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Entretien avec Mario Rinvolucri
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Entretien

Entretien avec Mario Rinvolucri1

Mario Rinvolucri et Marie-Annick Mattioli
p. 39-43

Texte intégral

1Bonjour, Mario Rinvolucri et merci d’accorder cette interview aux Cahiers de l’APLIUT. Pourriez-vous commencer par rappeler le thème général de votre communication au XXVIIe congrès de notre association ?

2J’ai essayé de parler du lien entre mémorisation et affect : si l’apprenant saisit quelque chose de façon émotionnellement forte, concentrée, s’il est vraiment là, la question de la mémorisation ne se pose pas, cela se fait presque automatiquement. S’il vit profondément ce qu’on lui propose comme contenu langagier, il va s’en souvenir. Toutes les études sur la mémoire montrent que l’on se rappelle ce qui est important, affectivement important.

3Et vous parliez aussi à différents types d’intelligences qui sont certainement liées à différents types de mémorisation ?

4Là, je suis la ligne d’Howard Gardner qui distingue 7 intelligences : intelligence linguistique, intelligence mathématico-logique – ces deux intelligences sont traditionnellement considérées comme la somme des intelligences – mais lui en ajoute encore 5 : l’intelligence musicale, l’intelligence spatiale – qu’il propose comme visuelle, mais c’est peut-être parce qu’il est lui-même très visuel, Gardner. En effet en entrant dans une cathédrale, on sent corporellement, même en fermant les yeux, l’espace autour de soi, et auditivement, on ressent le son des pas, on sent la distance entre l’émission de ce son et l’endroit où on se trouve dans la cathédrale, alors je trouve que l’intelligence spatiale peut être multi sensorielle, et pas seulement visuelle. Il parle aussi de l’intelligence somatique ou kinesthésique – cette intelligence est la moins regardée dans notre civilisation malheureusement et beaucoup d’enfants en souffrent, surtout de jeunes garçons, dans l’enseignement secondaire, car leur seule façon d’apprendre est en faisant : ils doivent saisir les choses pour apprendre, et on ne leur en laisse que trop peu souvent l’occasion dans notre enseignement. Les deux dernières formes d’intelligence sont l’intelligence intrapersonnelle – si on se promène dans un bois pendant deux heures, et si on a une bonne conversation avec soi-même, alors on développe ce type d’intelligence ; il y a aussi cette intelligence interpersonnelle, c’est-à-dire une intelligence avec l’autre, c’est cette intelligence qui va essayer de comprendre ce que ressentent les autres et nous permettre d’agir en fonction des autres.

5En plus des 7 intelligences précédemment citées, il y a, pour Gardner, deux intelligences « candidates », l’intelligence naturaliste – c’est une intelligence qui informe les premiers indigènes aux USA sur les notions qui les entourent, c’est aussi une intelligence qu’ont les jardiniers, par exemple, ou les marins. Ils comprennent intuitivement, pour les premiers, ce qui est bon pour le sol, les plantations, ou pour les marins, la direction du vent, la force du vent, les marées… Et l’intelligence spirituelle ou existentialiste, qui serait peut-être évoquée par Santa Teresa, et qui représente ce qui est au-delà de notre intelligence…

6Alors une question que l’on peut se poser maintenant est : comment distingue-t-on une intelligence d’un tas de comportements et de croyances ?

7Si quelqu’un a une attaque cérébrale et qu’une partie de son cerveau ne marche plus, il peut continuer à danser, bouger, mais ne plus pouvoir parler, ni écrire, ni lire. Un cas dont j’ai entendu parler où j’enseigne, à Canterbury, quelqu’un m’a raconté que son oncle, un Danois, a eu une attaque cérébrale et a perdu l’usage de la parole, aussi bien en danois qu’en allemand ou en anglais. Mais à Noël, alors que tout le monde était autour du piano pour chanter les chants de Noël, il s’est mis à chanter avec tout le monde, et parfaitement bien, ce qui prouve que la partie musicale de son cerveau continuait à fonctionner, pas la partie linguistique. Pour Gardner, cela prouve qu’au niveau neurologique, il y a des sphères d’intelligence au niveau du cerveau, et que l’on ne sait pas localiser de façon précise encore. Ça, c’est un des critères.

