs économiques (effet de séduction, de focalisation voire de sidération)25. Et ce pouvoir symbolique26 se construit par des investissements de forme symbolique pour que le projet de norme devienne visible, plausible et viable : quel que soit l’état des rapports de pouvoirs de marché, l’écriture de la norme est soumise à des représentations de valeur (justice sociale, sécurité matérielle, etc.) qu’il s’agit d’incarner dans des dispositifs matériels qui doivent faire sens pour les acteurs efficaces27. Ainsi, même sur des enjeux a priori techniques, l’institutionnalisation de la norme est un travail symbolique permanent et interactif28 comme on l’observe à l’œuvre, par exemple, dans l’élaboration des standards des « marchés de l’excellence » (Garcia-Parpet, 1986, 2009) : les représentations sociales (du métier, des contraintes commerciales, etc.) d’un groupe professionnel s’affirment puis se confrontent à d’autres valeurs (celles de concurrents, d’autres professionnels de la filière, de l’administration, des élus locaux, etc.) projetées sur le produit (aspect, goût, etc.), sur le mode de production (techniques, savoir-faire, organisation du travail…), sur les rapports au territoire (revendication d’un « terroir », d’une identité locale, etc.), pour s’incarner in fine dans un cahier des charges, des signes de qualité (conformation du produit, étiquette, label…) et des épreuves de conformité (contrôles de la dgccrf, concours agricoles, etc.) qui permettent d’en tirer une distinction sociale et une meilleure rentabilité.

  • 29  Cependant, ce coût a aussi un effet discriminant : quelle que soit la stratégie de différenciation (...)
  • 30  Pour l’application de la notion d’identité en économie : Akerlof, Kranton (2005) ; pour un approfo (...)

23à chaque étape de ce processus, il faut donc que le projet de norme fasse recette, au propre comme au figuré : son identité doit pouvoir satisfaire les imaginaires des acteurs concernés ; et il doit les intéresser financièrement pour assumer le coût de la normalisation29. Et cela nécessite des épreuves de conformité, dont le rôle perdure après l’adoption de la norme : au-delà de l’investissement de forme initial, un contrôle continu de réassurance doit être entretenu pour confirmer l’accord sur la valeur de la qualité (identité30) et l’adéquation du produit ou du producteur à cette valeur (conformité) :

Figure 1. Les conditions institutionnelles d’une norme de qualité

Figure 1. Les conditions institutionnelles d’une norme de qualité
  • 31  Mais sans oublier, comme évoqué supra, que des entreprises peuvent aussi trouver intérêt à l’absen (...)
  • 32  En rappelant que le politique ne se réduit ni à l’étatique ni à la seule pratique électorale (Brau (...)

24En résumé, une norme de qualité sert à caractériser une valeur sociale (problème de l’identité d’une qualité) et attester de l’adéquation à cette valeur (problème de la conformité) sous contrainte économique (problème de la rentabilité) plus ou moins partagée ou imposée selon la forme de concurrence31 : les dispositifs matériels de la norme (cahier des charges, procédure d’accréditation, étiquette, signes de qualité, management…) symbolisent cette triple dimension. La normalisation est donc un fait social total, où se jouent des échanges de biens, des échanges de signes et la maîtrise d’une contrainte sur les conduites individuelles, où le fait économique est donc indissociable du fait politique32.

1. 2. 2. La reconnaissance statutaire comme condition de l’économie de la RSE

  • 33  Pour reprendre l’intitulé et la problématique du programme ANR « Le potentiel régulatoire de la rs (...)
  • 34  Pour une application au cas de la norme iso 26000, voir Chanteau (2010).

25Il est alors possible de discuter le potentiel régulatoire33 des différents dispositifs de qualité rse (cf. tableau 1) à l’aune de leur capacité à assurer simultanément deux enjeux : faire converger les demandes d’un nombre d’acteurs suffisant pour engendrer un effet transformationnel ; stabiliser durablement cet effet en un régime économique et social grâce à des épreuves reconnues de conformité et une rentabilité satisfaisante34.

26Certes, on pressent d’emblée les menaces sur cette capacité :
i) l’économie de la transaction des biens de qualité rse dépend de l’économie de la production de ces biens, et réciproquement, d’où une difficulté particulière à stabiliser un modèle économique au niveau micro- et macro-économique en l’absence d’une demande suffisante ;
ii) l’information sur cette qualité est particulièrement fragile puisque les biens RSE sont des biens de réputation (credential goods) pour lesquels l’acheteur ne peut même pas ajuster ex post son jugement de valeur formé avant l’achat, puisque l’usage du produit acheté ne lui livre pratiquement pas d’information supplémentaire sur la conformité de l’entreprise vendeuse aux valeurs rse annoncées.

27Pourtant cela ne saurait suffire à bloquer, du moins à court terme, la capacité d’une norme à être désirable, donc agissante. Si « l’aspiration à la justice est […] une donnée anthropologique fondamentale car les hommes ont besoin pour vivre ensemble de s’accorder sur un même sens de la vie » (Supiot, 2005), alors il faut admettre que l’adoption de règles économiques est aussi soumise à cette aspiration – et pas seulement à celles d’utilité. D’ailleurs, le désir de faire société est aussi au fondement de l’institution monétaire (Aglietta, Orléan, 2002) et, partant, des institutions économiques, en même temps que les conditions de reproduction de cette société ne sont jamais acquises définitivement – ce qui constitue la question fondatrice de la théorie contemporaine de la régulation : « il n’y a d’autre problème que celui de la reproduction du problème de la socialisation » (Aglietta, 1997), problème que des compromis institutionnalisés résolvent de façon plus ou moins durable. De fait, l’analyse du contenu des discours sur la rse montre bien cette ambition de critiquer le dévoiement moral d’une organisation économique dont le degré d’individualisme devient menaçant, et d’y remédier. Outre sa fonction économique, une norme de qualité porte donc nécessairement aussi une fonction politique – ce qu’assume notamment la théorie de la justice sociale (Fraser, 2005), à deux niveaux :
- L’institutionnalisation d’une norme de qualité requiert des ressources politiques (par exemple l’intervention étatique dans un référentiel de qualité rse : « agriculture biologique », Global Compact, agrément d’organismes nationaux de normalisation, etc.) ;
- elle s’inscrit dans l’ordre politique en ce qu’elle participe de processus de socialisation par lesquels les acteurs sociaux expriment ou recherchent une appartenance sociale, et pas seulement une coordination marchande efficace – comme l’a montré aussi la sociologie de la consommation – en mobilisant des jugements moraux et des arbitrages sur la conduite des acteurs économiques, en référence aux valeurs et pratiques attendues au sein du groupe, comme l’atteste l’importance de l’engagement d’acteurs civiques dans le débat sur la rse. Jusqu’à quel point un signe marchand de qualité peut-il assumer une telle fonction politique ?

28L’analyse économique de la qualité rse et, au-delà, de son pouvoir régulatoire, doit alors intégrer ces enjeux de reconnaissance sociale que l’analyse économique de la qualité pointe mais ne traite pas puisque se concentrant sur la performance sociétale alors que la « responsabilité » se définit comme un devoir de rendre des comptes sur ses actes et d’en assumer les conséquences. Se reconnaître responsable n’a donc de sens qu’à l’égard d’un groupe de référence, nourrissant ainsi la substance du lien social en même temps que de la frontière du groupe au-delà de laquelle la responsabilité n’est plus engagée. À nouveau apparaît l’exigence symbolique dans la formalisation de cette rse, que l’on peut représenter ainsi :

Figure 2. Les axes de délimitation du devoir de responsabilité sociétale des entreprises

Figure 2. Les axes de délimitation du devoir de responsabilité sociétale des entreprises
  • 35  Pour une application de cette conception des parties prenantes, voir par exemple Wolfe et Putler ( (...)

29On peut lire ainsi pourquoi et comment chaque terme de l’expression « responsabilité sociétale de l’entreprise » fait l’objet d’investissements de forme pour sa définition (quel type d’engagement et quel type de sanction découlent d’une « responsabilité » ? que désigne le « sociétal », le « social », « l’environnemental », etc. ? ; que désigne « l’entreprise » (quel périmètre ? quelle autorité sur la prise de décisions ? etc.) ? Car, comme pour la définition de la notion de rse, les réponses à ces questions ne peuvent être prédéfinies par un observateur scientifique : par exemple, ce n’est pas parce que des scientifiques jugent majeur le problème du changement climatique que les professionnels l’incluront ipso facto dans leur domaine de responsabilité. De même, un problème d’externalité ne s’impose dans l’agenda des responsabilités que par la capacité d’acteurs à faire reconnaître une revendication en termes « d’externalité » et à la faire traiter comme telle par le gouvernement de l’entreprise (obtenant ainsi le statut de « partie prenante »35) ; tandis que leur reconnaissance par le dirigeant d’entreprise relève de critères à la fois stratégiques (risque concurrentiel, license to operate, dépendance aux ressources, etc.) et affectifs (décision mue par des ressorts émotifs ancrés dans son expérience personnelle), sous contrainte de ses engagements financier, relationnel, professionnel, etc., dans différents rapports sociaux (avec les actionnaires, les salariés, les créanciers ou… ses pairs et sa famille).

