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Un intermédiaire culturel au xiiie siècle : le jongleur
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7. Musique, musiciens, jeux

Un intermédiaire culturel au xiiie siècle : le jongleur

Martine Clouzot
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Texte intégral

  • 1  Cet article a été publié en portugais dans Signum, 7 (2005), p. 63-98. Il m’a permis de présenter p (...)

1 Cet article est l’occasion de présenter un certain nombre d’hypothèses et de perspectives issues d’une recherche en cours sur les musiciens (dont le jongleur) étudiés en tant que figures de discours et catégories sociales aux xiiie, xive et xve siècles 1.

  • 2  J. Le Goff, Les intellectuels au Moyen Âge, Paris, 1985 (2e éd.) ; J. Paul, Histoire intellectuelle (...)
  • 3  Je remercie Daniel Russo qui m’a donné la possibilité de développer et d’approfondir ma réflexion s (...)
  • 4  Je cite les principaux ouvrages sur la question : L. Gautier, Les épopées françaises. Étude sur les (...)
  • 5  W. Hartung, Die Spielleute im Mittelalter. Gaukler, Dichter, Musikanten, Düsseldorf/Zürich, 2003. J (...)

2 Prendre le jongleur comme objet de recherche en histoire, c’est observer la société médiévale aussi bien sous l’angle de ses pratiques sociales que de ses systèmes de représentation et de sa culture. Car ce « personnage social » est aussi, et surtout, une figure de discours au tournant des xiie et xiiie siècles. Le champ de recherche déployé autour du jongleur relève de « l’histoire culturelle » 2, dans le sens où son étude repose a priori et a posteriori sur des méthodes de classifications lexicales, textuelles et iconographiques qui, par conséquent, s’étendent et participent totalement de l’histoire sociale. Les limites de cet article et l’état de mes recherches ne permettant pas encore d’approfondir le sujet dans tous ses aspects, un seul angle d’approche est privilégié, celui du jongleur en tant qu’intermédiaire culturel dans la société du xiiie siècle 3. Dans cette perspective, qui peut paraître arbitraire, plusieurs questions se posent alors : en quoi le jongleur peut-il être pensé comme un intermédiaire culturel, qu’est-ce qui justifie cette qualité ? Quelle(s) culture(s) véhicule-t-il, entre quels interlocuteurs et quels milieux sociaux, sous quelles formes et à quelles fins ? Dans quels contextes et milieux sociaux est-il ainsi défini et utilisé ? Les questions se posent toujours à deux niveaux : celui de la « réalité » sociale du personnage qui agit et circule, mais aussi au niveau de la figure morale conçue par les penseurs et les moralistes de l’époque. Tout l’intérêt et toute la difficulté de cette recherche résident dans la distinction ou la coïncidence (voire la confusion) entre le personnage et la figure de discours, et c’est peut-être par ce point de conjonction ou d’opposition que se définit le jongleur. Cette articulation méthodologique et historique n’a pas vraiment été exploitée par l’historiographie depuis le xixe siècle 4, et même dans les études très récentes, comme celle de Wolfgang Hartung 5.

  • 6  S. Menegaldo, Le jongleur, Paris, 2005.

3 En temps que personnage, il est omniprésent dans tous les lieux et les milieux de la société médiévale : du château au village, de la route de pèlerinage au monastère, du parvis des églises aux étuves. Il est l’amuseur public par excellence, le maître du divertissement. Ce don d’ubiquité favorise a priori son rôle d’intermédiaire culturel. Edmond Faral, dans son ouvrage fondamental sur la question, inégalé à ce jour 6, rend compte de la panoplie et de la variété du jongleur :

  • 7  E. Faral, Les jongleurs…, op. cit., p. 1.

4Un jongleur est un être multiple : c’est un musicien, un poète, un acteur, un saltimbanque ; c’est une sorte d’intendant des plaisirs attaché à la cour des rois et des princes ; c’est un vagabond qui erre sur les routes et donne des représentations dans les villages ; c’est un vielleur qui, à l’étape, chante de « geste » aux pèlerins ; c’est le charlatan qui amuse la foule aux carrefours ; c’est l’auteur et l’acteur des « jeux » qui se jouent aux jours de fête, à la sortie de l’église ; c’est le maître de danse qui fait « caroler » et baller les jeunes gens ; c’est le « taboureur », c’est le sonneur de trompe et de « buisine » qui règle la marche des processions ; c’est le conteur, le chanteur qui égaie les festins, les noces, les veillées, c’est l’écuyer qui voltige sur les chevaux ; l’acrobate qui danse sur les mains, qui jongle avec des couteaux, qui traverse des cerceaux à la course, qui mange du feu, qui se renverse et se désarticule ; le bateleur qui parade et qui mime ; le bouffon qui niaise et dit des balourdises ; le jongleur, c’est tout cela et autre chose encore 7.

5Cet « autre chose encore » résonne comme une invitation.

  • 8  Cf. C. Casagrande et S. Vecchio, « Clercs et jongleurs dans la société médiévale », Annales ESC, 5 (...)
  • 9  Cf. C. Page, Voices and instruments of the Middle Ages. Instrumental practice and songs in France 1 (...)
  • 10  P. Zumthor, La lettre et la voix, Paris, 1987, p. 21 sqq.
  • 11  R. Jacob, « Le faisceau et les grelots. Figures du banni et du fou dans l’imaginaire médiéval », Re (...)
  • 12  W. Hartung, Die Spielleute. Eine Randgruppe in der Gesellschaft des Mittelalters, Wiesbaden, 1982, (...)
  • 13  A. Schreier-Hornung, Spielleute…, op. cit.
  • 14  B. Geremek, Les marginaux parisiens aux xive et xve siècles, Paris, 1976 ; H. W. Schwab, Die Anfäng (...)
  • 15  C. Frugoni, « La rappresentazione dei giullari nelle chiese fino al XII sec. », in Il contributo de (...)

6 En effet, la typologie des sources sur le jongleur correspond à une typologie de ses figures, contrastées, variées, voire antithétiques : le caractère polymorphe et complexe du jongleur dans les textes – et les images – fait de lui un intermédiaire culturel d’importance pour l’historien d’aujourd’hui. Figure de discours moral condamnée dans les écrits théologiques, les sermons et les conciles, il est au contraire dans la littérature mystique et mariale le jongleur de Dieu chez saint François d’Assise 8. Auteur présumé de certains poèmes lyriques ou motif littéraire dans les fabliaux, les romans et les chroniques 9, il pose le délicat problème de la distinction culturelle et sociale entre le compositeur et l’interprète – jongleur, troubadour, trouvère et Minnesänger –, l’écrit et l’oral, le texte et la voix, la « performance » 10 et le public. Dans les sources juridiques 11, il apparaît moins comme une figure de discours que comme un acteur social 12, dont le mode de vie et les activités polarisent les valeurs morales et culturelles telles que l’errance, la luxure et l’oisiveté 13. Quant aux actes de la pratique – documents de l’administration et de la législation urbaines –, ils rendent comptent, parfois nominativement, des activités illicites et immorales du jongleur, à travers les enquêtes et les sentences de la justice criminelle 14. Restent les images du jongleur qui, dans leur immense majorité, appartiennent aux marges des manuscrits religieux, en particulier les livres de prières et les psautiers, et très exceptionnellement les manuscrits littéraires et profanes. Elles le représentent principalement dans ses activités de jonglerie et d’amuseur 15. Néanmoins, il est erroné de vouloir décrire le jongleur à travers ses multiples activités. Cette méthode ne fait qu’entretenir l’image romantique, romancée et surtout très réductrice du personnage, baladin qui passe de cour en cour et charme les nobles dames et les chevaliers avec ses chansons et sa vièle à archet. Cette description des activités du jongleur nous provient essentiellement de l’interprétation souvent littérale et surtout « décontextualisée » de la littérature épique et lyrique par les historiens de la littérature médiévale. Toutefois, elle ne nous apprend rien sur les raisons de sa mention dans les textes et les images du xiiie siècle.

7 Cet article n’a ni la prétention de « révolutionner » cette image, ni d’apporter des réponses. Cependant, si le jongleur peut être qualifié d’intermédiaire culturel, c’est à double titre : ses mentions appartenant majoritairement aux textes patristiques et conciliaires, aux sommes, aux recueils de sermons et d’exempla, à la littérature hagiographique, didactique et morale, et à la poésie lyrique, c’est par lui que transitent une multitude de motifs littéraires et moraux. Plus qu’une spéculation sur le jongleur, les moralistes et les scolastiques ont théorisé sur le personnage pour des raisons qui lui sont extérieures et en vue de le constituer en archétype moral, porteur de valeurs normatives, religieuses et sociales. C’est pourquoi, il faut considérer que ce n’est pas tant la figure morale et sociale – ou l’intermédiaire culturel – qui est en jeu, que ce que cette figure permet à ses concepteurs de transmettre. La distance qui sépare ces derniers du jongleur explique que sa mention apparaisse toujours en binôme avec d’autres figures typologiques, notamment celle du clerc au sens large du terme : presque systématiquement, chaque type de jongleur est associé au type de clerc qui est l’auteur de sa mention ou le destinataire. Ce couple jongleur/clerc paraît en l’état actuel des recherches, essentiel à la définition et à l’interprétation des sources évoquant le jongleur.

8 La constitution de cette figure morale fait l’objet d’une première série d’hypothèses orientées dans le sens d’une contre-exemplarité et de la stigmatisation du corps et des paroles du personnage chez les théologiens et les prédicateurs. Toutefois, le jongleur sert également de relais efficace d’édification morale chez les mêmes auteurs. Enfin, les raisons qui font que ces derniers associent certains thèmes au jongleur montrent en quoi il est une figure de la distinction sociale et morale au xiiie siècle, ce que la littérature épique, poétique et lyrique en langue latine et romane permet également d’étayer.

Le jongleur, figure d’une « contre-exemplarité » morale

  • 16  C. Page, The Owl and the Nightingale. Music life and ideas in France, 1100-1300, Londres, 1989.

9 Les sermons, les recueils d’exempla et les sommes théologiques du xiiie siècle constituent les principales sources mentionnant en abondance le jongleur. Les travaux du musicologue Christopher Page ont permis d’engager une approche plus critique des sources sur le jongleur 16. À travers elles, le jongleur est doté d’un corps charnel, vêtu ou non, agile et toujours en mouvement. Il est également doué de parole, dangereuse car trompeuse et excessive. L’épaisseur physique et sociale du jongleur affleure dans les mots, laissant peu de place à l’objectivité ou à une objectivité au service de l’édification symbolique. Dans bien des textes, l’Église s’adresse avant tout aux membres de son clergé.

Le corps du jongleur

  • 17  Londres, BL, Royal 8 G IV, fin xiiie siècle (?), cité dans C. Page, The Owl and the Nightingale…, i (...)
  • 18  Paris, BnF, Lat. 3218, fol. 32v° et Lat. 3529a, fol. 40 (cité dans C. Page, The Owl and the Nightin (...)
  • 19  Cambridge, University Library, Ii. 4. 8., fol. 18 (cité dans C. Page, The Owl and the Nightingale…, (...)

10 Quand les théologiens décrivent le jongleur dans les sermons et les sommes, ils lui donnent vie à travers un corps déformé et contorsionné. Vers 1220, Guillaume d’Auxerre dans sa Summa Aurea, traduit le jugement général des théologiens sur le jongleur : « On appelle en particulier histrion celui qui provoque le rire des hommes par les gesticulations de son corps, par l’histoire des choses, le récit des gestes. Mais l’appellation est à la limite élargie pour nommer histrion n’importe quel jongleur qui, par les instruments de musique ou par d’autres manières, excite les hommes à la volupté et aux joies de ce monde et provoque ainsi le vice 17. » De même, chez Thomas Chobham, dans son Pénitentiel, les contorsions physiques des histrions sont condamnables : « Certains histrions contorsionnent et distorsionnent leur corps par des sauts éhontés ou des gestes impudiques ou en dénudant effrontément leur corps ou en portant d’horribles masques, tous sont condamnables… 18. » Dans sa Somme des vices et des vertus, le dominicain Guillaume Peyraut va plus loin en voyant dans les imitations et les gesticulations du jongleur la manifestation du diable : « De cette manière, on dit que le diable est le père du mal, non parce que les jongleurs ont de lui ce qu’ils sont, mais par ce qu’ils auraient de lui, c’est-à-dire son imitation, être mauvais 19. »

  • 20  C. Page, The Owl and the Nightingale…, ibid., p. 21 : « Quidam enim cum ludibrio et turpitudine sui (...)
  • 21  Jean de Salisbury (éd. PL 199, col. 406) : « Nam de histrionibus et mimis, scurris et meretricibus, (...)
  • 22  Cambridge, University Library, Ii 4. 8, fol. 18v° (cité dans C. Page, The Owl and the Nightingale…, (...)
  • 23  Conrad de Zurich (cité dans E. Faral, Les jongleurs…, op. cit., app. III, 267b, p. 373) : « Summa d (...)