8Un autre critère, s’il y a un idiot savant qui sait dessiner divinement, mais qui n’est même pas capable d’aller faire les courses tout seul, alors lui, il a une intelligence spatiale superbe, mais pour le reste, il est pratiquement nul. Gardner cite le cas d’un jeune Anglais qui savait 16 langues – et il les connaissait jusqu’au niveau intermédiaire-intermédiaire avancé, mais n’arrivait à parler aucune de ces langues jusqu’à un niveau avancé. Il lui manquait visiblement l’intelligence mathématico-logique. On a fait un test très poussé avec lui : il lui a été demandé de traduire un texte anglais en grec moderne, en allemand et en français. Il s’y est mis, cela lui a pris une demi-heure pour les traduire ; il a dit avoir aimé faire cet exercice. Il a globalement fait de bonnes traductions ; dans une phrase du texte, il y avait le mot « sir », il a traduit par « lordos » en grec, ce qui dénote bien une bonne compréhension du rang de l’aristocratie, bien connu par les Grecs… Mais ce texte qu’on lui avait proposé en anglais ne voulait rien dire, il a traduit la forme seulement, et peu lui importait le sens du texte, et c’est très triste… Dans une certaine mesure, l’intelligence linguistique a peu de profondeur. Et cette intelligence est surtout focalisée sur la forme, pas sur les contenus.

9Est-ce que ces différentes formes d’intelligence ont des points d’inter-connexion, d’interaction ?

10Il est très rare que l’on agisse en développant une seule forme d’intelligence. Le cas du jeune Anglais est très rare. Normalement, il y a plusieurs types d’intelligence qui agissent en même temps. Il y a des éléments communs entre les différentes formes d’intelligence : le rythme par exemple, il fait partie du dessin, de l’ordre de l’intelligence spatiale, de la musique, de l’intelligence mathématico-logique – il y a apparemment un rythme dans les équations – et aussi évidemment en langue.

11En parlant de langues, combien en parlez-vous ?

12Cela dépend ce que vous entendez par « parler une langue ». Je parle l’anglais, mille fois moins bien que Shakespeare, mais c’est ma langue maternelle. Je parle l’anglais comme un journaliste et je l’écris comme un journaliste. Je n’en suis pas fier, mais c’est comme ça. J’ai 65 ans, donc cela ne va pas changer. J’ai appris l’italien, car mon père était prisonnier pendant la guerre sur l’île de Man, et il est revenu quand j’avais 3 ans, et il m’a parlé italien. Alors, pour moi, l’italien est une langue très profonde, j’ai une bonne phonologie de la langue, mais il me manque du vocabulaire. Une interview comme celle-ci serait beaucoup plus pénible en italien par exemple. J’ai un vocabulaire beaucoup plus vaste, je me sens plus sûr de moi en français. Cela me fait mal car, au fond, je préfère l’italien. J’ai appris le français en troisième langue à l’âge de 11-12 ans ; c’est ma mère qui était prof de français qui m’a donné de très bonnes bases. Ensuite, c’était l’espagnol à l’école. Et là, c’était une langue de révolte : on avait différentes langues à la maison (anglais, italien, français), mais je voulais apprendre une langue que je serais le seul à posséder chez moi, et qui me permettrait de dire non, l’espagnol pour moi était la langue du refus. Et là, je l’ai vraiment étudiée, je ne l’ai pas absorbée, j’ai dû m’asseoir et apprendre du vocabulaire. Après, quand j’étais veilleur de nuit, à Paris, entre l’école et l’université, on avait beaucoup de visiteurs qui venaient d’Allemagne. J’ai donc appris l’allemand à partir d’un livre de 6e. On me dit toujours que j’ai un petit accent français en allemand. C’est bien possible car, à ce moment-là, j’étais plongé dans le français. Et puis, je suis allé en Grèce, quand j’étais journaliste, quand j’avais 22 ans, et j’ai dû travailler avec le grec. Les débuts ont été très durs car je devais acquérir une langue que je ne possédais pas du tout avant de me rendre en Grèce… Après, c’est une langue que j’ai vraiment appréciée, c’est une très belle langue, parce que le vocabulaire abstrait est composé de mots totalement concrets. J’ai aussi échoué avec certaines langues : le chinois, le japonais, le norvégien.