  • 36  La traduction française a malheureusement exprimé l’enjeu économique de la théorie de Fraser par l (...)

30L’enjeu de cette reconnaissance est sans doute, au niveau microéconomique, au cœur des enjeux de la rse – en tout cas son originalité, dont témoigne l’importance des débats sur la notion de « partie prenante » et la revendication nouvelle d’acteurs civiques pour intervenir dans la gouvernance de l’entreprise. Cette reconnaissance est à la fois matérielle et idéelle, en ce qu’elle n’implique pas seulement un gain matériel mais un droit à être entendu (enjeu du pouvoir de gouvernance et du renforcement de l’exigence d’accountability pesant sur le gouvernement de l’entreprise) voire le droit de participer à la prise de décision (enjeu du pouvoir de gouvernement). Cette revendication, souvent qualifiée de démocratie économique, s’inscrit dans la problématique identitaire en analyse économique (cf. supra l’analyse économique de la qualité), non pas comme attribut individuel au sens d’Akerlof mais comme enjeu critique de la « subordination statutaire » institutionnelle telle que développée par Fraser (1995 ; 2000, p. 115)36. De ce fait, si la problématique ouverte par la rse a d’abord interrogé la capacité du marché à produire de la performance sociétale, elle a très vite questionné d’une part l’autorité d’une intervention publique sur le pouvoir managérial et d’autre part la définition même du gouvernement de l’entreprise, c’est-à-dire les règles d’accès et d’exercice du pouvoir de gouvernement.

31Cela nous conduit alors à proposer comme structurante la distinction à opérer entre une rse qui se définit comme « la prise en compte de considérations non-financières dans la prise de décision managériale » et une rse qui se définit comme un « droit d’accès au pouvoir managérial ne reposant plus sur le seul droit de propriété financière » (comme l’illustrent les modèles de statuts d’entreprise d’économie sociale). Deux idéaltypes de gouvernement sociétalement responsable (modèle expert versus modèle politique) peuvent être ainsi discriminés par leurs règles de gouvernement :

Tableau 2. Deux modèles polaires de règles de gouvernement privé « sociétalement responsable »

Modèle « expert »

Modèle « politique »

la gouvernance d’entreprise selon Saint-Simon

la gouvernance d’entreprise selon Jaurès

Les gouvernants de l’entreprise définissent les objectifs et les instruments de mise en œuvre par leur analyse experte des revendications des parties prenantes (marchandes ou civiques) et de l’adéquation des techniques de management rse.

Les gouvernants reconnaissent aux parties prenantes un pouvoir décisionnel sur la définition des priorités et des procédures de mise en œuvre de la rse (management opérationnel et stratégique, accountability), et les règles d’accès au gouvernement de l’entreprise sont réformées en conséquence.

nb : cette modélisation n’intègre pas le cas de l’opportunisme pur, où la rse annoncée n’a pas de traduction opérationnelle et demeure un discours d’évitement protecteur des pouvoirs et intérêts constitués.

  • 37  Que dénonçait d’ailleurs Friedman (1970) : « In fact (businessmen claiming for the “social respons (...)

32Selon le modèle « expert », le manager s’informe des demandes, calcule puis arbitre, c’est-à-dire qu’il conserve intégralement le pouvoir de décision managérial – mais étendu à toute question politique qui lui est soumise, et pas seulement aux questions techniques et financières traditionnelles d’une société commerciale ; le champ de ce pouvoir de décision évoquerait alors celui du gouvernement des experts dont Saint-Simon faisait un modèle d’excellence politique. Selon le modèle « politique », c’est au contraire la procédure qui fait la qualité sociale de l’organisation – de même que Jaurès, contre Guesde, pensait possible la transformation sociale par l’introduction d’une démocratie économique dans l’entreprise privée grâce aux statuts coopératifs. Le premier modèle pourrait représenter une sorte de réactivation d’un capitalisme éclairé, non sans analogie avec celui que concevaient Taylor (1903) ou Berle et Means (1932). Le second dessine au contraire une sortie du capitalisme37, sans pour autant aspirer à l’étatisme.

33Notre hypothèse est ici que chacun de ces modèles peut être considéré comme un marqueur de l’évolution structurelle du système économique qui peut résulter de l’activité de ce champ social sur la rse que les acteurs construisent par leurs investissements sur la définition et la mise en œuvre de la rse, en s’efforçant de promouvoir ou décrédibiliser, étendre ou limiter telle ou telle conception, tel ou tel objectif, telle ou telle pratique, afin de produire ou bloquer un changement institutionnel qu’ils jugent favorable ou nuisible à leurs projets. Ces évolutions dépendront alors de la stabilisation des dispositifs symboliques d’une rse modifiant les règles d’organisation de la production et des échanges par lesquelles se distribuent in fine des revenus et des pouvoirs, d’où la double dimension intégrée – politique et économique – que doivent assumer ces dispositifs de rse :

Tableau 3. Les enjeux économiques et politiques intégrés de la rse

« la » RSE = enjeu d’un champ social où des acteurs investissent dans sa définition selon deux dimensions normatives intégrées :

norme de coordination marchande

norme d’inclusion sociale

La « qualité » de cette norme visant à…

Assurer un niveau de
performances sociétales

Assurer l’identité d’un groupe et la reproduction de sa socialisation

Au moyen de…

Dispositifs symboliques (signes de qualité, épreuves de conformité) nécessitant des ressources matérielles et idéelles d’ordre économique et politique

Qui définissent…

des prix et des revenus
(donc aussi les moyens d’exercice d’un statut)

des statuts et des droits
(donc aussi l’accès à des prix et des revenus)

34Ces différents éléments de méthode peuvent alors être appliqués à la question de savoir ce qui va résulter empiriquement des investissements de forme sur la rse et leurs effets à plus long terme. On discute infra leur potentialité normative en regard des trois conditions d’identité (quelles valeurs, quels projets ?), de conformité (quelles épreuves reconnues, avec quelles sanctions positives ou négatives ?) et de rentabilité.

2. Identité, conformité, rentabilité :
avancées et défaillances de la normalisation rse

35La structuration d’un champ social pour la définition de la rse est désormais bien observable (Capron, Quairel-Lanoizelée, 2007), attestée par le développement de formations, de diplômes, de métiers et d’entreprises spécialisés (agences de notation et d’évaluation, audits, management de la qualité, etc.), par l’intégration croissante dans des stratégies publiques (cf. par exemple l’implication du secrétariat général des Nations unies – Global Compact –, du pnue – gri –, de la Cnuced – Guidance on CSR –, de l’Ocde – Lignes directrices à l’intention des multinationales –, de l’Union européenne – Livre vert, communications –, les États – loi nre en France… –; etc.) et dans des stratégies privées (employeurs, syndicats ou ong : codes de conduite, accords-cadres internationaux, forums et campagnes de plaidoyers, réseaux d’alerte, etc.), et récemment par l’adoption d’une norme iso.

  • 38  Par contraste, on rappellera la déclaration de principe du président du Cnpf le 19 septembre 1980, (...)

36Ces acteurs s’efforcent de défendre leurs projets à différents niveaux d’actions : i) la définition de nouveaux objets de gouvernement de l’entreprise ; ii) la définition de règles pour l’exercice du pouvoir de gouvernement ; iii) la définition de règles pour l’accès au pouvoir de gouvernement de l’entreprise. Mais tous n’ont pas le même objectif. Selon le cas, ils ont investi le champ de la rse pour :
i) pour obtenir plus de pouvoir dans le système de gouvernance existant : par exemple la revendication des actionnaires minoritaires, au nom de valeurs « démocratiques » ;
ii) pour contester ce pouvoir : démontrer l’impossibilité d’une responsabilité sociétale effective des entreprises capitalistes, et donc la nécessité d’un changement structurel du droit de propriété privée (par exemple par un changement de statut juridique de l’entreprise – statut d’entreprise coopérative par exemple – ou un renforcement de la réglementation publique) ;
iii) pour défendre ce pouvoir : renforcement du pouvoir managérial grâce à des dispositifs de communication, de contraintes sur l’actionnariat et les syndicats, etc. ;
iv) ou pour réformer ce pouvoir : cf. par exemple la montée en puissance de parties prenantes jusque là out-group (associations civiques telles qu’ong environnementalistes ou de solidarité internationale, associations de consommateurs38, collectifs de riverains, etc.) ou la redéfinition du pouvoir de certains in-groups – syndicats de salariés – dans l’espace des firmes transnationales.