11 Pour le théologien, le corps du jongleur ne présente pas vraiment d’intérêt en tant que tel. En revanche, le discours qui transite à travers lui dépasse de loin le sujet : le jongleur devient un vecteur, un support de réflexion sur l’homme créature de Dieu. Car à travers la déformation du corps, c’est l’image de Dieu qui est en jeu. Le corps transformé et déformé est une offense à l’imago Dei, comme l’affrime Pierre le Chantre dans sa Summa de Sacramentis et anime consiliis, avant d’être repris par ses disciples, dont Étienne Langton. Au xiiie siècle, Robert de Courson perpétue la condamnation de cette transformation corporelle : « Certains histrions gagnent les nécessités de la vie par la lubricité et l’obscénité de leur corps en déformant l’image de Dieu 20. » La description de ces scandaleuses déformations permet d’opposer le péché d’orgueil (superbia) aux vertus de modestie et de pudeur (modestia et de pudicitia) imposées par l’Église au clergé : le jongleur n’est pas présenté se servant de son corps comme d’un instrument de pénitence ou de soumission à Dieu en vue de préparer le salut de son âme. Il est montré, au contraire, comme faisant de son corps un objet de plaisir et de péché. C’est pourquoi le rapprochement avec les prostituées est opéré par les théologiens. Jean de Salisbury, au xiie siècle, dans son Policraticus juge que : « En réalité, il est préférable de chasser plutôt que de soutenir les histrions et les mimes, les bouffons et les prostituées, les entremetteurs et les hommes monstrueux de cette espèce 21. » Guillaume Peyraut, dans sa Summa de vitiis et virtutibus, insiste même sur le caractère efféminé des jongleurs : « Et sur leurs têtes ils ont des couronnes en or… Et ils avaient les cheveux comme les cheveux des femmes 22. » Citons encore le chantre de la cathédrale de Zurich, Conrad, qui, vers 1275, écrit sur le jongleur avec conviction et de façon très imagée dans sa Summa de arte prosandi : « Comme des vautours, sur des cadavres, comme des mouches sur une liqueur sucrée, on voit convoler à la cour des princes, pauvres, chétifs, aveugles, bancroches, estropiés, jongleurs, danseurs, musiciens, vauriens et prostituées. Ils sont tous comme bien d’autres, pareils à des sangsues qui ne lâcheront pas la peau avant de s’être gorgées de sang 23. »

12 Le discours des prédicateurs sur le corps déformé apparaît comme une exhortation à préserver le corps tel que Dieu l’a créé à son image, par la voie de l’humilité et de la discipline du corps. La nature des sources par lesquelles ils s’expriment (sommes, pénitentiels) indique qu’en montrant les dangers des transformations corporelles, ils s’adressent essentiellement aux clercs pour lesquels le jongleur, comme la prostituée, est un contre-modèle moral à connaître et à proscrire de leur comportement. Ce discours sur le corps va généralement de paire avec celui sur la parole et le mauvais usage qu’en fait le jongleur.

La parole du jongleur

  • 24  Thomas Docking (cité dans A. G. Little, Franciscan Papers. Lists and Documents, Manchester, 1943, p (...)
  • 25  Raoul Ardent (cité dans J. W. Baldwin, Masters, princes and merchants, Princeton, 1970, t. 2, p. 14 (...)

13 La question de la parole du jongleur est tout aussi centrale dans la littérature morale et didactique que dans la chanson de geste et la poésie. La raison de son traitement dans ces différents genres littéraires tient à leurs auteurs, semblables ou proches : les clercs. Reprenant Thomas Chobham, le franciscain Thomas Docking invite à se méfier des paroles des jongleurs : « À propos des histrions, il faut noter que ceux qui sont nommés ainsi sont des histrions parce qu’ils représentent, par les gesticulations de leur corps, diverses histoires obscènes, vraies ou fausses, comme les tragédiens et les comédiens au théâtre, et comme cela se fait aujourd’hui dans des spectacles et des jeux honteux dans lesquels les gens dénudent leur corps… 24. » Un autre prédicateur, Raoul Ardent (Poitevin de la fin du xiie siècle) considère, dans son Speculum universale, que ces dernières sont une atteinte à la dignité de l’homme et de son Créateur, dans le sens où « le bavardage change l’homme en bouffon, le transforme en mime, le rabaisse en jongleur, dégrade la dignité de la nature humaine 25 ».

  • 26  H.-I. Marrou, Les troubadours, Paris, 1971.
  • 27  Rutebeuf, Œuvres complètes, Paris, 1989, t. 1 (Paris, BnF, Fr. 937).
  • 28  A. de Montaiglon et G. Raynaud, Recueil général et complet des fabliaux des xiiie-xive siècles, Gen (...)
  • 29  A. de Montaiglon et G. Raynaud, Recueil général…, ibid.

14 Les textes littéraires en langue vernaculaire – chansons de geste, poésie lyrique des troubadours et des trouvères 26 – traduisent eux aussi une connotation négative des paroles du jongleur et sa propension à les destiner à son usage personnel pour mieux vanter ses talents et les beaux atours de sa personne. Le trouvère Rutebeuf sait de quoi il parle quand il se targue de bien connaître son métier en usant et abusant du verbe savoir : « Bien sai jouer de l’escanbot…/ Bien sai un enchantement faire… 27 ». C’est le détournement des mots, le mauvais usage de leur sens qui est traité dans les fabliaux, notamment dans celui du Roi d’Angleterre et du Jongleur d’Ely (xiiie siècle) : « Devant nostre sire en plenière cour / Sunt meint jogleur e meint lechorer ; / Molt bien servent de tricherie / E font parroistre par lur grymoire / Voir come mençonge, mençonge come voire 28. » Le jongleur du fabliau Saint Pierre et le jongleur se vante, lui aussi, de savoir dire de « biau mot » : « Qui de biau dire s’entremet / N’est pas merveille s’il i met / Aucun biau mot selonc son sens 29. » Le détournement du sens des mots et l’usage indiscipliné de la parole placent donc le jongleur dans la ligne de mire des théologiens. L’une des raisons qu’ils énoncent découle du pouvoir trompeur de cette parole sur les fidèles et du danger moral qu’il représente pour le salut de leur âme.

Le jongleur : un danger pour le salut des âmes

  • 30  Décrets de Gratien, LXXXVI, 408 : « Qui donant histrionibus, qui donant aurigis, qui donant meretri (...)
  • 31  Pierre le Chantre, Verbum abbreviatum, chap. 49 (éd. PL 205, col. 155) : « Contre dantes histrionib (...)
  • 32  Robert de Courson, Summa (Cambridge, Gonville and Caius College, 331/722, fol. 24, cité dans C. Pag (...)
  • 33  Thomas d’Aquin, Opera omnia, Summa Theologia, Rome, 1899, t. 7, p. 353, Quaestio 168, art. III, arg (...)

15 Dans leurs sermons, les théologiens reprochent aux jongleurs d’abuser de la crédulité des gens pour mieux leur soutirer de l’argent. Ce problème de l’argent donné aux jongleurs est soulevé dès les premiers temps du christianisme par les premiers conciles, qui ont été ensuite repris tout au long du Moyen Âge. Au xiie siècle, Gratien s’interroge dans ses Décrets sur les raisons qui poussent à donner de l’argent aux jongleurs et aux prostituées : « Ceux qui donnent aux histrions, aux auriges, aux prostituées, pour quelle raison donnent-ils 30 ? » S’interroger sur le don de l’argent aux jongleurs, c’est d’une part s’interroger sur le sens du geste : que signifie-t-il quand il est adressé à un jongleur ? D’autre part, c’est questionner la légitimité de ce don à un personnage tel que le jongleur, comme le demande notamment Gratien. Que fait le jongleur pour recevoir et mériter cet argent ? Pour les prédicateurs et théologiens du xiiie siècle, la réponse est sans équivoque : les jongleurs ne doivent pas recevoir d’argent, car leur activité n’est pas un métier, elle n’est ni un office, ni une peine au sens moral du terme, et ne mérite donc aucun salaire. Les théologiens ne cessent alors de répéter que « donner aux histrions, c’est sacrifier aux démons ». Pierre le Chantre écrit à la fin du xiie siècle dans son De septem Sacramentis, folio 322 : « je crois que celui qui donne aux histriones parce qu’ils sont des histriones, et non parce qu’ils sont des hommes, se sacrifie aux démons 31 », car il y a un péché mortel à « donner son bien aux bouffons, aux coureurs de tavernes ou aux histrions ». Robert de Courson exprime la même position 32. Thomas d’Aquin condamne ceux qui donnent aux histrions (question 168, art. III) : « Aussi s’ils dépensent dans des choses superflues ou encore s’ils soutiennent ces histrions qui usent de jeux illicites, ils pèchent, comme s’ils les maintenaient dans le péché 33. »

16 L’acte de donner à un jongleur et non à un vrai pauvre, compromet moralement, d’une part, le donateur, dans le sens où ce don rend inefficace le geste charitable ; d’autre part, il prive un vrai pauvre de cette aumône. Un poème moral anonyme du xiiie siècle exprime bien le détournement de l’argent par le jongleur :

  • 34  Cité dans W. Hartung, Die Spielleute. Eine Randgruppe…, op. cit., p. 43-44, n. 48.

17Mais qui doit homme aider et qui doit homme donner ?
Celui qui sait à table et aux échecs jouer,
Que maintenant en puist à la taverne aller,
Qui bien sait les uns et les autres amuser (faire rire, gaber) ?
Qui la manie font et sallir (sauter) et dancer
Doit homme à tel gens le bien Dieu allouer ?
Or sallent ou vièlent ou braient et or crient…
Qui a telle gens donnent n’ont ni sens ni savoir,
Car en grand mal les font et en péché choir ;
Et a Dieu répondront, bien le sachez par voir,
De ce qu’en vanité ont donné son avoir 34.

  • 35  Gilles de Corbeil, Hierapigra, V (cité dans C. Page, The Owl and the Nightingale…, op. cit.) : « Qu (...)
  • 36  Saint Augustin, De fide et operibus (éd. PL 40, col. 219).

18 Cette confusion entre le pauvre, utile au salut de l’âme du bienfaiteur, et le jongleur, sans mérite et dangereux pour le salut de l’âme, impose aux moralistes du xiiie siècle d’établir des distinctions morales entre ces différentes figures. Car, le jongleur est un parasite dangereux qui n’a aucune chance de rachat, comme le dit sans équivoque Gilles de Corbeil au début du xiiie siècle : « Qui est comme les jongleurs, les bouffons, les mimes, les charlatans… ? Et pèche très gravement… ? L’histrion est un monstre sans aucun mérite de rachat 35. » Reprenant saint Augustin, les autorités ecclésiastiques interdisent au jongleur l’accès aux lieux saints et l’excluent de la communion et des sacrements : « (…) quand les prostituées et les histrions et n’importe quels autres qui font profession de leur débauche en public, s’ils ne sont pas libres ou séparés de tout lien, ils ne peuvent pas accéder aux sacrements chrétiens 36 ». Ces interdits touchent particulièrement au sacré, donc aux clercs. C’est pourquoi la fréquentation du jongleur est à proscrire, surtout pour les clercs qui doivent bannir de leur comportement le désordre du corps, de l’esprit et de la parole. Ainsi, si les moralistes du xiiie siècle utilisent le jongleur dans leurs écrits, c’est parce qu’à travers lui, ils rendent concrètes les règles de la discipline cléricale touchant au corps, la parole et la charité. Toutefois, la figure du jongleur chez les moralistes n’est pas univoque. Elle sert également à définir l’exemplarité chrétienne et religieuse au xiiie siècle.