13À partir de votre propre expérience de l’apprentissage des langues, on s’aperçoit que cet apprentissage s’est fait à des périodes bien précises de votre vie et était lié à des types de mémorisation différents.

14Oui, en ce qui concerne la mémorisation, pour le latin par exemple, je l’ai appris en classe à partir de 10 ans. Mais j’ai aussi assisté à un nombre important de messes en latin. J’ai donc appris beaucoup de textes par cœur, en chantant. Je me suis mis à écouter et à lire en même temps. La mémorisation s’est faite sans que je sache réellement ce que je disais. C’est étonnant. C’est de l’intelligence musicale. Et la motivation, là, est liée au plaisir de chanter. Pour le grec, j’en avais vraiment besoin pour travailler, la motivation était un cas de force majeure. Avec l’italien, j’ai découvert que l’on pouvait avoir un papa. Jusque-là, je pensais que l’on avait une maman, et à trois ans, je découvre la présence d’un père, parlant italien. Donc la motivation pour l’italien ne pouvait qu’être très forte. Et d’une façon omnipersonnelle, c’est-à-dire que tout mon être était engagé là-dedans. À cet âge-là, on ne fait pas d’effort pour apprendre ou mémoriser, cela vient de soi.

15Le lien entre mémorisation et motivation, vous venez de le montrer. Maintenant, j’aimerais savoir s’il existe, d’après vous, un lien entre le type de mémorisation et les divers types d’intelligence ?

16Bien entendu, il y a des techniques de mémorisation. Les gens qui peuvent se rappeler des strophes de poésie dans une langue qu’ils ne comprennent pas par exemple. Ce qu’ils font est simple : ils mettent ces sons dans un contexte spatial qu’ils connaissent. Ils mettent le poème dans leur chambre, dans leur maison, dans la ville où ils habitent. Pour s’en souvenir, ils se promènent mentalement dans l’espace et ils se souviennent des sons. Mais je trouve que ce type de mémorisation est bête et inutile parce que ce n’est pas nécessaire. Pour vraiment apprendre quelque chose, il faut vraiment avoir envie et besoin d’apprendre. C’est un des problèmes avec les apprenants au lycée ou en IUT. Ils ne voient pas l’intérêt de l’apprentissage d’une langue étrangère sauvage comme l’anglais.

17L’anglais, langue sauvage ?

18Sauvage, oui ; pourquoi, si on est capable de dire « vache », on devrait dire « cow », ce qui n’est pas très joli phonétiquement en plus ? Il y a véritablement un refus des langues étrangères chez certains.

19Alors, ce matin, vous nous avez fait pratiquer un certain nombre d’exercices – et je crois que cela a plu à beaucoup d’entre nous. Pourriez-vous brièvement rappeler deux ou trois exercices qui font travailler la mémorisation ?