  • 39  Qui est un jeu de puissances relatives : une ressource de puissance ne vaut qu’en rapport avec une (...)

37Mais si les acteurs concernés s’efforcent ainsi de redéfinir, selon le cas au niveau microéconomique ou macroéconomique, des rapports de pouvoirs de régulation39, ils produisent par là-même un facteur de crise au sens où ils introduisent dans la gouvernance d’entreprise de nouvelles questions (la prise en charge d’externalités environnementales, sanitaires, sociales…) et de nouveaux acteurs d’ordre civique (associations de solidarité internationale, de défense de l’environnement, etc.). D’où l’impossibilité, encore aujourd’hui, de conclure à une stabilisation du champ – et donc de l’identité de la rse.

38D’où un processus de tâtonnement au fil du temps de la réflexion, des alliances et des expérimentations (voir par exemple l’évolution du positionnement des ong par rapport aux entreprises, excluant d’abord toute collaboration avant d’en nouer avec des intensités variables), qui entretient une forte diversité de conceptions et de pratiques dans le champ et confirme donc une incertitude sur les évolutions à venir (Bodet, Lamarche, 2007).

  • 40  Postel et Rousseau (2010) proposent un positionnement analogue, en dénonçant à la fois l’illusion (...)

39Pour autant, les différentes options possibles ne sont pas équiprobables, compte tenu des rapports de pouvoir qui sont à l’œuvre structurellement – et qui ne peuvent donc être vus comme des épiphénomènes parasites regrettables. Ignorer ces rapports de pouvoir conduirait à surestimer les marges de manœuvre et le potentiel transformationnel du débat sur la rse ; réifier leur structure actuelle conduirait à l’inverse à nier les changements institutionnels à l’œuvre dans toute structure économique et sociale (Boyer, 2003)40. Si donc la diversité des tendances possibles persiste, le modèle du gouvernement « expert » de la RSE domine, dont l’instrumentalisation signale le pouvoir particulier du groupe des dirigeants gouvernant l’entreprise. Paradoxalement, d’ailleurs, le maintien de la diversité des possibles apparaît comme une condition permissive de cette domination du modèle de gouvernement « expert », dans un contexte où la diversité des dispositifs de qualité rse entretient la confusion dans l’esprit des acteurs de marché (Linnemer, Perrot, 2000).

2. 1. La multiplicité des définitions de la rse : un foisonnement perturbant mais signifiant des rapports de pouvoir économique

  • 41  Ce que certains contestent cependant par principe, tel Comte-Sponville (2004) pour qui l’éthique d (...)

40Il importe aussi de prendre la mesure des incertitudes sur la définition de la rse – condition de son identité normative. Depuis les années 1950, le thème de la « responsabilité sociétale d’entreprise » (rse) a été mobilisé pour stigmatiser l’irresponsabilité des entreprises, qu’il s’agisse d’abus microéconomiques (violation du droit, d’une déontologie) ou du résultat structurel de la pratique normale du capitalisme, et pour réclamer que le décideur économique privé supporte le coût d’une action efficace pour résoudre ce problème41.

41Mais les dirigeants d’entreprise l’ont aussi investi pour accréditer l’idée qu’ils assumaient leur responsabilité, de façon cependant très clivée : pour ne rien faire et masquer des pratiques de greenwhashing ou de bluewashing ; pour rendre compte de l’obligation de moyens qu’ils ont respectée, mais sans pouvoir régler les problèmes signalés ; pour attester d’une prise de conscience restant à concrétiser ; etc.

42Ces évolutions et différences de projets ont engendré un foisonnement – perturbant mais significatif des conflits d’intérêts – de définitions de la rse :

Tableau 4. Un foisonnement de définitions rse parfois contradictoires

  • 42  On notera que cette problématique fait écho, dans des termes quasiment équivalents, à celles de Ke (...)
  • 43  L’association Entreprises Pour l’Environnement (Epe) a pour objet de promouvoir les compétences de (...)
  • 44  Association loi 1901, l’Observatoire de la rse (Orse) a pour objet de créer un réseau d’acteurs im (...)
  • 45  nb : l’obligation de négociation existe déjà en droit du travail en France…

Bowen (1953, p. 6, cité in Acquier, Gond, 2005)

« Le terme de “responsabilitésociale” des hommes d’affaires […] renvoie (à leurs) obligations de suivre les politiques, de prendre les décisions, ou de suivre les orientations qui sont désirables en terme d’objectifs et de valeurs pour notre société. […] La liberté unique de prise de décision économique dont bénéficient des millions d’hommes d’affaires privés […] ne peut être justifiée si elle est uniquement favorable aux managers et aux propriétaires de l’entreprise. […] Lorsqu’il est ressenti que (ces) pouvoirs et les choix qu’ils effectuent ne contribuent pas au bien-être global, les hommes d’affaires doivent soit réviser volontairement leur comportement, soit être l’objet de contrôles ». S’ils ne veulent pas basculer dans un système beaucoup plus encadré, voire collectiviste, les dirigeants doivent donc intégrer les implications sociales de leurs décisions et « atteindre un équilibre raisonnable entre l’intérêt privé et public »42 (1953, p. 21-25)

WBCSD (World Business Council for Sustainable Development)

« L’engagement continu des entreprises à agir correctement sur le plan de l’éthique et à contribuer au développement économique tout en améliorant la qualité de vie de ses employés et de leurs familles, de la collectivité locale et de l’ensemble de la société »

OCDE (Organisation de coopération et de développement économique)

On « s’entend en général pour dire que les entreprises dans une économie globale sont souvent appelées à jouer un plus grand rôle, au-delà de celui de création d’emplois et de richesses et que la rse est la contribution des entreprises au développement de la durabilité ; que le comportement des entreprises doit non seulement assurer des dividendes aux actionnaires, des salaires aux employés et des produits et services aux consommateurs, mais doit répondre aux préoccupations et aux valeurs de la société et de l’environnement »

BSR (Business for Social Responsibility)

Pratiques d’affaires qui « renforcent la responsabilisation, respectent les valeurs sur le plan de l’éthique dans l’intérêt de tous les intervenants ». BSR propose ainsi qu’elles « respectent et préservent l’environnement naturel » et qu’en « aidant à améliorer la qualité de vie et les occasions d’affaires, elles donnent le pouvoir aux gens et permettent d’investir dans la collectivité où l’entreprise œuvre. »

UE (Commission de l’Union européenne)

« Concept par lequel des entreprises décident volontairement de contribuer à une meilleure société et un environnement plus sain ». Le Livre vert précise qu’afin d’être socialement responsable, une entreprise doit non seulement satisfaire aux attentes d’ordre légal mais elle doit aussi « aller au-delà de la conformité et investir dans le capital humain, l’environnement et les relations avec les intervenants » Livre vert (2001).

GRI (Global Reporting Initiative)

La dimension sociale de la durabilité « saisit l’impact des activités d’une entreprise sur la société, y compris les employés, les clients, la collectivité, la chaîne d’approvisionnement et les partenaires d’affaires »

Globescan (enquêtes consommateurs + citoyens)

« Deux catégories générales : a) les responsabilités d’ordre opérationnel comprenant les normes que les entreprises doivent réaliser dans le cours normal de leurs activités ; b) les responsabilités de citoyenneté qui ne constituent pas des mesures que les entreprises doivent prendre dans le cours normal de leurs activités ».

Epe43, Orse44(2002)

« Participant ainsi à la confrontation constructive des points de vue et à la définition des grandes orientations, les entreprises demandent en revanche à pouvoir définir leur stratégie de développement durable conformément à leur métier et à leur environnement économique, social et écologique, et choisir librement les moyens d’atteindre les objectifs retenus, en accord avec les contraintes réglementaires. Elles pourront ainsi conjuguer innovation, compétitivité, croissance et responsabilité environnementale et sociale.Ce principe de liberté impose comme corollaire aux entreprises un principe de responsabilité : rendre compte de leurs activités aux différentes parties prenantes et en assumer, le cas échéant, les conséquences. […] Les principes qui doivent être mis en œuvre par les entreprises engagées dans ce mouvement sont principalement : l’ouverture au dialogue avec les parties prenantes, en particulier les organisations syndicales45 et les ONG ; la transparence dans le fonctionnement et dans les résultats ; la liberté du choix des voies et des moyens. »

ORSE (2001)

« Pour l’ORSE, la responsabilité sociétale de l’entreprise est un concept qui doit permettre aux entreprises de prendre en compte le développement durable dans leur stratégie »

Organisation internationale des employeurs

« Il s’agit d’initiatives positives volontaires lancées par les entreprises qui cherchent à aller au-delà des obligations juridiques dans un large éventail de domaines économiques, sociaux ou écologiques » (comité directeur de l’Oie : 2003)

* Liste non exhaustive.