Une figure exemplaire de conversion et de comportement

19 Autres sources, autres jongleurs. Le rapport indiscutable entre le jongleur décrit dans un texte et son auteur explique la variabilité de la figure sur une même période. C’est ainsi que le développement de la littérature mariale et hagiographique, édifiante et courtoise au tournant du xiie et du xiiie siècle donne jour à un type de jongleur jusque-là inédit : le jongleur exemplaire et saint.

Le saint jongleur et le jongleur de Dieu

Le jongleur des miracles : pauvreté, conversion et charité

  • 37  Gautier de Coinci, Les Miracles de la Sainte-Vierge, Paris, 1972, p. 316-322 : « Sa vièle a sachiée (...)
  • 38  Gautier de Coinci, ibid., v. 77-84 : « Nostre Dame sainte Marie… / Sur la vièle fait descendre / To (...)
  • 39  Gautier de Coinci, ibid., v. 183-187.
  • 40  P. Kunstmann, « Del tumbeor Nostre-Dame », in Vierge et merveille, Paris, 1981, p. 142-177.

20 À côté des sermons et des sommes théologiques, le jongleur est présenté sous un autre aspect dans les récits de miracles. Bien que rares à mettre en scène le jongleur, ils le traitent par les thèmes spécifiques, non pas au personnage, mais à la littérature mariale et miraculeuse : la louange à la Vierge (ou au Christ), magnifiée par la musique terrestre et céleste, le miracle proprement dit, et la conversion des mœurs. Le plus répandu de ces récits est celui composé par le prieur de l’abbaye de Soissons, Gautier de Coinci (1200-1240). Dans ses Miracles de Notre-Dame, Pierre Siglar, jongleur, part en pèlerinage à Rocamadour. Or, voulant obtenir le pardon de ses péchés, il s’inquiète de l’efficacité de sa requête, car il ne sait prier la Vierge qu’en jouant de son instrument de musique, la vièle à archet 37. Toutefois, la Marie entend sa demande et se manifeste à lui en faisant descendre sur sa vièle 38. Sa prière est exaucée, puisqu’après sa mort, « quant Dieu plout quant sa fin vint, à la gloire du ciel parvint », son âme entre en paradis « par la prière Nostre-Dame, dont il chantoit si volentiers » 39, grâce à sa musique. Les moines de Rocamadour durent reconnaître son élection par la Vierge. La vièle est dans ce miracle très clairement identifiée à la prière du jongleur, elle est le lien visible entre la terre et le ciel, sa figuration symbolise visuellement et acoustiquement le chant de louange à la Vierge. Écrit vers 1268, le texte du miracle du Tombeur de Notre-Dame insiste, quant à lui, davantage sur la conversion des mœurs 40. Le jongleur fait le récit de sa vie débauchée à laquelle il renonce pour entrer à l’abbaye de Clairvaux. Opposant sa vie mouvementée et ses paroles désordonnées au silence du monastère, il déplore lui aussi de ne savoir prier autrement qu’avec sa vièle et en dansant devant l’autel de la Vierge. Elle l’exauce, lui pardonne ses péchés, son âme est sauvée, les anges l’emmènent au ciel en chantant.

  • 41  Lambert de Guînes, né vers 1050, chantre de la collégiale Saint-Pierre de Lille (v. 1075), évêque d (...)
  • 42  « Ensemble vous veillerez dans le chœur pendant la nuit qui précédera le jour de dimanche et quand (...)
  • 43  La confrérie des jongleurs et ménétriers, placée sous le patronage de Saint-Julien-du-Pauvre, fut f (...)

21 Le Miracle de la Sainte Chandelle d’Arras, dont la version officielle a été fixée par un récit latin lors d’une transcription solennelle en mai 1241, est organisé aussi autour de la conversion morale. La légende raconte qu’à l’époque de Lambert, évêque d’Arras 41, au xiie siècle, les habitants de la ville furent atteints de la maladie des ardents, forme d’ergotisme caractérisé par d’intenses brûlures qui dévorent toutes les parties du corps. En dépit des nombreuses prières qu’ils firent en signe de pénitence, le mal persista. Deux jongleurs entrent alors en scène : Norman et Itier se détestent cordialement. La Vierge leur apparaît en songe et leur ordonne de se rendre à Arras et de veiller en prière dans le chœur de la cathédrale de l’évêque Lambert 42. La réconciliation des deux jongleurs est la condition de la véracité de leur récit auprès de Lambert et de l’efficacité du miracle. La nuit, la Vierge leur apparut et fit descendre un cierge allumé vers eux ; peu après, quarante-quatre malades furent guéris miraculeusement grâce aux gouttes de cire du cierge miraculeux mêlées à de l’eau qu’ils burent. Mis en vers et chanté dès l’extrême fin du xiie siècle, le récit connut une large diffusion. Il consacre l’acte de naissance de la Charité, appelée « la Confrérie des Jongleurs et Bourgeois d’Arras », dont les statuts ont été rédigés en 1194. Il est un rare exemple de récit plaçant les jongleurs à l’origine de la fondation et de l’organisation d’une confrérie 43. Cependant, les jongleurs ont du de plus en plus partager la direction de la Charité avec les bourgeois d’Arras, au point de ne plus exercer qu’un rôle symbolique – figurer sur le sceau, porter le cierge – et de n’être représentés que par quelques jongleurs.

  • 44  J.-C. Schmitt, « Cendrillon crucifiée, à propos du Volto Santo de Lucques », in Le corps des images (...)
  • 45  « Trait sa vïelle et prent a viëler, / Devant le vous commença à chanter. / Le saint Esprit commenc (...)
  • 46  Le miracle est figuré dans le manuscrit de la Légende du Saint Voult de Lucques, conservé à Rome, B (...)

22 Enfin, datant également du xiiie siècle, le Miracle du Saint Vou de Luques relate l’histoire d’un jongleur à qui le Volto Santo a donné son soulier chargé d’or et de pierres précieuses 44. Sur le même modèle que les autres récits miraculeux, le poème – le premier en version latine, le second en version française – raconte que, voulant prier le Christ en croix dans la cathédrale de Lucques, un pauvre jongleur nommé Jenois joua de la vièle devant l’image du Christ, faute de pouvoir lui faire une offrande plus importante 45. En signe de reconnaissance, le Christ décrocha miraculeusement son pied droit du clou et lui lança son soulier plein d’or 46. Dans le poème latin, le jongleur offrit le soulier au pied du crucifix et le miracle fut célébré par la cité. En revanche, dans le poème français, le jongleur voulut conserver le soulier, mais l’évêque furieux, à qui le Christ rappela que le jongleur ne devait pas se défaire de son don, acheta le soulier. Le crucifix remit son pied au clou, le jongleur offrit un banquet aux pauvres de Lucques et leur fit des aumônes. En quittant la ville, il fut martyrisé, puis devint un saint vénéré à Rome.

23 Les récits de ces miracles confortent l’idée que le jongleur n’est pas traité pour lui-même, mais pour les exemples édifiants qu’il incarne : la pauvreté, la conversion, la charité. C’est pourquoi chez les Mendiants, notamment chez les franciscains, il a été érigé en véritable modèle pour les frères.

Le jongleur de Dieu : saint François et la prédication efficace

  • 47  G. Bonifacio, Giullari e uomini di corte, Napoli, 1907 : « Nos sumus ioculatores Domini ; (…) Quid (...)
  • 48  « Non solo in francese ma il canto accompagnava con gesti e suoni a guisa di guillare », cité dans (...)

24 Le fondateur de l’ordre franciscain assimile ses frères et lui-même aux jongleurs : « Nous sommes les jongleurs de Dieu ; (…) c’est pourquoi ils [les jongleurs] sont les serviteurs de Dieu, si ce n’est que certains de ces jongleurs tendent les hommes comme une corde et les poussent à la joie spirituelle 47. » Saint François établit un parallèle entre les activités vocales et musicales du jongleur et celles des franciscains. Les raisons de ce rapprochement sont fondées sur le corps et les gestes des jongleurs, dont l’usage est pourtant condamné chez les moralistes. Or, en se définissant comme un « jongleur de Dieu », saint François voit dans ces mouvements corporels les gestes utiles à la prière et à la prédication : « Il ne chante pas seulement en français, mais accompagné avec les gestes et les sons à la manière des jongleurs 48. » Chez les franciscains, le jongleur n’est donc pas à proprement parler instrumentalisé, car, sur le fond, il ne fait pas l’objet d’une condamnation morale ou au contraire d’un éloge. En revanche, sur la forme, il sert de support corporel à une pédagogie gestuelle destinée au frère franciscain : imiter le jongleur dans son activité, c’est prêcher d’exemples avec efficacité. Cette identification du mendiant au jongleur fait alors véritablement de ce dernier une figure de l’édification morale en priorité à destination du clergé.

Le jongleur : un instrument au service de l’Église

  • 49  J. Le Goff, « Métier et profession d’après les manuels de confesseurs au Moyen Âge », in Pour un au (...)
  • 50  « Quidam enim transformant et transfigurant corpora sua per turpes saltus vel turpes gestus, (…) et (...)
  • 51  Le Tombeur de Notre-Dame raconte qu’avant son entrée à Clairvaux, il ne savait nul métier et qu’il (...)

25 Les théologiens, tels que Robert de Courson, Thomas Chobham, Thomas Docking le franciscain, ont certes condamné avec virulence le jongleur, mais ils lui ont aussi donné une forme de légitimité, avec certaines réserves. Leur discours utilise le jongleur pour interpréter et transmettre les conditions qui mettent en balance la moralité des activités du jongleur et le salut de son âme. La mise en rapport du métier avec son « potentiel » salvateur, ou non, leur permet de proposer des solutions morales et sociales adaptées à chaque catégorie sociale, y compris à celle du jongleur. Ces textes s’inscrivent dans la veine des manuels de confesseurs ad status à l’usage des clercs et visent en fait la société dans son ensemble 49. Concernant le jongleur, les moralistes ont défini deux états moralement tolérés. Le discours le plus radical émane de Thomas Chobham qui, dans sa Summa confessorum, ne propose qu’une seule alternative : être ou ne pas être jongleur. Il juge que les jongleurs « qui transforment leur corps par des sauts et des gestes impudiques sont tous voués à la damnation, à moins qu’ils n’abandonnent leur activité » 50. L’autre alternative est plus nuancée, dans le sens où elle n’implique pas un renoncement aux activités de jonglerie, à la condition que le jongleur ne sache rien faire d’autre 51. Dans son Pénitentiel (1216), Thomas Chobham rapporte l’anecdote du pape Alexandre et du jongleur qui vint un jour le questionner sur la moralité et la légitimité de sa profession :

  • 52  L. Gautier, Les épopées françaises…, op. cit., t. 2, p. 25.

26« Est-ce que je pourrai vraiment me sauver dans ce métier-là ?
– Avez-vous d’autres moyens d’existence, lui demanda le pape.
– Non Saint-Père.
– Eh bien je vous permets de continuer ; mais à la condition, entendez-le bien, de ne jamais rien chanter qui fasse du mal aux âmes 52. »

  • 53  Paris, BnF, lat. 3218, fol. 32v° et lat. 3529a, fol. 40 (cité dans C. Page, The Owl and the Nightin (...)

27 Cette tolérance est toute conditionnelle, car elle établit un rapport entre l’activité, les moyens de vivre – voire de survivre – et le risque moral encouru par les âmes. Le danger ne provient pas de la chanson en tant qu’activité, mais du contenu des paroles. Indirectement ou implicitement, le verbe, avec sa force salvatrice ou pécheresse, est presque toujours le motif principal d’instrumentalisation du jongleur, surtout chez les prédicateurs. En effet, le jongleur est toléré à condition qu’il chante la vie des saints. Thomas Chobham, qui condamne pourtant à plusieurs reprises les jongleurs, rend hommage à ceux qui chantent des chansons de geste et des vies de saints : « Il y a 3 sortes d’histrions qui ont des instruments de musique pour réjouir les hommes et il y en a de 2 sortes. Ceux qui fréquentent les lieux publics de boisson et les réunions de débauche pour chanter des chansons licencieuses, pour pousser les hommes à la lascivité, ils sont condamnables comme les autres. Mais il y a les autres qui sont appelés jongleurs qui chantent les faits des princes et les vies des saints 53. » Faire un bon usage de la parole par son activité – ou son « métier » – en la mettant au service de l’Église, et plus particulièrement des fidèles par l’édification morale, telles sont la fonction et la raison d’être du jongleur.