20Oui, je voudrais commencer par le « miroir de groupe » que l’on a fait en grec. Je vous ai présenté le monologue avec les gestes de quelqu’un qui avait un problème. Il avait perdu ses clefs, il ne pouvait donc pas ouvrir sa voiture. Il a eu une idée assez brillante : il a appelé sa femme, qui se trouvait dans la maison, et elle a cherché partout dans la maison et elle a trouvé les clefs. Après, il était très reconnaissant : alors, il y avait un problème et des émotions humaines primitives avec lesquelles on peut s’associer très facilement. Et vous m’avez suivi corporellement et avec vos voix, en chœur. Vous n’étiez pas jugés : on ne pouvait déceler qui avait fait des erreurs de phonologie, vous étiez « tirés » par le groupe. Étant donné que c’était un grand groupe, c’était formidable. C’est beaucoup plus difficile à réaliser avec 5 personnes. Cela joue sur le mimétisme qui est une tendance assez développée chez les humains, comme chez les singes, nous sommes très bons mimes, surtout si nous ne sommes pas dans une situation de correction, d’embarras, etc. Il faut que cela soit fait d’une façon créative et ouverte.

21Un autre exercice était celui avec la feuille de papier. Je vous ai demandé de regarder votre être intérieur et de transformer ce que vous ressentiez intérieurement en paysage : écrire un petit paragraphe sur le paysage qui vous semblait être le plus proche de vos sentiments intérieurs. Évidemment, c’était une activité métaphorique où je vous ai demandé de spatialiser des sentiments. Et ceux qui sont forts en intelligence spatiale écrivent de très belles choses.

22Un autre exercice encore : on a commencé à faire un petit massage du dos de l’autre. Pour sensibiliser le haut du dos. Et puis, j’ai demandé aux uns d’écrire le singulier d’un substantif irrégulier sur le dos des autres, et les autres devaient répondre par l’écriture du pluriel du même substantif sur le dos des premiers. Les gens ont très bien réagi à ça. Passer par le corps – le domaine sensoriel – pour mémoriser est une bonne chose. Tout ce qui est binaire est très intéressant et marche bien. La traduction par exemple : on dessine un mot en langue d’origine et on attend la traduction en langue cible…

23Ce qu’il faut retenir de ces divers exercices est qu’il faut de toute façon développer une large gamme d’exercices pour plaire à chaque type d’apprenant. Et malheureusement, quand on enseigne, on a tendance à développer toujours le même type d’exercice …

24Merci beaucoup, Mario, pour ce retour sur votre intervention sur la mémorisation et les exemples d’exercices que nous pouvons mettre en place dans nos classes.

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Notes

1 Cet entretien, réalisé à l’IUT de Toulon à la suite de sa conférence au XXVIIe congrès de l’APLIUT en juin 2005, a été mené et transcrit par Marie-Annick Mattioli.

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Pour citer cet article

Référence papier

Mario Rinvolucri et Marie-Annick Mattioli, « Entretien avec Mario Rinvolucri », Cahiers de l’APLIUT, Vol. XXV N° 2 | 2006, 39-43.

Référence électronique

Mario Rinvolucri et Marie-Annick Mattioli, « Entretien avec Mario Rinvolucri », Cahiers de l’APLIUT [En ligne], Vol. XXV N° 2 | 2006, mis en ligne le 10 avril 2012, consulté le 05 mars 2014. URL : http://apliut.revues.org/2475 ; DOI : 10.4000/apliut.2475

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Auteurs

Mario Rinvolucri

Pédagogue, fondateur et rédacteur de la revue Pilgrims (English Language Courses), Mario Rinvolucri est l’auteur de plusieurs recueils d’activités pour la classe d’anglais, dont le célèbre Grammar Games.

Marie-Annick Mattioli

Marie-Annick Mattioli est Maître de conférences en anglais dans le département Techniques de Commercialisation de l’IUT Paris Descartes. Sa recherche porte sur des questions de civilisation britannique (le marché du travail des femmes, la carte d’identité). Présidente de l’APLIUT de 2007 à 2009, elle est actuellement Vice-présidente chargée des relations extérieures de l’association.

marie-annick.mattioli@parisdescartes.fr

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Droits d'auteur

Association des Professeurs de Langues des Instituts Universitaires de Technologie

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