43L’effet de brouillage s’est encore accru dans la mesure où différents niveaux de pratiques (principes de gouvernement de l’entreprise ; règles procédurales d’accès au gouvernement ; choix technique des actions opérationnelles à mettre en œuvre) sont visés par ces définitions :

Tableau 5. Trois niveaux de définition rse
en rapport avec différents types de rapports socio-économiques

Niveau
de définition

Exemples de définitions et conceptions de la rse

Nature des conflits de gouvernance et exemples pratiques

Opérationnel (domaine de responsabilité à assumer et choix des actions)

« application du DD au niveau de l’entreprise » ; « compliance » ; etc.

conflit sur les priorités stratégiques et traductions opérationnelles (activités « core business » versus périphériques : communauté, mécénat…) impactant les parties prenantes : salariés (réorganisation du travail ; accroissement charge de travail…) ; actionnaires (profitabilité des actions rse) ; etc.

Procédural (mode de gouvernance : autorité sur la définition du domaine de responsabilité)

« prise en compte de toutes les parties prenantes »

conflit pour la procédure de reconnaissance des parties prenantes (ou non-reconnaissance) et pour leurs pouvoirs respectifs sur la décision stratégique (« toutes » les parties prenantes ne sont pas admises ni dotées d’un pouvoir égal sur la stratégie de l’entreprise selon différents critères ad hoc : panels consultatifs ; position du management rse dans l’organigramme…).

Politique (autorité normative : autorité sur la définition du mode de gouvernance)

« initiative volontaire »

conflit politique sur les espaces respectifs de l’arbitraire managérial et des règles collectives – dont l’action publique – (« initiative volontaire », « initiative volontaire améliorant le droit existant », aci, « commerce équitable » public ou privé, statut d’entreprise coopérative ou entrepreneuriat social, etc.).

44L’observation confirme aussi que le domaine de responsabilité discuté ne se limite pas à une performance garantie par le marché mais porte sur les différents rapports sociaux instituant l’entreprise (Coornaert, 1989), dont certains font l’objet d’une codification juridique poussée (droit des sociétés, droit du travail, droit commercial, etc.) mais contestée structurellement par les acteurs non reconnus par cet héritage institutionnel (cas des associations d’action civique en matière d’environnement, droits de l’homme, etc.).

  • 46  Bodet et Lamarche (2007) proposent une dichotomie complémentaire, entre « une forme libérale de la (...)

45De ce fait, les contenus des différentes définitions de la rse peuvent s’avérer contradictoires, selon que « la » rse se veut simple déclaration d’intention ou engagement contraignant ; affichage d’obligations de moyen ou de résultat ; annonce d’objectifs plus ou moins précis donc plus ou moins évaluables, etc. En particulier, la question reste débattue de savoir si la rse est un engagement à faire plus ou mieux que ce que prescrivent les normes réglementaires ou s’il s’agit seulement de faire mieux que le comportement passé de l’entreprise. 46

46Curieusement, cette incertitude sur ce qu’est « la » rse a été souvent masquée par la référence au Livre vert (2001) de la Commission de l’Union européenne, bien qu’il ne constitue pas une doctrine établie : i) c’est une simple proposition (statut d’un « Livre vert ») ; ii) le contenu de la « définition » proposée peut faire l’objet d’interprétations assez différentes ; et iii) cette définition a subi une évolution libérale non négligeable entre la version de 2001 et celle de 2006. La formulation du Livre vert (2001) pouvait sembler claire et satisfaisante (nb : les passages en italique gras sont soulignés par nos soins) :

« En affirmant leur responsabilité sociale et en contractant de leur propre initiative des engagements qui vont au-delà des exigences réglementaires et conventionnelles auxquelles elles doivent de toute façon se conformer, les entreprises s’efforcent d’élever les normes liées au développement social, à la protection de l’environnement et au respect des droits fondamentaux […]. » (Commission ce, 2001, p. 3)

« Être socialement responsable signifie non seulement satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables, mais aller au-delà et “investir” davantage dans le capital humain, l’environnement et les relations avec les parties prenantes » (Commission ce, 2001, p. 7)

« Dans les pays où de telles réglementations (concernant les droits sociaux ou les normes environnementales, y compris l’élaboration d’une nouvelle législation appropriée) n’existent pas, les efforts devraient se concentrer sur la mise en place du cadre réglementaire ou législatif adéquat afin de définir une base équitable, à partir de laquelle les pratiques socialement responsables peuvent être développées. » (Commission ce, 2001, p. 7)

47Mais on y trouve aussi certaines formulations qui introduisent un doute :

« Le concept de responsabilité sociale des entreprises signifie essentiellement que celles-ci décident de leur propre initiative de contribuer à améliorer la société et rendre plus propre l’environnement. » (Commission ce, 2001, p. 4)

  • 47  Ce « néanmoins » et l’usage du conditionnel admettent la possibilité de contester l’affirmation qu (...)

« La responsabilité sociale des entreprises ne devrait néanmoins47 pas être vue comme un substitut à la réglementation ou à la législation concernant les droits sociaux ou les normes environnementales. » (Commission ce, 2001, p. 7)

48… d’autant que la contrainte économique est constamment invoquée, soit comme une incitation (mais dont on sait la faiblesse actuelle), soit comme un préalable conditionnant la possibilité d’une initiative rse :

« Cette responsabilité s’exprime vis-à-vis des salariés et, plus généralement, de toutes les parties prenantes qui sont concernées par l’entreprise mais qui peuvent, à leur tour, influer sur sa réussite. » (Commission ce, 2001, p. 4)

« L’expérience acquise avec l’investissement dans des technologies et pratiques commerciales écologiquement responsables suggère qu’en allant plus loin que le respect de la législation, les entreprises pouvaient accroître leur compétitivité.
L’application de normes sociales dépassant les obligations juridiques fondamentales, par exemple dans le domaine de la formation, des conditions de travail ou des relations entre la direction et le personnel, peut également avoir des retombées directes sur la productivité. C’est ainsi que s’ouvre une voie permettant de gérer le changement et de concilier le développement social et une compétitivité accrue. » (Commission ce, 2001, p. 7)

49Et la Commission européenne a publié en mars 2006 une Communication qui semble désormais privilégier cette interprétation d’une rse laissée à la libre appréciation des entreprises et sous réserve de conditions économiques favorables (Capron, 2006). Certes elle réaffirme que :

« Les entreprises ont un comportement socialement responsable lorsqu’elles vont au-delà des exigences légales minimales et des obligations imposées par les conventions collectives pour répondre à des besoins sociétaux. » (Commission ce, 2006, p. 2)

50Mais c’est après avoir expliqué que :

« La responsabilité sociale des entreprises (rse) est un concept qui désigne l’intégration volontaire, par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes(a). » (Commission ce, 2006, p. 2) (a) COM(2001) 366.

« Les pratiques qui relèvent (de la rse) ne sont pas censées se substituer à l’action des pouvoirs publics, mais peuvent aider ceux-ci à réaliser un certain nombre de leurs objectifs » (Commission ce, 2006, p. 4)

« En Europe, une conception commune de ce que recouvre la notion de rse s’est développée à partir de la définition de la Commission selon laquelle la rse est « l’intégration volontaire, par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes ». Le forum RSE a entériné cette définition […]. » (Commission ce, 2006, p. 5)

  • 48  Bien que ce ne soit pas celle citée dans la littérature scientifique !
  • 49  On peut rappeler aussi ce paragraphe de 2001 : « Qu’est-ce que la responsabilité sociale des entre (...)