28 Le jongleur sert donc de vecteur au discours de l’Église sur la conversion des mœurs. Contrairement aux moralistes des sommes théologiques, des sermons et des pénitentiels, les auteurs des récits de miracles visent plutôt l’exemplarité morale à destination des clercs et des frères. Pourtant, la confrontation des différentes sources ne permet ni de définir le jongleur, ni de mesurer l’écart qui sépare la figure d’une quelconque « réalité » sociale. Cette impossibilité provient essentiellement de l’usage rhétorique et normatif du terme jongleur dans les textes.

La figure de la distinction : le jongleur ideal, le clerc

29 Toute l’historiographie du jongleur a consisté à le définir en fonction des descriptions littérales, et souvent littéraires, données par les textes. Il en est ressorti l’image du baladin aux activités polyvalentes et divertissantes passant de château en château, décrite par Edmond Faral et reprise par les historiens de la musique, les musicologues, les littéraires et les historiens. Or, seule la critique de ces sources permet de comprendre, non pas si cette image est juste ou fausse, mais quelles en sont les raisons et les fins dans un texte donné. La critique textuelle permet de formuler des hypothèses plausibles et fondées sur la question de la définition du « jongleur » dans toutes ses dimensions – étymologiques, historiques, sociales et anthropologiques. Cette méthode « explicatoire » du terme, de la figure et du personnage, s’applique avant tout à accorder plus d’importance aux auteurs et à la nature des sources mentionnant le « jongleur », qu’aux descriptions qu’ils en font.

Le jongleur figure de la tradition patristique et exemplaire

  • 54  J. D. A. Ogilvy, « Mimi, scurrae, histriones : entertainers of the early Middle Ages », Speculum, 3 (...)
  • 55  Quelques exemples : Tertullien dans son De Spectaculis parle de l’histrion qui fait des farces ; Cy (...)
  • 56  Cf. I. Marchesin, « Les jongleurs dans les psautiers du haut Moyen Âge : nouvelles hypothèses sur l (...)

30 En reprenant les sermons des prédicateurs et les sommes des théologiens, le terme utilisé pour désigner ce que l’on appelle communément « jongleur » correspond jusqu’au milieu du xiiie siècle à histrio. Le mot histrion appartient à la tradition patristique 54, qui l’associe souvent à mimus – mime, c’est-à-dire imitateur – et scurra (bouffon) 55. L’histrio et ses nombreux dérivés proviendraient de la racine jocus ; puis à partir des conciles des ve et vie siècles, il signifie « plaisanter, dire des farces par la parole ». Dès l’antiquité classique, notamment chez Quintillien, il signifie le « contraire du sérieux » et est associé à ce qui est ridicule, grotesque, obscène 56. Si les auteurs des exempla nomment le jongleur, rarement ioculator, et plus volontiers histrio, c’est parce qu’ils empruntent principalement le vocabulaire de saint Augustin et de saint Jérôme. Chez les Pères, les « histrions » occupent des offices scéniques, racontent les histoires en faisant des gestes et sont comparés aux prostituées car ils portent des masques féminins, reproduisent les gestes des femmes impudiques, et contorsionnent leur corps dans le but de séduire. Aussi, la formule des moralistes médiévaux « donner aux jongleurs, c’est sacrifier aux démons » est-elle littéralement celle de saint Jérôme. De même que, aux xiie et xiiie siècles, dans les exempla, le mot ioculator n’apparaît que très rarement, l’histrio étant davantage dépeint dans des situations difficiles – il a froid, il est nu dans la neige, etc. Il est également très présent dans la littérature en langue vernaculaire de l’époque, notamment dans les chansons de gestes, la littérature épique, lyrique et poétique. Toutefois, par la suite, il disparaît presque du roman qui fait son apparition au milieu xiie siècle.

31 Aussi, jusque dans la première moitié du xiiie siècle, quand il est question du « jongleur », il semble que ce serait plutôt l’histrion antique et patristique qui est cité. Le mot ne correspondant a priori à aucune réalité, à aucun personnage en chair et en os, on peut se demander d’une part si les auteurs médiévaux connaissent le personnage dont ils parlent, si celui-ci renvoie à une « réalité » sociale du xiiie siècle ; d’autre part, on peut aussi se demander ce que les termes ioculator, et plus généralement histrio, désignent, quel « jongleur » nomment-ils. Car, passée la deuxième moitié du xiiie siècle, puis au cours des xive et xve siècles, le mot jongleur et ses dérivés en langue romane et ioculator en latin viennent de plus en plus concurrencer histrio dans les écrits théologiques et scolastiques et, dans une moindre mesure, dans les actes de la pratique. Quelle transformation sociale et morale est ancrée dans ce changement de vocabulaire ? Recouvre-t-elle une nouvelle réalité sociale touchant au « jongleur » ou, plus certainement, au vecteur culturel qu’il est des valeurs spécifiques au travail, au temps, à l’organisation sociale, aux pouvoirs durant cette période ? Ces valeurs relèvent d’un nouveau contexte culturel et social propre au xiiie siècle, marqué par les conciles de Latran (1215) et de Lyon (1245), par l’organisation institutionnelle, politique et économique du royaume de France – les ordonnances de Louis IX, le livre des métiers d’Étienne Boileau, les lois contre le vagabondage et la prostitution –, par la pensée aristotélicienne et scolastique. En effet, le terme histrio ne correspondrait plus, ne traduirait plus cette nouvelle réalité sociale, et son abandon progressif serait dû à la fois à l’émergence de nouveaux intellectuels – issus de l’université, liés aux cours seigneuriales et aux élites urbaines – et, de fait, à de nouvelles sources. Cette nouvelle conjoncture voit s’amorcer des formes inédites du « jongleur », en particulier dans les écrits scolastiques de Thomas d’Aquin.

Le jongleur du plaisir vertueux : le ioculator chez Thomas d’Aquin

  • 57  J. Le Goff, « Métiers licites et métiers illicites dans l’Occident médiéval », in Pour un autre Moy (...)

32 Les textes du xiiie siècle, et plus précisément à partir de la seconde moitié, mettent l’accent sur le ioculator en tant que personne morale et sociale. Il devient un objet de discours sur la distinction sociale, essentiellement chez Thomas d’Aquin. Le jongleur en tant que détenteur d’un savoir-faire « professionnel » entre dans une catégorie sociale légitime, à part entière, au même titre que d’autres « métiers » pourtant considérés comme « illicites » – prostituées, bouchers, teinturiers, etc. 57. Dans sa Somme théologique, Thomas d’Aquin légitime les activités du jongleur sur la base du plaisir, du jeu et du divertissement – au sens actuel du terme –, car selon lui, le jeu est nécessaire et utile au bien commun de la société :

  • 58  Thomas d’Aquin, Summa theologia, op. cit., p. 353, Quaestio 168, art. III, arg. 3 : « Ad tertium di (...)

33Le jeu est nécessaire à la conservation de la vie humaine. Parmi tous, il y en a qui sont utiles à la conservation humaine, ils peuvent être jugés comme des activités licites. Et pour cette raison aussi la fonction d’histrion qui est instituée pour le réconfort des hommes, secondement, ce n’est pas illicite ; ils ne sont pas en situation de faute, pourvu qu’ils usent du jeu avec modération, c’est-à-dire non pas en utilisant des paroles ou des actes illicites pour le jeu, et en n’appliquant pas le jeu au commerce et à des situations indues (…). De là, même ceux qui leur viennent en aide modérément ne pèchent pas, mais ils font juste la récompense du service qui leur est assigné 58.

  • 59  Aristote, Éthique à Nicomaque, livre X, ch. 6 et 7, Paris, 1965, p. 273-274 et 276 : « [à propos de (...)

34 Le jeu est donc un service moral procuré par le jongleur. Thomas d’Aquin tolère les activités du « jongleur-histrion », à condition qu’elles soient modérées et qu’elles apportent du réconfort aux hommes. Il commente là l’Éthique à Nicomaque d’Aristote59 et, comme le philosophe grec, il considère que si le plaisir du jeu est équilibré, modeste, ne verse pas dans l’excès, il peut être érigé en vertu qu’Aristote, repris par les scolastiques, nomme eutrapelia (eutrapélie) :

  • 60  Cité dans C. Page, The Owl and the Nightingale…, op. cit., p. 38.

35Les vertus agissent dans le domaine des sentiments et des actions, dans lequel l’excès et la faiblesse sont à la fois blâmables, bien que le sens soit loué et utilisé comme un guide. Ceux-là sont les deux signes de la vertu. La vertu est par conséquent une condition intermédiaire… Concernant le plaisir dans le divertissement, l’homme qui touche au but est eutrapelos et la disposition eutrapelia. Eutrapelia vise à dire et écouter certaines choses qui sont consonantes avec un plaisir modeste et libre, libéral, honorable 60.

  • 61  Par exemple, pour ne citer que lui, Jean de Fribourg, dans les années 1297-1298, emploie dans sa Su (...)
  • 62  La confrérie des jongleurs, appelée à la fin du xive siècle, confrérie des ménétriers, a été fondée (...)

36 Le plaisir vertueux et modéré est à la fois la cause et la conséquence de l’homme libre, au sens antique du terme, libre par son savoir, libre de toute servitude du vice. Par la théorie aristotélicienne du juste équilibre et de la vertu, les scolastiques ont logiquement intégré la figure du jongleur et l’activité du jeu à leur discours sur le bien commun et ont justifié son utilité à l’harmonie sociale 61. De là, la question est de savoir si ce type de source témoigne de l’émergence d’une nouvelle catégorie sociale, associée ou distincte de la figure de discours scolastique. Existe-t-il un groupe social des « jongleurs » bien identifiable dans les actes de la pratique, les comptabilités, la littérature narrative et poétique à partir du xiiie siècle ? La partie consacrée au jongleur dans la littérature miraculeuse et hagiographique l’atteste en partie, puisqu’elle accompagne la fondation des confréries de jongleurs qui, à partir du début du xive siècle, va se doubler d’une association de métier de jongleurs et de ménétriers avec ses règlements, ses cotisations, ses rôles d’impôts, etc. 62. L’inventaire des documents d’archives et des textes littéraires des xiiie, xive et xve siècles étant bien avancé, mais non achevé, rend compte d’une plus large palette de dénominations du jongleur – ménestrel, notamment – et d’une plus grande spécialisation de ses activités – joueur d’instrument, dresseur d’animal, conteur, etc. Dans les sources de la fin du Moyen Âge, la question de la définition du « jongleur » peut toujours être posée avec autant de pertinence que dans celles du haut Moyen Âge et du Moyen Âge central. Pour continuer sur le xiiie siècle, la raison d’être du jongleur dans les sources théologiques et didactiques est essentiellement à trouver dans les préoccupations morales de leurs auteurs.

Le jongleur de la distinction morale : le clerc jongleur

  • 63  Le clerc au Moyen Âge, Aix-en-Provence, 1995 (Sénéfiance, 37).
  • 64  A. Boureau, « Hypothèses sur l’émergence lexicale et théorique de la catégorie de séculier au xiie  (...)

37 Les nombreuses récurrences des termes histrio, ioculator, mimus, scurra depuis les textes patristiques jusqu’aux sermons et aux sommes scolastiques du xiiie siècle amènent à essayer de comprendre les motifs d’un emploi aussi développé chez leurs auteurs : les clercs 63. Dès lors, leurs motivations dans l’élaboration de la figure morale du jongleur sont à définir et, par conséquent le rôle, non pas du jongleur en tant qu’intermédiaire culturel, mais des clercs dans cette fonction 64. Le couple jongleur/clerc se trouve de fait établi, interrogeant alors le rôle du « jongleur » dans le discours clérical sur la distinction morale entre clerc et jongleur. Car la raison principale de l’utilisation fréquente des termes afférents au « jongleur » réside de façon équivalente dans l’usage tout aussi répandu des nominations du personnel ecclésiastique – clergé séculier et régulier. En l’état actuel de mes recherches, le terme de clerc est pris dans le sens général de personne lettrée, cultivée, passée par un apprentissage ecclésiastique, du plus rudimentaire au plus élaboré. Le face-à-face entre le clerc et le jongleur est certes d’ordre social et moral, mais il convient de déterminer en quoi il est problématique aux yeux des auteurs des sources citant le jongleur.