51Cette dernière citation est sans doute la plus importante car elle semble stabiliser, après une procédure longue (cinq ans) de concertation, « la » définition de la Commission48. Le renvoi (a) de la citation supra (2006, p. 2), qui désigne la cote administrative du Livre vert, en prend d’autant plus d’importance puisque la Commission semble ainsi suggérer qu’il fautfinalement comprendre son Livre vert de 2001 en privilégiant les formulations que nous avons signalées49 en faveur d’une doctrine « rse libérale ». Cette évolution est d’ailleurs cohérente avec l’insistante réaffirmation de l’enjeu économique de la rse selon une rhétorique constante du gagnant-gagnant :

« La RSE permet aux entreprises, quelle que soit leur taille, de contribuer à concilier les ambitions économiques, sociales et environnementales en coopération avec leurs partenaires. » (Commission ce, 2006, p. 2)

« Bien que leur responsabilité première soit de générer des profits, les entreprises peuvent en même temps contribuer à des objectifs sociaux et à la protection de l’environnement, en intégrant la responsabilité sociale comme investissement stratégique au cœur de leur stratégie commerciale, dans leurs instruments de gestion et leurs activités. » (Commission ce, 2006, p. 4)

« La rse étant, par essence, une démarche volontaire des entreprises, une approche imposant à celles-ci de nouvelles obligations et formalités administratives risquerait d’être contre-productive et serait contraire aux principes de l’amélioration de la réglementation. » (Commission ce, 2006, p. 3)

52In fine, même si l’on partage le souci de la Commission européenne de ne pas handicaper la compétitivité des entreprises résidentes, le flou de sa doctrine et son inclination vers une conception libérale de la rse ne permettent pas de fonder une norme indiscutable de ce que signifie pour une entreprise « être sociétalement responsable » : sans même parler d’un possible opportunisme, une entreprisepeut en toute conformité se proclamer sociétalement responsable tout en se limitant au respect de la réglementation en vigueur – respect qui s’impose pourtant à toute entreprise…

  • 50  On peut considérer que c’est même la seule évolution significative puisque toute possibilité de re (...)

53De ce point de vue, l’adoption en 2010 de la norme ISO 26000 sur la rse pourrait produire une évolution significative en constituant une référence partagée par les acteurs publics et privés du champ (Capron et al. 2010), condition nécessaire même si non suffisante50 de son efficacité normative. Le texte établit, à l’issue d’une négociation multi-partite très large, une clarification de l’identité de la qualité rse, à l’aide d’un « glossaire » analogue aux termes de référence qui, dans la rédaction des contrats, cadrent l’argumentation possible (juridique, économique ou managériale) pour construire un programme d’action, rendre des comptes, instruire un litige, etc. En particulier, ce système de termes de références définit la « responsabilité sociétale » comme :

  • la responsabilité d’une organisation dans sa « sphère d’influence » (« domaine ou relations politiques, contractuelles ou économiques dans le cadre desquelles une organisation a la capacité d’influer sur les décisions ou les activités de personnes ou d’autres organisations » [ISO 26000 : 2010, p. 4]),

  • concernant « les impacts de ses décisions et activités sur la société et sur l’environnement »,

  • ce qui doit se traduire par un « comportement éthique (« comportement en conformité avec les principes acceptés d’une conduite juste ou bonne dans le contexte d’une situation particulière, et en cohérence avec les normes internationales de comportement » [ISO 26000 : 2010, p. 2] – définies comme « attentes vis-à-vis du comportement d’une organisation sociétalement responsable, procédant du droit coutumier international, de principes généralement acceptés de droit international, ou d’accords intergouvernementaux universellement ou quasi universellement reconnus » [ISO 26000 : 2010, p. 3])

  • comportement qui « contribue au développement durable, à la santé et au bien-être de la société ; respecte les lois en vigueur et qui est en accord avec les normes internationales de comportement ; et qui est intégré dans l’ensemble de l’organisation et mis en œuvre dans ses relations » (ISO 26000 : 2010, p. 4).

54Le champ de la rse recouvre donc, en même temps que les impacts à « l’extérieur » de l’entreprise (clients, voisins, citoyens concernés, etc.), la responsabilité « interne » à l’entreprise (enjeux parfois qualifiés de « professionnels ») à l’égard de ses salariés – et, au-delà, ceux de ses fournisseurs et sous-traitants. Et un engagement rse implique des actions opérationnelles en même temps que de reddition de comptes, c’est-à-dire « la responsabilité d’une organisation vis-à-vis de ses décisions et activités, et état consistant à être comptable desdites décisions et activités à ses organes directeurs, ses autorités constituées et, plus largement, à ses autres parties prenantes » (ISO 26000 : 2010, p. 2).

55Au total, « l’un des principes fondamentaux de la responsabilité sociétale réside dans l’observation du principe de légalité et dans le respect des obligations réglementaires. Toutefois, la responsabilité sociétale entraîne également des actions allant au-delà du respect de la loi ainsi que la reconnaissance des obligations juridiquement non contraignantes vis-à-vis des autres » (iso 26000 : 2010, p. 9).

2. 2. Faiblesse institutionnelle de la conformité et de la rentabilité

56Autre test critique pour les différentes formes institutionnelles de rse, les conditions de la rentabilité des dispositifs rse. La thèse dominante dans le champ, à l’instar de nombreux business cases, est qu’un investissement dans ces dispositifs rse serait gagnant/gagnant, c’est-à-dire que la performance financière s’améliorerait corrélativement à la performance sociétale. La généralisation de cette thèse semble pourtant peu fondée : investir dans des dispositifs rse au niveau opérationnel (depuis la conception du produit jusqu’à la fin de son cycle de vie en passant par toutes les étapes de l’organisation du travail) occasionne des coûts dont la rentabilisation n’est jamais assurée.

57Par définition, penser en termes d’externalité ne permet d’en tirer aucune incitation structurelle à un changement au niveau microéconomique. Tout au plus cela permet-il :
i) de favoriser la diffusion d’une éthique de la responsabilité sociale, notamment en partageant des « bonnes pratiques » au sein de réseaux ou de clubs (en France par exemple : Groupe de réflexion « Ethique et responsabilité » de l’Institut de l’Entreprise ; Entrepreneurs et dirigeants chrétiens ; clubs Progrès du Management ; CJD ; CJDES…).
ii) de constituer une ressource argumentative pour faire reconnaître la nécessité d’intégrer des problèmes sociaux ou environnementaux dans la décision économique (c’est notamment le cas des externalités reconnues comme biens publics) et de faire obtenir à des groupes politiques ou civiques le statut de « parties prenantes » à la gouvernance de l’entreprise – mais effectivement mis en œuvre seulement quand l’enjeu économique de leur revendication est reconnu stratégique par le dirigeant d’entreprise (risque concurrentiel, licence to operate, dépendance aux ressources…).

  • 51  Certaines études concluent plutôt à une corrélation faible (Baue, 2005), voire à une absence de co (...)

58L’argumentaire le plus consistant repose donc sur l’« hypothèse de Porter » (Porter, Van der Linde, 1995) selon laquelle le respect d’exigences de développement durable plus élevées auraient un effet positif sur la productivité de la firme grâce à des gains au sein de la firme (Kennedy, 1994) ou entre firmes (Mohr, 2002). Là aussi, les business cases exemplaires attestent de ces possibles synergies mais, outre le fait que in fine les gains résultent chez Porter d’une intervention publique – réglementation environnementale car les firmes ne s’engagent pas spontanément dans ce changement –, l’hypothèse n’est pas systématiquement vérifiée : certaines études concluent à l’absence de corrélation ou à une corrélation négative entre performance rse et performance financière ; ou, en cas de corrélation positive, celle-ci apparaît peu robuste et sensible à la période retenue, à la nature (environnementale ou sociale) de la performance rse51(Hitchens et al., 2001 ; Orlitzky et al. 2003 ; Allouche, Laroche, 2005 ; Boyd et al., 2006 ; Margolis, Elfenbein, 2008 ; Reinhardt et al., 2008 ; pour une étude récente sur le secteur textile-habillement : Blais et al., 2009). D’autres auteurs mettent en évidence que le sens de la corrélation dépend du domaine d’action sociétale, parmi les très nombreux possibles (Cavaco, Crifo, 2010). Au total, « the importance of social and self signaling concerns provides a powerful and cheap lever for certain types of interventions (up to a point) but makes others counterproductive, and […] the pursuit of social and self esteem per se is a zero-sum game distorting actions towards the more visible » (Bénabou, Tirole, 2009).

59L’intérêt microéconomique est donc une incitation structurelle faible pour généraliser une norme de qualité rse. Certes, Bénabou et Tirole estiment qu’en sortant de la marginalité les investissements RSE obtiendraient une meilleure rentabilité mais, à l’inverse, d’autres auteurs concluent qu’une intensification de la concurrence ou une information imparfaite, comme l’induit l’approfondissement de la transnationalisation, peuvent conduire à une diminution des efforts de qualité réalisés par les producteurs (Gozlan, Marette, 2000)… sauf à réglementer la qualité des biens échangés.