La culture cléricale : savoir antique et lecture patristique

38 Tout d’abord, l’emploi des termes latins histrio et ioculator, puis histrion et jongleur en langue romane, s’explique par la culture spécifique que reçoivent les clercs au cours de leur éducation à l’école – monastique et cathédrale – et à l’université. Sans entrer dans les détails du contenu de l’enseignement scolaire et universitaire, le jeune clerc étudie au studium l’antiquité gréco-romaine, ses lettres, sa poésie et sa philosophie par lesquelles il s’initie à la pureté, à l’harmonie et à la clarté de la parole, de l’éloquence oratoire ; il reçoit également l’enseignement d’une autre parole, celle du Verbe, à travers la lecture de la Bible latine, les gloses, l’exégèse patristique, la théologie. Le fait que, quelle que soit la discipline, la culture antique soit omniprésente et imprègne profondément le vocabulaire et la pensée médiévale, est un premier élément d’explication de l’usage fort répandu des mots histrio et ioculator et de leurs dérivés.

Le discours clérical

  • 65  Paris, BnF, Lat. 16419 (cité dans E. Faral, Les jongleurs…, op. cit., p. 290, n. 102) : « De Poenit (...)
  • 66  Mansi, t. XXII, p. 1003 f : « (…) clerici… mimis, ioculatores et histrionibus non intendant ». (...)
  • 67  CSE 740, fol. 123v°. Je remercie vivement Jacques Berlioz qui m’a communiqué toutes ces sources. (...)

39 Ensuite, les thèmes développés par le biais de ces vocables traitent de la discipline du corps, de la maîtrise de la parole – et, dans les textes monastiques non abordés dans cet article, de la stabilité imposée par la Règle de saint Benoît. Chacun de ces thèmes concerne directement le clerc, quel que soit l’ordre religieux et clérical auquel il appartient. En effet, ce que l’historiographie n’a interprété qu’au premier degré, à savoir le divertissement jovial que suscite le jongleur, s’adresserait en fait au clerc. La lecture attentive des textes atteste bien que ces derniers sont écrits par et pour des clercs et sonnent, dès lors, comme des rappels à l’ordre sévères quant à la fréquentation des femmes, la vie festive et errante que mènent un certain nombre de clercs. Citons simplement l’un des décrets de Gratien qui, au xiie siècle, indique que « chaque prêtre, quand il se réunit avec d’autres prêtres, ne doit pas faire des battements de mains et des rires désordonnés et rapporter des histoires vides ou se proposer pour chanter ou se montrer dans une joie honteuse ou en ours ou en tourneur ». Un pénitentiel anonyme du xiiie siècle énonce clairement ces mises en garde : « (…) si le jongleur ou l’histrion a une femme et la prend vagabonde et va avec lui aux dés et aux tavernes (…) et craint de tomber dans la turpitude en vagabondant (…) » 65. La nature même de ce type de source – pénitentiel – fait sens avec son usage : la discipline, la punition et la pénitence des clercs en cas de manquement moral grave. Et, pour ne pas répéter tous les textes moraux et normatifs, le concile de Latran IV en 1215 rappelle « (…) que les clercs ne doivent pas se tourner vers les mimes, les jongleurs et les histrions 66 ». Les exempla qui nomment l’histrio sont en fait assez rares et le mettent en scène, non pas dans le but de dénoncer la vie débauchée du soi-disant « jongleur », mais toujours dans une situation liée à l’état clérical, au respect des sacrements et à l’institution ecclésiastique. Dans la Compilacio singularis exemplorum, il est certes décrit jouant aux dés à la taverne, ou nu dans le froid ; mais il bénit la bise qui lui permet de respirer 67, ou il dérange la célébration de la messe et il est chassé de l’église par un prêtre, ou il empêche la prédication d’un frère (chez Giordano de Pise), ou il tue son cheval, l’écorche et, quand il a bien l’air mort, il le ressuscite.

Clerc et jongleur : parole contre parole

  • 68  Même si la source est antérieure au cadre chronologique de cette communication, citons la littératu (...)
  • 69  Cambridge, Gonville and Caius College, 331/722, fol. 24v° (cité dans C. Page, The Owl and the Night (...)
  • 70  Cf. N. Bériou, L’avènement des maîtres de la parole. La prédication à Paris au xiiie siècle, Paris, (...)

40 De même, la parole – sa maîtrise et son usage (bon et mauvais) – constituent un thème récurrent dans le discours des théologiens et des prédicateurs 68. Il suffit de citer Robert de Courson qui, dans sa Summa, montre les mauvais effets des paroles du jongleur – s’il ne les rectifie pas – sur la jeunesse : « Le même jugement est fait dans le respect envers un flatteur, un mime ou un histrion qui, s’il trompe les adolescents et les simples gens avec ses flatteries, il est obligé de restituer tout ce qu’il a dit 69. » L’une des fonctions et des missions du clerc concerne précisément la parole, notamment son usage destiné à l’édification morale, car il est le dépositaire d’une parole religieuse, voire sacrée, qu’il doit mettre au service de l’Église et des fidèles en récitant la vie des saints. Les auteurs qui développent beaucoup le thème de la parole dans leurs textes sont principalement les prédicateurs mendiants, ce qui se comprend aisément 70.

  • 71  C. Casagrande et S. Vecchio, « Clercs et jongleurs… », op. cit.
  • 72  P. Zumthor, La poésie et la voix dans la civilisation médiévale, Paris, 1984.

41 En effet, d’un côté les franciscains se font appeler « jongleurs de Dieu », d’un autre côté, les dominicains se comparent aux jongleurs à travers le numéro d’acteur auquel se livre le prédicateur pour édifier la foule. Dans leurs sermons, ces derniers apparaissent même comme des concurrents des mendiants : comme l’ont très bien montré Carla Casagrande et Silvana Vecchio, le jongleur et le prédicateur occupent le même espace public où ils usent des gestes, de la parole, des images et des émotions pour conquérir la foule et faire passer un message 71. Par conséquent, la mention du jongleur dans les sermons et les exempla est tout à fait justifiée par la confusion possible – et inadmissible pour l’Église – entre le jongleur et le prédicateur : le bon prédicateur ne cherche-t-il pas à l’imiter, ne risque-t-il pas de se transformer en jongleur ou inversement le « bon » jongleur, celui qui prie et qui chante la vie des saints n’est-il pas un « bon » prédicateur ? Pour les théologiens et les prédicateurs, décrire le jongleur, ses activités musicales et acrobatiques, ses déguisements, ses dons de conteur et sa vie errante de la taverne au château, vise fondamentalement à le distinguer de son plus proche concurrent, en émettant une somme d’interdits liés à son état clérical, à sa mission édificatrice, et donc en définissant ce que sont un prédicateur et un clerc. Le jongleur en lui-même ne constitue pas au prime abord l’enjeu du discours moralisateur, mais le mot et la figure sont des objets de discours et des vecteurs de ce que doit être et ne doit pas être un clerc : le jongleur est une figure « contre-exemplaire » de la discipline cléricale, le nommer permet de distinguer et d’ordonner en creux la figure du clerc. Car qu’il soit clerc ou jongleur, il est la voix de la transmission, il est l’intermédiaire vocal de la littérature édificatrice et hagiographique 72.

Les auteurs et les acteurs de la culture écrite et de la performance orale

42 Les textes dans lesquels est mentionné le jongleur ont à l’évidence les clercs pour auteurs et lecteurs – auditeurs : les conciles les pénitentiels, les sommes, les sermons, les manuels à l’usage des prédicateurs, mais aussi les épopées, les chansons de geste, la poésie lyrique, en langue latine et vernaculaire. Par les sources littéraires, la question de l’identité culturelle du jongleur – alliée à celle des raisons de sa mention – peut être posée. Elle consiste à montrer que les clercs sont aussi les auteurs de toute une littérature latine et romane qui, soit met en scène un ou plusieurs jongleurs, soit distingue l’auteur du jongleur, soit décline des thèmes a priori associables au « jongleur » – ceux retenus par l’historiographie. Ce n’est pas l’objet de cet article d’étudier le jongleur dans les sources littéraires, car le corpus de textes est en cours de constitution. Quelques exemples nécessitent néanmoins d’être présentés afin de conforter l’hypothèse du lien qui unit le clerc au jongleur et vice-versa, aussi bien dans la composition écrite que dans la « performance vocale », pour reprendre la formule de Paul Zumthor, des textes épiques, poétiques et lyriques.

La mise à distance du clerc auteur vis-à-vis du jongleur

  • 73  A. Aragon, « Statut et fonctions du narrateur dans la chanson de geste », Aix-en Provence, 1987, p. (...)

43 Le premier élément qui permet d’associer le jongleur au lettré qui a composé le texte, c’est-à-dire le clerc, réside dans la distinction dont celui-ci se réclame par rapport au jongleur : il ne veut pas que sa parole et son récit soient confondus avec ceux du jongleur 73. La supplique adressée en 1274 par Guiraut Riquier au roi Alphonse le Sage est un rare témoignage de cette volonté de distinction sociale et morale du « troubadour » vis-à-vis du « jongleur » :

  • 74  Cf. M. Aurell, La vielle et l’épée. Troubadours et politique en Provence au xiiie siècle, Paris, 19 (...)

44Je vous en prie, ne permettez pas que ceux qui possèdent l’art véritable de l’invention, qui ont le secret des vers, des canons, et autres belles poésies utiles, instructives, impérissables, soient appelés des jongleurs. Car vous savez que leur œuvre est autrement durable que les bagatelles des autres. Le plaisir que donnent les musiciens et les baladins ne dure que l’instant où on les voit et où on les entend. Mais les chants des bons trouveurs, qui savent construire de belles histoires, demeurent dans le souvenir et continuent de vivre longtemps après que leurs auteurs ont cessé de vivre. C’est grand dommage que de telles gens n’aient pas un titre à eux, par lequel on puisse, dans les cours, les distinguer des vils jongleurs 74.

  • 75  La Chanson de la Croisade albigeoise, Paris, p. 49 (coll. « Le Livre de Poche, Lettres gothiques ») (...)
  • 76  J. Salvat, « Chanson de la Croisade contre les Albigeois », in Dictionnaires des lettres françaises (...)

45 Nombre de chansons de geste débutent par cette invective de l’auteur. Prenons simplement l’exemple de la Chanson de la croisade albigeoise (Paris, BnF, ms. fr. 25425) datant de la fin du xiie siècle et du début du xiiie siècle75. Cette œuvre polémique raconte la croisade contre les Albigeois de mars 1208 à juin 1219, c’est-à-dire couvrant le siège de Toulouse par le futur Louis VIII 76. Le style du texte est caractérisé par des appels au public, des invitations à prêter attention au récit rapporter oralement. Il a été rédigé par deux poètes, le premier, qui a écrit jusqu’en février 1214, est favorable aux croisés, le second est favorable aux Méridionaux. Et c’est le premier poète, Guillaume de Tulède, clerc navarrais établi à Montauban qui, racontant les origines de la croisade à l’époque du comte Raymond VI (1194-1222), se présente d’abord comme un clerc qui sait écrire « sans rature », puis émet une critique virulente à l’égard des jongleurs « fêlés farcis de foutreries » et de leur parole « que gavent les mécènes » :

46Messeigneurs, écoutez : le souffle du poème
Se fait ici puissant. Sachez en vérité
que son premier verset fut écrit sans rature…
Maître Guillaume à Montauban le composa.
Il n’en récolta rien. Certes s’il eût été
De ces jongleurs [joglar] fêlés farcis de foutreries
Que gavent les mécènes, il serait aujourd’hui
Pour le moins habillé de soie d’Alexandrie
Et sans souci voyagerait par monts et plaines
Au pas bien assuré d’un palefroi breton.
Hélas, les temps sont durs, les riches se font pingres,
Malveillants et frileux…

47 Or, dans cet extrait, le poète en déplorant de ne pas bénéficier des largesses des mécènes, contrairement aux jongleurs, il reprend un motif littéraire répandu chez les poètes trouvères, également jongleurs – Rutebeuf, Adam de la Halle. Le jeu littéraire de la distinction et de la confusion entre les deux figures est très répandu dans la littérature épique et poétique, si bien qu’il est difficile de déterminer s’il est un motif, une mise à distance ou une confusion volontaire. Il ne faut toutefois pas minimiser la volonté très nette chez certains poètes de défendre la valeur de leur savoir et la vérité de leur parole – ce dernier thème fait l’objet d’une recherche plus approfondie de ma part.