  • 52  Les cabinets d’audit comptable, très tôt sollicités, ont souvent refusé de pratiquer des certifica (...)

60Ce constat quelque peu décourageant semble d’autant plus plausible que, « en cas de qualité hétérogène avec asymétrie d’information, la seule flexibilité des prix est impuissante à produire l’équilibre du marché (Stiglitz, 1987). […] (Et) lorsqu’ils sont confrontés à l’incertitude des qualités, on peut montrer que les demandeurs doivent impérativement s’intéresser aux comportements des offreurs pour déterminer le niveau de la qualité offerte. » (Orléan, 2008a, p. 176) Le problème se déplace alors vers la fiabilité des épreuves de conformité. Ce terrain a été pour l’instant moins exploré, mais ne semble pas appeler une conclusion structurellement différente. Certes les contrôleurs (organismes publics, ong, organismes certificateurs) bénéficient d’une bonne image de marque, mais celle-ci ne suffit pas à garantir une élévation de la demande de qualité rse, un consentement à payer élevé, et elle est déjà menacée : quelques scandales (comme l’affaire Enron ou les critiques du Marine Stewardship Council [Jacquet et al., 2010], créé par le WWF et Unilever en 1997) ont jeté le doute sur leur fiabilité ; certains critères, notamment en matière sociale (comme le respect du droit de négociation), sont difficilement évaluables52 ; enfin l’application automatique de sanctions peut aller à l’encontre du progrès recherché, d’où un aménagement des critères d’évaluation (cas de la certification sociale sa 8000 pour la limitation du travail des enfants, par exemple), adéquat mais menaçant pour la confiance dans le test de conformité.

61Autrement dit, la validation marchande d’une qualité rse, qui inciterait à une généralisation de cette conduite, est possible mais encore loin d’être assurée, pour des raisons d’abord structurelles – plutôt qu’une mauvaise volonté ou un manque de conscience – qui tiennent à l’offreur et au demandeur. Cette incitation est notamment fonction de l’élasticité-prix de la demande pour la qualité rse, élasticité qui est liée à la capacité socio-cognitive des offreurs et des demandeurs à objectiver les qualités, c’est-à-dire à identifier les différences avec confiance et traduire cette différence en valeur monétaire. Or, au-delà de la corrélation entre performance sociétale et performance financière – qui, si elle était significativement positive, pourrait constituer un indice a priori favorable à la conformité de l’entreprise à ses engagements rse –, de nombreux engagements rse ne sont même pas évaluables.

62En outre, de nombreux dispositifs rse peuvent certes soutenir un comportement rse proactif, mais aussi servir un comportement inactif voire réactif, c’est-à-dire cherchant à masquer des pratiques « irresponsables ». Typiquement, un code de conduite unilatéral d’entreprise ne permet pas de discriminer ces comportements, faute de procédures de contrôle contradictoire, interne ou externe à l’entreprise – d’où un problème manifeste de confiance et de défaut de sanction.

63Par ailleurs, aucune pratique même honnête en matière de rse ne permet de garantir une conformité parfaite, du fait de la complexité du périmètre des entreprises et de leur multi-activité : même dans le cas d’un établissement mono-activité, le nombre de critères sur lesquels évaluer la qualité des performances sociales et environnementales est potentiellement illimité (79 indicateurs par exemple pour un rapport sur le modèle gri 3), et donc une entreprise très proactive peut malgré tout être en défaut de conformité sur un axe qu’elle n’a pas traité (tandis qu’une entreprise réactive peut toujours trouver une action positive à valoriser : par exemple, la réduction de sa consommation de papier ou d’électricité).

64Enfin, l’évaluation de la qualité du comportement de l’organisation (sur l’identité de la qualité rse qu’elle se donne et sur sa conformité à cet engagement) est brouillée par l’instrumentalisation de la communication d’entreprise – loyale ou opportuniste, mais toujours présente – en fonction de ses intérêts. Il est en effet difficile de distinguer clairement l’objectif de cette communication – conformité, évitement (green washing) ou manipulation (lobbying) –, qui insiste le plus souvent sur la contrainte « évidente » d’assurer la compliance et la survie financière de l’entreprise comme condition première de sa durabilité (« respecter la réglementation est déjà un effort qui atteste de notre bonne volonté » ; « ne s’engager que sur des efforts compatibles avec la contrainte concurrentielle et financière »). Pourtant, selon le Medef lui-même, seulement 3 % des trois cents entreprises françaises adhérant au Global Compact en 2005 avaient mis en place une politique sociale conforme (Moreau, 2008).

  • 53  Pour une analyse de la consistance juridique des codes de conduite d’entreprise, voir Keller (2008 (...)

65Tout ceci explique que les dispositifs unilatéraux de qualité rse, comme les codes de conduite d’entreprise, font problème plus que solution car trop confus (qu’est-ce qui est garanti et qui ne l’est pas hors rse ? avec quelle fiabilité ?) et trop peu fiables53. S’il ne s’agit pas de se priver des progrès engendrés par ce type de démarches, il faut aussi mettre en rapport leurs effets négatifs. Le premier d’entre eux est de décrédibiliser les autres dispositifs rse plus contraignants pour l’organisation opérationnelle des cœurs de métier et l’accès à la décision managériale, qui offrirait une meilleure efficacité marchande pour instituer une norme de qualité permettant une différenciation et donc une sanctionnabilité économique ou juridique.

Conclusion : quelles avancées possibles de la rse ?

66Dessiner dès à présent l’avenir d’un mode de régulation où le principe de rse organiserait centralement les différents rapports sociaux aboutissant à un régime macroéconomique stable semble donc très prématuré. D’autant plus que la normalisation de la qualité doit par essence faire face au dilemme explicité par Chiapello et Desrosières (2006) et à la réponse qu’ils esquissent aussi : « L’espace composite des justifications des pratiques (de quantification) est tendu entre d’une part un réalisme métrologique et d’autre part un conventionnalisme plus ou moins proche du langage du droit. […] (Mais) la prise en compte du caractère conventionnel des procédures de quantification n’implique pas une posture relativiste : conventionnel n’est pas synonyme d’arbitraire, dès lors qu’existent des règles explicites et négociées pour ces procédures. » (Chiapello, Desrosières, 2006). Le langage commun dominant dans le champ de la rse – celui du management de la qualité et de l’audit, dont la grammaire permet d’articuler des éléments d’économie, de droit et de philosophie politique jusqu’à un niveau opérationnel – porte la même tension, entre exigence de transparence (toujours inaccessible) et arrangements pragmatiques (toujours suspects de compromission). Et, comme nous l’avons montré en distinguant deux modèles polaires de règles de gouvernement privé sociétalement responsable (cf. tableau 2), la procédure pour arrêter ces choix est un moment critique pour le futur de la rse.

  • 54  Cf. le concept de systèmes complexes multi-niveaux de « nested part/whole units of analysis » (Ost (...)
  • 55  Pour reprendre la terminologie de Callon, Lascoumes et Barthe (2001).

67Mais ce dilemme rappelle aussi que des règles nouvelles (en l’occurrence des règles « rse » sur l’échange et sur l’organisation productive) ne peuvent exister qu’étayées par d’autres institutions54 : a contrario, comme on l’a montré, la généralisation d’un comportement sociétalement responsable par un processus décentralisé – à savoir la sélection des conduites conformes grâce à la concurrence marchande informée par un signe de qualité rse – reste pour l’heure peu probable tant que l’identité de cette qualité et les épreuves de conformité ne sont pas mieux assurées ; et cette situation présente une structure de type « dilemme du prisonnier » où la contrainte financière tend à pénaliser l’entreprise la plus pro-active opérationnellement. Or compte tenu de la difficulté à objectiver les pratiques et de l’intérêt de certains acteurs à entretenir cette difficulté, cette situation peut perdurer, et en sortir requiert donc une rupture structurelle. Cet article permet d’esquisser deux options stratégiques qui restent à préciser, notamment parce qu’elles ne sont pas indépendantes :
1. Une réforme de l’autorité économique privée. On l’a vu, la qualité rse constitue une ressource institutionnelle symbolique pour débattre l’autorité sur le gouvernement des entreprises et pour exercer le pouvoir de commandement dans les rapports socio-économiques où ce gouvernement est habilité à le faire ; mais sa traduction symbolique pour tracer un chemin entre les deux modèles polaires de gouvernement rse que l’on a identifiés (du modèle « expert » vers le modèle « politique ») reste à construire : comment introduire dans le modèle « expert » – modèle de consultation car il ne requiert que l’avis de parties prenantes – des règles le poussant vers le modèle « politique » de co-construction (par exemple en modifiant réglementairement la composition des organes dirigeants de l’entreprise sur un modèle du type « forums hybrides »55 ; ou a minima en donnant une force juridique efficace à la négociation du type accord-cadre international) ?
2. L’exercice d’une autorité politique.Partant du principe que tout système social intègre une dimension conflictuelle – corollaire logique du paradoxe Condorcet-Arrow, confirmé à son niveau par l’analyse économique de la normalisation de la qualité – et que la fonction politique a en charge de la réguler, la question est posée de l’inscription de la gouvernance d’entreprise dans cet espace politique : l’usage des ressources économiques de l’entreprise peut-il être délibéré publiquement par des groupes d’acteurs dont la reconnaissance serait fondée sur des critères autres qu’utilitaristes (notamment autres que fondés sur la propriété du capital social de l’entreprise) ? On sait que le dénouement du paradoxe de Condorcet-Arrow reposait sur l’acte d’autorité d’un tiers (l’autorité politique que représentent des pouvoirs publics, soit par décision arbitraire, soit par procédure électorale) : aussi, plutôt que penser encore la rse comme substitut aux state failures, ne convient-il pas plutôt de la penser comme subsidiaire à l’autorité politique ? Car, de fait, le domaine de la rse (s’il se propose d’« aller au-delà des exigences requises par la réglementation ») dépend aussi de la réglementation, et pas seulement des initiatives volontaires.