La thématique littéraire du jongleur : un jeu savant et clérical ?

  • 77  R. Bossuat et S. Lefèvre, « Roman de Renart », in Dictionnaire des lettres françaises…, ibid., p. 1 (...)

48 Le deuxième élément poursuit cette hypothèse du jeu littéraire du clerc auteur autour de la thématique du jongleur. Il s’agit du Roman de Renard (1174-1250) composé de vingt branches (contes) et basé sur la critique de Jean Sans terre qui se saisit en 1193 du royaume de son frère Richard Cœur de Lion en répandant la fausse nouvelle de sa mort. C’est un roman tour à tour clérical et féodal, fable ésopique, fabliau, satire violente et obscène du clerc défroqué (branche VII). La plupart des auteurs sont anonymes, seuls deux auteurs sont connus : Pierre de Saint-Cloud, poète cultivé ayant fréquenté les gens de loi et qui eut l’idée de mettre à la disposition d’un large public des aventures jusque-là comprises uniquement par des clercs cultivés 77 ; Richard de Lison qui a étudié la scolastique, la dialectique et a exercé dans l’entourage des évêques et des abbés. Cette œuvre peut être considérée comme un divertissement de clercs cultivés ayant beaucoup lu et appris. Il suffit pour s’en convaincre de repérer les références des auteurs, notamment à la littérature cléricale en langue latine – les Romulus, la Disciplina clericalis de Pierre Alphonse (juif converti du xiie siècle), l’Ysengrimus du moine Nivard au milieu xiie siècle – et aux sources littéraires en langue romane – les épopées (Roland, Ogier et Charlemagne), les romans arthuriens, Tristan et Iseut, les romans antiques, les lais de Marie de France, le voyage de saint Brendan (Navigatio Sancti Brendani). Ne retenons que la « branche Ib » consacrée à Renard Jongleur (vers 2369-2394), qui est fondé sur les thèmes du savoir-faire du clerc, du « métier », basé sur la parole bien énoncée ou non, sur la pratique instrumentale et sur la connaissance des autorités littéraires. En cela, la définition du jongleur compétent, et donc en creux du clerc savant, est clairement énoncée sur le mode de la raillerie :

49Renard devenu entièrement jaune après un saut dans la cuve d’un teinturier se fait passer pour un jongleur étranger.

  • 78  Cf. P. Jonin, Anthologie thématique de la poésie française du Moyen Âge, Paris, 1991.

50« Savez-vous pratiquer quelque métier ?
– Ya, je foutre très bon jongleur. Mais je foutre hier être volé et battu et mon vielle foutre être pris à moi. Si moi, foutre avoir une vielle, moi foutre dire bon rotruenge [chansons], un beau lai ; un beau chant pour toi qui sembler être honnête homme.
– Comment te nommes-tu, demande Ysengrin.
– Moi, je foutre me nommer Galopin et vous comment seigneur honnête homme ?
– (…) Ysengrin : Pourquoi tu n’as point de vielle ?
– Je foutre servir bien volontiers tous les gens avec ma métier. Je foutre savoir servir bon lai breton de Merlin et de Noton, du roi Arthur et de Tristan, du chèvrefeuille, de saint Brendan
– Et connais-tu le lai de Dame Iseut ?
– Ya, je foutre les savoir presque tous 78. »

51 La rivalité entre le jongleur et le clerc est un motif récurrent dans la littérature épique et poétique. Elle laisse penser que la confusion volontaire ou non entre le jongleur et le clerc est chose courante : le clerc – aumônier, confesseur, précepteur – assume le rôle de jongleur au sein d’une cour seigneuriale par exemple car, par sa culture, il est le seul capable de raconter des histoires et de jouer de la musique ; ou le clerc raconte des histoires, mais refuse d’être confondu avec les amuseurs qui ne sont pas passés par un « cursus » scolaire ; ou le jongleur est aussi un clerc, soit par éducation cléricale, soit par relâchement de la discipline et abandon progressif ou intermittent de son état de clerc, soit dans l’attente d’obtenir une prébende. Ces derniers cas de figure sont soulevés par la littérature poétique des Carmina burana, qui, prises au premier degré, décrivent effectivement la vie débauchée des clercs et des jongleurs. Toutefois, une lecture plus approfondie montre l’excellence des connaissances des auteurs qui, de fait, ne peuvent qu’être des clercs de bon niveau culturel. Le présent article ne permet pas de développer la question des clercs et des jongleurs dans les Carmina burana, mais celle-ci constitue un axe de recherches en cours.

Le clerc vagant, la véritable figure du jongleur ?

  • 79  B. Bischoff, Carmina Burana. Einführung zur Faksimile. Ausgabe des Benediktbeurer Liederschrift, Mu (...)
  • 80  E. Wolf, Carmina Burana, Paris, 1995.

52 La littérature lyrique latine à laquelle appartiennent les Carmina burana présente au moins un double intérêt. D’une part, elle pose la question des clercs vagants, appelés aussi goliards, peut-être « débauchés » et en rupture de ban ou plutôt de vœux. D’autre part, elle fournit un bon exemple de cliché historiographique sur le jongleur. C’est pourquoi, elle apporte un éclairage d’importance sur la figure du clerc – et donc du jongleur – dans les écrits moraux et poétiques. Les Carmina burana ont été composées au xiie siècle et au cours du premier tiers du xiiie siècle (1220-1230), dans l’empire romain germanique de Frédéric Barberousse (1152-1190) 79. Ils proviennent sans doute d’une commande d’un mécène ecclésiastique fortuné d’une cour de langue allemande (Mayence ?). En tout cas, ce chansonnier n’est pas d’origine monastique : il reflète la culture et les aspirations des écoliers et des étudiants 80. Le manuscrit contient 228 poèmes latins, en vers mesurés et rythmiques, avec parfois des insertions de strophes en allemand, des séquences et des chansons à strophes. Les poèmes moraux condamnent le blâme, le goût du gain et la simonie ; les poèmes satiriques parodient la messe et instaurent un monde à l’envers ; la majorité des chansons d’amour sont érotiques ; les autres chansons exaltent la passion du vin et du jeu, vantent la paillardise, l’infamie et l’insolence ; les drames liturgiques, enfin, permettent de replacer le manuscrit dans le cadre de la cour, de l’école, de la cathédrale et de l’évêque doté d’une culture du chant et du mot. Les thématiques des différents poèmes relèvent donc d’une culture antique – le Pseudo-Virgile, Ausonius (ive siècle), les satires et les élégies d’Horace, les satires de Juvenal, le Disticha de Caton, Ovide –, d’une culture chrétienne et ecclésiastique et impliquent une grande maîtrise du mot et de la langue latine et, dans une moindre mesure, allemande.

53 La plupart des auteurs sont anonymes. Néanmoins, les strophes insérées en allemand ont, en partie, été composées par des Minnesänger connus : Walther von der Vogelweide († 1228), Dietmar von Eist (vers 1150), Reinmar dem Alten (vers 1210), Heinrich von Morungen († 1222), Neidhart von Reuenthal († 1237). D’autres auteurs ont également été identifiés : Baudri de Bourgueil, évêque de Dol († 1130), Marbod, évêque de Rennes († 1123), Gottfried, prieur de Winchester (originaire de Cambrai, † 1107), Hildebert, évêque du Mans, puis archevêque de Tours. Les plus réputés d’entre eux doivent être nommés. Le scolastique Hugues d’Orléans († 1160), enseigne la poétique et la rhétorique, et est appelé par ses collègues « Primas ». Un collègue contemporain de Primas, nommé l’Archipoète, a vécu en vagabond, sans place fixe, tributaire des faveurs des mécènes ; derrière ce personnage se cache vraisemblablement Rainald de Dassel, archevêque de Cologne et chancelier de Frédéric Barberousse. Il est le premier poète de l’archichancellerie à avoir suivi l’empereur en Italie, avant que ses traces ne soient perdues. Les pièces les plus célèbres des Carmina burana sont de lui. Gautier de Châtillon – né en 1135 à Lille –, a étudié à Paris, puis à Reims sous Étienne de Beauvais. Il enseigne ensuite à Laon, séjourne à Bologne et à Rome et devient chanoine de Reims. Vers 1165, il est attaché à la chancellerie d’Henri II Plantagenêt, où il se lie avec Jean de Salisbury. Pierre de Blois – né vers 1130-1135, mort en 1211 ou 1212 – étudie à Tours, et Orléans (poésie et dictamen), à Bologne (droit) et à Paris (théologie), après quoi il est appelé à la cour d’Henri II en Angleterre, puis il devient chancelier de l’archevêque de Canterbury Richard († 1184). Il est nommé archidiacre de Bath en 1183. Cet excellent poète et dictator a laissé une copieuse œuvre littéraire et théologique, ainsi que des lettres publiques et d’intérêt personnel, grâce à ses services pendant trente ans dans les cours, auprès des prélats, des princes et des rois. Pour finir, citons l’un des hommes les plus doués et les plus influents de sa génération, Philippe le Chancelier (avant 1185-1236), grand théologien enseignant à l’université de Paris, homme politique puissant, chancelier de Notre-Dame de Paris à partir de 1217. Auteur d’une somme magistrale – la Summa de bono – et de pièces satiriques, morales, mystiques et musicales, il est considéré comme l’un des derniers grands théologiens poètes du milieu scolaire parisien ayant une grande maîtrise des genres de la satire, morale et mystique.

54 Citer les auteurs connus des Carmina burana vise essentiellement à montrer le caractère savant et fondamentalement clérical de cette littérature. D’une part, les « jongleurs » qui y sont décrits débauchés et se livrant aux jeux de l’amour et du vin appartiennent au corpus poétique et moral antique ; d’autre part, ils concernent en premier lieu les clercs qui, soit s’y livrent, soit s’amusent de cette littérature. En effet, une littérature de la verve des Carmina burana est le produit du milieu des clercs latinistes, des étudiants des écoles et des universités parisiennes et anglaises, ainsi que des cours des princes ecclésiastiques allemands. Ces chansons ont probablement circulé dans les cloîtres et les cathédrales, notamment lors de la « fête des fous ». Il suffit de lire le manuscrit de l’Office de la Circoncision rédigé par l’archevêque de Sens, Pierre de Corbeil, dans les années 1220 pour s’en convaincre : jeux de rimes et de mots insolents autour de la virginité de la Vierge, conduits et offices parodiques de l’office – notamment « la messe de l’âne » – destinés aux diacres et sous-diacres de la cathédrale pour qu’ils célèbrent dans la joie et la grivoiserie la fête des Innocents entre le 26 décembre et le 6 janvier. Le format de l’article ne permet pas de développer plus amplement ce vaste sujet sur lequel il y a beaucoup d’hypothèses à formuler et à débattre. Retenons que, quelle soit latine ou romane, cette poésie morale et satirique est avant tout une poésie de clercs qui mettent en scène le jongleur, soit sous leurs traits, soit de façon cachée, par des références à une culture savante, avec des modèles rhétoriques, poétiques, moraux antiques en employant tour à tour la vantardise, la calomnie, le lyrisme. De ce point de vue, le « jongleur » décrit par les clercs est bien l’histrio, le ioculator, le scurra défini par les auteurs de l’antiquité.

  • 81  Cf. L. Gautier, Les épopées françaises…, op. cit., t. 2, p. 13.

55 Le jongleur, dont il a été question dans les sources morales du xiiie siècle, est et n’est pas le jongleur tel qu’on se le représente. Il est une figure de la transmission morale et exemplaire, et plus encore une figure de la distinction morale du clerc par rapport au jongleur. Toutefois, l’instrumentalisation du jongleur par les penseurs et les moralistes du xiiie siècle s’est en quelque sorte concrétisée à partir du xive siècle dans l’organisation sociale dont les mutations se lisent dans les mots. En effet, fut fondée en 1321 la Confrérie des Jongleurs à Paris, placée sous le patronage de Saint-Julien-du-Pauvre et associée au « métier », dont la plupart des membres habitent « rue des Jongleurs » – aujourd’hui rue Rambuteau –, où ils payent leurs impôts. La réglementation du métier est conforme à celle des autres métiers contemporains et vise à garantir la formation et la stabilité de ses membres, l’honorabilité du métier et le monopole des « marchés » conclus entre les jongleurs et leur clientèle – pour animer les mariages, etc. Or, vers la fin du xive siècle, la Confrérie des Jongleurs s’est transformée en Confrérie des Ménétriers, tout comme la rue est devenue la « rue des Ménétriers » 81. Dans le même temps, apparaît dans les textes littéraires et les archives – comptabilités, enquêtes judiciaires – la formule « jongleur-ménestrel ». L’apparition et la diffusion de sa mention attestent peut-être de la constitution d’un nouveau groupe social – et pas forcément d’une catégorie sociale – exerçant le « métier » de « jongleur », de « joueur d’instruments », « d’acrobate », etc., dont les sources sont peut-être plus à même de permettre à l’historien de réaliser le lien, le point de rencontre entre la figure de discours et le personnage social dans la société de la fin du Moyen Âge.