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Notes

1  Cette notion désigne les modalités par lesquelles une institution produit ses effets normatifs sur les « conduites » individuelles. Elles supposent des formes d’adhésion des individus (par leurs désirs, leurs craintes, etc.), sans exclure le cas échéant le recours à une contrainte physique (par exemple dans le cadre d’une décision judiciaire). Par ailleurs, la notion de « conduite » se distingue en psychologie sociale de celle de « comportement » qui, dans une théorie behavioriste, réduit la pratique d’une personne à une réaction aux stimuli exogènes de son environnement.

2  Selon l’usage dominant désormais, l’adjectif « sociétal » englobe les relations professionnelles au sein de l’entreprise, les relations à la « communauté » sociale environnante et à sa culture, à l’écosystème, etc.

3  Les congrès du Riodd (Réseau international de recherche sur les organisations et le développement durable) ou la Revue de l’organisation responsable en témoignent aussi.

4  La méthode n’en privilégie a priori aucun, puisque c’est l’observation qui conduit à leur identification. Mais sans pour autant exclure tout biais normatif : par exemple, le risque existe que le chercheur écarte ou surévalue un type d’acteur (cf. le débat sur la théorie des parties prenantes).

5  Comme c’est le cas par exemple d’un secteur industriel, où les offreurs et demandeurs s’efforcent d’obtenir un pouvoir de marché, et investissent pour ce faire dans des équipements productifs, des actions de formation, la définition de normes techniques, de barrières à l’entrée, etc. Le secteur, comme tout champ social, est donc à la fois un espace de concurrence et d’alliances (pour dominer le champ, pour dissuader de nouveaux entrants, etc.).

6  Voir le questionnement explicite d’un texte fondateur de la problématique de la rse (Bowen, 1953).

7  Au sens de Gorz (1980).

8  Ce qui n’évacue pas la dimension environnementale, qui participe de la reproduction sociale, mais toujours médiatisée par les structures sociales et leur distribution de pouvoirs.

9  Non pas comme harmonie achevée, mais au sens où ils entretenaient après-guerre l’espoir plausible d’une réalisation des projets personnels. Ceci renvoie à l’ambivalence irréductible de la spécialisation du travail : certes facteur d’individualisation, elle induit aussi une interdépendance, qui produit de l’intégration sociale si les médiations institutionnelles sont assurées, comme l’a théorisé Durkheim (1893).

10  Il est sans doute plus juste de qualifier de « performance » sociétale l’objet de cette économie, plutôt que de « responsabilité » (Baron et al., 2010).

11  On notera cependant que rien n’interdit d’examiner si la responsabilité sociétale ne devrait pas en premier lieu conduire l’entreprise à renforcer les moyens de l’action publique – y compris par une contribution budgétaire.

12  En ce sens, norme est synonyme de « standard ». à ce stade de l’analyse, on ne retient pas la distinction juridique entre « règles techniques » (obligatoires) et normalisation (« spécification technique établie par consensus (…) et dont l’observation n’est pas obligatoire ») (Dictionnaire permanent de droit européen des affaires, « Normalisation », chap. 1, p. 1974, feuillet 12, éd. Législatives).

13  Qu’il s’agisse pour un offreur d’accroître son pouvoir de marché ou pour un demandeur de s’assurer ex ante qu’il pourra utiliser le produit acheté comme la ressource dont il a besoin.

14  Pour une présentation de cette mise en cause de l’hypothèse de nomenclature, cf. Orléan (2003, p. 186).

15  Au sens où, pour reprendre la définition de Schotter (1981, p. 9), une convention est « une régularité de comportement à laquelle tous les membres d’une collectivité adhèrent, et qui spécifie la conduite à suivre dans une certaine situation récurrente ».

16  C’est par exemple une thèse avancée pour expliquer le ralliement de Dupont de Nemours au protocole de Montréal en 1987, sachant pouvoir accélérer dès 1988 sa recherche de substituts aux cfc (Ben Youssef, 2005).

17  En outre, l’avantage concurrentiel qui fait la substance de ce critère – sur lequel insistent de nombreux promoteurs de la rse (par exemple : Peeters, 2007) – n’est pas assuré pour tous les acteurs : i) améliorer la valeur ajoutée unitaire au niveau de l’offreur, en réduisant les coûts de production (économies d’intrants par exemple) ou en augmentant le prix de vente selon le consentement à payer du demandeur (qui dépend à la fois de la représentation sociale de la qualité par ce demandeur et de l’action de l’offreur sur cette représentation) ; ii) améliorer la valeur ajoutée totale de l’offreur en augmentant ses parts de marché ; iii) améliorer l’image de marque pour mieux gérer d’éventuels épisodes de crise ; etc. Chacun de ces types d’avantages requiert des compétences différentes, engendre des gains plus ou moins assurés…

18  Pour une application au secteur des technologies de l’information, par exemple, voir (Ocde, 1991).

19  Mais il ne cite qu’une étude (enquête Afaq en 1994) concluant que seulement 12 % des demandes de certification iso 9000 répondaient à une demande d’un client de l’entreprise.

20  On s’inscrit ici dans une théorie de l’institution (Commons, 1934) et de l’action collective (Lordon, Orléan, 2007) plus générales.

21  Pour une introduction à cette analyse, cf. par exemple David et Greenstein (1990) ou Foray (1993).

22  De même qu’il existe des causes matérielles (physico-chimiques) dans la formation des affects et des sentiments, mais qu’il faut des interactions sociales pour leur associer des valeurs (par exemple le sens du juste, du bien, etc.) (Sperber, 1996).

23  C’est par exemple ce que fait travailler la catégorie des « manipulateurs de symboles » dans l’analyse de Reich (1991) sur les effets sociaux de la mondialisation aux États-Unis. De façon générale, l’effet fractal des crises sociales est bien explicité par Bourdieu (1993).

24  « Le domaine du Symbolique, c’est l’ensemble des moyens et des processus par lesquels des réalités idéelles s’incarnent à la fois dans des réalités matérielles et des pratiques qui leur confèrent un mode d’existence concrète, visible, sociale. […] L’Imaginaire n’est pas le Symbolique, mais il ne peut acquérir d’existence manifeste et d’efficacité sociale sans s’incarner dans des signes et des pratiques symboliques de toutes sortes qui donnent naissance à des institutions qui les organisent, mais aussi à des espaces, à des édifices, où elles s’exercent » (Godelier, 2007, p. 39).

25  Pour une application à la puissance symbolique du discours journalistique, cf. Chanteau (1998) et, plus généralement, les processus socio-cognitifs de construction des représentations sociales (Chanteau, 2003).

26  Notion plus pertinente que celle de « violence symbolique » (Guibert, 1995).

27  C’est-à-dire les acteurs exerçant un effet sur l’entreprise au niveau de sa stratégie ou de sa conduite opérationnelle (notion comparable à celle de going concern (Commons, 1934) et que l’on peut préférer à celle de « parties prenantes » car tout acteur social affecté ou concerné par les activités d’une entreprise n’a pas nécessairement vocation ni capacité à influencer celle-ci). Selon la forme de concurrence, ce groupe peut être plus ou moins concentré, plus ou moins homogène.

28  À propos du marché industriel de la maison individuelle, Bourdieu (2000) illustre bien comment l’ajustement économique de l’offre et de la demande d’habitat suppose un ajustement symbolique sur les projets mytho-poiétiques des ménages : « la publicité n’est si efficace que parce qu’elle flatte les dispositions pré-existantes pour mieux les exploiter […] à l’inverse d’une politique qui se servirait d’une connaissance réaliste des dispositions pour travailler à les transformer […] : à cette fin, elle use de connotations » (p. 38).

29  Cependant, ce coût a aussi un effet discriminant : quelle que soit la stratégie de différenciation (marque privée individuelle, norme collective, etc.), il sélectionne les acteurs capables de choisir leur stratégie et de l’imposer.

30  Pour l’application de la notion d’identité en économie : Akerlof, Kranton (2005) ; pour un approfondissement critique : Davies (2007) ; Fine (2009).

31  Mais sans oublier, comme évoqué supra, que des entreprises peuvent aussi trouver intérêt à l’absence de normalisation, par exemple si elles obtiennent par d’autres moyens une garantie satisfaisante sur la qualité de ce qu’elles achètent ou une qualification satisfaisante de ce qu’elles vendent. C’est le cas d’une forte image individuelle de marque (qui constitue par exemple le seul avantage concurrentiel de Coca Cola, voir Bourgeois-Gironde, 2008). La qualité des relations personnelles peut aussi supplanter une normalisation, comme l’a montré Granovetter (2005), par exemple en matière d’activités tertiaires (crédit bancaire, conseil juridique).

32  En rappelant que le politique ne se réduit ni à l’étatique ni à la seule pratique électorale (Braud, 2000, p. 16).

33  Pour reprendre l’intitulé et la problématique du programme ANR « Le potentiel régulatoire de la rse » (http://rse-recherche.univ-paris12.fr/).

34  Pour une application au cas de la norme iso 26000, voir Chanteau (2010).

35  Pour une application de cette conception des parties prenantes, voir par exemple Wolfe et Putler (2002).

36  La traduction française a malheureusement exprimé l’enjeu économique de la théorie de Fraser par le terme « redistribution », notion qui apparaîtra trop restrictive aux économistes : Fraser parle en fait de « restructuration économique » comme remède à l’injustice économique, incluant « la re-distribution des revenus, la réorganisation de la division du travail, la soumission des décisions d’investissement à un contrôle démocratique ou la transformation des structures économiques fondamentales ».

37  Que dénonçait d’ailleurs Friedman (1970) : « In fact (businessmen claiming for the “social responsibilities of business in a free-enterprise system”) are –or would be if they or anyone else took them seriously– preaching pure and unadulterated socialism. Businessmen who talk this way are unwitting puppets of the intellectual forces that have been undermining the basis of a free society these past decades ».

38  Par contraste, on rappellera la déclaration de principe du président du Cnpf le 19 septembre 1980, hostile au « pouvoir économique des organisations de consommateurs » (interview de M. François Ceyrac sur Europe 1, à la suite du mouvement de boycott de la viande de veau lancé par l’Ufc, http://www.vie-publique.fr/cdp/803801376.html [accès 28/5/2008]).

39  Qui est un jeu de puissances relatives : une ressource de puissance ne vaut qu’en rapport avec une règle du jeu (par exemple la puissance physique est valorisée et développée dans un sport de combat, mais disqualifiée dans un débat politique) ; et un enjeu décisif consiste donc à modifier les règles du jeu pour disqualifier les ressources de puissance de ses concurrents qui serait les plus difficilement reconvertibles dans un autre système de jeu (par exemple, un code d’honneur dans un monde de compétition individualiste).

40  Postel et Rousseau (2010) proposent un positionnement analogue, en dénonçant à la fois l’illusion contractualiste et la thèse d’un retour au paternalisme.

41  Ce que certains contestent cependant par principe, tel Comte-Sponville (2004) pour qui l’éthique d’entreprise, c’est « l’art de résoudre les problèmes qui ne se posent pas... ».

42  On notera que cette problématique fait écho, dans des termes quasiment équivalents, à celles de Keynes ou de Commons sur le « capitalisme raisonnable » vingt ans plus tôt.

43  L’association Entreprises Pour l’Environnement (Epe) a pour objet de promouvoir les compétences des entreprises dans le domaine de l’environnement. Elle compte, parmi ses adhérents, Aéroports de Paris, AGF, Air Liquide, Atofina, AXA, Banque populaire du Haut-Rhin, BMW France, BP France, Caisse des Dépôts et Consignations, CEA-Industrie, CCF Recycling, Ciments français, Cogema, Deloitte Touche Tohmatsu, Du Pont de Nemours sa, Électricité de France, EMC, Framatome, France Télécom, Gaz de France, Lafarge, Marsh, Metaleurop, Michelin, Pechiney, PSA Peugeot-Citroën, Ratp, Renault, Rhodia, Saint-Gobain, Saur, Scor, Snpe, Solvay sa, Suez, Toshiba Systemes sa, TotalFinaElf, Usinor, Vivendi Environnement, Zurich.

44  Association loi 1901, l’Observatoire de la rse (Orse) a pour objet de créer un réseau d’acteurs impliqués dans le domaine de la responsabilité sociétale des entreprises. Elle compte parmi ses membres Afg-asffi (Association française de la gestion financière), Andcp (Association des drh), Apri Prévoyance, Aventis, Axa, Bnp Paribas Épargne Entreprise, Caisse des Dépôts et Consignations, Cfe-cgc, Crédit Lyonnais Asset Management, Edf, Fnmf (Mutualité française), Lazard Frères Gestion, Macif Gestion, Médéric Prévoyance, Prado Épargne, PricewaterhouseCoopers, Storebrand Investments France, VediorBis, Amnesty International, Anact, Cftc, Cgt, Cgt-fo, Edc (Entrepreneurs et Dirigeants chrétiens), Entreprise et Personnel, Epe, Ias (Institut de l’Audit social), Orée, Transparency International France.

45  nb : l’obligation de négociation existe déjà en droit du travail en France…

46  Bodet et Lamarche (2007) proposent une dichotomie complémentaire, entre « une forme libérale de la concurrence (avec le développement d’une RSE “caritative” de compensation à l’anglo-saxonne) » et une forme intégrant « l’idée de solidarité et de démocratie dans les relations économiques (avec le développement d’une RSE “participative” opérant un rééquilibrage dans le rapport de force actuel) ».

47  Ce « néanmoins » et l’usage du conditionnel admettent la possibilité de contester l’affirmation qui suit…

48  Bien que ce ne soit pas celle citée dans la littérature scientifique !

49  On peut rappeler aussi ce paragraphe de 2001 : « Qu’est-ce que la responsabilité sociale des entreprises ? La plupart des définitions de la responsabilité sociale des entreprises décrivent ce concept comme l’intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes. » (Commission ce, 2001, p. 7)

50  On peut considérer que c’est même la seule évolution significative puisque toute possibilité de rendre cette norme sanctionnable a été gommée dans la rédaction.

51  Certaines études concluent plutôt à une corrélation faible (Baue, 2005), voire à une absence de corrélation (Vogel, 2005). Les premières études, contestées pour ne prendre en compte que les coûts et oublier les effets externes indirects(Havemann, Christainsen, 1981 ; Gray, 1987, sur les coûts de la réglementation antipollution et des normes santé-sécurité au travail) étaient nettement négatives.

52  Les cabinets d’audit comptable, très tôt sollicités, ont souvent refusé de pratiquer des certifications dans ce domaine.

53  Pour une analyse de la consistance juridique des codes de conduite d’entreprise, voir Keller (2008).

54  Cf. le concept de systèmes complexes multi-niveaux de « nested part/whole units of analysis » (Ostrom, 2011).

55  Pour reprendre la terminologie de Callon, Lascoumes et Barthe (2001).

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Les conditions institutionnelles d’une norme de qualité
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Titre Figure 2. Les axes de délimitation du devoir de responsabilité sociétale des entreprises
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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Pierre Chanteau, « L’économie de la responsabilité sociétale d’entreprise (RSE) :
éléments de méthode institutionnaliste », Revue de la régulation [En ligne], 9 | 1er semestre / Spring 2011, mis en ligne le 04 juillet 2011, consulté le 02 mars 2014. URL : http://regulation.revues.org/9328

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Auteur

Jean-Pierre Chanteau

Maître de conférences HDR en économie, université Grenoble II (UFR Faculté d’économie), Centre de recherche en économie de Grenoble (CREG), jean-pierre.chanteau@upmf-grenoble.fr

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