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Notes

1 Cet article a été publié en portugais dans Signum, 7 (2005), p. 63-98 . Il m’a permis de présenter pour la première fois différentes hypothèses et d’ouvrir des perspectives non abouties sur le jongleur.
2  J. Le Goff, Les intellectuels au Moyen  ge, Paris, 1985 (2 e éd.) ; J.  Paul, Histoire intellectuelle de l’Occident médiéval, Paris, 1973 ; A.  Gourevitch, Les catégories de la culture médiévale, Paris, 1983 (2 e éd.) ; J.-P.  Genet, L’historiographie médiévale en Europe, Paris, 1991 ; B.  Guenée, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, Paris, 1991 ; J.-P.  Genet, La mutation de l’éducation et de la culture médiévales. Occident chrétien ( xii e -milieu xv e  siècle), Paris, 1999 ; H.  Martin, Mentalités médiévales, xi e - xv e  siècle, Paris, 1996 ; M.  Sot, J.-P. Boudet et A. Guerreau-Jalabert, Histoire culturelle de la France, t. 1 ( Le Moyen  ge), Paris, 1997 ; M.  Rouche, Histoire de l’enseignement et de l’éducation, t. 1 ( v e av. J.-C.- xv e  siècle), Paris, 2003 (2 e éd.).
3 Je remercie Daniel Russo qui m’a donné la possibilité de développer et d’approfondir ma réflexion sur le thème « Des intermédiaires culturels au xiii e siècle : les jongleurs » à l’occasion de la deuxième journée d’étude consacrée aux « Arts et cultures en Bourgogne au Moyen Âge et au début des temps modernes », le 21 septembre 2001 au musée de la Vie bourguignonne à Dijon.
4 Je cite les principaux ouvrages sur la question : L.  Gautier, Les épopées françaises. Étude sur les origines et l’histoire de la littérature nationale, Paris, 1878-1892 ; E.  Faral, Les jongleurs au Moyen Âge, Paris, 1910 ; R.  Menéndez Pidal, Poesia juglaresca y juglares, Madrid, 1924 ; W.  Salmen, Der fahrende Musiker im europäischen Mittelalter, Kassel, 1960 ; A.  Schreier-Hornung, Spielleute, Fahrende, Haussenseiter : Künstler der mittelalterlichen, Göppingen, 1981 ; H.  W. Schwab, Die Anfänge des weltlichen Berufsmusikertums in der mittelalterlichen Stadt : Studie zu einer Berufs und Sozialgeschichte des Stadtmusikantentums, Kassel, 1982 ; W.  Salmen, Der Spielmann im Mittelalter, Innsbrück, Helsling, 1983 ; J.  Southworth, The english medieval minstrel, Woodbridge, 1989 ; E.  Schubert, « Spielmann, -leute », in Lexikon des Mittelalters, t. 7, München, 1995, col. 2112-2113.
5  W. Hartung, Die Spielleute im Mittelalter. Gaukler, Dichter, Musikanten, Düsseldorf/Zürich, 2003. Je remercie Jean-Claude Schmitt de me l’avoir signalé.
6  S. Menegaldo, Le jongleur, Paris, 2005.
7  E. Faral, Les jongleurs…, op. cit., p. 1.
8 Cf. C.  Casagrande et S.  Vecchio, « Clercs et jongleurs dans la société médiévale », Annales ESC, 5 (1979, 34 e année), p. 913-928.
9 Cf. C.  Page , Voices and instruments of the Middle Ages. Instrumental practice and songs in France 1100-1300, Londres, 1987.
10  P. Zumthor, La lettre et la voix, Paris, 1987, p. 21 sqq.
11  R. Jacob, « Le faisceau et les grelots. Figures du banni et du fou dans l’imaginaire médiéval », Revue droit et cultures, 41/1 (2001), p. 65-98.
12  W. Hartung, Die Spielleute. Eine Randgruppe in der Gesellschaft des Mittelalters, Wiesbaden, 1982, ainsi que les autres ouvrages des historiens allemands cités en n. 5.
13  A. Schreier-Hornung , Spielleute…, op. cit.
14  B. Geremek, Les marginaux parisiens aux xiv e et xv e  siècles, Paris, 1976 ; H.  W. Schwab, Die Anfänge…, op. cit. ; H.  Boockmann, « Spielleute und Gaukler in den Rechnungen des Deutsch-ordens-Hochmeisters », in D.  Altenburg, J. Janut, H. H. Steinhoff (dir.), Feste und Feiern im Mittelalter, Sigmaringen, 1991, p. 217-227 (Paderborner Symposium des Mediävististenverbandes).
15  C. Frugoni, « La rappresentazione dei giullari nelle chiese fino al XII sec. », in Il contributo dei giullari alla drammaturgia italiana delle origini, p. 113-134 ; M.  Camille, Images dans les marges. Aux limites de l’art médiéval, Paris, 1997 (coll. « Le temps des images »).
16  C. Page, The Owl and the Nightingale. Music life and ideas in France, 1100-1300, Londres, 1989.
17  Londres, BL, Royal 8 G IV, fin xiii e siècle (?), cité dans C. Page, The Owl and the Nightingale…, ibid., p. 199, l. 29-33 : «  Hystrio proprie dicitur qui gesticulatione corporis provocat ad risum homines, unde hystoria rerum, gestarum narracio. Sed modo ampliatum est nomen ut dicatur ystrio quicumque joculator qui per musica instrumenta vel alio modo excitat homines ad voluptatem et ad gaudium huius mundi et sic sonat in vicium. »
18  Paris, BnF, Lat. 3218, fol. 32v° et Lat. 3529a, fol. 40 (cité dans C. Page, The Owl and the Nightingale…, ibid., p. 196) : «  Tria sunt histrionum genera. Quidam transformant et transfigurant corpora sua per turpes saltus et per turpes gestus, vel denudando se turpiter, vel induendo horribiles larvas et omnes tales damnabiles sunt, nisi reliquerint officia sua. » Cf. F.  Morenzoni, Des écoles aux paroisses. Thomas de Chobham et la promotion de la prédication au début du xiii e  siècle, Paris, 1995.
19  Cambridge, University Library, Ii. 4. 8., fol. 18 (cité dans C. Page, The Owl and the Nightingale…, ibid., p. 196) : « Iuxta hunc modum loquendi dicitur diabolus esse pater malorum, non quia ipsi habeant ab eo quod sunt, sed habent ab eo, id est ab eius imitacione, quod mali sunt… ».
20  C. Page, The Owl and the Nightingale…, ibid., p. 21 : «  Quidam enim cum ludibrio et turpitudine sui corporis acquirunt necessaria et deformantes ymaginem Dei. »
21  Jean de Salisbury (éd. PL 199, col. 406) : «  Nam de histrionibus et mimis, scurris et meretricibus, leonibus et huiusmodi prodigiis hominum, quae principem potius oportet exterminare quam fovere. »
22  Cambridge, University Library, Ii 4. 8, fol. 18v° (cité dans C. Page, The Owl and the Nightingale…, op. cit., p. 197) : «  Et supra capitaeorum tanquam corone similes auro… Et habeant capillos sicut capillos mulierum ».
23  Conrad de Zurich (cité dans E.  Faral, Les jongleurs…, op. cit., app. III, 267b, p. 373) : «  Summa des arte prosandi, compilata a Cuonrado, cantore ecclesiae Tigurinae. »
24  Thomas Docking (cité dans A.  G. Little, Franciscan Papers. Lists and Documents, Manchester, 1943, p. 108) : «  De hystrionibus sciendum est quod histriones dicuntur quasi hystriones, eo quod corporum suorum gesticulatione represantant hystorias aliquas turpes sive confictas sive factas, sicut olim fecerunt tragedi et comedi in theatris, et hodie fit in turpibus spectaculis et turpibus ludis… ».
25  Raoul Ardent (cité dans J.  W. Baldwin, Masters, princes and merchants, Princeton, 1970, t. 2, p. 140) : «  Verbositas hominem mutat in scurram, transformat in mimum, in joculatorem deiicit, humanae naturae deponit dignitatem. »
26  H.-I. Marrou, Les troubadours, Paris, 1971.
27  Rutebeuf, Œuvres complètes, Paris, 1989, t. 1 ( Paris, BnF, Fr. 937).
28  A. de Montaiglon et G. Raynaud, Recueil général et complet des fabliaux des xiii e - xiv e  siècles, Genève, 1973, t. 1 ( Londres, British Library, Harley 2253, fol. 107v°).
29  A. de Montaiglon et G.  Raynaud, Recueil général…, ibid.
30  Décrets de Gratien, LXXXVI, 408 : «  Qui donant histrionibus, qui donant aurigis, qui donant meretricibus, quare donant. »
31  Pierre le Chantre, Verbum abbreviatum, chap. 49 (éd. PL 205, col. 155) : «  Contre dantes histrionibus (…) Nullum genus hominibum est, in quo non inveniatur aliquis utilis usus necessitas humanas (…) praeter hoc genus hominum, quod est monstrum, nulla virtute redemptum a vitiis necessitatis humanae nulli usui aptum (…) ; quia non minus turpe est laudari a turpibus, quam ob turpia laudari (…) et noli ex eo manducare et bibere cum peccatoribus et histrionibus, id est pro eo quod peccatores sunt noli communicare eis, sicut ii qui nutriunt histriones et desides, cum esurant Christi pauperes. »
32  Robert de Courson, Summa ( Cambridge, Gonville and Caius College, 331/722, fol. 24, cité dans C. Page, The Owl and the Nightingale…, op. cit., p. 195) : «  Histrionibus dare demonibus est immolare ».
33  Thomas d’Aquin, Opera omnia, Summa Theologia, Rome, 1899, t. 7, p. 353, Quaestio 168, art. III, arg. 3 : «  Si autem superflue sua in tales consumunt, vel etiam sustentant illos histriones qui illicitis ludis utuntur, peccant, quasi eos in peccato foventes. »
34 Cité dans W. Hartung, Die Spielleute. Eine Randgruppe…, op. cit., p. 43-44, n. 48 .
35  Gilles de Corbeil, Hierapigra, V (cité dans C. Page, The Owl and the Nightingale…, op. cit.) : «  Qui joculatores, scurras, mimos, balatrones… ? Et gravitas peccat… ? Histrio sit monstrum nulla virtute redemptum. »
36  Saint Augustin, De fide et operibus (éd. PL 40, col. 219).
37  Gautier de Coinci, Les Miracles de la Sainte-Vierge, Paris, 1972, p. 316-322 : « Sa vièle a sachiée et traite ; / l’archet à cordes fait sentir / Et la vièle retentir… / Quand saluée tout doucement / Et mouée moult longuement / La Mère Dieu d’entier courage / Et enclinée au moult image… ».
38  Gautier de Coinci, ibid., v. 77-84 : « Nostre Dame sainte Marie… / Sur la vièle fait descendre / Tout en apert voiant la gent, / Un moult bieau cierge et un moult gent. / La vièle prend de rechef / Vers l’image lève le chef ; / Si bien chante et si bien vièle, / N’est séquence ni kyriele / Qu’escoutissiez plus volontiers / Et li cierges biaus et entiers / Sur la vièle redescent / Le miracle vient y cent ».
39  Gautier de Coinci, ibid., v. 183-187.
40  P. Kunstmann, « Del tumbeor Nostre-Dame », in Vierge et merveille, Paris, 1981, p. 142-177.
41 Lambert de Guînes, né vers 1050, chantre de la collégiale Saint-Pierre de Lille (v. 1075), évêque d’Arras de 1094 à 1115, cf. B.  Roger, Le Nécrologe de la Confrérie des Jongleurs et Bourgeois d’Arras (1194-1361), 2 vol., Arras, 1963-1970.
42 « Ensemble vous veillerez dans le chœur pendant la nuit qui précédera le jour de dimanche et quand viendra l’heure de minuit, une femme apparaîtra, vêtue comme je suis, qui vous donnera un cierge. Et le cierge sera allumé du feu céleste et la cire qui en dégouttera, guérira les Ardents », cité dans R.  Berger, Le Nécrologe de la Confrérie des Jongleurs et des Bourgeois d’Arras (1194-1361), Arras, 2 vol., 1963 et 1970 (Mémoire de la Commission départementale des Monuments historiques du Pas-de-Calais), t. 1, p. 134.
43 La confrérie des jongleurs et ménétriers, placée sous le patronage de Saint-Julien-du-Pauvre, fut fondée en 1321, avec les statuts de l’association de métier, validés par le prévôt de Paris, cf. E.  Faral, Les jongleurs…, op. cit.
44  J.-C. Schmitt, « Cendrillon crucifiée, à propos du Volto Santo de Lucques », in Le corps des images. Essais sur la culture visuelle au Moyen  ge, Paris, 2002 (coll. « Le Temps des images »), p. 217-271.
45 « Trait sa vïelle et prent a viëler, / Devant le vous commença à chanter. / Le saint Esprit commence à avaler, / Qui le vous fait parler et remuer. / Il a tantost le pied du clou ôté, / Etant son pied, jeta le son soulier / D’or et d’argent a pieres pointure », édité par W. Foerster, « Le saint Vou de Lucques », in Mélanges Chabaneau, Genève, 1973, p. 1-56, v. 438-444.
46 Le miracle est figuré dans le manuscrit de la Légende du Saint Voult de Lucques, conservé à Rome, Biblioteca Apostolica Vaticana, codex Pal. Lat. 1988, fol. 16v°, enluminé à Paris vers 1410. Miniature reproduite dans l’ouvrage de J.-C.  Schmitt (« Cendrillon crucifiée… », op. cit., fig. 33).
47  G. Bonifacio, Giullari e uomini di corte, Napoli, 1907 : «  Nos sumus ioculatores Domini ; (…) Quid enim sunt servi Dei nisi quidam ioculatores ejus, qui corda hominum erigere debent et movere ad laetitiam spiritualem. »
48 «  Non solo in francese ma il canto accompagnava con gesti e suoni a guisa di guillare », cité dans W.  Salmen, Der Spielmann im Mittelalter…, op. cit.
49  J. Le Goff, « Métier et profession d’après les manuels de confesseurs au Moyen Âge », in Pour un autre Moyen  ge, Paris, 1977 (coll. « La Bibliothèque des histoires »), p. 162-180.
50 «  Quidam enim transformant et transfigurant corpora sua per turpes saltus vel turpes gestus, (…) et omnes tales damnabiles sunt, nisi relinquant officia sua », cité dans C. Page, The Owl and the Nightingale…, op. cit., p. 21.
51 Le Tombeur de Notre-Dame raconte qu’avant son entrée à Clairvaux, il ne savait nul métier et qu’il n’avait vécu que de « tomber », sauter, danser et chanter : « Si ne sot faire nul métier / Dont on eut laiens métier, / Car n’ot vécu fors de tumer / Et d’espringier et de baler / Treper, saillir, ice savoir (…) / Ne d’autre rien il ne savoit, Car ne savoit autre leçon, / Ne Pater Noster, ne chanson (cantique) / Ne le Credo, ni le salu/ Ne rien qui fut à son salut », cf. édition P.  Kunstmann, « Del tumbeor… », op. cit., p. 142, v. 23-32.
52 L.  Gautier, Les épopées françaises…, op. cit., t. 2, p. 25.
53  Paris, BnF, lat. 3218, fol. 32v° et lat. 3529a, fol. 40 (cité dans C. Page, The Owl and the Nightingale…, op. cit.) : «  Est enim tertium genus histrionum qui habenty instrumenta musica ad delectandum homines, sed talium duo genera. Quidam enim frequentant publicas potationes et lascivas congretiones ut cantent ibi lascivas cantilenas, ut moveant homines ad lasciviam, et tales sunt damnabiles sicut et alii. Sunt autem alii qui dicuntur ioculatores qui cantant gesta principium et vitas sanctorum. »
54  J. D. A. Ogilvy, «  Mimi, scurrae, histriones : entertainers of the early Middle Ages », Speculum, 38/3 (1963), p. 603-619.
55 Quelques exemples : Tertullien dans son De Spectaculis parle de l’histrion qui fait des farces ; Cyprien utilise l’histrion-bouffon comme contre-figure des prêtres ; Isidore de Séville dans ses Étymologies décrit le théâtre comme un lupanar et relate la mollesse et la lascivité des danseurs, cf. F.  Dupont, L’acteur-roi. Le théâtre dans la Rome antique, Paris, 2003.
56 Cf. I.  Marchesin, « Les jongleurs dans les psautiers du haut Moyen Âge : nouvelles hypothèses sur la symbolique de l’histrion médiéval », Cahiers de civilisation médiévale, 41 (1998), p. 127-139.
57  J. Le Goff, « Métiers licites et métiers illicites dans l’Occident médiéval », in Pour un autre Moyen  ge, Paris, 1977, p. 91-107.
58  Thomas d’Aquin, Summa theologia, op. cit., p. 353, Quaestio 168, art. III, arg. 3 : «  Ad tertium dicendum, quod sicut dictum est, ludus est necessarius ad conservationem humanae vitae. Ad omnia autem quae sunt utilia conservationi humanae deputari possunt aliqua officia licita. Et idea etiam officium histrionum, quod ordinatur ad solatium hominibus exhibendum, non est secundum su illicitum : nec sunt in statu peccati, dummodo moderate ludo utantur, idest non utendo aliquibus illicitis verbis vel factis ad ludum, et non adhibendo ludum negotiis et temporibus indebitis. (…) Unde illi qui moderate esi subveniunt, non peccant, sed juste faciunt, mercedem ministerii eorum esi tribuendo. »
59  Aristote, Éthique à Nicomaque, livre X, ch. 6 et 7, Paris, 1965, p. 273-274 et 276 : « [à propos des jeux], on s’y livre pour le plaisir du divertissement même et non pour une autre cause (…). Le divertissement ressemble à un repos et l’homme, ne pouvant travailler sans interruption, a besoin de repos (…). Ajoutons encore que le bonheur parfait consiste également dans le loisir (…). Le loisir est, comme le bonheur, la fin ou le terme de toute action. »
60 Cité dans C. Page, The Owl and the Nightingale…, op. cit., p. 38.
61 Par exemple, pour ne citer que lui, Jean de Fribourg, dans les années 1297-1298, emploie dans sa Summa confessorum, le terme d’ eutrapelia dans le même sens aristotélicien : « Ainsi la vertu peut être autour des jeux (…). Aristote a dit que dans une certaine forme de vie courante le délassement par le jeu est par conséquent nécessaire (…) que l’amusement ou le jeu est convenable selon qu’on se montre mesuré, à tel moment et à tel endroit (…) et cette vertu est appelée selon Aristote eutrapeliai. »
62 La confrérie des jongleurs, appelée à la fin du xiv e siècle, confrérie des ménétriers, a été fondée en 1321, cf. E.  Faral, Les jongleurs…, op. cit., p. 128-132.
63  Le clerc au Moyen  ge, Aix-en-Provence, 1995 (Sénéfiance, 37).
64  A. Boureau, « Hypothèses sur l’émergence lexicale et théorique de la catégorie de séculier au xii e siècle », in Le clerc séculier au Moyen  ge, XXII e Congrès de la SHMES, Amiens, 1991, Paris, 1993, p. 35-43.
65  Paris, BnF, Lat. 16419 (cité dans E.  Faral, Les jongleurs…, op. cit., p. 290, n. 102) : «  De Poenitentia : Si igitur joculator vel hystrio habuerit uxorem et praeceperit eam esse vagam et cum eo aleas et tabernas, (…) et timet igitur imminere turpitudinem in vago itinere… ».
66  Mansi, t. XXII, p. 1003 f : «  (…) clerici… mimis, ioculatores et histrionibus non intendant ».
67 CSE 740, fol. 123v°. Je remercie vivement Jacques Berlioz qui m’a communiqué toutes ces sources.
68 Même si la source est antérieure au cadre chronologique de cette communication, citons la littérature monastique, et en particulier cistercienne (ce sera une étude future), qui développe les thèmes du jongleur et de la parole disciplinée. Saint Bernard, dans son De consideratione II, XII (éd. PL 182, col. 756), écrit : « (…) le clerc sait que la Parole est toute entière dans l’Écriture et qu’il ne reste à l’homme que le prudent commentaire ou la contemplation silencieuse. Sur sa bouche, dépositaire de la Parole de Dieu, le verbum scurrile et le sermo risorius, sonnent comme des blasphèmes », cf. J.  Leclercq, «  Ioculator et saltator. Saint Bernard et l’image du jongleur dans les manuscrits », in Translatio Studii, Manuscript and Library Studies, Collegeville (Minnesota), 1973, p. 124-148.
69  Cambridge, Gonville and Caius College, 331/722, fol. 24v° (cité dans C. Page, The Owl and the Nightingale…, op. cit., p. 195) : «  Ideo est juditium de adulatore vel mimo sive histrione qui si infatuat adolescentes vel simplices per adulationes et sic emungat ab eis bona eorum, tenetur ad restitutionem. »
70 Cf. N.  Bériou, L’avènement des maîtres de la parole. La prédication à Paris au xiii e  siècle, Paris, 1998 ; Ead., « Les instruments de musique dans l’imaginaire des prédicateurs », in M.  Clouzot et C. Laloue (dir.) , Les représentations de la musique au Moyen Âge, Paris, 2005, p. 108-119.
71 C.  Casagrande et S.  Vecchio, « Clercs et jongleurs… », op. cit.
72  P. Zumthor, La poésie et la voix dans la civilisation médiévale, Paris, 1984.
73  A. Aragon, « Statut et fonctions du narrateur dans la chanson de geste », Aix-en Provence, 1987, p. 197-222 (Sénéfiance, 20).
74 Cf. M.  Aurell, La vielle et l’épée. Troubadours et politique en Provence au xiii e  siècle, Paris, 1989.
75  La Chanson de la Croisade albigeoise, Paris, p. 49 (coll. « Le Livre de Poche, Lettres gothiques »).
76  J. Salvat, « Chanson de la Croisade contre les Albigeois », in Dictionnaires des lettres françaises, Le Moyen  ge, Paris, 1992, p. 243-247.
77  R. Bossuat et S.  Lefèvre, « Roman de Renart », in Dictionnaire des lettres françaises…, ibid., p. 1312-1315.
78 Cf. P.  Jonin, Anthologie thématique de la poésie française du Moyen  ge, Paris, 1991.
79  B. Bischoff, Carmina Burana. Einführung zur Faksimile. Ausgabe des Benediktbeurer Liederschrift, Munich, 1967.
80  E. Wolf, Carmina Burana, Paris, 1995.
81 Cf. L.  Gautier, Les épopées françaises…, op. cit., t. 2, p. 13.
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Pour citer cet article

Référence électronique

Martine Clouzot, « Un intermédiaire culturel au xiiie siècle : le jongleur », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA [En ligne], Hors-série n° 2 | 2008, mis en ligne le 24 janvier 2009, consulté le 27 février 2014. URL : http://cem.revues.org/4312 ; DOI : 10.4000/cem.4312

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Auteur

Martine Clouzot

Université de Bourgogne (ARTeHIS - UMR 5594)

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